Apprendre à se comprendre

La dégradation des relations diplomatiques entre la France et la Turquie révèle aussi l’incompréhension nourrit par le monde musulman à l’endroit de la notion de laïcité à la française. Essai d’explication.

Les relations diplomatiques pour le moins tendues qui rythment le quotidien de la France et de la Turquie depuis plusieurs jours (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees) sont aussi, une fois affranchies de tous leurs aspects multiples, spectaculaires et injurieux, révélatrices d’une incompréhension aujourd’hui évidente de la notion de laïcité dans plusieurs pays de confession musulmane. Loin d’être insurmontable, cette incompréhension n’en reste pas moins un obstacle susceptible de générer des heurts, plus ou moins violents, qui renvoient à des croyances difficiles à contredire. Et pour cause, ces pays musulmans, qui ont fait de l’islam l’axe central de leur fonctionnement politique, n’ont pas séparé pouvoir civil et pouvoir religieux, optant dans l’immense majorité des cas pour des régimes islamiques modérés, combattant toutes dérives radicales.

Révolution française et agnosticisme

A ce jour, plusieurs raisons peuvent expliquer cette absence de séparation. Tout d’abord, une explication en creux s’impose en premier lieu. La France a, depuis la Révolution française et le XVIIIème siècle en général, entamé une lente déchristianisation qui a abouti à la séparation des Eglises et de l’État en 1905. Cette déchristianisation, initiée par l’incapacité de l’Église à répondre aux maux et préoccupations des populations, associée à un obscurantisme coupable à même d’entretenir ces mêmes populations dans l’ignorance, a progressivement poussé la France sur la voie de l’athéisme ou de l’agnosticisme, avançant l’idée que le spirituel n’avait pas sa place dans le monde civil et politique. Or, et c’est aussi en cela que demeure l’incompréhension de certains pays musulmans à l’endroit de la laïcité, cette dernière ne signifie pas exclusion mais séparation sans stigmatisation et sans condamnation. Pays laïque, la France a fait le choix de s’affranchir de l’influence de la religion dans la gestion des affaires publiques ce qui n’est pas le cas dans les pays de confessions musulmanes où l’Islam, reste, répétons-le, l’axe central du fonctionnement politique.

Impertinence ou vitalité

Parallèlement, à la séparation voulue par la France entre affaires religieuses et affaires publiques, s’ajoute un principe fondamental de la République, à savoir celui de la liberté d’expression qui s’affranchit de toute notion de limite morale ou religieuse. Ainsi quand certains voient de l’impertinence, du blasphème, voire de la provocation ou une atteinte au sacré, intouchable et vénéré, dans des représentations humoristiques, satiriques ou ironiques ayant pour thème la religion ou des figures tutélaires de celle-ci, d’autres, au nom de la liberté d’expression y voient un langage et un caractère témoins de la vitalité de la République et de la démocratie. Alors pourquoi cette incompréhension ? Et bien car la laïcité défait la République de tous ses oripeaux religieux afin de combattre leur influence et ne base pas son fonctionnement sur un texte sacré mais sur une constitution écrite et dénuée de références spirituelles. Alors se pose la question de la réconciliation dont la réponse ne réside pas dans l’abandon de l’une ou l’autre des positions mais dans la notion de tolérance et dans l’intelligence propre à chaque société humaine. La tolérance renvoie à l’idée d’acceptation de la différence ; l’intelligence à celle que le modèle des uns peut choquer les autres et qu’en conséquence se taire n’est pas capituler mais plutôt l’espace d’une réflexion ouvrant une autre forme d’expression.

Une question de perméabilité

Si de nombreuses interrogations se posent après l’assassinat de Samuel Paty, enseignant d’Histoire et Géographie, par un adolescent fanatisé, la question de la perméabilité intellectuelle de certains individus dans un contexte global d’ignorance et de manipulation psychologique émerge aussi.

Passées l’émotion et la sidération légitimes qui font suite à l’assassinat de Samuel Paty, enseignant d’Histoire et Géographie, vient désormais le temps des questions. Et force est de constater qu’elles sont nombreuses. L’enquête ouverte permettra certainement d’identifier la chaîne de responsabilités qui a commandé un tel acte (Lemonde.fr :https://www.lemonde.fr/police-justice). Pourtant demeure une interrogation qui restera peut-être sans réponse et qui renvoie à la fragilité intellectuelle et psychologique de certains, à l’image de l’adolescent qui a assassiné Samuel Paty. Comment donc une frange de la population peut-elle se montrer perméable aux discours portés par l’islam radical ? La réponse est d’une abyssale complexité et puise sa source dans une multitude de réalités sociales et politiques, avérées ou fantasmées, qui servent de terreau à ce discours qui sort des cadres de la République. Cette dernière perçue par les tenants de ce discours comme oppressante et castratrice est donc une des premières cibles que le radicalisme islamique vise. Il n’est certainement pas le seul car nombre de propos extrémistes font, ou on fait, de la République, la mère de nombreux maux.

