Façon commedia dell’arte

Si l’incertitude politique prédomine désormais en Italie, celle-ci n’est peut-être que la conséquence de l’incapacité des partis populistes à élaborer un programme de gouvernement fiable et pérenne.

Ainsi, les électeurs italiens seront-ils amenés d’ici quelques mois à se rendre à nouveau aux urnes pour désigner quel parti prendra les rênes de l’Etat. Après le fiasco de l’alliance entre le Mouvement 5 Etoiles de Luigi di Maio et la Lega de Matteo Salvini, la péninsule ronge son frein , certains attendant le prochain rendez-vous électoral pour renverser la situation politique issue de la précédente consultation, d’autres espérant reproduire avec le même succès les conditions favorables à une alliance entre les deux partis populistes. Mais que révèle finalement le cas italien ? Que les partis extrémistes ou populistes progressent en Europe en s’appuyant sur les supposés excès de la politique menée par la Commission européenne et le Parlement éponyme ? Que l’Italie, pays bancal et endetté à hauteur de 132% de son PIB est mûr pour tomber dans l’escarcelle des populistes en question ? Il y a du vrai dans tout cela, c’est indéniable mais en poussant plus loin la réflexion, on peut aussi s’apercevoir qu’une forme de raison a coupé court aux velléités des deux partis en lice.

Viles passions

Le président Sergio Mattarella, considéré comme un ardent défenseur de l’idée européenne, a rappelé aux deux formations qu’il n’était même pas envisageable pour l’Italie, à plus ou moins long terme, de sortir de l’Eurozone, argument qui était devenu l’un des piliers des discours de la Lega et de 5 Etoiles. Mais plus encore, l’exemple italien prouve aussi qu’en dépit de discours faciles et séduisants, prompts à attiser les viles passions, à réveiller des haines cuites et recuites, les partis extrémistes ne sont pas nécessairement en mesure de gouverner et encore moins capables de pouvoir s’entendre sur une ligne directrice fiable à même d’assurer à leurs pays respectifs un avenir serein. Car le développement des thèses populistes et extrémistes, thèses bornées à la seule dénonciation des difficultés rencontrées par tel ou tels pays, ici l’Italie, et de leurs conséquences ne peut servir de base politique quand la situation en Italie ou ailleurs appelle à la mise en place de solutions crédibles pérennes. Le président Mattarella l’a d’ailleurs bien compris. L’alliance de la carpe et du lapin entre la Lega et 5 Etoiles était, qui pouvait croire le contraire, voué à l’échec tant les points de divergence entre eux étaient abyssaux et surtout combien la fragilité de leurs discours respectifs exposaient l’Italie à la méfiance de leurs alliés et l’Union européenne. Certes à ce jour l’Italie est retombée dans le chaos politique (elle en a l’habitude) mais n’est ce pas in fine un mal pour un bien. Le temps que le pays retrouve, souhaitons-le, ses esprits en dépit de la nomination d’un ancien économiste du FMI,  Carlo Cottarelli (Lire l’article sur le monde.fr : Crise politique en Italie : un engrenage infernal) prompt, indirectement à provoquer la ire des eurosceptiques. Le pari est très risqué mais il vaut la peine d’être tenté pense certainement le Président de la République italienne.

Capacités d’adaptation

L’attentat perpétré par un français d’origine tchétchène confirme la capacité de l’Etat islamique à s’adapter à notre vigilance en étant capable de frapper n’importe où, à toute heure et via des individus parfois peu immergés dans les réseaux terroristes.

