Calais, répétition grandeur nature

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Le démantèlement de la jungle de Calais ne peut occulter l’accroissement des inégalités à l’échelle mondiale, moteurs d’exode.

S’il répond à un impératif sanitaire et social, le démantèlement de la jungle de Calais ne peut occulter la réalité de flux migratoires dictés par la dégradation globale des conditions de vie des migrants sur leur sol d’origine. Et la question d’essence migratoire de devenir humanitaire. Explications.

La jungle de Calais est enfin démantelée. Il était temps car entre conditions d’insalubrité plus que discutables, voire extrêmes et proprement intolérables, tensions sociales exacerbées et surenchère médiatique, le point de crispation était largement atteint. Pourtant, il serait illusoire de croire que le démantèlement du camp et le placement des migrants dans des centres d’accueil, qui répondront à toutes les exigences de la dignité humaine à laquelle chacun d’eux à droit, résolvent la question migratoire en tant que telle, ou plus précisément ses multiples avatars. La jungle de Calais, il faut s’en convaincre et le comprendre aujourd’hui, faute d’aller de Charybde en Scylla dans les années à venir, n’était que la partie immergée d’un iceberg de taille planétaire. (voir article sur lemonde.fr : La « jungle » de Calais, image du futur ? ) Pourquoi ? Parce que la question migratoire n’en est qu’à ses prémisses (bien avancés pour certains) et que les décennies qui s’annoncent seront ponctuées par de puissantes vagues migratoires mues par diverses raisons d’ordre politique, économique et climatique.

Frontières et espace de survie

Politiques d’abord. Car devant l’instabilité chronique du Moyen-Orient, les soubresauts politiques de l’Afrique subsaharienne et de l’Afrique de l’Est, nombre de populations chercheront pour des raisons de survie compréhensibles à quitter les pays qui les ont vus naître mais qui sont incapables de leur offrir les conditions d’une existence paisible. Economiques ensuite. Les dérèglements de l’économie mondiale traduits par l’intégration des économies nationales au sein d’ensemble mondialisés alliés à la croissance démographique de certains continents (l’Afrique comptera 600 millions d’habitants de plus en 2030) entraîneront un creusement des inégalités socio-économiques au détriments des pays les plus pauvres et à la faveur des plus riches. Climatiques enfin. L’augmentation de la température moyenne du globe, la multiplication des épisodes secs ou des intempéries aux conséquences violentes (pluies diluviennes, inondations, submersions,…) l’épuisement des sols et plus largement les altérations d’ampleur mondiale du climat favoriseront à leur tour des vagues migratoires du Sud vers le Nord. Il est donc inutile de dresser de nouvelles frontières ou de renforcer l’arsenal législatif contre ces populations chassées de leurs terres d’origine pour de multiples raisons et qui in fine ne cherchent qu’un espace de survie. Pour mémoire, le limes romain, cette frontière qui séparait le monde et l’empire romain a cédé sous la pression des peuples dits barbares. Non pas en un jour mais au fil des décennies et des siècles, l’Empire a progressivement assimilés ces peuples non-romains. Aussi, pour ne pas être animé d’un sentiment de rejet borné, qui plus est teinté de xénophobie primaire à l’endroit de ces nouveaux migrants, autant, d’abord se référer à l’Histoire, ensuite accepter le fait que ces vagues migratoires sont devenues inéluctables et qu’elles ont toujours ponctué l’histoire des hommes.

Nier ou accepter

Certes, nombreux argueront que l’Europe est en première ligne. Certes. Mais ils serait difficile, à tout le moins compliqué, de déplacer les continents pour éviter d’être touché par telle ou telle vague migratoire. Est-ce à dire que la jungle de Calais était un avant goût de ce qui nous attend dans les années à venir ? Oui si nous nions le problème en refusant de nous y préparer. Non si nous acceptons l’idée que l’Histoire dépasse notre condition de contemporain et que les migrations font entièrement partie de celle-ci. L’Union européenne, enlisée dans son inertie, peine depuis des années à régler cette question. On peut certes lui en tenir rigueur mais seulement dans certaines limites car la dite question dépasse ses compétences et ses moyens. La problématique est aujourd’hui de dimension planétaire, abandonnant son statut de question migratoire et politique pour endosser celui de problème humanitaire global. Les capacités de résistance et d’adaptation à ce nouveau défi seront au cœur des mutations que l’union devra engager. Mais elle ne sera pas la seule. D’autres pays seront à leur tour concernés : la Chine sera un jour amenée à gérer les flux migratoires océaniens, l’Amérique du Nord, déjà confrontée à la question migratoire sud-américaine ne pourra pas éternellement se réfugier derrière ses frontières. Il s’agira alors d’affronter une nouvelle fois, un des multiples avatars de l’histoire de l’humanité, de ceux qui ont fait le Monde et construit de nouvelles civilisations.

Un président trop bavard ?

