Point de rupture

Si l’escalade diplomatique et militaire entre la Russie et l’Occident se poursuit au risque d’atteindre le point de rupture, la question qui se pose désormais est de savoir quand ce point sera atteint. Et l’Ukraine d’incarner l’espace ultime des frustrations russes. Non sans danger.

Avec l’annonce par la Russie de l’expulsion de trente quatre diplomates français, l’Union Européenne a répondu par une proposition d’aide supplémentaire à l’Ukraine d’un montant de neuf milliards d’euros. Sans être spécialiste de géopolitique ou de relations internationales, n’importe quel quidam comprendrait que l’escalade entre la Russie et l’Union européenne prend une tournure que d’aucuns qualifieraient d’inquiétante. Car une question se pose désormais. Une fois que tous les diplomates étrangers, considérés par Moscou comme représentants de nations cobelligérantes ennemies et que tous les ressortissants relevant du même qualificatif, quels qu’ils soient, auront été priés de quitter le sol russe, qui restera-t-il à expulser ? Là se posera une impasse diplomatique qui ne pourra se résoudre que par deux options : Soit l’arrêt de l’escalade, soit la poursuite de ladite escalade avec des conséquences que personne n’ose encore imaginer mais qui peuvent être de l’ordre de la rupture des relations diplomatiques puis, dans le pire des cas, une déclaration d’état de guerre.

Contribution indirecte

Parallèlement, les efforts engagés par l’Union européenne pour soutenir l’Ukraine travaillent aussi à cette logique d’escalade et de point de rupture. Non qu’il faille cesser de soutenir le peuple ukrainien agressé depuis le 24 février mais il est clair que toute aide est aujourd’hui interprétée par Moscou comme une contribution indirecte à la résistance ukrainienne. Et à ce jour, rien ne laisse supposer un apaisement des tensions. Si les forces ukrainiennes font face et reprennent chaque jour un peu plus de terrain face à des forces russes concentrées sur le Donbass, la crise diplomatique ne semble pas faiblir entretenue de part et d’autre par les deux blocs en présence : Russie et Union européenne, elle-même soutenue par les Etats-Unis, trop heureux de pouvoir défier à distance Vladimir Poutine. Toute comparaison avec ce qui fit le miel de la Guerre Froide serait pourtant anachronique car si le monde a frôlé à de multiples reprises au cours de cette période le conflit planétaire, l’Europe d’alors, torturée par le Rideau de fer et le Mur de Berlin, n’avait abrité aucun conflit armé sur son sol, la zone ayant été jugée explosive par toutes les parties. En outre, les ressorts, essentiellement idéologiques et qui sous-tendaient la Guerre Froide, sont à l’opposé de ceux qui animent aujourd’hui la confrontation Russie / Occident. Entre impérialisme et désir de reconnaissance internationale, la Russie se heurte aux velléités démocratique de peuples, ici ukrainien, qui dépassent les schémas tyranniques obsolètes, héritées du XIXème siècle, de Vlaidmir Poutine.

Sanctions économiques

Ce conflit, dans un premier temps spectaculaire par la stupeur et la sidération qu’il a provoqué, s’est désormais enlisé dans une forme de conflit, non pas larvé mais dans une confrontation appelée à s’inscrire dans la durée qui remodèlera les relations internationales à venir. La Russie, soucieuse de réintégrer la scène internationale diplomatique, qui s’agite via ce conflit et les coups d’éclat successifs marqués par l’expulsion de diplomates étrangers, est aujourd’hui totalement décrédibilisée, isolée et certainement bien plus affectée que prétendu par les sanctions économiques prises à son endroit. La Chine, engluée à son tour dans un rebond épidémique, obsédée par sa survie économique car dépendant de celle des Etats-Unis et de l’Europe, semble s’être quelque peu désintéressée du conflit ukrainien comprenant qu’un soutien diplomatique ou politique à la Russie trop visible pourrait entraver son avenir. Quant aux Etats-Unis, la possibilité de contrarier une Russie en quête de puissance, n’est pas faite pour que ces derniers interrompent leur aide au pays agressé. In fine, l’impression que ce conflit que l’on pourrait aisément qualifier de local mais aux ramifications mondiales, présente toutes les facettes d’une crise qui, si elle n’était pas maîtrisée dans les mois à venir, ne manquerait pas de dégénérer de manière beaucoup violente et globalisée. Mais quand… ?

