Le Front National débordé par Robert Ménard ?

Robert MénardSi les intentions et les déclarations de Robert Ménard, maire de Béziers, embarrassent le parti de Marine Le Pen, le risque de voir se fédérer en parallèle la nébuleuse identitaire de droite représente un danger encore plus grand pour la République et la démocratie.

Du rififi à l’extrême droite ! L’affaire n’est pas nouvelle. Entre les velléités de Marion Maréchal-Le Pen affichant clairement ses différences avec sa tante Marine Le Pen, elle-même en disgrâce auprès du père fondateur Jean-Marie Le Pen, voilà que Robert Ménard, actuel maire de Béziers, rue dans les brancards en affirmant n’être « l’agent électoral de personne ». En clair, comprenez que l’homme entend mener sa ligne comme bon lui semble. Chose qui dans le parti présidé par Marine Le Pen est totalement inaudible y compris pour la nièce pourtant en délicatesse avec la tante. (Compliqué tout ça !) Mais au-delà de l’affaire de famille, que d’aucuns jugeraient pathétique ou lamentable, c’est surtout la question de la puissance et de l’étendue de la nébuleuse identitaire d’extrême droite qui pointe ici son nez. Car si le Front National est un parti qui reste et restera nationaliste, autoritaire et xénophobe, valeurs incompatibles en tous points avec celles de la République, il apparaît aussi que ce parti abrite en son sein des hommes et des femmes qui souhaitent aller encore plus loin dans la surenchère extrémiste.

Concurrence

Et il semble que le mouvement de Robert Ménard, Oz ta droite soit dans cette logique du mieux disant, le maire de Béziers (en dépit de ses tentatives d’explications) cherchant à rallier à lui toutes celles et ceux qui, à droite ou à gauche, seraient déçus de leur parti d’origine. Le problème pour Robert Ménard est que le Front National de Marine Le Pen exploite le même créneau et que le Parti en question ne semble pas disposé à s’accommoder d’une concurrence, fût-elle issue de l’un de ses plus véhéments soutiens. Or cette droite identitaire, souvent mal appréhendée, mais pourtant active, notamment sur les réseaux sociaux et internet, pourrait trouver en Robert Ménard un porte-voix de choix, inquiétant en terme électoral pour le Front national et plus grave, pour la République en général. Le Front National, qui a jusqu’à présent canalisé tout ce que le corps électoral avait de déçus, serait ainsi débordé par sa droite (doux euphémisme !) pour se laisser concurrencer par des groupuscules longtemps épars mais prêts à se fédérer, du moins à étudier l’idée, sous la bannière de Robert Ménard. Cette scission qui s’annonce, car elle finira par s’achever ainsi, à l’approche des échéances électorales pourrait coûter très cher au parti de Marine Le Pen dont la main mise et l’aura sur ces groupes marginaux restent limitées, voire nulles. Avantage Ménard donc ? Là encore rien n’est moins sûr car l’homme au verbe haut, ne reculant devant aucune provocation ou invective, risque aussi de lasser et de finir seul, décrédilisé auprès de ceux qu’il veut séduire au motif de bravades répétées et sans lendemain. L’avenir confirmera ou infirmera l’hypothèse mais la réalité d’une droite identitaire, ennemie déclarée des principes républicains n’est plus à nier, elle ne l’a d’ailleurs jamais été.

Probabilité faible mais…

Mais pour beaucoup d’analystes la croissance du Front National supposait une absorption complète, sinon quasi-totale, de ces fractions dures et violentes, dès lors globalement canalisées. Deux problèmes se posent alors au parti de Marine Le Pen : éviter un débordement par sa droite par ce qui pourrait devenir un bloc incontrôlable et dangereux électoralement et mettant à jour de cruelles contradictions ; laisser Robert Ménard s’enfoncer dans cette mouvance qui se cherche un chef de file. Pourtant, beaucoup à droite ou à gauche de l’échiquier de réjouissent des turpitudes qui agitent l’extrême droite française. Le tri-partisme qui semble être désormais le mode de fonctionnement politique de notre démocratie pourrait donc être altérée par cette montée d’une droite identitaire capable de déstabiliser un Front national en route vers 2017. Mais le pari est risqué, car si la probabilité de voir accéder de tels groupes (par exemple fédérés sous la férule de Robert Ménard) au sommet de l’Etat est quasi nulle, il ne faut pas négliger, loin s’en faut, (la faute ayant déjà été commise avec le Front national il y a de cela plusieurs années) la capacité de phagocytage de ces mêmes groupuscules au sein de l’opinion. Ainsi, voir le Front National concurrencé sur sa droite n’est en rien une bonne nouvelle. Elle serait même inquiétante et dramatique pour la République et la démocratie dans la mesure où les principes communs ne semble ni compris, ni appréhendés, ni intégrés, ni défendus par certaines franges de la population française et au-delà.

CGT : La goutte de trop ?

Pompe à essenceEn bloquant les dépôts de carburants au nom de la contestation portant sur la Loi Travail, la CGT tente le pari de s’aliéner l’opinion pour faire céder le Gouvernement. Mais l’effet escompté risque de se retourner contre elle. Explications.