Discours et exclusion

Outre l’élément constitutionnel, s’ajoute à cela une ignorance souvent manipulée des textes saints, associée à une incapacité intellectuelle à maîtriser les notions de liberté individuelle, liberté de culte ou de laïcité. (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/politique)Intrinsèquement liés dans le pacte républicain, ces trois principes sont eux aussi régulièrement battus en brèche par tous les extrémismes qui voient en eux des formes de déviances que les textes saints condamnent ou, plus simplement, n’expliquent pas. Et pour cause, ils n’ont pas été rédigés dans cette optique. Or la perméabilité de certains individus, lourdement influencés par des discours d’apparence puissants et fondés, est ainsi capable de dégénérer dans des drames comparables à celui que nous venons de vivre. Si d’aucuns, et à raison, appellent à éduquer encore et encore pour mettre fin à cette inertie de l’ignorance, porteuse de violence et de haine, il est aussi impératif de préciser que ce cercle vicieux est régulièrement alimenté par tout un ensemble de facteurs connus mais trop souvent mal appréhendés. Ainsi, l’islam radical se nourrit-il du sentiment d’exclusion éprouvé par certains croyants mal, ou pas intégrés, dans leurs sociétés d’accueil, de la rationalité elle aussi mal comprise des régimes démocratiques contemporains pour beaucoup marqués du sceau de la laïcité, renvoyant la croyance religieuse à la sphère privée, ou encore d’un sentiment de victimisation ou de martyrisation ressentis par ces franges fragiles de la population, sentiment lui-même entretenu par des discours radicaux prompts à dénoncer toutes les contradictions existantes entre sociétés démocratiques et textes saints.

Société et prédicateurs

Sans prendre le temps, et à dessein, d’expliquer que croyance et foi religieuses relèvent de l’intime et non du public, du privé et non de l’institutionnel, le discours radical dépeint une société hostile aux fidèles contre laquelle il faut alors s’élever et combattre ceux qui la défendent ou la promeuvent. Discours fermé et hermétique, le propos radical exclut volontiers toutes ouvertures vers la contemporanéité car celle-ci révélerait ses contradictions et ses erreurs. Loin d’atteindre ne serait-ce que la valeur de substrat scientifique, le discours radical séduit pas sa simplicité qui ne s’avère rien d’autre qu’une forme de pauvreté intellectuelle sans ressort ni appui scientifique historique ou sociologique éprouvés. Voilà donc ici une modeste tentative d’explication à la perméabilité de certains individus coupables de leurs actes présents ou à venir, victimes de leur faiblesse intellectuelle et éducative. Placés sous la coupe de prédicateurs habiles à la dialectique aguerrie, ces mêmes individus deviennent les pions dépendants d’une entreprise aux visées visiblement incompatible avec nos sociétés démocratiques, laïques et mondialisées. Et de conclure avec cette maxime de Condorcet, aussi guillotiné en des temps de d’extrémisme fanatique, «il faut enseigner ce qui suffit à ne point dépendre».

Nécessité ou rigidité

Entre sécurité sanitaire et impératifs économiques, la France, à l’image d’autres nations éprouvées par le covid-19 est confrontée à un dilemme cornélien qui reste sans réponse. Explications.

Qu’ils soient professionnels du spectacle, restaurateurs, gérants de brasseries ou de débits de boissons, directeurs de salles de sports ou organisateurs d’évènementiels, VTC, forains,…instinctivement, d’aucuns plaindraient, au vue des restrictions imposées qui passent souvent par la fermeture temporaire des établissements ou l’annulation de manifestations, ces professionnels entravés dans leur liberté d’exercer leur activité. La raison : le risque de propagation du Covid-19, devenu aujourd’hui un élément quasi-quotidien de nos existences. Et d’émerger alors deux visions totalement opposées ou du moins difficilement conciliables de la gestion du virus.

Survie et ascèse

D’abord celle de professionnels lourdement handicapés par le confinement printanier et à ce jour menacés par les nouvelles restrictions visant à limiter les plages horaires d’ouverture qui appellent à plus de souplesse de la part des pouvoirs publics au nom de leur survie. De l’autre côté, un conseil scientifique affirmant que la propagation du virus est démultipliée dans les espaces fermés et accueillant un large public, masque ou pas masque. Deux visions donc : celle de la nécessité de continuer à travailler pour éviter la faillite ; celle de la rigidité qui prône une ascèse sociale au nom de la santé publique. Or le dilemme est ici cornélien car les deux positions se défendent et s’entendent. La première renvoie d’une part à la liberté d’exercer une activité professionnelle associée à la nécessité d’accueillir du public pour assurer la pérennité de l’activité. La seconde renvoie quant à elle à la volonté d’éviter la diffusion d’une virus à travers la population alors que le nombre de contamination dans l’Hexagone a bondi en quelques jours (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/planete). Rares sont ceux à avoir imaginé que le coronavirus mettrait les sociétés occidentales dans une telle impasse ou face à de telles interrogations. Privilégier la santé publique ou l’activité économique sachant que la seconde finance aussi la première mais que celle-ci ne peut en aucun être négligée ou balayée d’un revers de main.

