Paris-Berlin, point de gravité ?

Le plan de relance destiné à redynamiser l’espace économique de l’Union européenne mis à mal par la crise du covid-19 a révélé l’influence du couple franco-allemand au sein d’un ensemble contraint de se ranger à la volonté des deux premières économies de la Zone Euro.

L’adoption du plan de relance d’un montant de 750 milliards d’euros sous forme de bons du trésor européens a surtout confirmé, outre la capacité des membres de l’Union européenne à s’allier pour en assurer la pérennité, la solidité de l’axe franco-allemand. Souvent objet de commentaires mettant en évidence la suprématie de l’Allemagne dans l’espace européen, la coopération particulière affichée par les deux Etats a permis au plan proposé non seulement de voir le jour mais aussi d’être accepté par l’ensemble des Etats membres (Variances.eu : http://variances.eu/?p=4073). Plusieurs raisons expliquent la solidité de cet axe à commencer par l’histoire des deux pays dans le processus de construction européen. France et Allemagne, alors République fédérale d’Allemagne en 1957, font toutes deux parties des pays fondateurs de ce qui était la Communauté économique européenne (CEE), à l’instar de quatre autres pays, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.

Puissance et tensions

Mais de par leur dimension géographique, leur puissance industrielle restaurée grâce au Plan Marshall (1947) et leur dynamisme démographique, ces deux pays vont très rapidement devenir les moteurs du nouvel ensemble européen au point, sinon d’en éluder les autres pays membres, du moins de gagner une influence telle qui en feront les premières économies locales. Renforcé par l’apparition et la mise en place de l’Euro en 2001, France et Allemagne finissent par dominer l’Union européenne non sans générer plusieurs sources de tensions notamment après l’arrivée de nouveaux pays en 2004 au sein de l’Union. Car cette influence économique va aussi se traduire de fait, dans une logique de mondialisation de plus en plus prégnante, par une influence diplomatique qui poussera souvent à résumer l’Union européenne comme la chasse gardée des deux pays. Nombreux sont ceux qui gardent en mémoire l’épisode grec de 2011, où la Grèce, confrontée à une dette souveraine abyssale, s’était vu sommée par le couple franco-allemand mené par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, d’administrer au pays de Périclès un plan d’austérité d’une extrême sévérité et ce au nom des traités européens régissant l’endettement des Etats. La crise du covid-19, alors inimaginable, a cependant fait reculer les deux tenants de la rigueur financière, plus franche du côté allemand que du côté français, au point d’accepter aujourd’hui de laisser se creuser les déficits publics et par le principes des bons du trésors européens, de mutualiser la dette et le remboursement de cette dernière. (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/vox)

Influence et garantie

Preuve encore que le couple franco-allemand dicte une volonté empreinte d’obligation qui n’est pas nécessairement partagée, la position des pays dits frugaux que sont les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l’Autriche bien obligés in fine de se ranger à la solution proposée par la France et l’Allemagne. Pourquoi ? Car isolés diplomatiquement dans un ensemble européen soucieux de privilégier l’intérêt général à l’intérêt particulier et rendu à l’évidence d’une influence limitée. Hégémonie, autoritarisme, influence disproportionnée, coopération privilégiée autant de sentiments qui aujourd’hui peuvent émerger à l’endroit du couple franco-allemand. Il est fort à parier que les commentaires sur cette alliance tacite entre Paris et Berlin continueront à agiter les couloirs du Parlement ou de la Commission européenne sans compter les critiques acerbes de pays membres à l’influence et au poids économique moindres traversés par l’impression de n’être finalement que des faire-valoir de circonstances. Mais dans une économie mondialisée, où la concurrence internationale est devenue âpre, voire violente, certains verront dans le couple franco-allemand une sorte d’assurance ou de garantie à la stabilité européenne quand d’autres y verront un excès d’autorité malvenue à même d’étouffer l’expression politique et économique des Etats membres les plus faibles.

L’Union sauvée des eaux…

Si le plan de relance marque une étape fondamentale dans le processus de la construction européenne, la question de son efficacité en cas de nouvelles vagues pandémique n’est pas à exclure.

Salué par nombre d’Etats de l’Union européenne comme une avancée fondamentale vers la voie du fédéralisme, le plan de relance d’un montant de 750 milliards d’euros adopté par les vingt-sept membres marque à n’en pas douter une étape clef dans la construction européenne. D’abord, parce qu’il prouve que, confronté à l’adversité la plus lourde, ici la pandémie de coronavirus et ses conséquences économiques, l’Union européenne, en dépit de divergences récurrentes en son sein, a su faire face pour sauver l’espace initié en 1957. Ensuite parce que les divergences en question n’ont pas su, alors que souvent ces dernières l’ont été dans le passé, interrompre ou ralentir le processus de sauvetage. Les pays dits frugaux (L’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ) ont dû accepter la volonté de l’axe franco-allemand qui plaidait pour un plan de relance ambitieux, considéré comme à la mesure de l’enjeu, à savoir sauver l’Union européenne et l’Euro.

