Le cataclysme et la souris

Au lendemain du scrutin européen, si l’heure est à l’adaptation de l’Union aux attentes des citoyens, en France le temps ne semble pas être contraint, l’Elysée comptant même accélérer le train des réformes.

Passées les réactions diverses et variées sur les résultats des élections européennes, qui n’ont finalement pas révélé de surprises particulières ou donné lieu à de quelconque cataclysme (lire l’article lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/28/elections-2019-apres-les-crises-a-repetition-un-sursaut-du-sentiment-europeen_5468497_3210.html ), institut de sondages et Etats-Majors politiques ayant anticipé la montée des partis d’extrême droite et populistes à l’échelle européenne, se posent désormais les questions de l’après rendez-vous électoral. Premier constat porteur d’interrogations, même contenue au sein du Parlement européen, l’extrême droite européenne effectue une poussée qui inquiétera tout démocrate qui se respecte. Et, c’est la question qui se pose, quel projet l’Union européenne doit-elle mettre en œuvre pour réconcilier une partie des européens avec l’Union et donc faire retomber la fièvre populiste.

Test et pertinence idéologique

Le chantier est immense et multiple car les motifs de désamour entre l’Europe politique et ses citoyens sont nombreux mais pas insolubles. Deuxième interrogation, pourquoi certains pays ont su endiguer la poussée populiste comme l’Espagne ou le Portugal ? Il ne serait pas déplacé de s’intéresser au fonctionnement de ces deux pays de l’Europe du Sud pourtant durement frappés, bien plus que d’autres, par les conséquences de la crise de 2008. Enfin, en France, une analyse plus fine s’impose et pour cause. Les résultats obtenus par les deux partis sortis largement en tête, avec un avantage qui n’a rien d’extraordinaire pour le Rassemblement National (23,3%) sur La République en Marche (22,4%), interrogent sur la suite à donner par Emmanuel Macron à son quinquennat. Ce scrutin européen, présenté comme un test de mi-mandat, voire comme un référendum déguisé à la politique menée depuis deux ans, a accouché d’une souris. Le rapport de force établi lors de l’élection présidentielle de 2017 s’étant confirmé, plus par l’absence de discours politiques crédibles hors des deux partis que par la pertinence des lignes idéologiques affichées par l’une et par l’autre formations, il n’apparaît pas obligatoirement nécessaire au Président de la République changer radicalement de politique si ce n’est de renforcer son action en faveur de l’environnement, pression écologique électorale oblige. Et encore ! Car si le score obtenu en France par Les Verts est honorable (13,3%), celui-ci est regardé avec attention car largement supérieur à celui des formations politiques – Parti Socialiste et Les Républicains – totalement décrochés mais n’est en rien un résultat à même de conférer à la formation écologiste un statut de juge de paix.

Gilets Jaunes et surdité

Ainsi, quelles conclusions en tirer ? Tout d’abord, qu’en dépit d’un score élevé, proche de celui obtenu lors des élections européennes de 2014, le Rassemblement national (alors Front national), ne parvient pas à distancer LREM, ce qui tendait à prouver les limites de son discours et surtout son influence sur le corps électoral. Ensuite, que le parti présidentiel a globalement bien encaissé le choc du scrutin et in fine peu souffert de la crise sociale latente des Gilets Jaunes qui reste un problème franco-français loin des préoccupations qui agitent le Parlement européen ou la Commission. Autant d’éléments qui pourraient renforcer la position du président de la République peu convaincu que d’autres options soient à ce jour possible. Surdité politique ? D’aucuns le penseraient mais au vu des résultats enregistrés par LREM, fort des conclusions du Grand débat mené pendant l’hiver et une partie du printemps, l’Elysée pourraient même accélérer le train des réformes. Loin des résultats des élections européennes…

Le Brésil mauvais élève

La réduction des subventions allouées aux universités brésiliennes par Jair Bolsonaro confirme l’emprise d’un homme sur un pays brutalisé par des méthodes qui visent à étouffer tout foyer de contestation.

