Tempête dans un verre d’eau sur la dolce vita

Tempête
Loin d’être une tempête diplomatique, le dossier STX trouvera un épilogue marqué par le pragmatisme qu’impose la situation. Au risque de voir l’un des deux acteurs perdre un peu de crédibilité. Crédit photo : commons.wikipedia.org

La nationalisation temporaire des chantiers navals STX confirme le volontarisme industriel du Président de la République. Mais la brouille actuelle entre Rome et Paris, devra se solder par une solution pragmatique qui pourrait fragiliser Emmanuel Macron.

Naturellement, la brouille entre Rome et Paris ne durera pas. Mais elle illustre à sa façon comment le nouveau Président de la République entend mener sa politique industrielle, (lire l’article sur lesechos.fr : Chez STX, Macron affiche son volontarisme industriel) quitte à se fâcher, répétons-le de manière très temporaire, avec ses partenaires européens, a fortiori quand ceux-ci sont aussi membres fondateurs de l’Union européenne, ce qui est le cas de l’Italie. Ce que d’aucuns appelleraient du volontarisme industriel, d’autres une forme de bravade malvenue, confirme en tous cas qu’Emmanuel Macron a décidé de faire valoir la position de la France sur le champ industriel, faisant par là même passer à ses homologues européens et à ses détracteurs que la rupture qu’il entend incarner et sur laquelle il a été élu se traduira dans tous les domaines où le locataire de l’Elysée est potentiellement amené à trancher. Autant dire…tous. Cet autoritarisme, qui pour beaucoup ne peut pas être assimilé, à ne serait-ce qu’une ébauche de politique économique ou industrielle, a déjà valu il y a de cela quelques jours au Président une volée de bois vert au lendemain de la démission du Chef d’Etat major des Armées ou plus récemment encore avec l’annonce de la réduction de 5 euros des APL.

Jupiter dicte

Et visiblement, les faits le prouvent en tous cas, qu’Emmanuel Macron a cure des commentaires ou des vitupérations des uns et des autres. Jupiter dicte ses injonctions et gare à ceux qui s’y opposent, y compris à l’extérieur de l’Hexagone ! L’homme avance et déroule son programme comme ses intentions. Reste à savoir cependant si ces décisions pour le moins radicales se répéteront tout au long du quinquennat et surtout si l’exécutif, toujours dans le temps à venir, sera en mesure d’assumer les critiques et les attaques que les réformes annoncées ou les décisions de ce type seront susceptibles de générer. Car si la volonté de réformer ne peut être enlevée à Emmanuel Macron, il faut aussi s’interroger sur les circonstances qui baignent ces décisions. En l’état, fermer la porte temporairement aux italiens de Fincantieri, réduire les APL de cinq euros ou accepter la démission du Chef d’Etat Major des Armées ne va pas, ou n’a pas, soyons honnêtes, bouleversé le paysage social ou économique français. Mais à défaut de transformer la société française, ces décisions prises directement par l’exécutif ou suscitées par lui, apparaissent comme des marqueurs forts de l’emprise qu’Emmanuel Macron entend imposer sur la conduite des affaires du pays (lire l’article sur lemonde.fr : STX France, modèle de la politique industrielle que souhaite Macron  ). D’autres avant lui avaient essayé, sans grand succès, de s’imposer via un lot d’annonces jugées en leur temps fortes et marquantes. Qui ne se souvient pas de la croissance à aller chercher avec les dents de Nicolas Sarkozy ou de la finance qui devait être l’ennemi de François Hollande. L’Histoire a montré combien les annonces en question sont restées lettres mortes et ont participé aussi, car non suivies des faits, à la chute des concernés. Ici, l’arme de la nationalisation, brandie et utilisée par le Gouvernement, relève in fine du détail. L’Histoire officielle retiendra que le Président de la République n’a pas hésité à dire non à un pays infiniment ami de la France au titre de la préservation des intérêts industriels du pays. Pertinent ? Bienvenu ? Stupide ? Déplacé ? Peu importe car cette nationalisation ne reste que temporaire et que le dossier devra fatalement se résoudre à l’aune du bon sens et personne ne sait à ce jour qui cédera le premier. Emmanuel Macron y perdrait beaucoup en terme d’image et d’autorité. Mais le pragmatisme, fondement de l’action du président, se moque des états d’âmes ou des aspirations médiatiques de ces acteurs. A suivre…