Reconfinement et volontarisme

Pour autant, passé le satisfecit légitime que peuvent éprouver Angela Merkel et Emmanuel Macron, se pose la question simple : ce plan sera-t-il suffisant ? La question n’a rien d’anodine car en cas de résurgence lourde et massive de l’épidémie, loin d’être enrayée à l’échelle mondiale, et la nécessité possible de reconfiner, sous des formes diverses à mêmes d’attenter au dynamisme économique des Etats, il est à craindre que ce plan ne soit qu’une étape et non une fin. Jouer ici les Cassandre confinerait à la mauvaise grâce mais la réalité sanitaire s’impose et ne peut être non plus éludée. Car tout aussi volontariste que puisse être ce plan, il reste aussi otage d’un virus encore actif. Pourtant, l’Union Européenne, d’aucuns l’ont compris, a joué via ce plan de relance, sa survie quand Emmanuel Macron jouait aussi sa potentielle réélection. Mais au-delà de considérations de politiques intérieures qui ne peuvent être totalement écartées, il apparaît aussi que le plan proposé, même partiel ou insuffisant si une deuxième vague pandémique se profilait, se veut un acte de maturité pour une entité européenne longtemps frileuse à passer à l’âge adulte.

Engagement et naissance

La création d’une dette commune par l’émission de Bons du Trésor européen à l’échelle européenne est aussi quelque part l’acceptation par les 27 membres d’un destin unique qui les engage au-delà des traités signés par le passé. C’est, comme le souligne l’historien Sylvain Kahn, la naissance d’un Etat européen (lemonde.fr :https://www.lemonde.fr/idees) et ce plan dédié à résoudre les difficultés économiques à venir, dépasse sa propre dimension et sa propre vocation même si persistent encore quelques désaccords sur l’attribution exactes de fonds. (lesechos.fr : https://www.lesechos.fr/monde) Certes l’Histoire dira si le sommet européen de juillet 2020 a marqué le tournant tant décrit mais elle ne pourra pas marginaliser ou minimiser ma volonté affichée des Etats de pousser l’Union européenne vers d’autres ambitions. Reste pourtant à savoir si sans Covid-19, un tel plan aurait vu le jour. La question restera sans réponse.

Un autre tour de manège

En France, les risques de rebond de l’épidémie de Covid-19 évoqués par la communauté scientifique révèlent l’incapacité d’une population à faire preuve de sens commun tout en occultant la présence d’un virus devenue un élément constitutif du quotidien.

Alors que la communauté scientifique s’émeut devant la légèreté d’une partie de la population au regard des risques de propagation accrus du coronavirus, nombreuses sont les questions qui émergent. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/planete/article) Non sur la pertinence de cette émotion qui s’avère in fine être une forme de mise en garde prophylactique mais plus sur la réalité que celle-ci découvre. Ainsi, au lendemain du 11 mai, date à laquelle la France a été dans sa quasi-totalité déconfinée, pléthore de comportements insouciants, voire irresponsables, ont été relevés, tous augmentant de fait le risque de contagion. En appeler au civisme et au sens commun n’a donc visiblement pas suffit surtout dans un pays où l’indiscipline est souvent érigée en principe de fonctionnement. Oubliées les bonnes résolutions, le retour sur soi et l’introspection, l’altruisme et la solidarité…Le monde d’avant est redevenu celui d’après.

Utilité et illusion

Pourtant, le problème de fond ne se situe pas nécessairement dans la multiplication de ces comportements, certes répréhensibles et à corriger au plus tôt mais plutôt dans l’idée, fausse au demeurant, que l’Humanité a vaincu, ou sera capable de vaincre le virus, à coup de déconfinement, de progrès technologiques ou de vaccins en cours de conception. Aussi, convient-il de replacer chaque élément cité à l’aune de son utilité. Le confinement permet, ou a permis, de limiter la propagation du virus dans la population sans pour autant causer sa disparition pure et simple. Malgré le confinement, le covid-19 vit et circule encore. La technologie, celle qui accompagne notre quotidien, tout aussi performante soit-elle, ne permet en rien d’éradiquer le virus, tout au plus permet-elle de contourner sa présence. Téléphones mobiles, réseaux sociaux, internet de 5ème génération servent plus à communiquer et à échanger sur la vitesse de propagation du coronavirus qu’à lutter contre celui-ci, tous étant totalement inutiles en la matière. Quant aux vaccins, l’illusion collective qui prévaut aujourd’hui d’en disposer d’ici la fin de l’année entretient la population dans une douce mais coupable insouciance qui sera d’autant plus indigeste quand viendra l’heure d’un nouveau confinement.