L’épreuve de force est engagée. A vrai dire, d’aucuns s’attendaient à ce que la contestation liée à la Loi Travail prenne pareille tournure. De violences en dégradations, de déprédations en confrontations, voilà que la CGT a décidé de bloquer les dépôts de carburants cherchant ainsi à pousser le Gouvernement dans ses ultimes retranchements : l’utilisation de la force publique pour casser le mouvement de blocage. Tel est le calcul mené par la centrale syndicale, pourtant aujourd’hui minoritaire dans le pays, et qui oblige le Premier Ministre Manuels Valls à endosser malgré lui les habits de Georges Clemenceau qui en 1906 avait fait donner la troupe contre les mineurs. Certes le contexte social et politique actuel est radicalement différent et il est peu probable que Manuel Valls est un jour à prononcer à la tribune de l’Assemblée Nationale : « Je fais la guerre » comme le fit encore Clemenceau en 1917 pour devenir plusieurs mois après le Père la Victoire. Mais si la première erreur, ce qui reste encore à prouver et seul le temps le dira, a été commise par le Gouvernement en présentant cette loi devant le Parlement, la seconde a peut-être été commise par la centrale syndicale. Car en s’en prenant aux dépôts de carburants, points névralgiques de l’activité économique puisqu’elle touche au segment vital de l’énergie, la CGT s’enfonce dans une logique fermée et sans retour qui prend des allures de pari.

Pari et retournement

Le pari de la centrale, certes osé mais qui ne peut que l’être au regard de sa position dans le paysage syndical actuel où celle-ci est battue en brèche par la CFDT, est donc de fédérer l’opinion publique autour d’elle. Celle-ci prendrait alors fait et cause pour le syndicat présidé par Philippe Martinez et qui se verrait pardonnée, voire absoute, par des Français magnanimes et compréhensifs à l’endroit de ces blocages car finalement hostiles à la Loi Travail. Voilà le pari : celui du retournement de l’opinion. Mais a-t-il été compris des Français ? Certainement ! Accepté ? Toucher aux dépôts de carburants, c’est toucher au premier moyen de locomotion dont nous disposons quasiment tous : la sacro-sainte voiture ! Celle qui permet d’aller travailler tous les matins ou d’aller en chercher pour d’autres. Il est probable qu’un blocus des supermarchés  causerait certainement moins de grogne que celui des dépôts de carburants ! Or, toujours dans la logique de la centrale, pousser la puissance publique à intervenir via les forces de l’ordre pour débloquer les dépôts confère à la CGT (le pense-t-elle en tous cas) un statut de martyr qui redore son image de syndicat protecteur mais persécuté et incompris. Là encore erreur. Car rares sont les Français à mener un tel raisonnement, eux-mêmes étant plus préoccupés par la jauge de leur réservoir que par les états d’âmes d’un syndicat en mal de représentativité et qui à l’occasion de cette loi s’autoproclame défenseur de tous. Car si les Français sont hostiles à cette loi, notamment à l’article 2, ils le sont plus encore à un blocage des dépôts amenés à durer qui engendreraient une pénurie croissante de plus en plus mal acceptée.

Défendre et non accabler

Pour résumer la situation de manière un peu synthétique : « Touche pas à mon Code du Travail, mais surtout et avant tout : Ne touche pas à mon essence ! » Et un nouveau problème d’ainsi se poser qui renvoie à la nature même de notre système économique et sa dépendance à l’énergie fossile (ce qui tend à accréditer la thèse d’une montée en puissance des énergies renouvelables d’ailleurs). Ainsi, notre économie, et plus globalement l’économie mondiale, est devenue tellement dépendante du pétrole (ici des carburants) qu’il apparaît évident que rien ne doit entraver son utilisation, même un blocage, fut-il dûment motivé. Triste réalité in fine. La CGT, certainement mue par son histoire contestataire, sa culture prolétarienne, et une réflexion faisant de cette loi un élément inacceptable du dialogue social, a vraisemblablement perdu pied avec le monde contemporain bouleversé de changements qu’elle a du mal à intégrer. La faute peut-être a un dogmatisme implacable qui n’a pas laissé de place au doute sur les attentes réelles des Français en matière de syndicalisme. Le blocage des dépôts de carburants cessera naturellement dans les jours à venir, rompu soit par la force publique soit par la décision de la centrale de renoncer à ce combat perdu d’avance. Car il l’est. Plus que le Gouvernement, c’est à terme et très vite l’opinion qui se dressera contre la CGT, agitée d’un sentiment de prise en otage. Et point de syndrome de Stockholm à espérer. Car en terme de logique syndicale, la finalité d’une organisation de ce type est de défendre les salariés. Non de les accabler au risque de se décrédibiliser un peu plus.

Les forces noires de l’Europe

EuropeCrise économique, fantasme migratoire et chômage de masse ne peuvent seuls expliquer la montée des partis d’extrêmes droites. Car l’Europe nourrit depuis des siècles les ferments d’une violence sourde que l’historien Pierre Renouvin a identifié sous le nom de Force profondes.

La poussée de l’extrême droite autrichienne, quelque soit le résultat des élections du 22 mai à venir est, on l’a déjà dit et écrit à de multiples reprises, l’illustration locale et au delà des frontières de l’Autriche, de la faillite d’un modèle de société créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les commentaires, d’essence sociologique, économique et autres sont revenus sur ce phénomène de croissance des mouvements d’extrême droite qui ne touchent pas que l’Autriche où cependant, en raison de son passé, le risque de voir la nation de Strauss et Stefan Zweig  basculer revêt un caractère historique symbolique lourd. Pourtant, répétons-le, l’Autriche n’est pas le seul pays de l’Union européenne et de l’Europe géographique à être menacée par l’arrivée au pouvoir de mouvements extrémistes. Les partis concernés ne cachent ni leurs velléités, ni leurs intentions une fois le pouvoir conquis, s’appuyant sur un électorat poreux aux idées défendues. Tenter d’expliquer les raisons de l’adhésion de certaines franges de la population à ces thèses a naturellement fait l’objet d’explications multiples : crise économique, chômage de masse, fantasme migratoire, perte d’identité,…la liste est longue.