Le pragmatique et l’inflexible

Pierre de Villiers
Le Chef d’Etat Major des Armées a démissionné. Le militaire s’attendait-il à de tels changements imposés à la Grande muette réputée inflexible ? Crédit photo : commons.wikipedia.org

La vague d’indignation suscitée par la démission du Chef d’Etat Major des Armées illustre l’incompréhension d’une grande majorité de la classe politique à comprendre que le Président de la République défend le pragmatisme au détriment de la tradition. Explications.

Tollé, autoritarisme, manque de respect envers la fonction…Autant de qualificatifs qui aujourd’hui animent le débat politique au lendemain de la démission du Chef d’Etat Major des Armées Pierre de Villiers , le plus haut des gradés de l’Armée Française ayant motivé sa décision par un désaccord profond avec le Président de la République, rappelons-le Chef des Armées sous la Cinquième République. L’émotion qu’a suscité cette décision est pourtant révélatrice d’une multitude de changements amorcés par le nouveau président, changements que, visiblement, une partie encore non négligeable du personnel politique français a du mal à intégrer. Ainsi, s’il est inutile ici de revenir sur le conflit qui opposa Pierre de Villiers au Président de la République, il est bon de se pencher en revanche sur les raisons du tollé suscité par cette démission jugée par certains comme scandaleuse. Emmanuel Macron, au contraire de ces prédécesseurs, et pour de nombreuses raisons, sans mépriser l’Armée Française, ne nourrit pas à son endroit toute la déférence et toute l’admiration que lui ont accordée les différents chefs de l’Etat (et ce même si l’on a accusé en 2008 Nicolas Sarkozy, via la mutualisation des moyens humains et matériels engagée alors de malmener l’institution militaire). Ce respect, simple et strict de l’institution militaire, que témoigne Emmanuel Macron, respect dénué de toute dévotion excessive, rompt avec ce culte ancien qui accordait à la Grande Muette, une place hors du temps et des hommes, et une autonomie quasi-totale pour ainsi dire incontestée ; l’institution s’appuyant en outre sur l’origine militaire du fondateur de la Cinquième République le Général de Gaulle.

Au service de la patrie

En brisant cette soumission tacite aux Armées, le Président de la République redistribue sans ménagement les cartes de l’autorité en rappelant qu’en qualité de Chef des Armées, c’est lui et lui seul qui décide et non les haut-gradés du Ministère de la Défense, fussent-ils compétents, aguerris et reconnus. En renvoyant l’Armée dans ses fonctions républicaines, à savoir institution au service de la patrie, et non l’inverse, Emmanuel Macron s’est naturellement attiré les foudres d’une classe politique encore largement imprégnée des principes qui prévalaient jusqu’alors. Car le macronisme, qui peine encore à se dessiner sur le plan économique et social, a trouvé là une occasion de s’affirmer. En imposant son autorité sur les Forces Armées, le président de la République a clairement établi, voire rétabli, les frontières du pouvoir de chaque acteur. Décidé à rompre avec des coutumes et des règles silencieuses qui accordaient à l’Armée une omnipotence sourde aux réalités économiques actuelles, le président Macron cherche aussi à briser l’isolement dans lequel l’institution vivait jusqu’alors. Et que le personnel politique le plus aguerri en soit choqué n’a rien d’étonnant dans la mesure où celui-ci appartient à un univers où les priorités budgétaires, en l’état la réduction du budget global alloué aux armées, ne correspond plus aux attentes des Français et aux capacités des finances publiques.

