Pour une promesse

En entretenant une menace militaire et diplomatique à la frontière de l’Ukraine, Vladimir Poutine cherche à faire valoir la promesse des Occidentaux faite à Moscou en 1990 assurant que jamais l’Ukraine n’intégrerait l’OTAN. Mais c’était sans anticiper les évolutions géopolitiques de trois décennies. Explications.

Suspendue à la réaction de Vladimir Poutine, l’Europe assiste, encore une fois impuissante, à l’Histoire, ici la sienne, qui se joue à la frontière entre l’Ukraine et la Russie. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2022) Pourtant, à la décharge du Vieux Continent et de l’Union européenne, ce ne sont pas les relations actuelles entre l’Est et l’Ouest qui sont à l’origine des tensions croissantes. Les racines de l’attitude de Vladimir Poutine à l’endroit de l’Ukraine remontent à plus de trente, à l’heure où l’Union soviétique mourante laissait la place à une constellation de pays libérés de la tutelle de Moscou. Or, à l’orée des années quatre-vingt-dix, l’Ukraine, comme tant d’autres pays de l’ancien bloc soviétique, véritable cordon sanitaire politique et glacis idéologique, se prend à regarder timidement vers l’Ouest où Europe politique (on évoquait encore la Communauté économique européenne) et OTAN rythment la vie de peuples défaits de toutes tutelles tyranniques depuis 1945.

Promesse et identité

Quelque peu effrayés par l’accélération de l’Histoire, les dirigeants soviétiques d’alors puis Russes, dont Vladimir Poutine, alors officier du KGB, puis du FSB, se tournent à leur tour vers les instances européennes et surtout vers l’OTAN pour avoir l’assurance que jamais l’Ukraine, en contact direct avec la Russie n’intègre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ou que de nouveaux missiles stratégiques ne soient implantés en Europe. La promesse faite alors par les nations occidentales, avec en tête les Etats-Unis de Georges Bush puis de Bill Clinton, entérine la parole donnée. Le Pacte de Varsovie caduc du fait de l’implosion de l’Union soviétique, il ne restait aux Russes que les promesses des Occidentaux pour s’assurer que le cordon sanitaire patiemment construit entre 1945 et 1990 ne vole en éclat. Rassurés par l’accord de ne pas transgresser la promesse engagée, les Russes ont donc abordé les décennies suivantes sans trop s’inquiéter des velléités de leurs proches voisins, qu’ils fussent Baltes, Polonais ou Ukrainiens. Mais en 2004, coup de semonce ! Pologne et Pays Baltes rejoignent l’Union Européenne alors que l’OTAN, peu à peu délaissée, semble se diriger vers une mort cérébrale. Pour autant, dès le milieu des années 2010, l’Ukraine, pro-européenne mais en partie russophone, se fit de plus en plus pressante en voulant intégrer l’Union européenne au grand dam de Moscou, tétanisé à l’idée de voir une des ses anciennes républiques s’émanciper. Arc-bouté sur une identité russo-slave jugé incompatible avec l’Europe de l’Ouest, Vladimir Poutine a donc commencé, par entrisme grossier et manœuvres diplomatiques sans finesse, à noyauter la société ukrainienne afin de la décourager d’intégrer l’une ou l’autre des institutions.

Armes stratégiques et manœuvres militaires

Mais, le combat actuel, certes inquiétant, n’a pour autant rien d’égal car la Russie, longtemps pays émergent, n’est plus aujourd’hui qu’une nation de second rang dont le PIB est inférieur à celui de l’Espagne (4,3 % contre 6,4% – lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/). S’appuyant sur des ressources pétrolières et gazières lourdes et nécessaires aux Européens, elle présente via ces deux matières premières les seules vraies armes économico-stratégiques dont elle dispose et ce même si les cours du brut s’envolent de sommet en sommet. In fine, la position russe n’est aujourd’hui que le fruit d’une crainte née au lendemain de l’effondrement de l’URSS et animée par un Vladimir Poutine en marge de la communauté internationale, soucieux de conférer à la Russie une place de premier plan dans le concert des nations afin d’extraire celle-ci du marasme diplomatique et économique dans laquelle elle végète désormais. Rappeler aux membres de l’OTAN la promesse faite voilà plus de trente ans apparaît comme dérisoire au vu des bouleversements que le monde a connu depuis la chute de l’Union soviétique. Et espérer effrayer l’Ukraine et la communauté internationale à coup de manœuvres militaires relève de la méconnaissance des ressorts économiques et diplomatiques contemporains, car Vladimir Poutine le sait, une action militaire contre l’Ukraine coûterait plus à la Russie qu’elle ne lui apporterait.