Les raisons ultimes susceptibles d’expliquer le geste de Khamzat Azimov resteront vraisemblablement inconnues et ce même si la revendication par l’Etat islamique de l’attentat qui a ensanglanté Paris le 12 mai se suffisent à elles-mêmes pour expliquer son acte par ailleurs appuyé par l’allégeance de l’agresseur à l’Etat islamique. Pour autant le geste de cet individu, certes fiché S, interroge non sur l’efficacité du dispositif ou sur le suivi accordé à celles et ceux qui figurent dans le fichier national, mais sur les moyens alloués à l’anti-terrorisme. Il n’est pas ici question d’ouvrir un procès à l’endroit des autorités en charge de la sécurité intérieure, procès gratuit qui n’aurait aucun sens et tournerait rapidement à une polémique aussi stérile qu’infondée. Un constat préventif s’impose cependant. Au regard du nombre d’attentats déjoués sur le territoire (78 projets ont été déjoués sur le territoire français depuis 2013* – voir ci-dessous), il serait faux, voire idiot, de crier à l’inefficacité des services de renseignements ou de police. (Lire l’article sur lemonde.fr : Cibles, auteurs…, radiographie des 78 projets d’attentat recensés en France depuis 2013 ) Mais une autre réalité s’impose aussi : il est impossible de placer un agent des forces de l’ordre derrière chaque fiché S. Manque de moyens et de personnels, possible atteinte à la liberté individuelle et de mouvement expliquent cette évidence qui, en outre, ne serait pas nécessairement la solution.

Protéiforme et adaptation

Car à ce jour, la menace terroriste devenue protéiforme, peut, preuve en est avec Khamzat Azimov, faire appel ou se servir d’individus des plus discrets et dont l’implication dans logique terroriste était jusqu’alors minime voire nulle. C’est bien là la difficulté du combat contre le terrorisme que mènent nombre de pays : son caractère totalement imprévisible, aveugle et inconscient. Certes, répétons-le, nombre d’attentats ont été déjoués en France et dans le monde. Mais combien sont actuellement en préparation, attentats dont les services de renseignements internationaux ne sont pas encore informés car fomentés en dehors des circuits traditionnels ou des réseaux identifiés ? Loin d’être sots, les auteurs d’attentats ont eux aussi appris des services de renseignements et savent désormais, sinon les induire en erreur du moins déjouer leur vigilance ou bien suffisamment brouiller les pistes pour ralentir leur intervention. Khamzat Azimov, qui ne présentait en rien un profil particulièrement dangereux, a pourtant commis l’irréparable. Lorsque l’Etat islamique régnait en maître au Moyen Orient, en Syrie et en Irak, aussi violentes que pouvaient être les actions, ces dernières étaient géo-localisables dans leurs origines. Désormais, avec la disparition de l’Etat islamique, il sera de plus en plus difficile de localiser non pas les auteurs mais l’espace de tensions où se fomentent les attentats car cet espace aura pris une dimension mondiale et secrète. Faudra-t-il alors se méfier de tout et de n’importe quoi ? Non ! Naturellement ! Mais il faudra garder à l’esprit encore longtemps que la menace somnolente est à même de se réveiller à tout moment car ceux qui en sont les auteurs ont su s’adapter à notre vigilance.

*Source : Lemonde.fr – 30.03.2018

La tentation chinoise

L’annonce du retrait des Etats-Unis de l’Accord de Vienne régulant l’activité nucléaire de l’Iran plonge le Moyen Orient et les cosignataires dans une incertitude lourde et dangereuse. Et si la solution à la crise naissante venait de Chine ?

En annonçant le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne (Joint Comprehensive Plan of Action – JCPOA) signé entre les cinq membres du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Russie, Chine et France) plus l’Allemagne, Donald Trump jette, non seulement le Moyen-Orient dans une période d’incertitudes lourdes dont les conséquences pourraient rapidement s’avérer dramatiques, mais déstabilise aussi les autres co-signataires de l’accord, en dépit de leur volonté, pour l’heure, de faire front et de respecter les termes d’un traité acquis après douze ans de négociations. (Lire l’article sur lemonde.fr : Iran : une décision absurde aux effets déstabilisateurs ) Au Moyen-Orient, dans un premier temps, le retrait des Etats-Unis pourrait facilement être interprété par Téhéran comme une sorte de blanc-seing a un programme nucléaire bien plus actif qu’il ne l’est aujourd’hui, la République iranienne faisant fi des sanctions à venir.

