Au révélateur du coronavirus

Si la crise sanitaire actuelle tend à saturer les hôpitaux français, celle-ci met en évidence les nombreuses carences d’un système de santé trop longtemps inféodé à la doxa de l’austérité économique. Essai d’explication.

Indépendamment du défi sanitaire qu’il pose à l’Humanité, bien que celle-ci ne soit pas menacée d’extinction par le coronavirus, la pandémie actuelle est révélatrice en France au moins de toutes une série de dysfonctionnements voire d’aberrations fruits de logique libérale visiblement incompatibles avec la crise que nous vivons. Ces dysfonctionnements, pour pudiquement les nommer, se résument en quelques mots : manque de masques, manque de lits, manques de structures, manque de soignants, manque de tests, manque…manque…Bref ! La liste est longue et malheureusement non exhaustive. Pourquoi ? Car depuis de nombreuses années, précisément depuis le milieu des années quatre-vingt avec l’apparition et l’affirmation de politiques libérales nourries d’austérité budgétaire, les hôpitaux français et avec eux toute la nébuleuse médicale liée aux financements publics ont été sacrifiés sur l’autel de la rentabilité. Concrètement, considéré comme un gouffre financier, l’Hôpital a vu son budget surveillé à la loupe, l’objectif du législateur étant de limiter le coût de cette institution au coeur du système de santé français. A titre d’exemple, au cours des dernières décennies, le nombre de lits dans le système hospitalier français a connu une baisse continue, puisqu’entre 1982 et 2013, il est passé de près de 600.900 à près de 429.000 lits (exactement 612.898 à 428 987), soit une diminution de 30 %.

Prix ou coût ?

Pis ! Le journal Le Parisien rappelait en octobre 2019 que « l’augmentation de dépenses autorisée à l’hôpital (et en clinique) pour 2020 ne doit pas dépasser 2,1 % de l’enveloppe de 2019, soit 1,5 milliard de plus que l’an dernier et un budget plafonné à 84,2 milliards d’euros. Pour 2019, le gouvernement avait accordé + 2,3 %. Ce qui impose aux hôpitaux français de trouver 800 millions d’euros d’économies ». (leparisien.fr : http://www.leparisien.fr/economie/) Il serait naturellement intellectuellement malhonnête de s’arrêter à ces seules statistiques pour expliquer la détresse des personnels hospitaliers face à l’épidémie mais ces dernières mettent en évidence une réalité : la santé est aujourd’hui devenue une préoccupation plus économique et financière qu’humaine et sanitaire. Alors si une première analyse doit être tirée de cette crise, elle s’articulera certainement autour de l’idée que les politiques de restriction budgétaires visant à contrôler le poids financier des hôpitaux et des matériels nécessaires pour faire face à un quelconque évènement est incompatible avec la réalité vécue à l’échelle nationale et mondiale. Il apparaît ainsi clairement que si la santé a un coût, celle-ci n’a pas, en parallèle, de prix, les patients atteints du covid-19 pouvant en témoigner, les familles éplorées par la perte d’un ou plusieurs proches aussi.

Epidémies et priorités

Il conviendra donc, une fois l’épidémie passée, de repenser le financement de notre système de santé, non pas l’aune de considérations financières même si celles-ci ne doivent pas être négligées, mais à l’aune de réalités sanitaires autres que celles qui prévalaient jusqu’alors. (lire franceinfo.tv : https://www.francetvinfo.fr/sante) Ne soyons pas naïfs ni candides, il y aura d’autres épidémies comparables à celle que nous connaissons aujourd’hui et qui nous obligeront à imaginer d’autres modes de vie capables de répondre par les moyens inventés aux impératifs sanitaires à venir. Ces moyens passeront certainement par une réorganisation du budget de l’État et de ses priorités. D’ailleurs, les plans de soutien massifs aux économies ne révèlent-ils pas un début de prise de conscience que l’argent n’est pas fait pour être accumulé mais pour être dépensé ? La santé devra ainsi reprendre sa place dans l’ordre des priorités pour ne plus être au service de l’économie mais, l’inverse, guider les orientations budgétaires des Etats contraints désormais de composer avec les évolutions que nous impose la planète. In fine, c’est peut-être ça le nouveau monde…

Le virus et la mouche du coche

Entre confinement, inquiétude et sidération, l’Europe et la France affrontent un virus invisible porteur d’un lot de conséquences pour l’heure inconnues mais incontournables. Parmi les premières : humilité et modestie. Pourtant nul besoin d’attendre que le virus s’éteigne pour y satisfaire.