Explications et réflexes

Mais tout ces éléments ne répondent toutefois qu’à un moment de l’Histoire, un volet du temps qui s’affranchit d’une explication historique plus précise. Revenons donc pour ce faire au concept de Forces profondes, concept développé par l’historien spécialiste des Relations internationales, Pierre Renouvin (1893-1974). Pour essayer de synthétiser une pensée complexe sans la dénaturer, Renouvin défendait la thèse que lorsque les Hommes échouent ou peinent à réaliser un dessein commun, ces derniers se laissent submerger par des réflexes jusqu’alors enfouis et qui ressurgissent soudainement sous l’effet de la peur, de l’ignorance ou de l’échec. Et ces réflexes d’être alors assimilés à des solutions aux difficultés rencontrées. N’assisterions-nous pas finalement aujourd’hui à une forme de résurgences de ces forces profondes réveillées par les difficultés, ou prétendues comme tels, rencontrées par les peuples européens ? La question se pose avec acuité devant l’impasse dans laquelle l’Union européenne se trouve dans la résolution de la crise des migrants qui a révélé de vraies fractures idéologiques entre les pays membres, l’incapacité des gouvernements à résoudre, sauf rares exceptions dont l’Autriche fait partie (le taux de chômage est de 5,7 % pour une population de 8,4 millions d’habitants)* le chômage de masse ou à appréhender avec justesse et efficacité les agressions terroristes (nulles en Autriche au demeurant). Ces forces profondes, qui apparaissent à certains comme une réponse à la peur, infondée et irraisonnée qui les ronge, travaillent des peuples européens pourtant à l’abri des grandes secousses du Monde. Mais ces forces profondes sont aussi porteuses, l’Histoire l’a prouvé, d’autres maux tels que la xénophobie ou l’antisémitisme qui gangrènent le continent depuis des siècles et tendent l’un et l’autre à se développer de manière exponentielle. L’Europe est-elle cependant condamnée à vivre avec ces forces profondes jusqu’à la disparition de la planète ? Ces mauvais génies, qui ressurgissent à chaque grande crise sociale ou sociétale, sont malheureusement ancrés dans un continent qui s’escrime à trouver sa place dans l’espace mondial que la mondialisation a généré.

Perte d’influence

Cela ne signifie pas que ces mêmes forces étaient absentes lors des décennies passées mais le confort économique associée à une forme de prédominance européenne sur le monde les avaient globalement étouffées. Mais la disparition du bloc soviétique, la fin de la Guerre Froide, la multi-polarisation du Monde et par conséquence la perte d’influence de l’Europe (vécue par certains comme une agression) dans les échanges et les décisions internationales a accéléré la renaissance d’un sentiment de peurs et de craintes, redisons-le, totalement infondées et dénuées de réalités empreintes de quelconque menaces pour les modèles sociaux qui ont les nôtres. Certes, chômage de masse et difficultés économiques sont des réalités impossibles à balayer d’un revers de main mais elles ne sont pas pires que celles qui prévalaient au début du XXème siècle quand l’Europe se préparait à la déflagration de 1914. Le propos n’a effectivement rien de rassurant et ne dédouane en rien les peuples prêts à s’abandonner aux extrêmes. D’abord car rien ne les y oblige ; ensuite parce qu’arguer des forces profondes chères à Renouvin ne peut constituer une excuse supérieure, voire quasi-divine, dépassant de fait l’individu. Pourtant, elles sont capables d’expliquer que l’Europe, hier comme aujourd’hui, reste tiraillée en son sein par des courants identitaires et extrémistes prêts à se greffer sur n’importe quel drame social. Que faire alors ? S’il serait prétentieux et condescendant de présenter ici une liste de solutions, un des réflexes naturels à nourrir serait peut-être d’avoir à l’esprit que notre équilibre social reste fragile et abrite des forces souterraines puissantes dont il convient d’avoir connaissance et de maîtriser au lieu de les accepter comme une fatalité ou une justification.

Sources : Eurostat Avril 2015*

L’argent du moi…

Photo argent .pngFrançois Hollande a menacé de plafonner les revenus des grands patrons. Mais le contraste entre simple salarié et grand dirigeant ne renvoie-t-il pas à la place que nous accordons à l’argent dans notre vie ?

Chiche ! Le président de la République a menacé de plafonner les revenus des grands patrons et ce pour la deuxième fois au cours de son quinquennat. Attention l’exécutif va taper du poing sur la table et il vous le dit, cela ne va pas rigoler ! Certes… ! Pourquoi ne pas y croire…Mais dans une République laïque, tout cela relève, l’ironie est là, du vœu pieux. Il est évident que nul président de la République ne pourra légiférer sur les revenus des grands patron hormis peut-être sur ceux perçus par les dirigeants des sociétés publiques où l’Etat est majoritaire dans le capital. Et encore ! Rien ne prouve que l’Assemblée nationale approuvera la mesure et il est peu probable qu’un gouvernement use du 49.3 en la matière. Cette annonce, qui ne sera jamais suivie des faits, n’est autre qu’une tentative, un peu maladroite de se réconcilier avec ceux qui s’étourdissent ou s’étranglent d’indignation (parfois les deux) devant les rémunérations des dits grands patrons. Et pourtant François Hollande sait que ce plafonnement sera impossible à imposer et serait destructeur politiquement. Impossible car l’Etat, fut-il animé des meilleures intentions, n’a aucun pouvoir officiel dans une entreprise privée. Jouer des influences de réseaux peut être utile mais n’aura qu’un effet limité au sein des entreprises concernées où la frontière avec le monde politique reste friable et poreuse.