Armée crainte et redoutée

Emmanuel Macron semble quant à lui vouloir faire preuve de pragmatisme et de lucidité : oui à une armée efficace et équipée ! Non à des dépenses aveugles au nom d’une nécessité cachant assez grossièrement un prestige discutable. Car l’Armée française, crainte et redoutée, n’est cependant pas celle des Etats-Unis, engagée sur des fronts multiples et capable de bouleverser un quelconque ordre régional ; l’exemple syrien en est l’illustration même car jamais la France seule n’aurait pu renverser Bachar El Assad d’où sa demande d’aide aux Etats-Unis qui ont préféré s’abstenir. Ainsi, tout comme la société française dans son ensemble, les Forces Armées devront elles aussi rompre avec leurs habitudes, notamment celles qui les plaçaient dans une situation privilégiée car garante de la sécurité collective. Si elles occupent toujours cette place, celle-ci se fera à l’aune d’une nouvelle donne politique dictée par la nécessité de s’adapter au monde contemporain et non plus ancrée dans une tradition historique aujourd’hui anachronique.

Impitoyable Affaire Grégory

La disparition de Jean-Michel Lambert, juge qui instruisit l’Affaire Grégory de 1984 à 1986, nourrit encore la fascination que suscite ce fait divers hors du commun. Comme si la mort de cet enfant avait réveillé les plus viles pulsions de l’âme humaine au point d’engendrer une affaire imprévisible.

C’est à croire que l’Affaire Grégory ne sait exister que par les victimes qu’elle génère ! Car après la disparition de Jean-Michel Lambert, voilà que cette histoire, devenue drame national et espace de tous les fantasmes les plus sordides, semble vouloir reprendre sa part de mystère, celle que les derniers événements lui avaient disputée. Cette disparition jette cependant, encore une fois, un voile secret et obscur sur une affaire qui n’en manquait pas. Comment alors interpréter le geste de ce magistrat discret et silencieux, longtemps accusé d’avoir été l’otage inconscient des médias, qui avait incarcéré Bernard Laroche, puis relâché ce dernier pour ensuite incarcérer Christine Villemin pour elle aussi la relâcher onze jours plus tard ? En l’état, rien ne semble expliquer le geste que l’enquête précisera certainement. L’Affaire Grégory, outre la fascination qu’elle suscite dans notre société, outre les réflexes et les réalités sociales qu’elle a révélé et qu’elle continue à révéler, n’a laissé, à commencer par ces acteurs directs dont faisait aussi partie Jean-Michel Lambert, personne indemne.

Expression maléfique
Violente et vorace, elle continue plus de trente ans plus tard à réclamer son lot de victimes, comme une bête sauvage terrée dans sa grotte qu’un supplicié doit satisfaire. Combien la mort de ce petit garçon a-t-elle laissé s’échapper tout un cortège de haines non dites et de rancoeurs assassines étouffées ? Combien la face noire d’une société contemporaine et les aspects les plus vils de l’âme humaine, où se côtoient folie, démence et fureur, ont-ils trouvé là le terreau fertile à leur expression maléfique ? Comment alors encore aujourd’hui rester indifférent à cette affaire ? Beaucoup attendent énormément de la confrontation de Murielle Bolle avec son cousin. Mais peut-être en attendent-ils trop ? Il est à craindre que, tout comme en 1984, le mutisme le plus sourd ne se fasse entendre et ne fracasse sur le mur du silence le mince espoir de connaître enfin la vérité. Mais cette affaire qui, sans trop exagérer, ne ressemble à aucune autre car, avec les années, nourrie par un contexte et une somme d’événements aussi extraordinaires qu’improbables, l’Affaire Grégory est devenue une affaire à part, obsédante, presque incontrôlable, comme extraite de la masse des affaires judiciaires non élucidées. Si anormale, si exceptionnelle que trente trois ans après, elle peut se repaître d’une nouvelle victime. Naturellement, rien n’autorise à affirmer que ce sont les derniers rebondissements de l’affaire où l’affaire elle-même qui ont poussé Jean-Michel Lambert au geste qu’on lui prête aujourd’hui. (Lire lexpress.fr : Affaire Grégory : Les quatre controverses qui collaient au juge Lambert ) Mais l’homme n’a-t-il pas toujours affirmé avoir été marqué par cette affaire et les commentaires qui avaient accompagné son action ? Affaire exceptionnelle, hors du commun et hors du temps, l’Affaire Grégory n’a certainement pas fini de réclamer son dû. Pour que jaillisse enfin la vérité ou pour que se taisent, certainement à jamais, celles et ceux qui savent peut-être encore quelque chose.