A n’en pas douter, il y aura un avant et un après coronavirus. Confiner un pays, ici la France, voire un continent entier relève du jamais vu dans l’Histoire si ce n’est pas des causes exogènes non voulues et non commandées par les Hommes. Alors, s’interroger aujourd’hui sur le coronavirus, sa vitesse de propagation, les risques sanitaires auquel il expose,…tout cela relève de la banalité tant le virus rythme désormais le quotidien de milliards de personnes. A l’échelle française, c’est d’abord la stupéfaction qui a primé, il convient de le reconnaître. Car ce virus, venu de la lointaine Asie, ne nous apparaissaient que sur des couvertures de journaux ou de commentaires auxquels nous ne prêtions qu’une oreille discrète.

Guerre et confort

Mais lorsque le mal est arrivé, lorsque les portes se sont refermées sur nous et nos familles, il a bien fallu se rendre à l’évidence : le danger rôdait. Le président de la République, grave et hiératique, l’a annoncé solennellement : « Nous sommes en guerre ! » Diantre ! En guerre ! Certes mais contre un ennemi invisible ! Pire que cela ! Un ennemi qui peut se terrer dans chacun d’entre nous ! Foin alors de côte de popularité, de gilets jaunes ou de réformes des retraites ! Tout a été rangé au placard pour lutter contre un virus qui fait trembler jusqu’au sommet de l’État. Il faut dire que l’enjeu est lourd car, à bien y regarder, celui-ci touche au fondement même de toute société : l’Homme. Et plus avant encore, aux systèmes que celui-ci a construit pour améliorer son confort. Qui aurait pu imaginer que dans un pays comme la France, comptant parmi les plus grandes puissances économiques mondiales, parmi les plus confortables, le système de santé serait menacé car incapable de gérer l’afflux de patients. Et d’aucuns de crier à la sous-estimation de l’épidémie avant qu’elle ne pénètre sur le territoire national. C’est possible mais à vrai dire la question n’est plus là. Aujourd’hui, les préoccupations se portent sur la gestion quotidienne d’une population de 67 millions d’habitants inquiète et confinée. Le scenario est malgré tout extraordinaire, presque surréaliste au XXIème siècle. Et pourtant, il faut dès à présent penser au lendemain c’est-à-dire à ce que ce virus d’envergure mondiale va générer comme changements. Car il y en aura indubitablement. Nos habitudes professionnelles, nos modes de déplacements, nos modèles économiques et sociétaux seront bouleversés par un virus qui nous renvoie à nos faiblesses et nos erreurs.

Nature et mépris

Nos egos démesurés, notre confiance arrogante en notre propre pouvoir de domination sur la nature ont été giflés par un virus aux premières heures méprisés pour être finalement craint. Tout comme la Peste Noire de 1348 qui tua trente millions d’Européens, au coeur d’un XVème siècle déjà solidement engagé vers la Renaissance, le coronavirus a fauché, pour un temps, la marche en avant des phénomènes de mondialisation et d’uniformisation comme pour rappeler que c’est bien la Nature qui commande et non l’Homme qui est, l’a-t-il oublié, une multiple composante. Ce virus, mouche du coche, agace et irrite, car il bouscule une humanité pétrie d’habitudes qu’elle avait fini par assimiler ces mêmes habitudes à des certitudes ancrées au plus profond de la conscience collective. Et dire qu’en France ce virus déstructure la société est euphémisme. Les Français, toujours prompts à donner des leçons au monde entier, forts de leur histoire, de leur héritage révolutionnaire fruit de la tolérance et de l’humanisme des Lumières, se voient confinés chez eux, comme de sales gosses privés de sortie après avoir jaugé avec un peu de mépris ses voisins italiens. L’Italie justement, qui a rangé sa dolce vita dans les armoires en attendant des jours meilleurs, souffre en silence dans son pays transformé en tanière. Et se pose peut-être la première des conséquences de ce virus : Réapprendre la modestie et l’humilité. La Nature nous l’a rappelée et ne manquera pas de réitérer l’avertissement.