Schizophrénie

Ensuite toute mesure de cet ordre serait dangereuse politiquement car si beaucoup s’indignent devant les rémunérations proposées, beaucoup n’y voient aucun inconvénient et seraient même prompts à défendre de tels niveaux de rétribution au nom de la compétence et des responsabilités. Et se priver d’une partie de l’électorat centriste, voire social-libéral, pour une poignée de dirigeants certes grassement rémunérés, ne vaut peut-être pas la peine. Voilà pour les arguments qui rendent la menace fragile. Ensuite, soyons un instant honnête : l’hypocrisie et la jalousie prévalent en la matière. Et tous ceux qui dénoncent ces salaires ne rêvent que d’une chose : en percevoir autant ou ne serait-ce que la moitié ou un quart…In fine, le problème ne réside pas dans le niveau de rémunération mais dans le rapport que nous entretenons à l’argent. Les anglo-saxons (à l’exemple des Etats-Unis) en ont fait une valeur centrale et le revendiquent sans mal et sans honte au risque de choquer les tenants de la Morale (reste encore à définir celle-ci). Les Français, malmenés par des siècles d’absolutisme, maudissant l’inégalité et voyant dans l’argent un blasphème permanent réfutent tout idée d’enrichissement. Officiellement ! Car notre rapport à l’argent est à la fois contradictoire et schizophrénique. Nous le détestons et l’aimons (beaucoup et de plus en plus) ! En réalité, le débat sur les salaires des grands patrons renvoie à notre incapacité à assumer le fait que certains d’entre nous fassent de l’argent une valeur et un objectif dans leur existence : Gagner de l’argent. Partagés entre l’envie d’en gagner mais pas trop au risque de s’attirer les regards malsains de son entourage, nous trouvons dans ces grands patrons, soudainement cloués au pilori, des victimes expiatoires à nos frustrations.

Fin ou moyen

Etienne Lantier, héros de Germinal, a ces mots durs et pourtant plein de justesse à l’endroit de ses camarades mineurs portés par un vent de révolte, quand il reproche à ces derniers de combattre des hommes auxquels ils rêvent de ressembler. Le combat que François Hollande voulait livrer à la finance et à l’argent est-il cependant perdu d’avance ? Et surtout est-ce un combat de gauche ? Là encore, la question ne relève pas de l’appartenance idéologique mais de ce que nous voyons en l’argent : une fin ou un moyen, un produit d’accumulation synonyme de richesse ou un moyen de subsistance. Et ces dirigeants d’entreprises, rémunérés sur la base de sommes qui dépassent l’entendement de beaucoup sont-ils coupables ? En y regardant de plus près, les responsabilités qui sont les leurs ne sont pas celles d’un Zlatan Ibrahimovic ou d’un Chistiano Ronaldo. Certes les salaires perçus par ces joueurs de football sont largement réinvestis dans l’économie réelle et permettent à d’autres de vivre et de travailler. Alors est-il honteux de gagner beaucoup d’argent quand celui-ci est le fruit du travail ? Il appartient à chacun de répondre à l’aune de ces convictions mais menacer de frapper d’opprobre les dirigeants d’entreprise pour les salaires qui sont les leurs n’a pas réellement de sens sinon celui d’un effet d’annonce pour « gauchiser » un discours global qui ne l’est plus vraiment. Sauf à le réinventer.

Du nom à l’identité…ou l’inverse ?

CapitoleLe choix du nom de la nouvelle région unissant Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon laisse émerger la question d’une identité commune : existe-t-elle déjà ou est-elle à créer ?

Pourquoi ne pas appréhender la consultation à laquelle sont conviés les habitants de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, consultation visant à baptiser d’un nom unique la grande région regroupant les deux territoires comme le moyen de dessiner les prémisses d’une identité commune, voire d’une identité tout court ? Ces deux régions, ressemblant aujourd’hui peu ou prou à ce que fut l’ancien Comté de Toulouse, n’avaient, à l’ère contemporaine, jamais réellement brillé par leurs velléités identitaires. L’une tutoyait la Provence sans en être, l’autre était trop orientale pour réellement se prévaloir de sud-ouest géographique. Et ce ne sont pas les mouvements occitanistes qui animent le débat identitaire actuel qui sont à même de créer une dynamique comparable à celles qui agitent le Pays basque, la Corse ou encore la Catalogne. Pourtant, fortes d’une démographie croissante, de centres économiques eux aussi engagés dans des phases d’expansion exponentielles, les deux régions suscitent de plus en plus d’intérêt. Beaucoup d’éléments y contribuent : économie (aéronautique, tourisme estival et hivernal,…), patrimoine historique, climat, art de vivre,…Mais force est de constater qu’en dépit de ces atouts que d’autres régions leur envient, l’identité midi-pyrénéenne et languedocienne marque le pas. Et ce n’est pas la croix occitane, présente à Toulouse et Montpellier, qui servira de fondation commune…L’argument serait facile et fallacieux.

Occitan et histoire

Personne n’envisage cependant pour la faire valoir de passer par la lutte armée, ce qui, outre son aspect totalement illégal, disqualifierait toute tentative identitaire en l’enfermant dans une logique auto-destructrice. Comment alors créer une identité commune, un socle social et historique commun ? La langue occitane est un vecteur certes mais si son enseignement perdure, celui-ci n’est pas majoritaire et les flux migratoires qui modifient la structure sociale de la grande région tendent à diluer la pratique et la nécessité de s’exprimer en occitan. L’histoire des deux régions pourraient être un élément. Nous évoquions précédemment l’ancien Comté de Toulouse sur lequel s’est posé, à son corps défendant, la nouvelle région. Certes ! Mais les traces qu’il a laissés dans l’Histoire sont, à n’en pas douter, lourdes et encore prégnantes, mais sont-elles partagées par celles et ceux qui élisent la nouvelle entité comme terre d’accueil ? C’est peu probable et il serait difficile de les en blâmer. Toutes, et à raison certainement, se tournent vers l’avenir et non le passé, fût-il des plus prestigieux. Alors comment créer cette identité, cette force tout à la fois sociale, historique, économique, linguistique, démographique et artistique qui pourrait extraire cette région grande comme l’Autriche d’une discrétion avalisée (voire d’un anonymat) par beaucoup comme une normalité ? Peut-être que les ferments de la nouvelle identité, passée l’anecdote du nom qui sera choisi, germeront dans l’avenir que ces deux régions voudront créer ensemble. Il n’est pas de destin individuel en la matière et tant à Toulouse qu’à Montpellier, il faudra imaginer un futur à la fois unique et commun. Mais à vouloir créer une identité qui démarquerait la nouvelle région, ne risque-ton pas de gommer des sous-identités ? Personne ne nie la réalité du pays catalan, de l’Aveyron, du pays toulousain, des plaines maritimes languedociennes ou des plateaux de Lozère.