Fallait-il s’y attendre ? Peut-être pas. Mais s’en douter certainement. Ce qui revient somme toute à la même chose. Ainsi, l’annonce par le gouvernement de Jair Bolsonaro, actuel président du Brésil de réduire de 30% les subventions accordées aux universités fédérales pourra facilement être assimilée à la décision d’un président qui se complaît dans les oripeaux de l’autocrate qu’il semble aspirer à devenir (Lire lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/15/manifestations-nationales-au-bresil-contre-les-coupes-budgetaires-dans-l-education_5462515_3210.html ). Plus généralement, et sans s’attarder en particulier sur le cas brésilien, il apparaît que Jair Bolsonaro exprime par cette décision le penchant naturel des dirigeants autoritaires aux tendances extrémistes toujours prompts à sacrifier lieux et hommes de culture au profit de régimes plus proches de la démoctature, subtil mélange d’autorité et de semblant démocratique, qu’autre chose.

Tarir les foyers de contestation

A vrai dire Bolsonaro n’est pas le premier homme d’Etat à réduire les subventions allouées aux lieux d’enseignement, d’autres avant lui, et l’Histoire en est riche, s’en sont rendus coupables. Ce qui est plus inquiétant dans cette décision c’est qu’elle survient dans un contexte global, comprenez mondial, où la brutalité et l’ignorance semblent avoir pris le pas sur le savoir et la réflexion. A titre de comparaison, le président américain Donald Trump a récemment loué l’action de Viktor Orban, président de Hongrie, homme qu’il serait excessif de qualifier d’amoureux de la démocratie. Et pourtant ! Quant à Jair Bolsonaro, il est évident que cet homme élu pour de mauvaises raisons dans un pays gangrené par la corruption, la crise économique et les difficultés associées, a saisi l’opportunité qui lui était donnée pour donner libre cours à ces tendances extrêmes. Reste à établir les raisons de cette coupe sombre. Elles sont simples : affaiblir toute source de pensée donc de rébellion ou de révolte contre le régime actuel afin de pouvoir imposer un système voulu autoritaire par le président du Brésil. Répétons-le ! La technique n’est pas nouvelle et tarir les foyers de pensées et de culture pour, par effet de dominos, abêtir les populations alors privées de source d’éducation et de savoir ne l’est en rien non plus. Elle permet d’étouffer tout foyer de contestation.

De Brasilia à Pékin

Et l’exemple prend tout son sens en cette année 2019 où l’on fête le trentième anniversaire de la révolte avortée des étudiants chinois de la place Tienanmen à Pékin…Preuve s’il en était besoin que c’est bien savoir, culture et éducation qui sont les moteurs d’une nation fussent-ils écrasés dans la brutalité la plus sauvage. Et Jair Bolsonaro de l’avoir trop bien compris en décidant d’appliquer cette coupe sombre inattendue. Mais dans le même temps, que fallait-il attendre du personnage ? Cruel retour de bâton pour la population brésilienne qui pensait dans sa majorité élire un sauveur…Car la guerre ouverte aux universités et aux chercheurs ne manquera pas d’aliéner une grande partie des intellectuels brésiliens pourtant partagés lors de l’élection de Bolsonaro (lire courrierinternational.com : https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/bresil-le-gouvernement-bolsonaro-en-guerre-ouverte-avec-les-universites ). L’avenir dira si cette décision sera suivie d’autres actions du même type mais il est à craindre que dans un environnement mondial où scepticisme rampant, doute à l’endroit des élites et des classes politiques croissant, Jair Bolsonaro ne multiplie dans l’indifférence totale ses attaques contre le système éducatif brésilien et plus largement contre la démocratie brésilienne déjà fragilisée.

L’Union Européenne aurait-elle perdu sa tête ?

Alors qu’approche le scrutin destiné à renouveler le parlement éponyme, il apparaît que l’Union Européenne peine à établir une pensée et une idéologie communes. Carence préjudiciable qui l’empêche d’avancer comme elle souhaiterait. Explications.

