La retraite et le futur

Alors que s’annonce une nouvelle journée de manifestation contre le projet de réforme des retraites du Gouvernement, une analyse des réalités sociales et économiques s’impose dans une logique d’anticipation de longue durée. Explications.

Il va falloir s’y habituer. Les réformes des retraites sont comme le changement climatique global : inéluctable. Plus concrètement, le plan présenté par le Gouvernement français, qui n’a de cesse de provoquer la ire du pays au regard de la proposition phare du projet qui est de repousser l’âge légal de départ à 64 ans, ne se projette pas au-delà de 2030. C’est dire combien la proximité de cette date est particulièrement révélatrice de plusieurs réalités qu’il conviendra d’accepter dans les années à venir au risque de relancer régulièrement le débat sur la question et d’amener à de énièmes réformes. Tout d’abord, première réalité, la faiblesse démographique de la France, qui n’est d’ailleurs pas la seule dans ce cas, pèse lourdement sur l’avenir des systèmes de retraites. Le renouvellement insuffisant des générations (1,8 enfants par femme) ne permet pas en effet de s’appuyer sur ces dernières pour espérer sauver un système par répartition qui souffre de plus en plus.

Scénario ou constat

Second élément, il faudra, et ce dans les meilleurs délais, et sans être obsédé par l’inflation qui finira par s’atténuer, accepter une hausse significative des salaires et des traitements qui permettront, dernier point, d’augmenter les cotisations. Mais ce scénario, qui tient plus du constat et de la prospective s’inscrit dans une logique de maintien du système de répartition qui s’appuie sur les cotisations des actifs au profit des retraités. Autre réalité à laquelle il faudra peut-être se convertir, longtemps érigée en tabou, amener les retraités à participer à l’effort global. Mais dans quelle mesure et quel montant ? Qui sera éligible à une exemption au regard de la faiblesse de certaines pensions ? Comment amener l’opinion à une telle décision qui jetterai un regard nouveau sur la retraite et les retraités en faisant, de fait, de ces derniers des actifs indirects ? Il ne s’agit plus là d’une simple question de financement mais bien de choix de société car elle obligerait tous les actifs actuels à s’interroger sur la notion de même de retraite qui subodore par essence une forme de marginalisation de la vie active. Autant de solutions admises, ou qui le seront peut-être un jour, et qui fleurissent à chaque débat sur les retraites.

Tabou de la capitalisation

Une autre option consisterait aussi à penser que la France n’a plus nécessairement les moyens de financer les retraites qu’elle attribue à ce jour. Mais, et à raison, d’aucuns crieront à l’injustice arguant du fait que si les anciens ont profité du système, les actifs actuels sont en droit d’y prétendre. Débat sans fin aux accents tautologiques qui pousse à avancer le dernier grand tabou en la matière, la retraite par capitalisation. Honnie pour son aspect inégalitaire car fondée sur la capacités de chacun à se constituer un capital tout au long de sa vie via différents produits bancaires ou boursier, l’idée d’une retraite par capitalisation pourrait cependant dans les années à venir refaire surface. Pas nécessairement dans sa version la plus libérale mais fruit d’un amalgame à étudier entre système par répartition et capitalisation. Et au vu des projections proposées par le Conseil d’orientation des retraites (qui ne prévoit de déficit du régime que dans un cas sur quatre), toutes les solutions méritent d’être étudiées car in fine ce qui importe avant tout c’est que chacun puisse vivre sa retraite et sa fin de vie dans la tranquillité financière et la dignité.

Du pavé à la table

Les tensions sociales liées à la réforme des retraites et les risques de paralysie du pays soulèvent à nouveau l’idée d’une solution à trouver par la voie de la négociation plutôt que par la manifestation. Explications.

Souvent vanté, voire admiré, mais finalement rarement, ou maladroitement, imité, le modèle allemand pourrait en ces temps de tensions sociales liées à la réforme des retraites, être fort utile. Par l’art de la concertation et du compromis, hérité d’une longue histoire syndicale et progressiste née au XIXème siècle, l’Allemagne sait éviter les conflits sociaux lourds tels que ceux qui se profilent en France. Dans l’Hexagone, les thuriféraires de la manifestation, dont l’ampleur a pour vocation tant d’impressionner que de pousser les gouvernements successifs à céder aux manifestants, peinent à adopter cette culture de la négociation jugée avec méfiance et toujours considérée comme favorable aux initiateurs des réformes contestées. La France, pays sanguin, a toujours donc préféré dans un premier temps la révolte à la discussion.