Conflits culturels de mondialisation

Aussi, convient-il, non seulement de les préserver mais aussi d’en extraire l’essence commune, celle que l’on peut retrouver de toute éternité du Gers à La Lozère, du Lot à l’Aude. Pari compliqué car l’héritage culturel, autre pendant de la question identitaire, d’un Gersois n’est pas nécessairement, et à l’évidence, le même que celui d’un Héraultais vivant en bord de mer…Sans entrer dans une logique de conflits culturels, il est cependant clair que le changement de nom ne créera pas ex-nihilo une identité propre à la nouvelle région qui devra en forger une au fil des années. Travail de longue haleine, notamment à l’heure où la mondialisation, déjà derrière nous car éminemment présente au quotidien, tend à gommer chaque jour un peu plus particularismes et spécificités. Plus qu’un nom, se pose la nécessité, loin d’être vitale toutefois, de créer un espace commun où chacun pourra se reconnaître dans l’autre sans que ne soit gommé sa spécificité propre. La République, longtemps accusée d’avoir sapé les particularisme locaux tout en préservant leur existence dans la sphère culturelle nationale (ce qui rend caduque l’accusation précédente) pourrait servir d’exemple à la tâche qui s’annonce. Répétons-le, ce n’est pas tant le nom qui sera choisi qui importera mais ce que y sera mis dedans et qui forgera l’image et le visage de la grande région.

La gauche doit-elle être de droite ?

François Hollande.jpgLa loi Travail l’a mis en évidence. Et bien que beaucoup s’en doutaient, il existe aujourd’hui deux gauches. Une de Gouvernement, guidée par des thèses socio-libérales ; une parlementaire, fidèle à l’histoire idéologique du parti fondé par François Mitterrand au Congrès d’Epinay en 1971. La fracture, nette et profonde, n’est pour certains en aucun cas tenable et pourrait coûter à François Hollande sa réélection. Lieu commun que ces quelques lignes mais qui introduisent cependant une autre forme d’interrogation. La gauche doit-elle se convertir au libéralisme pour rester au pouvoir ? En un mot, faut-il appliquer et promouvoir une politique de droite tout en étant de gauche, ou prétendu comme tel, pour conserver le pouvoir ? C’est, à y regarder de plus près, le pari pris par le locataire de l’Elysée. Et dans ce cas là pourquoi se représenter sous une étiquette progressiste tout en sachant pertinemment que reconduit à la tête de l’exécutif, sera menée à nouveau une politique d’inspiration, au mieux socio-libérale, au pire de centre-droit avec le turbulent Emmanuel Macron en qualité de Premier ministre. Bref ! Spéculations pour l’heure ! Là n’est pas l’objet. Qu’est devenu la gauche française ? La question se pose. Un ensemble de valeurs progressistes qui cherchent à bousculer l’ordre établi ? L’affirmation de la puissance publique via le renforcement de l’Etat-providence ? Une attention particulière portée aux plus démunis ? Autant de questions qui trouvent leurs réponses à gauche de l’échiquier mais aussi à droite.

Misère et SDF

La gauche française, taraudée par ces principes fondateurs issus de l’évolution du marxisme et la nécessité de répondre aux attentes immédiates de la société, sait que le chemin qui lui reste est étroit. Le constat vaut aussi pour la droite, consciente qu’une exacerbation de l’individualisme, du libéralisme économique, de la limitation de l’action de l’Etat-providence et du soutien à l’esprit d’entreprise (qui n’est pas en plus le seul apanage de la droite) pourrait la couper d’une bonne part de ses électeurs. Mais revenons à la gauche. Se réveiller tous les matins en songeant à la misère du monde, en s’interrogeant sur le sort du SDF en bas de chez soi est compliqué ! C’est pourtant ce que l’on demande à un homme ou une femme engagés à gauche ! Le peuvent-ils ? Oui ! Tous les jours ? Chacun apportera la réponse à cette question…Combien est-il finalement plus facile de se réveiller en libéral convaincu ou en socio-libéral ! Moins contraignant idéologiquement et moins exigeant socialement. Mais au pouvoir, élu sur un programme engagé à gauche, il devient difficile, voire illisible, de promouvoir une politique de droite. Question de crédibilité. Et la question initiale de se reposer. La gauche doit-elle se convertir au libéralisme pour rester au pouvoir ? Chacun apportera sa réponse. Toute affirmation définitive serait risquée. Ce qui est sûr, car relevant d’un constat simple, c’est que la gauche souffre d’une crise d’identité et de croissance. D’identité car elle ne sait plus elle-même où se situer sur l’échiquier politique traduisant une fracture intrinsèque lourde ouverte dès 1983 avec le tournant de la rigueur ; de croissance car elle n’a peut-être pas su prendre avec justesse le pouls de la société française. Quand celle-ci demandait une alternance de gauche, il lui a été servie du social-libéralisme. Pour plusieurs raisons certainement : par conviction des promoteurs de la politique menée, par facilité politique, par incapacité à réformer le courant dans son sein et à proposer une vision de gauche. A la place, la société française a eu une politique fort accommodante avec le monde de l’entreprise, le tout saupoudré de quelques principes humanistes et progressistes posés ça et là.

