Le covid, un vaccin et du cynisme

Alors que la Russie frappe à la porte de l’Union européenne en proposant un vaccin anti-covid-19, le sérum offre à Vladimir Poutine la possibilité de réintégrer le jeu diplomatique européen. Non sans une malice ironique.

Spoutnik V. Voilà le nom, pour le moins iconoclaste, donné par les Russes au vaccin sorti de l’Institut Gamaleya, présenté comme efficace à 91,6% contre la Covid-19 et susceptible d’enrayer l’épidémie de covid-19. Par les temps qui courent, d’aucuns l’auraient assimilé à une nouvelle encourageante préambule à une série de commandes à même de diffuser dans les meilleurs délais le sérum. D’autant que de l’avis de nombreux épidémiologistes, le Spoutnik V est fiable et facile d’utilisation. Seulement toutes ces qualités ne suffisent pas à convaincre les Européens, la France en tête et à contre-pied des Allemands plus ouverts à une prochaine utilisation (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/planete/article). La question qui se pose à ce jour est donc de savoir quels obstacles se posent à l’utilisation de ce vaccin sur le sol européen et français en particulier ? A vrai dire, il est inutile d’aller chercher d’autres explications ailleurs que dans la diplomatie russo-européenne. Les relations entre l’Union et la Russie, et en particulier la France et la Russie, marquées par une fraîcheur digne des grandes heures de la Guerre Froide expliquent les réticences européennes.

De Navalny à la Syrie

En premier lieu, l’affaire Navalny, opposant au Président Vladimir Poutine et défenseur des Droits de l’Homme en Russie, figure au rang des motifs de refroidissement des relations entre Europe et Russie. A quoi s’ajoute aussi l’ingérence plus ou moins affichée de Moscou dans la crise syrienne qui entre dans sa dixième année et dont l’Europe et la France ont été écartées du fait de leur inertie et de leur incapacité à s’imposer face à Bachar El-Assad. Certes d’aucuns encore et à raison argueront du fait que le vaccin russe n’a pas été homologué par l’Agence européenne des Médicaments (AEM), offrant aux plus réticents une marge de manœuvre inespérée mais qui reste ponctuelle et temporaire. Car si l’AEM devait donner son agrément, peu de prétextes sauf purement diplomatiques pourraient entraver l’utilisation du vaccin. Passées les arguties diplomatiques, il n’est pas non plus à exclure la vexation française consécutive à l’incapacité de l’industrie pharmaceutique hexagonale à créer son propre vaccin. Et si recourir à un vaccin étranger ne semble pas heurter l’orgueil national, en revanche utiliser un vaccin russe dépasse l’entendement au sein de l’exécutif. Céder reviendrait à remettre Vladimir Poutine dans le jeu diplomatique européen quand refuser est assimilé à une forme de rétorsions diplomatiques suite à l’emprisonnement d’Alexei Navalny, au mépris affiché par Vladimir Poutine face aux protestations européennes, et plus largement aux protestations globales des européens consécutives à la politique intérieure ou extérieure russe.

Temps et urgence sanitaire

Réfugiée derrière ses principes humanistes, la France et l’Union européenne, qui ne cache plus ses divisions face à l’option du vaccin russe, tient donc tête à Moscou. Mais pour combien de temps ? (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/conjoncture) Le cynisme russe prend ici toute sa dimension. Car, en disposant d’un vaccin reconnu par beaucoup comme efficace, d’un allié de poids, ici l’Allemagne qui n’exclut pas d’y recourir, Vladimir Poutine met dans la balance du pragmatisme la possibilité d’immuniser des milliers de personnes contre des principes, essentiels et non-négociables pour toutes démocraties qui se respectent, dont la portée et la teneur risquent de s’étioler devant l’urgence sanitaire qui s’accroît. Vladimir Poutine dessine ainsi une forme de géopolitique sanitaire fondée non pas sur la puissance économique ou militaire mais sur la nécessité vitale de sauver des vies humaines au prix de principes auquel lui n’adhère pas spécialement. Et ce vaccin, opportunément nommé Spoutnik comme le premier satellite soviétique lancé en octobre 1957, de permettre à Poutine de remettre un pied dans le jeu diplomatique européen.

