Le 49.3 ou une victoire à la Pyrrhus

Panorama_de_l'hémicyle_de_l'assemblée_nationale.jpgAlors que la Loi Travail agrège autour d’elle un ensemble toujours plus lourd de mécontents et que se rapproche l’échéance du vote au Parlement, voilà que le Premier ministre Manuel Valls reconnaît ne pas exclure le recours à l’article 49.3 de la Constitution. Naturellement, la seule évocation de celui-ci, toutes majorités confondues, n’est pas sans provoquer commentaires et cris d’orfraie. Car rappelons-le, le dit article permet au Gouvernement, qui redoute une mise en minorité sur un projet de loi présenté au vote des parlementaires, de s’affranchir de ces derniers et de leurs avis pour promulguer directement la loi. Héritage tenace et régulièrement utilisé par tous les Gouvernements de la Vème République, car extrêmement pratique et pour cause. Mais la question se pose aujourd’hui, comme hier cependant, de savoir ce qui se cache derrière l’utilisation du 49.3. D’aucuns crieront à une marque de faiblesse du Gouvernement amené à l’employer. L’argument est valable car il est aussi le témoin d’une fracture dans la majorité censée soutenir le Premier ministre en place qui, une fois l’article utilisé et la loi adoptée, ne peut arguer que d’une victoire à la Pyrrhus.

Arbitraire monarchique

Mais au-delà, le 49.3 peut aussi être apprécié de deux autres manières : déni de démocratie ou despotisme républicain. Les deux notions se rejoignent pour ne former au final qu’un seul état de fait : ce n’est plus le peuple, par la voix de ses représentants, qui décide du destin du pays mais un groupe d’individus, certes porté au pouvoir par les urnes mais qui agit en dépit de l’avis des voix qui en sont sorties. Nous nous interrogions il y a de cela quelques jours sur ce même blog sur la nécessité de conserver cet article qui, pour certains, s’apparente à une solution de dernier recours, pour d’autres à un héritage archaïque qui renvoie la France à l’arbitraire monarchique. La France, qui se targue à travers le Monde d’être le pays des Droits de l’Homme, de la liberté d’expression et de conscience, de posséder un cadre législatif issu de la Révolution française conserve envers et contre tous un reliquat de despotisme dont la pertinence ne laisse d’interroger au sein d’une démocratie se prétendant moderne. Employer le 49.3 ne serait-il pas pour le Gouvernement d’aujourd’hui, comme ceux d’hier et ceux à venir (dans l’hypothèse où l’article serait conservé) l’expression d’une impasse politique, d’une rupture consommée entre ceux qui sont censés voter les lois, les parlementaires, et ceux qui les imaginent et les proposent au vote, les ministres en charge ? Evoquer la notion d’impasse pour un homme politique est toujours un exercice pénible surtout lorsqu’il est au pouvoir. Il est synonyme d’échec et de renoncement potentiel, autant d’éléments susceptibles d’entacher sa crédibilité actuelle et future, donc sa réélection ou celle de ses affidés. Certes facile et expéditif, le 49.3, souvent présenté comme une arme redoutable, est pourtant un sabre à double tranchant qu’il conviendrait de ne jamais utiliser ne serait-ce qu’une fois même au prétexte de la raison d’Etat dont l’essence est par ailleurs l’objet d’appréciation personnelle et subjective.

Enfer et Purgatoire

Car ce qui apparaît comme impérieux à certains, ne l’est pas nécessairement à d’autres. Pour autant, a fortiori dans une république laïque comme la France, le Gouvernement amené à se servir du 49.3 ne brûlera pas dans les flammes de l’Enfer…Mais il se promet le purgatoire auprès de sa majorité et de son électorat. Nombreux ont été les Premiers ministres à hésiter pour enfin s’y résoudre, l’ont-ils regretté par la suite…. ? La question reste entière mais à l’heure où la sphère politique est entourée d’un halo de méfiance, la simple idée (et que dire de son utilisation ! ) de dégainer le 49.3 s’apparente à une faute politique quand, en parallèle, elle tronque le jeu démocratique. Ne nous y trompons pas ! La seule existence de cet article plombe une Constitution que les évolutions sociales et économiques sapent un peu plus chaque jour au point de la rendre inepte. Et rares seront ceux, à la tête d’un Gouvernement ou pas, à proposer sa disparition…Sans jamais franchir le pas. Menace plus que réel outil apte à servir la nécessité ou l’intérêt du pays, le 49.3 se transforme de fait en arbitraire de la démocratie, coupant court à toutes discussions, vidant de son sens la fonction parlementaire (comme si elle avait besoin de ça) et renvoyant l’Assemblée Nationale au rang de chambre d’enregistrement ! Est-ce réellement l’idée que l’on peut se faire d’une démocratie contemporaine ? Peu le pensent et à raison. Mais l’article en question, si souvent commenté et vilipendé (la preuve encore ici) est cependant conservé. Sa simple inscription (et donc son recours) à la Constitution entretient le mirage d’une puissance pourtant révolue, atteint l’image d’un pays qui n’a pas su s’extraire de réflexes despotiques ancestraux et surtout décrédibilise toute idée ou discours présentant la pays comme une démocratie en phase avec son temps.

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