« De gauche mais pas seulement !  »

Insuffisant certes mais révélateur du malaise qui ronge la gauche obligée, victime de ces carences propres et de son inertie, d’opter pour une politique d’inspiration libérale. Lionel Jospin lui-même, idéologue de la gauche des années soixante-dix et quatre-vingt, avait présenté son programme présidentiel en vue de l’élection éponyme de 2002 « de gauche certes mais pas seulement ! » Toutes visées électorales passées, le mot traduisait aussi une certaine impuissance à réinventer le discours de gauche. Déjà…! La faute à qui ? A l’idéologie même qui s’enfermerait dès lors dans une forme de tautologie politique, incapable de détourner son regard de ce qu’elle est ? De ces partisans et défenseurs, incapables d’assumer une évolution qui les briseraient idéologiquement avant de les anéantir électoralement ? Ce qui est aussi certain, c’est que si rien n’oblige la gauche à promouvoir une politique de droite, rien ne l’empêche de méditer sur son avenir. Et opter pour le social-libéralisme, premier par vers le libéralisme (l’épithète social traduisant une forme non assumée d’orientation finalement prise) n’est pas le meilleur moyen de reconquérir un électorat déçu. « Celui qui pense est malheureux » disait le philosophe roumain Cioran. Ne vaut-il pas mieux alors être malheureux dans un effort d’introspection salvateur ou artificiellement libéré par la facilité de la contradiction ? Car si le premier est coûteux et cruel, le second le sera aussi. Et plus vite qu’imaginé.

Le 49.3 ou une victoire à la Pyrrhus

Panorama_de_l'hémicyle_de_l'assemblée_nationale.jpgAlors que la Loi Travail agrège autour d’elle un ensemble toujours plus lourd de mécontents et que se rapproche l’échéance du vote au Parlement, voilà que le Premier ministre Manuel Valls reconnaît ne pas exclure le recours à l’article 49.3 de la Constitution. Naturellement, la seule évocation de celui-ci, toutes majorités confondues, n’est pas sans provoquer commentaires et cris d’orfraie. Car rappelons-le, le dit article permet au Gouvernement, qui redoute une mise en minorité sur un projet de loi présenté au vote des parlementaires, de s’affranchir de ces derniers et de leurs avis pour promulguer directement la loi. Héritage tenace et régulièrement utilisé par tous les Gouvernements de la Vème République, car extrêmement pratique et pour cause. Mais la question se pose aujourd’hui, comme hier cependant, de savoir ce qui se cache derrière l’utilisation du 49.3. D’aucuns crieront à une marque de faiblesse du Gouvernement amené à l’employer. L’argument est valable car il est aussi le témoin d’une fracture dans la majorité censée soutenir le Premier ministre en place qui, une fois l’article utilisé et la loi adoptée, ne peut arguer que d’une victoire à la Pyrrhus.

Arbitraire monarchique

Mais au-delà, le 49.3 peut aussi être apprécié de deux autres manières : déni de démocratie ou despotisme républicain. Les deux notions se rejoignent pour ne former au final qu’un seul état de fait : ce n’est plus le peuple, par la voix de ses représentants, qui décide du destin du pays mais un groupe d’individus, certes porté au pouvoir par les urnes mais qui agit en dépit de l’avis des voix qui en sont sorties. Nous nous interrogions il y a de cela quelques jours sur ce même blog sur la nécessité de conserver cet article qui, pour certains, s’apparente à une solution de dernier recours, pour d’autres à un héritage archaïque qui renvoie la France à l’arbitraire monarchique. La France, qui se targue à travers le Monde d’être le pays des Droits de l’Homme, de la liberté d’expression et de conscience, de posséder un cadre législatif issu de la Révolution française conserve envers et contre tous un reliquat de despotisme dont la pertinence ne laisse d’interroger au sein d’une démocratie se prétendant moderne. Employer le 49.3 ne serait-il pas pour le Gouvernement d’aujourd’hui, comme ceux d’hier et ceux à venir (dans l’hypothèse où l’article serait conservé) l’expression d’une impasse politique, d’une rupture consommée entre ceux qui sont censés voter les lois, les parlementaires, et ceux qui les imaginent et les proposent au vote, les ministres en charge ? Evoquer la notion d’impasse pour un homme politique est toujours un exercice pénible surtout lorsqu’il est au pouvoir. Il est synonyme d’échec et de renoncement potentiel, autant d’éléments susceptibles d’entacher sa crédibilité actuelle et future, donc sa réélection ou celle de ses affidés. Certes facile et expéditif, le 49.3, souvent présenté comme une arme redoutable, est pourtant un sabre à double tranchant qu’il conviendrait de ne jamais utiliser ne serait-ce qu’une fois même au prétexte de la raison d’Etat dont l’essence est par ailleurs l’objet d’appréciation personnelle et subjective.

Enfer et Purgatoire

Car ce qui apparaît comme impérieux à certains, ne l’est pas nécessairement à d’autres. Pour autant, a fortiori dans une république laïque comme la France, le Gouvernement amené à se servir du 49.3 ne brûlera pas dans les flammes de l’Enfer…Mais il se promet le purgatoire auprès de sa majorité et de son électorat. Nombreux ont été les Premiers ministres à hésiter pour enfin s’y résoudre, l’ont-ils regretté par la suite…. ? La question reste entière mais à l’heure où la sphère politique est entourée d’un halo de méfiance, la simple idée (et que dire de son utilisation ! ) de dégainer le 49.3 s’apparente à une faute politique quand, en parallèle, elle tronque le jeu démocratique. Ne nous y trompons pas ! La seule existence de cet article plombe une Constitution que les évolutions sociales et économiques sapent un peu plus chaque jour au point de la rendre inepte. Et rares seront ceux, à la tête d’un Gouvernement ou pas, à proposer sa disparition…Sans jamais franchir le pas. Menace plus que réel outil apte à servir la nécessité ou l’intérêt du pays, le 49.3 se transforme de fait en arbitraire de la démocratie, coupant court à toutes discussions, vidant de son sens la fonction parlementaire (comme si elle avait besoin de ça) et renvoyant l’Assemblée Nationale au rang de chambre d’enregistrement ! Est-ce réellement l’idée que l’on peut se faire d’une démocratie contemporaine ? Peu le pensent et à raison. Mais l’article en question, si souvent commenté et vilipendé (la preuve encore ici) est cependant conservé. Sa simple inscription (et donc son recours) à la Constitution entretient le mirage d’une puissance pourtant révolue, atteint l’image d’un pays qui n’a pas su s’extraire de réflexes despotiques ancestraux et surtout décrédibilise toute idée ou discours présentant la pays comme une démocratie en phase avec son temps.