L’eau qui dort

Entre lassitude et résignation, Français et Européens subissent dans un silence presque inquiétant contraintes et restrictions qu’impose la propagation de l’épidémie de covid-19. Mais jusqu’à quand ?

Entre obligation et nécessité, le nouveau confinement, qui refuse d’être présenté comme tel et ce pour des raisons tenant plus de la communication politique que de l’amour de la syntaxe, suscite une question qui relève de l’évidence tant celle-ci se veut pressante : A qui le tour désormais ? D’atermoiement en hésitations, le gouvernement a pris le temps pour reconfiner près de douze millions de personnes résignées à accepter de nouvelles contraintes pour endiguer la progression de l’épidémie. Mais l’interrogation qui persiste, suscitée par la première, est aujourd’hui de savoir à quelle vitesse et dans quel espace géographique l’épidémie va-t-elle se développer. A vrai dire, depuis plus d’un an désormais, l’épidémie de coronavirus a souvent déjoué les pronostics la concernant sauf celui de sa progression, entraînant un bouleversement de toutes les projections dont il a fait l’objet. Des scientifiques alarmistes qui auraient volontiers cloîtré toute la population pendant six mois depuis le mois de novembre 2020 au gouvernement terrorisé à la seule idée d’une catastrophe économique et financière en cas de reconfinement massif et total, les Français (et d’autres au regard des mesures prises dans les pays frontaliers) ont finalement appris à vivre avec un virus qui imprime son rythme et son tempo.

Vaccination et habileté

Convaincus qu’ils finiront par voir la pandémie s’essouffler sous le coup d’une vaccination de masse, nombre de Français et d’Européens avouent cependant leur lassitude. Cette même lassitude, parfois doublée de premiers signes d’agacement (lesechos.fr :https://www.lesechos.fr/politique-societe) , nourrie par l’absence d’échéance fixe ou avancée sur la fin de l’épidémie, à défaut sur les premiers effets des campagnes de vaccination, génère une forme silence que d’aucuns jugeraient inquiétant. Car en vertu de l’adage populaire qui veut qu’il faut se méfier de l’eau qui dort, les citoyens européens, Français compris, patients et compréhensifs, pourraient certainement se montrer moins tolérants à l’endroit du pouvoir si la crise sanitaire devait encore se prolonger ou pire, si elle devait engendrer un nouveau confinement, fut-il entouré de toutes les précautions de syntaxe qui viseraient à en déformer la forme mais pas le fond. N’hésitons pas à le dire, tous les pays confrontés à la pandémie, sont face à une situation inédite capable de générer des réactions inédites (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/societe/article). Alors que se profilent de nouvelles échéances électorales qui seront, consciemment ou inconsciemment, influencées par les résultats des campagnes de vaccination et plus largement de la gestion de la crise sanitaire, il convient pour nombre de gouvernement de faire preuve d’une habilité jusque là inconnue pour anticiper un avenir incertain et potentiellement explosif. Le degrés d’acceptabilité et la capacité de résilience des populations mis à rude épreuve depuis plusieurs mois pourraient ainsi atteindre son point ultime ce qui, in fine, est certainement le plus dangereux. Non que la guerre civile menace, loin s’en faut, mais une remise en question des protocoles de gestion de crise, de ceux qui les ont imaginés et de ceux qui les ont appliqués n’est pas à exclure. Et c’est bien là que réside le risque pour ceux qui à ce jour sont chargés de gérer l’inédit qui le restera jusqu’à son terme.

La guerre et la honte

La crise syrienne entre dans sa onzième année. Sans l’ombre d’une solution politique ou diplomatique, elle révèle surtout l’inertie coupable et les atermoiements pleutres des nations occidentales au profit du régime syrien et de Vladimir Poutine, président de la Russie.