Le président et le cambouis

Les élections législatives (12 et 19 juin) s’avèrent à risque pour le Président de la République. Si Emmanuel Macron a compris l’enjeu d’un scrutin qui doit conditionner son quinquennat en s’impliquant personnellement dans la campagne, celui-ci sait aussi pouvoir s’appuyer sur les réticences des Français à l’idée une nouvelle cohabitation.

Si, notamment ceux qui ambitionnent de se voir proposer, pour l’accepter, le poste de Premier Ministre, d’aucuns s’impatientent devant le délai pris par le Président de la République dans la nomination de la seconde tête de l’exécutif, l n’est finalement pas interdit d’affirmer que rien ne presse le nouveau locataire de l’Elysée. Certes les institutions imposent que la charge soit pourvue mais ce qui semble désormais occuper Emmanuel Macron n’est pas tant celui ou celle qui logera à l’Hotel de Matignon mais plutôt les élections législatives. Et pour cause : de leur résultat dépendra l’orientation du quinquennat balbutiant. Car les obstacles sont nombreux, entre l’alliance des Insoumis avec le Parti Socialiste et les écologiques (NUPES) et le Rassemblement national galvanisé par le score de Marine Le Pen lors des deux tours de l’élection présidentielle, le scrutin s’annonce serré, voire risqué si le parti présidentiel, rebaptisé Renaissance, ne parvenait pas à décrocher la majorité absolue ou même une majorité relative.

Hyper-président et Jupiter

Et de voir planer l’ombre de la cohabitation, identique à celle qui avait paralysé Jacques Chirac lors de son second mandat entre 1997 et 2002. Anticipant la volonté des Français considérés comme peu désireux de renouer avec ce modus vivendi gouvernemental, Emmanuel Macron cherche donc à tous prix à conserver les coudées franches au sommet de l’État quitte à être taxé, comme le fut Nicolas Sarkozy, hyper-président ou plus récemment de président jupitérien. Et visiblement, l’homme en a cure, s’appuyant sur les résultats du second tour de l’élection présidentielle mais sans pour autant négliger le combat qui s’annonce où la diversité politique qu’il recouvre. D’où l’implication physique du néo-président dans la campagne qui tranche avec cette forme de langueur qui avait prévalu lors de la campagne présidentielle. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/) Conscient des enjeux du scrutin et de ses conséquences s’il devait se priver d’une majorité à même de le servir, Emmanuel Macron recentre désormais son action politique sur une échéance qui n’est en rien le troisième tour de l’élection présidentielle mais se veut être tout à la fois la marque de son emprise sur l’échiquier politique et la garantie, fort d’une majorité large et solide, de pouvoir mener son action dans la durée. De là à penser qu’Emmanuel Macron était plus concentré depuis plusieurs semaines sur les élections législatives que le scrutin présidentiel, il n’y a qu’un pas que les faits tendent à confirmer.

Civilisation et couleur

En fin connaisseur des institutions, le Président de la République a successivement orienté le débat autour du choix de civilisation pendant la campagne électorale présidentielle pour désormais l’orienter vers celui d’une nouvelle méthode n’hésitant pas à brocarder ses adversaires qu’il sait rugueux et combatifs. (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives) Le choix du Premier ministre sera en cela déterminant mais pas nécessairement définitif car en fonction des résultats des élections législatives, ledit Premier Ministre sera amené à changer y compris si Emmanuel Macron dispose d’une majorité. La couleur de celle-ci important au plus haut point et le parti Renaissance étant composé de diverses sensibilités, il conviendra alors de regarder avec précision lesquelles d’entre elles seront le plus représentées, gauche, centre-gauche, centre-droit, droite et autres transfuges. Ainsi, en entrant de plain-pied dans la séquence électorale des législatives, le nouveau président se veut certainement bien plus politique qu’il ne l’avait été avant les 10 et 24 avril. Ce qui laisserait à penser que même Jupiter met parfois les mains dans le cambouis.