Poids diplomatique

Hassan Rohani, le président modéré iranien ayant donné, après l’annonce de Donald Trump, pour instruction à l’Organisation de l’énergie atomique iranienne de préparer un programme visant à la production d’uranium enrichi mais dans un laps de temps conditionné par l’attitude des autres co-signataires. Israël, et dans une moindre mesure l’Arabie Saoudite, ont salué ce retrait en fidèles alliés des Etats-Unis mais pourraient là encore, et dans les plus brefs délais, regretter une décision qui ne lie plus les Iraniens à qui que ce soit ou à quoi que ce soit sauf aux nations européennes dont le poids diplomatiques au Moyen-Orient est quasi-nul, au mieux symbolique. Car il n’est pas leur faire injure que de dire que le poids des pays décidés à encore respecter l’accord ne constitue en rien une menace particulière pour Téhéran même si celle-ci s’est montrée sensible et attentive à la volonté de ces derniers de rester ouverts au dialogue dans le cadre de l’accord signé. Et l’avenir de dire si l’union affichée entre les cosignataires restant perdurera dans le temps…La Grande-Bretagne toujours plus tentée par le grand large que par l’Europe pourrait faire preuve dans les mois à venir de frilosité pour finalement accorder du crédit au retrait nord-américain ; le couple franco-allemand, conscient des dangers que la rupture de l’accord ferait courir pourrait aussi faire preuve d’un volontarisme limité et ce même si l’Iran ouvre d’immenses perspectives économiques. (Lire l’article sur lesechos.fr : Marchés financiers : comment l’Iran peut rebattre les cartes ) La Russie, quant à elle, prompte à soutenir Bachar El Assad dans sa lutte contre la rébellion syrienne pourrait voir dans l’accord signé un accessoire quelque peu encombrant, trop préoccupée par sa position diplomatique à l’échelle internationale.

Accord ou atlantisme ?

Car à trop soutenir un accord, certes imparfait, mais qui a le mérite d’exister, accord qui réintègre d’autant plus l’Iran dans le circuit diplomatique mondial que celle-ci respecte les termes fixés par le traité, les co-signataires savent pertinemment que le risque de voir s’ouvrir une crise diplomatique avec les Etats-Unis est réel. Et reste à savoir qui des signataires européens sera prêt à relever ce défi ? Tout proche qu’il soit de Donald Trump, tout attaché qu’il soit à l’accord et tout respectueux de l’accord de Vienne qu’il s’affiche, Emmanuel Macron sera partagé entre deux feux. La défense acharnée du traité ou un atlantisme à ses yeux essentiel ? Car la position des Etats-Unis est aussi une épreuve pour l’Europe. Pourquoi ? Parce que celle-ci a peut-être là l’opportunité de faire preuve d’une certaine maturité et d’un courage que d’aucuns salueraient en faisant honneur à ses convictions en se désolidarisant, au regard de la question iranienne, des Etats-Unis. Pour autant, la solution se trouve peut-être à Pékin. La Chine, partie prenante silencieuse dans la lente résolution (et loin d’être acquise) crise nord-coréenne, sait combien son poids économique et diplomatique serait à même d’infléchir la position de Donald Trump, à tout le moins de le pousser à reprendre des négociations plus rapidement que celui-ci ne le souhaite. Pékin dispose de tous les atouts, avec pour vertu cardinale de ne pas être directement liée avec l’Iran sauf via l’Accord de Vienne, pour résoudre la crise diplomatique qui s’annonce. Mais le voudra-t-elle ? Mais le pragmatisme des co-signataires, réalistes quant à l’absurdité de la décision de Donald Trump, peu désireux de voir s’envoler le prix du baril de pétrole, de voir s’éteindre les perspectives économiques offertes par l’Iran, y compris pour la Chine (confrontée à un ralentissement de son économie) et plus globalement de voir s’affaisser la croissance économique actuelle pourrait motiver la Chine. Mais quand la Chine s’éveillera…?