Il est des anniversaires que l’on n’aimerait pas avoir à célébrer. Celui de la guerre civile syrienne en fait partie. Et pour cause. Marqué par des milliers de victimes et par l’obstination criminelle de Bachar El-Assad convaincu de son bon droit, ce conflit ensanglante depuis dix ans désormais le Proche-Orient qui a rarement été aussi fragile, ébranlé lui aussi par la pandémie (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/m-le-mag). Mais au-delà de cette guerre qui n’en finit pas, le conflit syrien met aussi en évidence toute l’inertie coupable et les atermoiements pleutres de la communauté internationale. Cette dernière, France en tête, qui n’a cessé de pousser des cris d’orfraie devant les crimes commis par le dictateur syrien et ses alliés objectifs ou de circonstances, à savoir Etat islamique et Russie, a surtout brillé par son incapacité à agir collectivement. Plus simplement, la crise syrienne a révélé nombre de carences et de réalités diplomatiques que beaucoup voulaient délibérément ignorer. Parmi elles, les limites de la diplomatie et de l’armée françaises, incapables par le dialogue ou par l’action armée de faire plier une Syrie qui aurait, d’un point de vue militaire, représentée un adversaire solide et des plus dangereux si un déploiement tactique d’envergure avait été engagé.

Naufrage et intérêts

Et l’Union Européenne d’avoir sombré elle aussi dans le naufrage diplomatique qu’est cette crise syrienne, naufrage interrogeant aussi sur les capacités de l’Union à faire face dans des situations analogues. Autre élément révélé par la crise, la volonté des Etats-Unis de progressivement se retirer des théâtres d’opération où la vie de ses forces armées auraient potentiellement été en jeu. Cet isolationnisme latent, basé sur la doctrine Monroe (du nom du président des Etats-Unis qui l’a initiée en 1821) n’est d’ailleurs pas né sous le mandat de Donald Trump, mais sous celui de Barack Obama, au lendemain de la déconfiture irakienne. Parallèlement, il était d’ailleurs inimaginable pour les Etats-Unis ou ses Alliés d’armer la rébellion syrienne, préférant éviter le risque de voir des fractions armées se retourner un jour contre leurs anciens amis, comme ce fut le cas en Afghanistan quand les Etats-Unis armèrent les talibans pour lutter contre l’envahisseur soviétique au début des années quatre-vingt. Enfin, cette crise a aussi révélé la capacité de la Russie a réintégrer la scène diplomatique et géopolitique en faisant valoir ses intérêts syriens.

Mare Nostrum et vaccins

Le port de Tartous, excuse suprême et plutôt facile avancée par les Russes pour légitimer leur ingérence dans le conflit, a été, et est encore, pour Vladimir Poutine, le meilleur moyen de toiser les nations occidentales en leur amputant un bout de leur Mare nostrum qu’est la Méditerranée. Dix ans de crise ont suffi à mettre à nu bien des travers et des fragilités des nations occidentales d’autant plus criantes aujourd’hui, certes dans un autre registre (et en évitant toute analogie gratuite), face à la pandémie de coronavirus. Constat dressé, il convient donc d’imaginer l’après Bachar El-Assad. Mais, là aussi, un autre constat s’impose, une simple réflexion sur la question, a fortiori la réponse, a-t-elle été engagée ? Certainement dans les cabinets silencieux et feutrés des chancelleries. Mais pour l’heure, c’est la question des vaccins qui domine pour des questions sanitaires impérieuses. (lesechos.fr : https://www.lesechos.fr/monde) Et pour rappel, la crise syrienne est aussi une question sanitaire impérieuse mais avant tout humanitaire.

La Terre ou le Ciel

L’Iran chiite se tourne vers le Saint-Siège. Préambule à un repositionnement politique du pays sur la scène internationale? Crédits : Jackson David.

La rencontre entre l’ayatollah iranien Ali Al-Sistani et le Pape François a posé les bases d’un nouveau dialogue entre les deux religions n’en déplaise aux extrémistes islamistes marginalisés, à l’image de Reda Kriket, par l’entrevue des deux dignitaires religieux.