Nouvelle frontière

Le risque d’enlisement du conflit russo-ukrainien cristallisé dans le Donbass met en évidence l’apparition d’une nouvelle frontière en Europe que l’Ukraine incarne. Loin de se décourager, la Russie poursuit par les armes sa politique de réhabilitation à l’échelle mondiale. Et peu importe les conséquences.

Entre entêtement russe, héroïsme ukrainien, sanctions européennes et interventionnisme nord-américain, le conflit qui secoue l’Europe depuis le 24 février ouvert suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie semble sur le point de s’enliser. (lefigaro.fr :https://www.lefigaro.fr/conjoncture/) Tant du point de vue militaire que diplomatique, l’opposition entre le bloc oriental composé de la Russie et de la Biélorussie, et dans une certaine mesure de la Chine, et le bloc occidental composé de l’Union Européenne, de l’OTAN et des Etats-Unis paraît aujourd’hui fixé sur le Donbass, espace stratégique revendiqué par l’une et l’autre partie. Pourtant, au-delà de l’aspect géographique, ce conflit impose à l’Europe une nouvelle dimension géopolitique qui avait disparu depuis 1989. L’Ukraine est ainsi devenue en quelques semaines la nouvelle frontière entre Europe Occidentale et Europe orientale. Il serait anachronique d’évoquer un nouveau rideau de fer mais il est clair que l’ancienne république soviétique affamée par Staline en 1933, constitue un nouveau point géopolitique qu’il conviendra, le conflit achevé, de surveiller avec attention.

Adhésion et glacis

Car si Vladimir Poutine finira immanquablement par disparaître un jour, les tensions qui agitent désormais le continent, et en particulier les espaces frontières entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest, seront l’objet de revendications nouvelles nées de la volonté, entre autres, d’adhérer à l’OTAN ou à l’Union Européenne. A ce jour, rien n’indique de surcroît que l’Ukraine restera la seule cible de la Russie car d’autres pays frontaliers ou proches de la Russie (Pays Baltes, Pologne, Finlande, Norvège, Suède,…) peuvent très bien un jour être convoité par Moscou dont les objectifs sont multiples. Tout d’abord, créer un glacis de territoires neutres, si possibles non affiliés à l’OTAN qui lui permettrait de restaurer sans soi-disant sécurité perdue ou mise à mal. Une sorte de no-man’s land pro-russe ou à défaut, non allié à l’Occident. Deuxième objectif, faible à l’échelle mondiale car dénuée d’une influence politique suffisante pour infléchir sur les décisions globales (une forme de soft power russe), la Russie de Vladimir Poutine souhaite alors peser en Europe en usant de l’arme énergétique, point faibles des nations occidentales pour tenter de retrouver à nouveau son aura politique et diplomatique.

Pax americana

Dernier point, s’opposer frontalement aux Etats-Unis et mettre à mal la Pax Americana (lemonde.fr :https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/02 ) voulue et imposée par les différents gouvernements nord-américains depuis plus de trente ans. Et peu importe si ces objectifs laissent échapper un parfum de Guerre Froide ou mettent à mal les difficiles relations sino-américaines, Moscou entend à tout prix redevenir une puissance de premier rang. Le pari de Vladimir Poutine est d’ailleurs presque réussi car si l’opération en Ukraine ne répond en rien aux attentes initiales, le même pari est parvenu à replacer la Russie dans le jeu diplomatique mondial jusque-là dominé par l’opposition sino-américaine et les avatars qui en découlent (Influence en zone Indo-pacifique, pression sur Taïwan). Mais comme tout pari, celui-ci peut s’avérer des plus risqués car lentement affaiblie par les sanctions économiques mondiales à son endroit, progressivement privée des ressources financières véhiculées par la vente de pétrole et de gaz aux Européens, la Russie de Vladimir Poutine prend le risque d’imploser comme ce fut le cas pour l’Union soviétique. Pour l’heure, loin de désarmer, la Russie poursuit son offensive animée de buts visibles de tous sans que s’impose clairement une orientation sur l’avenir du conflit.