Le temps des idéologies est révolu

A quelques semaines de l’élection présidentielle, un constat s’impose : les partis en présence semblent tous dénués de philosophie politique autour de laquelle fédérer en masse militants et sympathisants. Pis ! Tous semblent orphelins de leurs idéologies mères marquant ainsi la fin de modèles de pensées longtemps dominants.

Alors que une grande majorité des candidats à l’élection présidentielle s’est déclarée, sauf le président sortant qui aime à reculer l’instant certainement à des fins tactiques et politiques, il apparaît donc que tous les ingrédients rythmant le rendez-vous électoral phare de la Cinquième République soient réunis. Programmes, discours, réunions politiques, militants…Bref ! Tout y est ! Pourtant, à qui s’intéresse à la chose politique, il manque, et ce peut-être depuis plusieurs décennies désormais, un élément clef : des idéologies. Tant à droite qu’à gauche, et que dire du centre qui s’est toujours revendiqué centre de gravité sans jamais trouver le sien, comprenez sans jamais trouver sa véritable philosophie politique, il fait aujourd’hui cruellement défaut aux partis politiques contemporains français une colonne vertébrale propre à chacun autour de laquelle se structureraient des programmes fois réalistes et ambitieux, empreints de chronicité et d’avenir. Est-ce à dire que les idéologies sont mortes, en politique tout du moins ? L’idée n’est pas nécessairement saugrenue et tendrait à être confirmée dans les faits après un rapide tour d’horizon de la situation qui peut très aisément s’étendre à d’autres pays européens voire au-delà. (liberation.fr : https://www.liberation.fr/week-end)

Pourfendeur d’inégalités et libéralisme soumis

La gauche, soutenue par la pensée marxiste qui a longtemps servi d’axe de rotation aux partis progressistes de la seconde moitié du XIXème siècle jusqu’aux premières heures du XXIème, voit sa boîte à idées neuves tristement vide. Pourfendeurs des inégalités sociales, porteurs des revendications sociales à même de transformer la société, la gauche française s’est peu à peu éloignée d’une classe ouvrière déjà en déshérence depuis les années soixante-dix en se transformant en parti social-démocrate sans en assumer le nom et, en plus, en manquant cette mutation qui aurait pu la sauver. Incapable de proposer des solutions sociales empreintes d’humanisme et de pragmatisme face à la mondialisation, la gauche française s’est enfoncée dans le marasme propre aux mouvements dans l’incapacité de se transformer car plus préoccupée par son avenir que par sa vocation initiale alors que là était sa survie. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/07/) A droite, le libéralisme transmit par héritage et habiles mutations intellectuelle depuis la Révolution française, a cédé le pas à un capitalisme financier et boursier sauvage que la crise de 2008 a mis en évidence. Là encore incapable, tout comme à gauche, de transformer son discours pour réhabiliter l’idée de liberté d’entreprendre sans sombrer dans ce capitalisme destructeur et porteur d’inégalités devenues criantes, la droite s’est laissée subjuguer par l’extrême-droite, sophiste et populiste, tout en la combattant, trouvant là une occasion d’exister. Vaincue par elle-même, c’est-à-dire par les dérives d’une idéologie dont elle n’a pas su deviner les limites ou les dangers, la droite française, dite républicaine, nouvel attribut sensée la rendre plus fréquentable, passe le plus clair de son temps à légitimer sa présence en expliquant qu’elle n’a rien à voir avec l’extrême-droite tout en empruntant des thèmes espérant elle aussi ainsi assurer son avenir.

Chambre d’enregistrement et modèles

Or, si le combat n’est pas vain, loin s’en faut, il doit aussi s’accompagner d’autres discours à même de réhabiliter l’esprit libéral dont elle se prévalait. Quand au centre, si tant est que celui-ci ait un jour existé, qui prétend opérer la synthèse entre les meilleures avancées de ses deux rivaux, il se révèle in fine n’être qu’une chambre d’enregistrement camouflée sous les oripeaux d’un parti politique sans jamais avoir été mu par une quelconque idéologie. Or, reste à dater l’érosion des idéologies, érosion qui pourrait débuter au milieu des années soixante-dix, quand les économies occidentales se retrouvaient dans l’impasse d’un chômage de masse et de déficits publics croissants, impossibles à résorber via l’application des théories libérales ou keynésiennes classiques. La chute du Mur de Berlin, la crise de 2008, les attentats du 11 septembre sont autant d’éléments marquant qui symbolisent aussi par les conséquences engendrées la fin de modèles portés ou inspirateurs d’idéologies aptes à structurer le monde et les sociétés contemporaines. Alors affirmer que le temps des idéologies a vécu peut apparaître comme radical, voire manichéen, car d’autres prendront certainement leur place. Mais pour l’heure, soit celles-ci tardent à se dessiner soit elle sont encore en gestation.