Action syndicale

Notre Histoire en témoigne avec dans nombre de mémoires, les conséquences heureuses issues des l’occupation des usines et des grèves de 1936. Certes, cette histoire qui reste gravée dans les annales syndicales est encore érigée tel un totem intouchable. Et à raison car d’autres grands mouvements de grève, notamment ceux de 1995 et 2006, respectivement contre la réforme de retraite devant démanteler les régimes spéciaux proposée par le gouvernement d’Alain Juppé et celle du Contrat Première Embauche du gouvernement de Dominique de Villepin, ont poussé les gouvernements en place à céder. Pour autant, la confrontation de masse est-elle encore productive ? La question peut se poser sans nécessairement porter atteinte à l’action syndicale. Ainsi, entamer un processus de négociation avec le gouvernement avec non seulement toutes les organisations syndicales représentatives mais aussi tous les représentants des branches professionnelles affiliés ou non à une quelconque organisations permettrait d’aborder toutes les difficultés rencontrées par chaque profession. Le processus, certes long et complexe, aurait aussi le mérite d’impliquer dans la négociations tous les ministères potentiellement concernés, tout comme les représentants des PME / TPE, permettrait d’engager des négociations salariales de fond dans l’ensemble des branches tout en analysant, avec propositions à la clef, les attentes de chaque secteur d’activité.

Romantisme et grand soir

D’aucuns, partisans d’une opposition franche destinée à faire plier le gouvernement, balaieraient cette idée en privilégiant le statu quo pour diverses raisons : histoire de luttes syndicales passées, multiplicité des profils à considérer,…Toutes ces arguties sont évidemment valables et audibles mais ont-elle encore une raison d’être alors que le nerf central du système des retraite, à savoir la démographie, est en berne ? Si la manifestation reste teintée d’une forme de romantisme syndical où s’invite les frissons de grand soir, celle-ci incarne surtout une logique binaire où s’oppose le bien contre le mal sans laisser de place aux solutions intermédiaires et présente aussi le risque de déboucher sur une paralysie du pays. In fine, se pose une seule question : Comment sauver notre système de retraite par répartition dans un contexte démographique et social tendu ? Concertation ou manifestation, la solution reste à trouver.

Les retraites ? Une question d’enfant !

Cristallisant toutes les passions sociales, la réforme des retraites s’inscrit dans la continuité de celles qui l’ont précédée : rallonger la durée de cotisation pour sauver le système par répartition. Mais la question centrale ne serait-elle pas plus démographique qu’économique ?

Mais pourquoi les réformes touchant au système de retraite provoquent-elles autant d’agitation sociale au point de cristalliser une grande partie de l’opinion contre une énième réforme, voulue par le Premier Ministre, Elizabeth Borne et le Président de la république, Emmanuel Macron. Pourtant, au regard de la situation actuelle, il est fort à parier que dans les années à venir, la question du financement des retraites sera à nouveau un enjeu social et politique majeur. Plusieurs raisons sont susceptibles d’expliquer les tensions autour de cette question. Tout d’abord, ces mêmes tensions mettent en évidence le rapport au travail que nombre d’entre nous entretiennent. Ce dernier, souvent subi plus que vécu, est fréquemment abordé, notamment pour la génération née juste après le Baby Boom (1945 – 1965), comme une contrainte lourde et pénible, qui n’a pas nécessairement donné satisfaction tant il aura fallu se battre pour en obtenir un emploi en raison des aléas économiques divers. Donc, pour beaucoup, repousser l’âge de départ, c’est souvent prolonger une souffrance, une aliénation au travail qui doit cesser.