Les Américains adorent se faire peur !

Donald_Trump.jpgIl y a parfois dans l’existence des moments que l’on attend sans qu’ils soient consciemment espérés. C’est peu ou prou ce qui est train de se préparer aux Etats-Unis où les Américains se dirigent vers un affrontement entre Donald Trump et Hillary Clinton. Tout les oppose. Leur seul point commun est de vouloir accéder à la présidence des Etats-Unis. Donc ce moment attendu semble se dessiner, notamment après l’annonce du retrait de Ted Cruz, celui-ci ayant compris que son option ultra-conservatrice ne le mènerait nulle part, si ce n’est à l’échec face à la tornade populiste Trump. De France et d’Europe, l’on s’étonne que près de 50% des Américains aient pu, et puissent continuer jusqu’en novembre prochain, accorder leur confiance au magnat de l’immobilier. Lui si misogyne, si sexiste, si ignare des affaires du monde, si xénophobe, si tout ce que Européens et Français en particulier bercés d’idéaux humanistes (certes en recul ces dernières années) détestent. Mais pouvait-il en être autrement ? Les Etats-Unis, terre manichéenne par excellence ou le bien ne côtoie que le mal et inversement, ou les problèmes ne se résolvent que selon des logiques binaires, les Etats-Unis donc ne pouvaient qu’accoucher, au regard des dernières années, d’un tel affrontement. L’expérimentée et politique Hillary contre le milliardaire Donald. Tout deux incarnent à leur manière deux Amérique qui s’opposent et cohabitent.

Angela Davis et Martin Luther King

Elle : une élite sociale, éduquée et cultivée, ouverte au Monde et à ses évolutions ; lui : celle du rêve américain où tout est permis à celui qui le veut et tant pis pour la culture et les principes moraux. L’homme déplaît pourtant aux pontes du Parti Républicain…Mais cela sera-t-il suffisant pour lui barrer la route de l’investiture ? Deux candidats pour deux Amérique qui, au final, devront continuer à se supporter. Car la présidence d’Obama, qui a marqué un tournant dans la vie politique américaine, laisse pourtant échapper de vraies fractures que, d’Europe, nous appréhendons mal. Pour nous, l’accession d’un homme noir à la présidence des Etats-Unis était un signal fort : celui de la marche sur Washington, celui des combats d’Angela Davis, de Martin Luther King ou des Black Panthers (dans une moindre mesure cependant) Mais vue d’Europe…Et pas nécessairement des Etats-Unis…Les larmes de Jesse Jackson, révérend noir candidat à l’élection de 1988 face à Georges Bush senior, au soir de la première élection de Barack Obama  en 2008ont masqué les rancoeurs d’une Amérique profonde, secouée par la crise des subprimes, de la crise économique qui s’en est suivie et des difficultés inhérentes à toutes classes sociales éloignées des centres de pouvoir ou des préoccupations des parlementaires du Congrès. Alors jaillit l’improbable Trump, tycoon arrogant, souvent grossier et vulgaire, à contre-courant des élites policées de New-York ou de Washington. On peut se demander comment cet homme fait d’argent, et qui ne vit que pour en gagner plus encore, est parvenu à séduire des millions d’Américains ? Parce qu’avec lui les lendemains paraissent faciles, tout comme les solutions qu’il propose, que les problèmes nationaux et internationaux se régleront comme le faisait J.R Ewing : autour d’un verre de whisky. Bref de manière simple et binaire !

Un monde complexe

Or nombreux sont les Américains, et ils ne sont pas les seuls, à ne pas avoir appréhendé la complexité du Monde et sa multipolarité. Vivants dans un pays-continent, longtemps habitués à imprimer le rythme du Monde, les Américains ont progressivement vu le lien qui les rattachaient aux quatre autres continents de déliter à dessein ou de manière naturelle sous les coups des événements. Certains l’ont compris, telle Hillary Clinton ou d’autres comme Bernie Sanders dont le discours politique progressiste est le témoin d’une prise de conscience que l’avenir des Etats-Unis passera par une jeu collectif global. Certains ne l’ont pas appréhendé et parmi eux les partisans de Trump. Et lui, l’a-t-il compris ? La réponse reste entière mais il est difficile de croire que l’homme ait pu atteindre de tels sommets sans un minimum de réflexion. Prêtons-la lui donc. Et c’est là que le pire des drames se révèle : Trump ne serait qu’un manipulateur! Secret de Polichinelle ! Mais l’Amérique aime ces histoires homériques, où le rêve flirte avec la réalité. Trump est-il le côté obscur de l’Amérique ? Peut-être. Un mauvais cauchemar, un mauvais génie ? Certainement ! L’affrontement Trump – Clinton, qui semble bien inéluctable aujourd’hui accouchera de quelque chose… Mais de de quoi ? Les Etats-Unis restent aussi imprévisibles que surprenants et le choc qui se prépare laissera des traces chez les Républicains tout comme chez les Démocrates. Mais lesquelles ?

L’Union européenne sauvée par les migrants ?