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Les confidences du Chef de l’Etat ont provoqué de multiples réactions. Mais ne travaillent-elles pas à une attente de transparence croissante sur l’exercice du pouvoir ?

La publication de l’ouvrage confidence de François Hollande a suscité un torrent de réactions stigmatisant l’imprudence du Chef de l’Etat. Mais en s’exprimant ainsi, le Président ne participe-t-il pas à une transparence salutaire réclamée par les Français sur l’exercice du pouvoir et ceux qui y gravitent ?

Un président ne devrait pas dire ça. Tel est le titre du livre de confidences publié par Fabrice Lhomme et Gérard Davet, tous deux journalistes au Monde, et qui couchent sur papier les propos du Président de la République après que ce celui-ci se soit ouvert à eux durant quatre ans de mandat (voir article sur tempsreel.nouvelobs.com : « Un président ne devrait pas dire ça » : ce qu’il faut retenir des confidences de Hollande ). Au sortir de cet ouvrage, exaspération à gauche et tonnerre de critiques à droite. D’aucuns jugeraient ces réactions somme toute normales : François Hollande étant au plus bas dans les sondages, l’on ne perçoit pas vraiment l’utilité d’un tel recueil à gauche ; à droite on voit là l’occasion de porter de nouvelles attaques contre l’ennemi politique déclaré. Répétons-le, rien d’extraordinaire à cela. Mais retournons un instant le problème, histoire de ne pas être enfermé dans un tropisme exclusif où seul régnerait la critique. Donc si un président ne doit pas ainsi se livrer en raison des réactions qui en découlent, voire des risques potentiels qu’il fait courir à la nation, que doit-il dire ? La question a tout son sens à l’heure où nombre de Français réclament clarté et transparence sur l’exercice du pouvoir. Certes l’ouvrage en question apparaît pour le Président comme un exercice de communication astucieusement préparé au regard de la conjoncture (chose qui n’aura échappé à personne) mais au moins le dit ouvrage a-t-il le mérite de travailler, partiellement certes, à cette transparence tant demandée par les Français.

Secrets et malentendus

Combien les prédécesseurs de François Hollande n’ont-ils pas été brocardés, critiqués, voire vilipendés en raison d’une pratique trop obscure du pouvoir, d’une propension à cultiver le secret ? Loin d’être une séance de psychanalyse couchée sur le papier, l’ouvrage est aussi et surtout le moyen pour le Chef de l’Etat d’expliquer les malentendus qui ont pu émailler son quinquennat. Faut-il y voir une manière habile mais un peu trop visible de se dédouaner de certaines responsabilités et d’erreurs mal assumées ? Chacun apportera la question que bon lui semble à cette question. Mais ouvrir les portes de l’Elysée, s’exprimer avec simplicité sur les rapports politiques, humains, personnels qui jalonnent la vie de l’exécutif n’est pas nécessairement une mauvaise option. Que n’a-t-on pas reproché à François Mitterrand tant de son vivant que post-mortem d’avoir caché l’existence de sa fille Mazarine ? Il s’agissait pourtant là d’une affaire strictement privée. Mais un Président de la République a-t-il le droit d’avoir des secrets comme n’importe quel quidam ? Oui certainement. Mais un Chef de l’Etat a-t-il encore le droit de s’appartenir ? La réponse est plus complexe car elle renvoie l’individu à sa place dans l’Etat et les responsabilités qui sont les siennes. François Mitterrand avait choisi de taire et cacher l’existence de sa fille. Décision et choix personnels qui lui avaient été reprochés non pas tant pour l’objet du silence mais plus pour avoir contribué à alimenter le mystère plein de méfiance qui entoure le pouvoir et ceux qui y gravitent. A l’inverse François Hollande a choisi de s’exprimer en levant le voile sur les questions jusqu’alors sans réponses qui auraient pu nourrir torrents de fantasmes et halo de suspicion. Est-ce réellement condamnable ?

Rumeur, plans et complots

Pourtant, il existe encore, et très certainement, des tombereaux de secrets qui appartiennent à l’histoire du pouvoir. Naturellement, et par définition, un secret reste l’apanage d’un groupe extrêmement réduit de personnes. Mais non dévoilé, il fait aussi place à la rumeur qui alimente elle-même cette idée protéiforme que le pouvoir s’apparente à une forme de lieu marginal où se trament et s’ourdissent plans et complots diaboliques. Après tout, en livrant ces confidences, le Président de la République brise à sa façon un tabou et un silence plus destructeur que l’on ne peut l’imaginer en travaillant à une sorte de proximité propre à monsieur tout-le-monde. Celui qui s’était présenté comme normal en 2012 montre finalement qu’il l’est : Que certains, tels qu’Emmanuel Macron jugent cette normalité déstabilisante pour les Français (voir l’article sur lejdd.fr : Ce qu’il faut retenir de l’interview d’Emmanuel Macron à Challenges) est un argument politique dont chacun appréciera la pertinence mais force est de constater que, à l’image de nombre de Français, le Président de la République s’interroge, se questionne, se trompe, regrette, s’entête, s’emporte, s’égare…Bref ! Comme tout un chacun. Et en cela, il n’en est que plus normal car in fine, il n’est qu’un homme. Comme le furent et le sont ces prédécesseurs : faillibles.