Quand Moscou fait monter la pression

En accentuant à dessein la pression sur les frontières de l’Ukraine, Vladimir Poutine entend non seulement entraver l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN mais aussi restaurer la sphère d’influence de l’Union soviétique. Instinct de protection ou course à l’omnipotence ?

Entre nostalgie de l’URSS et volonté affichée d’instaurer une sphère d’influence autour de la Russie, Vladimir Poutine a l’art, comme tout ancien membre du KGB, d’irriter ses partenaires internationaux. Ainsi, en massant depuis plusieurs mois aux abords de la frontière ukrainienne des milliers de soldats et leur matériel, le chef du Kremlin a doucement mais sûrement fait monter la tension entre lui et son homologue nord-américain Joe Biden. Car il s’agit bien de la question ukrainienne qui est au coeur des débats, question qui renvoie dans le même temps au rôle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN – 1949) et de l’Union Européenne. Précisons synthétiquement la réalité géopolitique. L’Ukraine, pays fertile, composé d’une majorité pro-européenne et pro-atlantiste (comprenez proche de l’OTAN) s’oppose à une minorité russophone, proche de Moscou par définition et donc soutenue par Vladimir Poutine qui voit dans cette situation le moyen d’asseoir son influence en Europe orientale. Deux éléments clefs émergent de cette situation dont Européens et Nord-Américains sont totalement conscients : les limites de l’OTAN conçue pour lutter contre l’Union soviétique et les limites de l’Union européenne totalement écartée des négociations visant à éviter toute invasion possible mais peu probable de l’Ukraine par la Russie.

Défense commune et épicentre de tensions

Si cette éventualité est balayée par Vladimir Poutine, elle reste toutefois la hantise des Occidentaux qui ne sauraient comment réagir tant du point de vue diplomatique que militaire. De son côté, Vladimir Poutine, au fait de l’embarras des Européens, incapables de mettre sur pied une défense commune à même de peser diplomatiquement et militairement, incapacité d’ailleurs témoin des limites politiques d’une Union qui n’est pas une fédération mais une association d’Etats, sait aussi que l’OTAN présente des limites dans son action car inadaptée à la situation géopolitique actuelle. Les Etats-Unis, longtemps préoccupés par la puissance croissante de la Chine, voit ainsi se cristalliser en Europe orientale un nouvel épicentre de tensions dont ils auraient aimé s’affranchir. Ne pouvant compter sur l’Union européenne, ignorée et humiliée, les Etats-Unis se retrouve donc seul à affronter la Russie de Vladimir Poutine, soucieux d’éviter l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’Union européenne. Si l’Union soviétique disposait de pays satellites, destinés avant tout à jouer le rôle de cordon sanitaire, cordon dans lequel l’Ukraine était entièrement intégrée car considérée comme une République soviétique, Vladimir Poutine entend désormais, et ce depuis de nombreuses années, restaurer cette aire d’influence qui était celle de Moscou avant 1989. Sa position discutée et certainement discutable répond à celle de Pékin et de Washington qui l’une et l’autre disposent de leur propre aire d’influence, les Etats-Unis et la Chine étant d’ailleurs en confrontation directe sur la zone pacifique et indo-pacifique, la VIIème flotte de l’US Navy naviguant régulièrement en Mer de Chine (asyalist.com : https://asialyst.com/fr/2021/02/11).

Expansion chinoise et bloc occidental

Preuve en est, le ralliement de l’Australie dans l’alliance militaro-stratégique (AUKUS) initiée par les Etats-Unis, avec l’aide du Royaume-Uni, et portant sur la fabrication de sous-marins pour contrarier l’expansion chinoise dans la zone indo-pacifique. (lemonde-diplomatique.fr : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/178/LEYMARIE/6334) Plus simplement, il apparaît désormais évident que la Russie de Vladimir Poutine entend figurer au rang des puissances mondiales au même titre que la Chine ou les Etats-Unis, que la dépolarisation du monde dans les années quatre-vingt-dix et l’apparition d’un monde a-polaire a déstructuré les relations internationales au point de laisser le champ libre à de nouvelles ambitions, moins coûteuses que pendant la Guerre Froide mais basées sur les mêmes principes d’intimidation et de tensions soigneusement nourries. En menaçant l’Ukraine et par conséquent le bloc occidental, Vladimir Poutine détourne les points d’attention essentiellement orientés pendant près de vingt-ans vers l’Asie (Afghanistan, Pakistan, Chine) et le Proche Orient (Israël, Territoires occupés, Syrie) vers l’Europe orientale, territoire familier à celui-ci, aux réflexes connus et à la proximité suffisante pour exprimer pleinement son influence. Et n’en déplaise aux Européens et aux Etats-Unis, il semble qu’il faille désormais compter avec un nouvel acteur longtemps en sommeil, à savoir la Russie.