Qu’attendre des élections européennes qui se tiendront du 23 au 26 mai prochains au sein des Etats membres, y compris, paradoxe ô combien surprenant, en Grande-Bretagne alors que le Royaume Uni est sur le départ. Qu’en attendre donc ? A vrai dire des élections en tant que telles il conviendra de ne pas attendre grand chose…Mais de l’Union Européenne certainement beaucoup et le scrutin à venir doit être, (et le sera-t-il ?) l’opportunité de rappeler ce qu’est l’Union Européenne. Une gigantesque zone de libre échange, un espace protégé par une monnaie unique pilier d’une architecture économique construite dès 1957,… ? Les exemples ne manquent pas mais ce qui fait probablement aujourd’hui défaut à l’Union Européenne, c’est un sens. Non pas nécessairement une direction ou un cap, encore que cela ne serait pas totalement inutile, mais plutôt une raison d’être, et pour chaque européen appartenant à l’Union, se demander ce qu’est être aujourd’hui européen.

Paralysie et identité

Et d’émerger la question qui taraude historiens et sociologues depuis près de six décennies, existe-t-il une identité européenne ? (Lire l’article sauvonsleurope.ue : https://www.sauvonsleurope.eu/quest-ce-quetre-europeen/ ) Question qui paralyse l’Union Européenne tant il est plus facile d’influer sur les taux d’intérêt de la Banque centrale européenne que sur la psyché des individus. Et s’il fallait donc attendre quelque chose de l’Union Européenne, c’est bien cela : cette capacité à définir une identité européenne, une caractéristique globale et unique qui se retrouverait des rives de l’Atlantique à la frontière russo-polonaise, qui dépasserait les concepts de nationalités. Dès le XIXème siècle, Victor Hugo avait évoqué l’idée de créer les Etats-Unis d’Europe en référence naturellement aux Etats-Unis d’Amérique. Mais l’auteur des Misérables avait escamoté la particularité nord-américaine construite sur une langue unique, des combats fondateurs tout aussi uniques et une Histoire qui a contribué à faire des habitants des Etats-Unis un peuple à part entière. En est-il de même en Europe ? Pas exactement car le continent morcelé d’identités nationales encore vivaces, la montée des populismes en est la preuve, peine à se rassembler derrière une idée commune. Pour le résumer certes à grands traits, nous dirons que l’Europe de l’Ouest, composée des pays fondateurs et d’autres (Espagne, Portugal, Grèce, Royaume-Uni, Danemark,…) travaillent à un concept d’unification quand les pays d’Europe de l’Est, intégrés en 2004, restent encore fortement marqués par leur histoire récente.

Etat de guerre

Il n’est pas inutile de rappeler, et le rappel vaut aussi explication de certains comportements jugés méfiants ou rétifs à l’endroit de l’Union européenne de la part des pays concernés, que nombre des pays d’Europe de l’Est sont passés de 1940 à 1990 de l’occupation et de la dictature nazies à l’occupation idéologique (voire physique) et à la dictature communiste imprimées par l’Union soviétique durant la Guerre Froide. Et pour ces mêmes nations, l’état de guerre s’est finalement achevé avec la chute de l’Union soviétique. Ce faisant ces mêmes pays ont nourri un sentiment d’auto-protection qui les pousse aujourd’hui à se retrancher dans une forme d’individualisme forcené (Hongrie et Pologne en sont les deux exemples les plus frappants), difficilement compatible avec l’idée de coopération promue par l’Union Européenne. Est-ce la seule raison ? Non évidemment. L’Union avance, certes au ralenti, d’autant plus avec la question britannique qui ne cesse de s’enliser, mais elle avance. (Lire lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/06/antonio-tajani-avant-de-pouvoir-etre-perfectionnee-et-reformee-l-union-europeenne-doit-etre-preservee_5458647_3232.html) Mais pourrons-nous nous satisfaire d’avancées, quelles qu’elles soient, si nous ne parvenons pas à définir un esprit européen, une essence commune qui nous servirait de cortex cérébral, de moteur idéologique ? La tâche est ardue car elle demandera à chaque Etat, à chaque citoyen de s’interroger sur ce qu’est un esprit européen, comment se caractérise-t-il, qui le porte et le nourrit ? Qui fournira l’effort ? Foultitude de questions qui résument finalement assez bien la situation actuelle : L’Union européenne s’est physiquement développée mais sans se doter d’un esprit pour en commander les mouvements. Difficile ainsi d’avancer droit….