090525-N-4774B-032

Et si la crise des migrants n’était finalement que le révélateur du reniement des principes qui président l’espace européen depuis sa création en 1957 ? La question se pose avec autant d’acuité que l’Union européenne, créée sur la base d’une coopération et d’une solidarité inter-Etats, se voit rongée par la montée exponentielle des nationalismes particuliers, par la réticence des Etats à statuer sur le sort des migrants, par les atermoiements à définir une politique claire et arrêtée sur la question, chacun renvoyant l’autre à ses responsabilités souveraines alors que les Traités successifs rappellent la notion de solidarité comme fondamentale. Où se situe donc le nœud gordien dans une Union européenne que l’on croyait forte et qui se révèle aussi fragile que diverse dans ses composantes ? Un premier constat s’impose : les moteurs historiques de la construction européenne sont en panne. Et alors que resurgissent ici où là des rancoeurs d’un autre temps, de celles qui ont amené le continent à se déchirer au XIXème et au XXème siècle, l’Union européenne semble se diriger, lentement mais sûrement, vers sa désagrégation. Certes, les Traités ne seront pas rompus demain, ni après demain. Mais dans cinquante ans, l’Union existera-t-elle toujours ?

Avatar excentré

L’inertie qui est devenue le moteur d’un ensemble qui devrait continuellement progresser laisse, exemple cruel mais patent, des milliers de désespérés aux portes d’une Europe désemparée car mal préparée, (ou pire ! Indifférente !) à affronter les réalités du nouveau monde. Car à l’origine, la CECA, la CEE, puis l’Union européenne, toutes trois créées au XXème siècle n’ont pas été, malheureusement, conçues pour faire face aux changements qui s’opèrent aujourd’hui. Alors, le monde se divisait en deux blocs avec des nations périphériques plus ou moins assujetties à l’un ou l’autre. La vision du monde était simple et l’Union européenne se voulait, à son corps défendant, une forme d’avatar excentré du bloc occidental accompagnée de l’OTAN et plus ou moins de l’ONU. A l’écart des soubresauts extérieurs, l’Europe politique s’auto-gérait en faisant face à ses propres problèmes sociétaux, économiques, politiques ou environnementaux sous l’oeil bienveillant de l’Oncle Sam. La dislocation du bloc soviétique a pris de court un ensemble finalement fragile en raison de sa diversité originelle et qui a dû apprendre à composer avec le monde entier. Généreuse dans ses ambitions, mais faibles dans ses moyens, l’Union européenne a compris à ses dépens qu’elle (et avec elle les Européens) n’était plus seule à décider et que la protection relative et tacite que lui offrait un monde bi-polaire s’était évanouie. Car le malaise qui prévaut aujourd’hui au sein de l’Union européenne n’est-il pas plus le fruit d’une inadaptation structurelle que d’une vague de migrants qui certes la concerne mais qu’elle serait très largement en mesure de gérer ? Le premier devoir de l’Union aujourd’hui, outre celui prioritaire d’accueillir des migrants chassés par la guerre, la dictature et la faim, est de réformer profondément ses textes pour offrir le visage d’un ensemble apte à faire face au XXIème siècle. Peu importe le nombre de pays membres, la question se pose en terme d’ambition et non en terme de pouvoir particulier, de moteurs ou d’amitiés choisies. Que veut devenir l’Union européenne ? Une addition de pays, les uns évoluant au sein de l’Euro zone, les autres en périphérie créant de fait une forme de hiérarchie au sein de même de l’ensemble (quand les Traités évoquent l’équité et l’égalité des membres) ? Un espace économique marchand, ce qui reviendrait à transformer l’Union (si n’est pas déjà le cas) à une gigantesque zone de transit commercial ? Ou autre option, repenser les textes fondateurs en conservant les principes de solidarité qui prévalait alors en les adaptant aux nouvelles crises mondiales.

Société post-industrielle

L’Europe du XXIème siècle n’est plus à reconstruire comme elle l’était au sortir de la Seconde Guerre mondiale ! Elle est même passée du statut de société industrielle à celui de société post-industrielle. Vécue comme une crise par un ensemble dépassé par les événements, l’arrivée des migrants en Europe pourrait être, au contraire, perçue comme un moyen de moderniser l’Union. Comment ? En adaptant l’espace européen aux réalités sociales, économiques, politiques ou religieuses qui l’entourent au lieu de vivre ces dernières comme des agressions extérieures qui n’auraient pour vocation que d’atteindre l’univers que nous nous sommes construits. L’accueil des migrants est l’opportunité pour nous Européens de sortir de notre vase clos, de comprendre que le monde a changé et changera encore. S’enfermer dans le dogme d’une doxa absolue considérant que notre espace seul prévaut conduira à l’échec. Dans des centaines d’années, si l’Union existe encore, cette crise actuelle sera perçue comme une crise de croissance à terme dominée. Si l’Union a disparu, alors les historiens de demain l’interpréteront comme un avatar civilisationnel, une tentative collective de coopération à grande échelle qui aura échoué sous les coups de boutoirs de l’individualisme, des nationalismes mal contrôlés (fruits d’un flottement politique et social en voie de globalisation), d’une inertie coupable dans laquelle se seront cloîtrés les pays membres préoccupés par leurs intérêts particuliers et non par un dessein collectif. Il ne suffit pas d’avoir une monnaie commune ou de passer de frontières en frontières sans contrôles douaniers pour parler d’Union européenne. Au delà de ces exemples pris à la volée, il devient urgent de penser l’Europe et non plus de la subir au risque de lourdes déconvenues, de comprendre ce qu’elle a cherché atteindre et non plus d’en défendre l’espace par peur de l’autre. Et ce travail de réflexion, nécessaire à tout ensemble humain qui défend son avenir, est l’affaire de tous les Européens. Et aujourd’hui, pas demain !