Impuissance et menace

Période estivale, déconfinement, consommation et vacances tendent à occulter le fait que le coronavirus est devenu partie intégrante de notre quotidien et qu’il faudra encore composer avec lui pendant de nombreuses années, au pire jusqu’à son éradication naturelle. Faut-il ainsi comprendre que nos modes de vie seront désormais dictés par la propagation du covid-19 ? La réponse ne peut être tranchée de manière si radicale mais elle révèle aussi le fait qu’en dépit de toutes nos avancées technologiques, l’Humanité est quasi-impuissante devant un tel virus comme elle le fut au XIVème siècle lors de la Grande Peste (1346-1353) et que seule la discipline de chacun est à même d’enrayer sa propagation. La Nature sera toujours plus forte. Certes ! Mais quid de l’équation économique car c’est bien elle qui complique grandement la situation. (lesechos.fr : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux) Confinement partiel ou généralisé, mesures renforcées sous peine d’amende, adaptation des modes de production afin de limiter l’exposition au virus, généralisation du télé-travail….Autant de solutions qui ont prouvé, et prouveraient encore, leur efficacité mais qui, placées sous le sceau de la doxa économique, ne peuvent être que temporaires. Question cornélienne que pose l’émergence du coronavirus. Sommes-nous capables à l’échelle mondiale de modifier nos modes de vie et de production pour faire face à la menace… ? Si quelqu’un a la réponse….

Intérêt, ambition et ancien monde

La démission du Premier Ministre Edouard Philippe et la nomination de Jean Castex ouvrent tacitement la campagne électorale du Président de la République. Et les questions de fin de l’ancien monde, d’intérêt général et d’ambition personnelle de ressurgir.

Si le président de la République Emmanuel Macron avait voulu, officiellement du moins, mettre fin à son quinquennat, il est fort à parier que le locataire de l’Elysée ne s’y serait pas pris autrement. En nommant Jean Castex, haut fonctionnaire et fin connaisseur des rouages de l’État, le Président de la République assume clairement ses choix : expédier les affaires courantes et les réformes en cours, fussent-elles difficiles à mener, et se consacrer à sa réélection. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article) La parenthèse de Père de la Nation dans laquelle Emmanuel Macron avait tenté de se glisser, sans succès, dévissant dans les sondages au profit d’Edouard Philippe alors Premier Ministre, pendant le confinement n’aura eu qu’un temps. Pour le Président Macron, l’heure est venu de réinvestir les habits du conquérant car le pouvoir et sa conquête ne se satisfont pas de douceur. Pour autant, une fois encore, le retour à la vie civile d’Edouard Philippe, fraîchement élu maire du Havre, interroge sur la capacité du quinquennat à accélérer le temps politique. 

Rôle et sacrifice

En clôturant l’acte I de son mandat par la démission du Gouvernement d’Edouard Philippe et en ouvrant le second par la nomination de Jean Castex, Emmanuel Macron présidentialise plus encore une fonction décriée pour son omnipotence. Il n’est en rien injurieux d’affirmer, les faits le confirment, que le nouveau Premier Ministre n’aura qu’un rôle des plus mineurs pour s’achever au soir du second tour de l’élection présidentielle (lesechos.fr : https://www.lesechos.fr/politique-societe). De fait, la situation qui prévaut aujourd’hui tend, et c’est certainement ce qui est le plus inquiétant, à escamoter, voire à spolier, les Français d’une seconde partie de mandat active et efficace car placée à l’ombre de l’élection 2022. L’autoroute électorale qui s’ouvre devant le Président de la République, et que celui-ci compte bien emprunter, n’aura qu’une seule utilité : arriver le premier. Or la crise de la démocratie représentative que nous évoquions il y a de cela quelques jours, passe aussi par cette tendance, devenue habitude, pour les locataires de l’Elysée de sacrifier les dernières années de leur mandat au profit de leur réélection. Et de s’interroger dès lors sur le sens que ces derniers confèrent à l’intérêt général et à l’intérêt supérieur de la nation, l’un et l’autre concurrencés par l’ambition personnelle elle-même mue par le goût et l’attrait du pouvoir.

Campagne et ambition

D’aucuns auraient cependant pensé que le Président attendrait le mois de septembre pour ouvrir les feux de la campagne mais la pandémie de covid-19 a bouleversé un calendrier privé de deux mois et demi de confinement durant lesquels le temps s’est soudainement arrêté. Alors, in fine, est-ce à dire que le Président Macron aura effectivement gouverné pendant trois ans pour consacrer les deux dernières années de son mandat à une potentielle réélection confiant les clefs du pays à un haut fonctionnaire rompu aux arcanes de l’État ? Chacun est libre de le penser et de le dire. Mais il ne faut pas être grand stratège politique pour dessiner les contours de l’ambition du Président de la République, lui qui voulait depuis son élection rompre avec l’ancien monde, emploie, non sans une certaine maladresse, des méthodes qui en ont fait les beaux jours.