Les eaux noires

Vologne-Îlot.jpg
Les secrets de la mort de Grégory Villemin courent encore dans les remous de la Vologne. Jusqu’à quand ? Crédit photo : Commons.wikipedia.org

A l’heure où rebondit l’Affaire Grégory, il n’est pas inutile de s’attarder sur les ressorts sociologiques d’un drame où se confondent horreur et fascination au point de bouleverser et de passionner, encore, la France d’aujourd’hui. Tentatives d’explications.

Comment expliquer, trois décennies après le drame, que l’Affaire Grégory fascine encore ? Certes, le fait de n’avoir jusqu’alors jamais identifié le meurtrier joue pour beaucoup dans cette fascination que d’aucuns qualifieraient de macabre, voire de malsaine. Pourtant, la réalité est là, malsaine ou macabre : l’Affaire Grégory, fait divers qui a ébranlé la France à l’automne 1984, et qui continue encore à la bouleverser, attise les passions les plus dévorantes. Et pour essayer de comprendre, en partie, pourquoi cette affaire fascine encore, il faut se replonger plus de trente ans en arrière. Quel était le paysage de la France d’alors ? François Mitterrand avait été élu trois ans plus tôt. Et à l’allégresse et l’espoir suscités par la victoire en mai 1981 place avait été faite à un cruel retour à l’austérité. Pour autant, la France du milieu des années quatre-vingt n’était pas malheureuse. Loin s’en faut. Et c’est dans ce contexte qu’un jour d’octobre 1984, l’Hexagone, découvre, ébahi, un monde oublié, du moins hermétique et silencieux, où deux familles aux réflexes et aux habitudes souvent qualifiées d’archaïques se déchirent sur fond de rivalités tues ou de haines cuites et recuites.

Inertie rétrograde

Inutiles ici de revenir sur les arcanes de l’affaire à proprement dite mais à la lecture de celle-ci se dessine les contours d’une partie de la France d’alors, portion de territoire vivant quasiment recluse et imperméable au progrès technique et social qui s’amorçait. Quelle ne fut pas la surprise de ces millions de Français, déjà horrifiés par la découverte du corps de l’enfant, que sur les bords de la Vologne, dans les sombres et austères Vosges, pouvaient vivre un ou plusieurs criminels capables d’ôter la vie à un enfant. Lancée sur l’autoroute de la modernité et de la modernisation, les Français, subjugués, s’apercevaient combien certains d’entre eux cultivaient une forme d’inertie rétrograde empreinte de violence et de rancoeur. Là réside en partie la fascination pour cette affaire, fascination qui se confond avec la découverte d’un autre monde, détaché de la réalité contemporaine où la fragilité des âmes était broyée par la mécanique impitoyable de la vengeance et du secret. La seule question qui venait alors à l’esprit et qui y vient probablement encore est : Mais comment est-ce possible ? Comment peut-on vivre écrasé par de tels secrets ? (lire lefigaro.fr : Affaire Grégory : De nouveaux éléments mettent à mal la déposition d’un témoin-clé) Plus que l’innommable et insupportable infanticide, la fascination pour l’affaire naissait de cette addition macabre de circonstances odieuses et improbables. Dans les eaux noires du mensonge et du non-dit familial, là où se noyaient d’inavouables secrets de familles, l’Affaire Grégory s’est posée comme l’unique brèche, l’ultime saillie, dans laquelle se sont précipitées presse et opinion. Car l’Affaire Grégory, outre un fait divers lourd et pénible, est aussi un phénomène social, un révélateur de consciences et de mœurs. Devant la souffrance légitime des deux parents, toute pudeur a été oubliée et bafouée, interrogeant d’ailleurs, et à raison, sur les moyens à déployer et les limites à ne pas franchir à des fins d’information. Mais au-delà, l’Affaire Grégory a aussi été le miroir d’une France à deux vitesses : celle embarquée dans le train du troisième millénaire qui pointait le bout de son nez et celle restée sur place, comme figée dans un siècle inconnu mais loin, très loin de celui dans lequel elle vivait officiellement. Et alors que les acteurs du drame sont aujourd’hui à nouveau sur le devant de la scène (mais l’ont-ils réellement quittée ?) de nouvelles questions surgissent et poussent encore l’opinion à de demander qui a ôté la vie du jeune Grégory.