Jalousie ou légitimité

Après la révélation de sa situation professionnelle, le Haut-Commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye a dû admettre la réalité des faits jusqu’alors occultée. Mais veillons à ce que la surveillance compréhensible des élites politiques ne soit pas nourrie de jalousie sociale.

D’aucuns évoqueraient une forme d’indécence quand d’autres parleraient plus simplement de maladresse malvenue. Dans les deux cas, la situation du Haut-Commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, n’est guère enviable au regard des sacrifices que la réforme voulue par le président de la République et inspirée par le dit Jean-Paul Delevoye imposent aux Français (lemonde.fr : http://Lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/12/14/). In fine, peu importe le nombre d’emplois et de mandats occupés par le Haut-Commissaire aux retraites car ce qui compte à l’heure actuelle c’est l’exemplarité qu’est sensée donner l’homme à travers la fonction qu’il lui a été confiée. Cette notion d’exemplarité, chère à nombre d’entre nous, est généralement admise comme un gage d’honnêteté intellectuelle et morale, une sorte de certificat de bonnes mœurs qui permet à celui qui le porte d’être tout à la fois entendu car appréhendé comme légitime. Et il est clair aujourd’hui qu’au regard de la loi, l’homme a fauté. Et d’admettre qu’il est bien compliqué désormais de graviter dans la sphère politique tant celles et ceux qui s’y aventurent sont scrutés et épiés, preuve en est.

Cabale et jalousie sociale

Un des derniers hommes politiques ayant fait les frais de cette surveillance étroite et permanente est François de Rugy, ancien ministre de la Transition écologique et Président de l’Assemblée poussé à démissionner pour utilisation de fonds publics après que Médiapart a révélé les faits. Bonne chose ? Certainement car, répétons-le, le devoir d’exemplarité passe avant toute considération personnelle quand est en jeu l’intérêt général. Arguer de la cabale médiatique ou de la faute par omission apparaît comme par trop facile pour ceux qui ont été pris sur le fait. Beaucoup évoqueront, et à raison d’ailleurs, de la nécessité d’informer le grand public et les citoyens sur les pratiques entourées d’un halo de suspicion de certains élus ou ministre de la République. Mais pour autant, prenons garde à ce que cette liberté d’informer, de traquer la faille ou l’erreur commise au détriment de la collectivité soit bien motivée par l’intérêt général et non par une forme de jalousie sociale déguisée qui relèverait plus de manœuvres inquisitrices que de réelles velléités informatives. L’ère que nous vivons, nerveuse et passionnée, inquiète et fébrile, en est arrivée au point où le doute et la suspicion nourrissent une société en quête légitime de transparence et de clarté dans ses rapports avec les élites qu’elles soient sociales ou politiques. Est-ce à dire, certains l’avanceraient, qu’il s’agit de la preuve évidente d’un changement de mœurs et de mentalités ? L’allégation est fondée et tranche, dans ses pratiques, avec celles qui prévalaient par le passé quand le monde politique et ceux qui gravitaient autour se réfugiaient derrière une impunité inconsciemment acceptée. Reste à savoir si ce changement sera bénéfique à nos sociétés…Seule l’Histoire le jugera.

Par ici la sortie… ?

Présenté par le Président Macron comme issue de secours à un pays paralysé par la gangue d’un environnement politique et social obsolète, le nouveau monde peine à voir le jour. Si des mécanismes structurels peuvent l’expliquer, celui-ci bute aussi sur la réalité de l’évolution naturelle de l’Homme face aux défis de l’existence.

Elu sur le thème d’un nouveau monde à inventer et vers lequel tendre désormais, Emmanuel Macron se trouve, bien malgré lui, face à une interrogation, voire une impasse tout autant idéologique que politique. L’idée de ce nouveau monde, opposé radical de l’ancien où se déchiraient, à coups d’alternances politiques successives, droite et gauche, semble aujourd’hui enlisé dans les sables de la réalité. L’opinion, bercée en sourdine par la musique des Gilets Jaunes, enthousiasmée par le succès de la manifestation intersyndicale du 5 décembre dernier, échaudée par une politique par trop droitière, et par certains aspects néo-libérale, semble aujourd’hui peu encline à épouser la vision d’un Président de la République bien en mal lui aussi à dessiner d’autres contours que ceux qu’il avait avancé durant sa campagnes.

Réformer ou créer

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce manque d’inspiration que d’aucuns qualifieraient au mieux d’inertie politique, au pire, d’incapacité à doter le pays d’un avenir, ne serait-ce qu’à court terme. Première raison, la réalité socio-économique d’un pays de nature éruptive qui n’a rien de fondamentalement conservateur, conscient de la nécessité de réformer et modifier les structures administratives ou politiques du pays, mais qui reste viscéralement attaché à l’Etat-Providence, celui qui fut créé et acquis de haute lutte après la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi, les Français et globalement l’Europe de l’Ouest ont le goût de l’Histoire et surtout du passé qui les ont menés jusqu’à aujourd’hui. Cet obstacle, certes compliqué à franchir n’est pourtant pas insurmontable car les Français restent favorables aux changements qui leur sont proposés même si parfois ils font valoir leur mécontentement, la démonstration de force du 5 décembre en France et à Paris l’a prouvé. En revanche, le problème qui se pose au locataire de l’Elysée est certainement l’impossibilité pour l’instant de donner forme à cette troisième voie, à ce nouveau monde. Pourquoi ? D’abord parce que le nouveau ne peut se créer qu’en prenant appui sur l’ancien. Créer une société ex-nihilo n’est en rien pensable ou réalisable à ce jour et le réussir relèverait de la gageure que même un président tout jupitérien qu’il soit ne peut réaliser.

Esquisse et évolution

Or, l’ancien monde, vilipendé par le Président de la République comme le père de tous les maux du pays, est, qu’il le veuille ou non, encore et bien là. Les réflexes sociétaux et économiques n’ont pas encore définitivement changé, sont loin de l’être et, restons positifs, commencent à peine à esquisser un semblant d’évolution. Il suffit pour s’en convaincre de constater combien les habitudes devant travailler au respect de l’environnement progressent à pas de fourmis ! Alors que convient-il de faire ? S’interroger sur la notion de réformer au risque de tomber dans un débat philosophique qui se déconnecterait de l’urgence de la réalité ? Un constat s’impose : réformer c’est déjà essayer de rompre avec le passé. De là à dire que le pas vers un nouveau monde est franchi ou en passe de l’être, il y a là beaucoup de prétention et de vanité à l’avancer, voire à le défendre. Pour autant, ne conviendrait-il pas de prétendre que mœurs et mentalités ont certes évolué au fil des années et des siècles, que l’Homme s’est de lui-même progressivement adapté à ces changements, que la Loi, pensée et écrite par lui, l’a accompagné dans ses changements mais que nouveau monde il n’y a point stricto sensu. Juste un ensemble d’évolutions, parfois visibles, parfois violentes, acceptées ou refusées, qui émeuvent et déstabilisent, fédèrent ou divisent, provoquant des soubresauts sociaux et qui font toutes que le nouveau monde n’existe finalement pas car le nouveau monde, c’est tous les jours qu’il s’invente et se réinvente.