Quel abysse sépare le Pape François de Reda Kriket, actuellement présenté devant la cours d’assise spéciale de Paris pour un projet d’attentat déjoué in extremis, le 24 mars 2016 ? La réponse tient certainement dans le mot même. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/police-justice) Alors que le Pape François, de retour d’Irak après avoir rencontré l’ayatollah Ali Al-Sistani, représentant la plus haute autorité religieuse iranienne, marquait un rapprochement notable et noté entre monde chrétien catholique et monde musulman chiite, Reda Kriket déclarait ne vouloir reconnaître que la loi divine dans son procès alors que l’homme encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Au-delà de la fracture existante, c’est véritablement l’incapacité des extrémistes islamistes, rares au demeurant à la surface de la Terre et ramené au nombre total de musulmans, à comprendre que l’islam est une religion tout à la fois plastique et malléable, capable de se fondre sans mal dans les sociétés contemporaines.

Intégration et acceptation

Arc-boutés sur des considérations religieuses désormais anachroniques avec le monde contemporain bercé de mondialisation et d’intégration économique, les islamistes de toute obédience semblent s’enfermer dans des logiques exclusives dont tendent à se détacher les franges les plus rigides de l’islam, comme le prouve la rencontre et les échanges intervenus entre l’ayatollah Ali Al Sistani et le Pape François (la-croix.com : https://www.la-croix.com/Religion) Ayant acquis la certitude que le dialogue était la seule option préalable et essentielle à toute démarche de compréhension mutuelle, l’un et l’autre ont donc accepté d’avancer plutôt que de rester sur leurs positions respectives voire de reculer. Indépendamment de l’aspect politique que revêt cette rencontre ainsi que des effets positifs qu’elle peut nourrir dans le dialogue entre les deux religions monothéistes, bien plus proches historiquement et idéologiquement l’une de l’autre que présentés par les islamistes, elle entérine surtout le principe d’une acceptation mutuelle de l’altérité religieuse dans un monde ou le fait religieux est incontestablement sur le reculoir. Faut-il ainsi voir dans la rencontre entre les deux dignitaires religieux un rapprochement tactique en vue de relancer la pratique cultuelle, notamment du côté chrétien ? L’explication serait par trop simple alors qu’y voir la décision commune d’enterrer les reliquats jaunis de Croisades ancestrales aujourd’hui vides de sens serait plus juste. Autre aspect de cette rencontre qui fera date dans l’histoire de la chrétienté latine et de l’islam, la volonté, essentiellement partagée par Ali Al-Sistani, de présenter un visage moderne et contemporain d’un pays, l’Iran, en marge du concert international.

Carte diplomatique et dogme figé

Mais à l’heure où la politique étrangère nord-américaine semble se radoucir au contraire de celle de la Chine qui semble elle prendre des accents plus fermes, l’Iran sait avoir une carte diplomatique à jouer en se repositionnant comme une puissance régionale capable de maîtriser même à distance les velléités terroristes des islamistes les plus fanatisés. Soucieuse de pouvoir mener à terme son programme nucléaire, l’Iran sait qu’apaiser les tensions religieuses et politiques, surtout lorsque les deux se lient, n’est pas inutile. Un rapprochement avec le Saint-Siège peut ainsi représenter une entrée en matière appréciée des Occidentaux toujours frileux à se nouer d’amitié avec une puissance capable de téléguider tel ou tel attentat. Dans ce contexte, les déclarations de Reda Kriket, que d’aucuns jugeraient ahurissantes et totalement déconnectées de la réalité, apparaissent presque comme anecdotiques au regard des enjeux qui se jouent ailleurs. Et la position de celui-ci d’interroger sur la conception de la modernité des extrémistes religieux, islamistes ou non par ailleurs. Car en revenant sur la notion de plasticité de l’islam, il apparaît évident que cet individu et ces comparses d’infortune n’ont a aucun moment de leur parcours pensé l’islam tel un élément constitutif des société contemporaines mais au contraire comme un dogme figé dans le temps incapable d’évoluer et de s’adapter à son environnement. Restés trop religieux pour ne pas devenir plus politique, voilà le constat que l’on pourrait dresser de ces individus enfermés dans des conceptions mortifères d’une religion, répétons-le, plastique et soluble dans nombre de régimes politiques. Pour l’heure, les progrès accomplis par le Pape François et l’ayatollah Ali Al-Sistani posent les bases de nouveaux échanges défaits de méfiance et de crainte, bercé par l’espoir de voir la détente se poursuivre.