L’homme qui tomberait à pic

fh3Si le chef de l’Etat ne s’est pas encore exprimé sur sa candidature en vue du scrutin présidentiel, imaginer un renoncement de François Hollande n’est pas exclu. Mais un tel scénario ne serait-il pas chez le Président actuel un calcul politique à long terme ?

Et si François Hollande ne se présentait pas à la Primaire socialiste ? Certains le lui conseillent d’ailleurs telle Marie-Noëlle Lienemann (voir article sur lepoint.fr: la candidate PS Marie-Noëlle Lienemann déconseille à François Hollande de se présenter) Coup de tonnerre dans le landernau politique qui s’en remettrait certes mais qui créerait un précédent. François Hollande deviendrait alors le seul président sous la Vème République à renoncer à briguer un second mandat, restant par la même dans l’Histoire à ce titre. Mais avant de feuilleter les pages qui lui seront un jour consacrées dans les manuels scolaires, interrogeons-nous sur les conséquences de cette non candidature. Sonné le Parti socialiste enverrait le vainqueur de la Primaire en découdre. Hamon, Montebourg, Valls,… Les prétendants ne manquent pas à défaut de programmes présidentiels crédibles et, qui plus est, divergents sur bien des points. Donc, le vainqueur de la consultation interne partirait ferrailler contre le vainqueur de la Primaire des Républicains et contre Marine le Pen. La partie ne serait en rien aisée et relèverait presque, au regard de l’état actuel de l’opinion, du sacrifice, voire d’un départ pour l’abattoir. Passons sur les résultats de l’élection présidentielle en tant que telle car si déjà le candidat socialiste devait être présent au second tour, un demi-miracle se serait alors réalisé. Point de mauvais esprit dans ces lignes mais un simple constat de fait : Parti socialiste, Gouvernement et Président de la République sont si déconsidérés que batailler en finale contre le représentant des Républicains ou Marine Le Pen serait assimilé à un exploit qui laisserait, de fait, la porte ouverte à toutes les hypothèses.

Renoncement et aura

Et François Hollande dans tout cela ? Que deviendrait l’homme qui a enflammé le Bourget en janvier 2012 pour damer le pion quelques mois plus tard à Nicolas Sarkozy. Retraite heureuse en Corrèze, strapontin au Conseil constitutionnel, ou plus improbable, travailler à la reconstruction du Parti socialiste, ou comme le fit Nicolas Sarkozy, d’un parti qui lui serait totalement affidé ? L’idée n’est pas si saugrenue que cela car en politique comme ailleurs, l’on est jamais bien aussi servi que par soi même. Alors à renoncer en 2017, pourquoi renoncer en 2022, a fortiori si la gauche est exclue des affaires. En créant son propre parti, François Hollande pourrait s’affranchir de toute consultation interne, chose qui faciliterait ô combien la désignation du candidat. L’Histoire écrira ou non cette page de la gauche française même si la probabilité d’un tel scénario reste faible. Mais renoncer aujourd’hui c’est aussi le moyen de laisser à son successeur les problèmes en cours ou à venir et surtout laisser à l’opinion le temps de comprendre combien les réformes de son quinquennat ont eu des conséquences au long cours. Combien la social-démocratie avait besoin de temps pour s’insinuer dans l’esprit des Français et devenir le référentiel de fonctionnement politique du pays. Pari risqué et osé mais l’homme sait comme un culbuto, se tenir debout en dépit des aléas. Chancelant certes mais debout ! Car là encore, en cinq ans nombreux sont les rebondissements et les événements susceptibles d’animer la vie politique. Qui, il y a encore de cela deux ans, voire un an seulement, aurait parié voir Alain Juppé, baron déchu de la Chiraquie et rangé sur l’armoire du Ministère des Affaires étrangères sous l’ère Sarkozy devenir un redoutable prétendant à la charge suprême ? Rares sont ceux aujourd’hui à avouer que le maire de Bordeaux avait encore des chances…Hypocrisie bon teint. Basse mais explicable à l’heure où va commencer la distribution officieuse des postes et des charges. Bref ! Au regard de ce scénario qui tient à ce jour de la fiction, François Hollande reviendrait alors en 2022 auréolé d’une aura de visionnaire, de héros magnanime pour le peuple qui l’avait décrié cinq ans auparavant. Car c’est bien connu, les génies sont toujours les incompris de leurs contemporains. Sauf que, hélas, les génies sont parfois compris après leur disparition ou emportés par le flot tumultueux d’affaires politico-financières aussi obscures que cruelles….Mais nous n’en sommes pas là. Pas encore…