Colère et interrogation

Là encore, le problème ne concerne pas seulement la France car en Angleterre nombreux sont les élus à contester les mesures proposées par le Premier Ministre Boris Johnson (lequotidien.fr : https://www.lequotidien.com/actualite). Et il est fort à parier que la colère parmi les diverses sphères professionnelles commence à se répandre à la même vitesse que virus. Et pour cause. Or à ce jour, il apparaît que les mesures prises, à savoir port du masque, lavage des mains et distanciation sociale, ne sont pas suffisantes pour entraver sa progression dans un contexte de relance impérative de l’économie mondiale. Se pose alors une question : Que faire ? C’est bien la seule interrogation qui vaille à ce jour. Et le drame de continuer à se jouer dans un contexte ubuesque, presque kafkaïen car malgré les mesures proposées et appliquées, malgré les plans de relance engagés, malgré des populations globalement promptes à appliquer les mesures sensées entraver la progression du virus, celui-ci continue à progresser au grand désespoir de nombreux professionnels. Surprise par la dimension inédite du virus, l’Humanité semble comme démunie pour faire face à ce qui pourrait être aussi le premier virus d’une longue série à venir. Et nos sociétés contemporaines si promptes à avancer des solutions de tous ordres sont tombées dans le piège de l’impuissance qui nous renvoie à la question précédente : Que faire ? Et bien…On ne sait pas.

La Vésubie pense au monde

L’épisode méditerranéen qui a frappé le sud-est de la France renvoie le pays à la gestion des effets des catastrophes naturelles dans un contexte désormais acté de réchauffement climatique. Et la question d’une remise en question mondiale de se poser.

Violent et cruel, l’épisode méditerranéen qui a frappé le sud-est de la France et plus particulièrement la vallée de la Vésubie marquera les esprits pour s’inscrire dans une liste de catastrophes naturelles à la gravité allant crescendo (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/planet) . Pour autant, passé les constats et le décompte macabre du nombre de victimes, se pose désormais les questions de la gestion future de ce type d’évènements climatiques amenés à se répéter. La première d’entre elles à émerger est naturellement celle de savoir si nous sommes prêts à affronter ces incidents afin d’assurer la sécurité des populations. D’évidence non. Certes la violence des pluies et la topographie de la vallée en question ont considérablement aggravé la situation mais il apparaît surtout que devant un climat en voie d’évolution, rares sont les agglomérations à être adaptées aux effets de ces accidents climatiques.

Priorité et exceptions

Or cette adaptation suppose pour les années à venir une remise à plat de l’ensemble des politiques urbaines dédiées à la construction individuelle et collective ainsi qu’une prise en compte désormais systématique des conditions environnementales propres à chaque région. L’intention qui doit à présent devenir une priorité risque cependant de se heurter à un obstacle majeur : le coût. Pour autant, le défi n’est pas seulement national, il est surtout mondial car les catastrophes naturelles ne sont pas l’apanage de l’Hexagone mais bien d’essence globale. Une vision auto-centrée accompagnée de solutions qui le seraient tout autant se servirait finalement à rien ou, au mieux, ne seraient pas de grande utilité. Le changement climatique désormais amorcé et dénié par certains esprits obscurs a trouvé dans cette catastrophe naturelle une de ses expressions les plus cruelles. D’aucuns argueront que les épisodes méditerranéens ne sont pas d’un point de vue météorologique des exceptions isolées mais l’ampleur et la puissance de celui vécu invite à l’humilité au regard des changements climatiques amorcés. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/planete/article)

Anticiper et éviter

La prise de conscience attendue reste encore trop timide et quand bien même serait-elle de plus grande ampleur, celle-ci n’aurait certainement pas empêché le drame qu’ont vécu les populations de la vallée de la Vésubie. Mais, le propre de la politique étant d’anticiper, il n’est pas interdit de s’interroger sur la manière non pas d’éviter les épisodes climatiques de ce type mais comment réduire leurs effets sur les populations. Répétons-le encore, la solution ne sera pas hexagonale, la France n’étant en rien un parangon de vertu en matière environnementale ou de protection de l’environnement, loin s’en faut, mais bien globale et mondiale. Aujourd’hui, l’évidence qui se pose n’est plus de savoir comment éviter les catastrophes naturelles mais bien de savoir comment éviter leur effets et leurs conséquences.