Une implosion programmée ?

A quelques mois du premier tour de l’élection présidentielle, la gauche française s’enlise dans l’inertie de luttes intestines et dans l’idée d’une primaire de gauche mort-née dont le seul objectif était d’ériger la candidate du Parti socialiste comme seule prétendante à la charge suprême. Echec cuisant avant la curée ?

Les signataires du Congrès d’Epinay, celui qui avait fondé en 1972 le Parti socialiste sous la houlette de François Mitterrand, fusionnant ainsi toutes les sensibilités de gauche d’alors, doivent se retourner dans leur tombe tant le spectacle donné par la gauche française vire au règlement de compte à ciel ouvert. Siphonnée par la candidature d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle en 2017, la gauche française n’est pas parvenue en cinq ans passée dans l’opposition, plus souvent molle qu’active, à se reconstruire une image de parti politique apte à gouverner. Non que l’histoire du Parti socialiste ait joué, même si cette composante n’est pas à totalement éluder, mais la désunion affichée par les forces progressistes pendant la période, désunion qui se poursuit à ce jour, n’est pas étrangère à cette descente aux enfers. Pour autant, consciente de la faiblesse des forces de gauche à quelques semaines du premier tour du scrutin présidentiel, Anne Hidalgo, candidate investie par le Parti socialiste, avait lancé voilà peu l’idée d’une primaire de gauche.

Adage et refus

L’idée, officielle, était de présenter devant les électeurs le candidat capable de rassembler un maximum de suffrages afin d’accéder au second tour de scrutin, se reposant sur l’adage qui veut qu’au premier tour on élimine, au second tour on choisit. Mais officieusement, l’idée sous-jacente de la proposition d’Anne Hidalgo était surtout de s’affranchir de concurrents tels que Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon en les écartant par le biais d’une primaire, qui, s’appuyant sur la position dominante du Parti socialiste à gauche, l’aurait catapultée unique candidate à gauche, forçant tous les sympathisants à se ranger derrière elle. En mal de reconnaissance dans les sondages, celle-ci s’offrait ainsi une cure de jouvence électorale, certes artificielle, mais qui la plaçait à gauche comme seule rivale d’Emmanuel Macron. Le pari n’était pas spécialement risqué mais le refus essuyé (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article) confirme la thèse évoquée ci-dessus, à savoir que la gauche française en pleine décomposition après le quinquennat de François Hollande s’est retrouvée atomisée en plusieurs galaxies concurrentes renvoyant à la situation qui prévalait avant 1971 : Un courant idéologique encore fort au sein du pays mais sans porte-parole unique.

Social-démocratie et points communs

Pourtant, l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 aurait pu être une chance pour la gauche française. Délaissant le champ des inégalités et de l’injustice sociales à ses rivaux d’extrême droite qui s’en sont emparés alors que ces thèmes leur étaient globalement étrangers au point d’en faire des piliers de leurs discours et des vecteurs de réhabilitation dans l’opinion, trop obsédée par son virage social-démocrate mal négocié par ailleurs et incarné dans une vision par trop libérale par Emmanuel Macron, le Parti socialiste et la gauche française se sont égarés en luttes intestines et rancoeurs recuites sans véritablement proposer d’alternatives crédibles et notables à la politique menée par le locataire l’Elysée. (lesechos.fr : https://www.lesechos.fr/elections/sondages/) Dès lors, dans ces conditions, difficile d’imaginer une union de la gauche en vue de l’élection du printemps 2022 sauf si un des candidats parvenaient se hisser au second tour. L’hypothèse est loin d’être saugrenue. Mais s’il existe des points communs entre les différents acteurs qui animent la gauche française, ces mêmes points communs sont trop rares et sont affaiblis par des méthodes d’application souvent très différentes. Donc si l’hypothèse n’est en rien électoralement saugrenue, elle est à ce jour des plus improbables.