Taux faible

Pour autant, passée l’approche affective que met en lumière le rapport au travail, il apparaît une autre problématique, intrinsèquement liée à la question du financement, rarement abordée mais pourtant cruciale : celle de la démographie. Avec un taux moyen de fécondité de 1,84 enfants par femme, la France n’accueille pas assez de naissances. Voilà une réalité qu’il convient de mettre en avant avant les questions de report de l’âge de départ qui reste conditionné par le nombre d’individus en âge de travailler par génération actuelle et à venir. Pour ainsi être dans une situation qui lui permettrait de s’affranchir de réformes successives en matière de retraite, le taux d’enfants par femme devrait être en France, de 2.2 voire 2.3. Or la question démographique est aussi liée au rapport que les jeunes générations en âge de procréer (20 – 39 ans) entretiennent à la parentalité. Si pour la génération de leurs parents, celle-ci était centrale, répondant à un triptyque hérité de leurs propres parents, à savoir : un emploi – un logement – des enfants, la parentalité n’est plus une priorité pour nombre de générations citées précédemment. Rapport à l’emploi et à l’épanouissement par le travail différents, crainte de l’avenir au regard des enjeux climatiques, montée de l’individualisme et d’une forme d’hédonisme sont autant, parmi d’autres explications, de raisons qui peuvent justifier la baisse de la natalité en France et dans d’autres pays du monde plus gravement touchés que l’Hexagone.

Démographie en berne

L’Italie s’appuie sur un taux de 1.24, et 1.34 pour le Japon, 1,57 pour l’Allemagne et 1,72 pour les Etats-Unis. Naturellement, chaque taux est à étudier en fonction de la situation démographique et économique de chaque pays, mais il est clair qu’une démographie en berne dans des pays dits développés est un facteur d’allongement de la durée de cotisation parmi d’autres éléments à considérer telles que le nombre d’actifs, le nombre de retraités, l’état des finances publiques,….Ainsi, passées les considérations sociologiques que chacun peut entretenir au travail et réagir en fonction de ces dernières au contenu de la réforme des retraites à venir ou des futures, il convient de rappeler que toutes seront implicitement dictées par la démographie, bien plus que par les réalités économiques et sociologiques qui n’en sont que les conséquence et non les causes.

Un péril extrême

Les atermoiements qui ont présidé à l’élection du Speaker de la Chambre des Représentants aux Etats-Unis mettent en évidence l’influence croissante des mouvements radicaux dans des démocraties établies mais finalement fragiles.

Il aura fallu quinze tours de scrutin pour élire le speaker de la Chambre des Représentants (l’équivalent du Président de l’Assemblée Nationale en France), premier organe parlementaire des Etats-Unis d’Amérique. La faute à qui ? A d’interminables négociations, revendications, compromis et autres débats houleux où l’aile radicale du Parti Républicain à joué les arbitres. Alors, certes à la fin des fins c’est le républicain Kevin McCarthy qui a été élu avec les voix des radicaux républicains encouragés en ce sens par un Donald Trump absent de l’Hémicycle mais pourtant omniprésent. Pour autant, ces tergiversations, qui démontrent aussi combien la première démocratie du monde est malade et divisée (elle n’est certainement pas la seule), mettent en évidence une réalité autre : celle du poids grandissant des mouvements ou des élus radicaux présents dans les différentes assemblées et ce à l’échelle mondiale.

Intégrées au paysage politique

Que ce soit aux Etats-Unis, en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Hongrie ou encore au Brésil, les mouvements dits de droite extrême, ou d’extrême-droite selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, sont désormais des parties intégrantes et intégrées du paysage politique. Et que les partis traditionnels s’en trouvent perturbés n’a rien d’étonnant car ces-derniers, par la présence de groupe radicaux, se retrouvent face à leurs erreurs accumulées ou l’inertie dont certains ont fait preuve pendant des années. Doit-on pour autant se satisfaire de cette montée en puissance de partis à la rhétorique connue mais ô combien séduisante pour des franges de populations animées d’un sentiment d’abandon et d’incompréhension ? Tout démocrate qui se respecte répondra que non tout en analysant avec sagacité que la démocratie offre, par le contingent de libertés fondamentales qu’elle porte, un tapis rouge aux mouvements radicaux qui savent user et abuser de leur liberté de parole pour justement décrier et vilipender la démocratie. Tautologie aberrante que l’on ne saurait pourtant rompre qu’en rejetant la démocratie qui, constat de fait, a toujours plus profité aux extrêmes qu’aux partis républicains ou libéraux.