Covid-19 made in USA

Devenue un phénomène global, l’épidémie de coronavirus pourrait se transformer en piège pour les prétendants à la Maison Blanche. Car tout propos ou décisions jugés bienvenus ou maladroits auraient un effet sur l’économie mondiale. Quel qu’il soit…

Vue d’Europe, et de France en particulier, l’élection du prochain président des Etats-Unis semble aujourd’hui aussi lointaine qu’incertaine. Et pour cause, tenue en novembre à venir, le Vieux Continent est plus absorbé à gérer ses propres questions sanitaires que des questions de politiques internationales qui émergeront à la fin de l’année. Tout au plus sait-on que c’est vraisemblablement vers un débat entre Joe Biden, le Démocrate (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article), et Donald Trump, le Républicain que les Etats-Unis se dirigent. Pourtant ce désintérêt, qui en période classique, entendez sans la menace du coronavirus, aurait cédé la place à des débats peu à peu passionnés à l’approche de l’échéance, pourrait soudainement s’inverser pour cause de pandémie mondiale.

Propagation et positions

Car après avoir vu trembler la Chine, puis l’Europe, c’est désormais au tour des Etats-Unis, et plus largement de l’Amérique du Nord et du Sud de s’inquiéter de la propagation du virus. Dans l’absolu, il n’y a là rien de dramatique si sont prises les précautions sanitaires qui s’imposent. Mais c’est surtout la capacité et la vitesse de réaction des Etats-Unis, et Etats voisins, pour endiguer l’épidémie qui va être scruté à la loupe et notamment les positions des candidats face à la contagion à venir. Et de ces positions découleront des conséquences d’abord boursières puis économiques à l’échelle mondiale. Déjà violemment secouées par la propagation du virus, le manque de coordination des Etats touchés et les difficultés à endiguer le virus, les places boursières avaient lourdement chuté voilà peu et ne sont d’ailleurs toujours pas à l’abri d’un nouvel accident. Si l’Europe et le monde en règle générale ont toujours été attentifs aux décisions et prises de positions outre-Atlantique, l’ampleur de l’épidémie dans un contexte de mondialisation poussée à son paroxysme rend la parole et les actes des partenaires nord-américains pour l’essentiel primordiaux.

Confiance et trouble

Certes Joe Biden ne peut préciser qu’elles seront ses intentions ou décisions si celui-ci était élu tout comme Donald Trump qui se borne à gérer la crise plus qu’à ne l’anticiper (latribune.fr : https://www.latribune.fr/economie/international). En revanche, l’un et l’autre savent pertinemment que passé l’été, voire avant, tout propos ou toute intention pourraient générer soit un regain de confiance soit un trouble à même de déstabiliser l’économie mondiale déjà fragile. Cette interdépendance, qui fait désormais de chaque pays tout à la fois un acteur et une victime de la sphère économique, transforme le moindre événement potentiellement porteur de conséquences d’envergure mondiale. Dès lors, les deux candidats supposés à la Maison Blanche savent que chacun de leurs mots concernant l’épidémie sont susceptibles de précipiter le monde, sinon dans le chaos, du moins dans l’inquiétude renforçant par la même l’idée et la réalité factuelle que l’économie est aujourd’hui plus un jeu de pouvoirs et de communication qu’une science au service des hommes. La responsabilité est donc énorme pour celui qui sera dans quelques mois à la tête de la première économie du monde menacée, comme d’autres, par l’émergence d’un virus inconnu et qui n’est sûrement que le premier d’une longue série.

Petite histoire du vide et de l’excellence

La pauvreté des discours politiques français interroge sur la capacité de notre société à se renouveler et à sortir d’une facilité qui confine à la passivité et à la médiocrité institutionnalisées. Essai d’explication.

A quelques jours du premier tour des élections municipales qui s’annoncent violentes et cruelles pour La République En Marche (LREM), un constat s’impose : il n’existe plus en France de clivage droite-gauche tel qu’il prévalait encore il y a encore cinq ans. D’aucuns argueront, et ils auront partiellement raison, que la responsabilité en revient à Emmanuel Macron, lui qui par un discours empreint de pragmatisme a fait voler en éclat des différences idéologiques qui tendaient déjà depuis plusieurs années à s’essouffler pour en perdre in fine leur sens et surtout leur pertinence. Mais le Président de la République n’est pas le seul responsable de ce vide idéologique qui pèse sur un pays longtemps habitué à se fracturer autour de modèles de pensées qui opposaient globalement progressistes et conservateurs, gauche sociale-démocrate et droite libérale républicaine attachée à l’ordre.

Confort et doxa

S’il fallait donc chercher historiquement d’autres coupables, l’on pourrait citer pelle-mêle, le reniement des acteurs de Mai 68, pour beaucoup aujourd’hui engoncés dans un confort bourgeois, la gauche mitterrandienne qui a sacrifié en 1983 l’espoir du progrès social sur l’autel de l’austérité libérale, la droite républicaine qui a laissé s’instiller en elle le poison extrémiste porté par le Front National de Jean-Marie Le Pen,…Les exemples ne manquent malheureusement pas et leur aspect pléthorique qui confine au constat ne comble en rien ce vide qui ampute la nation de toute créativité politique. Car c’est là que le bât blesse : l’absence de nouveaux courants de pensée capables de réinventer une société française rangée au confort de la mondialisation, tremblante devant un exotique coronavirus, presque résignée devant la doxa présidentielle, choquée par l’utilisation du 49.3 mais pas suffisamment pour réclamer la primauté de la démocratie sur l’autoritarisme légitimé d’une Constitution devenue incompatible avec notre modernité. Il convient donc aujourd’hui de s’interroger, non sur l’action du Président Macron qui finalement occupe un espace intellectuel et idéologique laissé vacant et abandonné, mais sur ce que pourrait être les principes d’une nouvelle société. A ce jour, rien ne semble poindre dans un paysage politique pauvre et médiocre où la superficialité fait office de contenu idéologique. Pourtant dans cette inertie coupable, certains, ont-ils raison ou tort, pensent que l’issue environnementaliste et écologique serait une solution perenne. Mais un discours, aussi pertinent et fondé soit-il, ne peut se substituer à un corpus dense et entier, construit et pensé, capable, une fois uni, de constituer un modèle sur lequel fonder les bases d’une nouvelle société ? Le défi est certainement là.

Obsolescence et cynisme

Imaginer et penser une société que les idéologies défuntes ont longtemps structuré, telles des matrices inamovibles, désormais obsolètes. N’hésitons pas à l’affirmer, le discours ambiant et tenu par le Président de la République offre, non pas un modèle, mais un succédané par défaut face à l’incapacité de notre société à se renouveler. Il y a d’ailleurs quelque chose d’inquiétant dans cette situation, à savoir que notre modèle sociétal serait désormais à court d’idées, augurant ainsi un attentisme et une passivité aussi rampantes que dangereuses car tacitement d’accord avec le principe que le minimum sera toujours plus facile à obtenir que l’excellence qui appelle une réflexion devenue rare. Françis Blanche, comédien acerbe et délicieusement cynique d’un autre temps avait lancé cet aphorisme plein de sens aujourd’hui et qui sied parfaitement à notre société résignée : « Mieux vaut viser l’excellence et la manquer que viser la médiocrité et l’atteindre ! » Il serait aisé de méditer des heures sur cette citation des plus gourmandes pour la commenter et en faire la plus fine des exégèses mais il conviendra en conclusion de l’admettre, nous avons bien atteint notre cible : la médiocrité.