Dissolution et gangrène

Que faire donc face à des élus et des mouvements qui tendent, comme l’expérimente le Rassemblement National en France, à se fondre dans la masse pour revêtir les oripeaux d’un parti de gouvernement conventionnel propre à respecter les institutions et les règles qu’imposent le jeu démocratique. L’autre danger est donc certainement là : assister à une dissolution de façade des mouvements extrêmes et de leurs discours politiques exclusifs afin d’acquérir une respectabilité et une notabilité nouvelle et séduisante, longtemps apanage de ses concurrents politiques. Si, pour reprendre un adage populaire, le loup est déjà entré dans la bergerie, comprenez qu’élus et mouvements extrémistes ont intégré les organes parlementaires des démocraties les plus connues du monde, ces-derniers se trouvent encouragés par des régimes eux-mêmes clairement anti-démocratiques tels que la Russie, la Chine ou la Corée du Nord pour ne citer qu’elles. C’est donc un péril à multi-facettes auquel les démocraties, fussent-elles gangrenées par des oppositions radicales ou extrémistes, doivent faire face. Un constat s’impose, le monde d’après, bercé par une prétendue mondialisation heureuse, se révèle in fine rongé par un rétrécissement de la pensée et l’émergence de nouvelles peurs qui tendent désormais à se normaliser.

Pékin, d’Est en Ouest

Si la guerre en Ukraine conditionnera encore la teneur des relations internationales en 2023, les bouleversements qu’elle suscite déjà pourrait encore modifier les relations sino-américaines et européennes. Au détriment d’une Russie de plus en plus esseulée.

En refusant d’évoquer une quelconque alliance militaire avec la Russie de Vladimir Poutine, préférant le terme d’alliance stratégique, la Chine a pris soin de ne pas heurter sont meilleur ennemi que sont les Etats-Unis. Ces derniers, devenus omniprésents depuis le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine le 24 février 2022, ont par certains aspects refroidi les ardeurs chinoises notamment au regard de la question taiwanaise. Parallèlement, Pékin, englué dans une crise sanitaire liée à la propagation effrénée du covid-19 sur son sol, des manifestations appelant à desserrer l’étau des confinements successifs et du ralentissement de son économie, a tacitement choisi son camp en rejetant poliment l’alliance militaire proposée par Moscou.

Camouflet et dépendance

Vladimir Poutine, plus que jamais esseulé sur la scène internationale, sait avoir besoin d’alliés puissants à même de contrarier l’hégémonie nord-américaine qui agaçait profondément Pékin sur la façade asiatique mais qui s’exprime aussi aujourd’hui en Europe. Concrètement, où que Vladimir Poutine, regarde que ce soit à l’Est ou à l’Ouest, celui-ci ne voit que les Etats-Unis. Pensant déjouer les plans de Washington en s’alliant avec Pékin, le président russe essuie malgré tout un camouflet sévère de la part de Pékin qui n’a visiblement aucune envie de se corrompre plus avant avec un pays dépassé et au ban des nations du moins tant que Vladimir Poutine et ses successeurs mèneront la même politique. Est-ce à dire que l’année 2023 sera celle des bouleversements diplomatiques et géopolitiques? D’aucuns pourraient le penser et les faits actuels pourraient aisément confirmer leurs prévisions. Précisément, la Chine, prise au piège de sa puissance économique car lourdement dépendante de ses exportations en Europe et aux Etats-Unis, ne peut prendre le risque de se fâcher avec ses deux partenaires vitaux pour son devenir.

Invasion et compromis

Dans le même temps, la propagation du covid-19 sur son sol pourrait aussi en outre la pousser à faire appel aux vaccins étrangers, qu’ils soient d’origine européenne ou américaine, pour la rendre donc encore plus dépendante de l’Occident. Quant à la question Taiwanaise, la Chine l’a constaté de visu, les manœuvres militaires en Mer de Chine n’ont eu pour seul effet que de relever l’attention de Washington sur la question sans jamais affoler le président Joe Biden encore moins Taiwan, sur ses gardes depuis 1949, date de sa création, et prête à tous scénarios d’invasion depuis lors. Reste naturellement la question pétrolière, cruciale pour l’Empire du Milieu. Profitant de l’or noir russe à des prix très compétitifs, permettant à Moscou d’écouler sa production mais en dessous du prix du marché, Pékin sait aussi que ce rapprochement énergétique irritera à long terme ses partenaires économiques. In fine, Xi Jing Ping a donc fait comprendre à Vladimir Poutine que la Chine préférerait toujours le calme au chaos, le compromis à la rupture et que si son avenir ne passait certainement pas par Washington il ne passerait pas non plus par Moscou. Pas pour l’heure en tous cas.