Joe Biden, le trublion inattendu

La reconnaissance par les Etats-Unis du génocide arménien exprime la volonté de la première puissance mondiale de jouer un rôle nouveau dans la diplomatie internationale. Mais, politique et symbolique, cette reconnaissance sera-t-elle suivie d’autres décisions aussi fortes à même de renforcer la crédibilité des Etats-Unis de l’ère Biden ?

En reconnaissant la réalité historique du génocide arménien commis en 1915 par les troupes de l’Empire Ottoman pendant la Première Guerre mondiale, le président des Etats-Unis Joe Biden, a replacé la première puissance mondiale au centre du jeu diplomatique mondial quand son prédécesseur l’en avait progressivement extraite. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/24/) Plusieurs raisons président à cette reconnaissance. Tout d’abord, démocrate, Joe Biden a répondu aux convictions humanistes et altruistes de son parti à contre-pied de Barack Obama qui, bien que démocrate, n’avait jamais reconnu le génocide. Les Républicains, certainement animés des mêmes convictions, se sont toutefois toujours abstenus, arguant de la nécessité de ménager un allié précieux en Méditerranée, d’où la prudence des administrations précédentes. La seconde raison se veut clairement diplomatique et géostratégique.

Réfractaire et rapprochement

En malmenant un allié, fût il influent en Méditerranée orientale, Joe Biden montre, et les Etats-Unis avec lui, que les alliances ne sont en rien des blanc-seing susceptibles de couvrir ou accepter tout et n’importe quoi de l’allié en question. Dans la ligne de mire de Joe Biden, il n’y a d’autre dirigeant que Recep Tayyip Erdogan, le président turc, farouche opposant à la reconnaissance par la Turquie d’un quelconque génocide. Or, cette attitude réfractaire, accompagnée d’un double-jeu risqué vis-à-vis du terrorisme islamiste, irrite en Europe, elle aussi alliée des Etats-Unis, en en France en particulier. A ce titre, Recep Erdogan a commis une erreur que les Etats-Unis ont visiblement du mal à pardonner à quoi s’ajoute, du point de vue nord-américain en tous cas, un rapprochement jugé suspect avec la Russie de Vladimir Poutine, lui-même en délicatesse avec la Maison Blanche. En mettant la Turquie face à ses responsabilités historiques, Joe Biden fait ainsi preuve d’une forme de courage politique aux conséquences tant intérieures qu’extérieures au Etats-Unis. Le signal envoyé est ainsi des plus clairs : à ceux qui le taxaient de mollesse en raison de son âge en sont pour leurs frais.

Intérêts et influence

A la tête du plus puissants des Etats, Joe Biden pose les jalons d’une nouvelle diplomatie, plus offensive et certainement plus fine que celle de Donald Trump qui ne raisonnait pas en termes géopolitiques mais uniquement individuels, ne voyant dans ses interlocuteurs que des possibilités d’ouvertures économiques où les Etats-Unis pourraient faire valoir leurs intérêts. Le nouveau président des Etats-Unis, bien décidé à mener de front tout un ensemble de problèmes d’envergure internationale (Fiscalité, climat, terrorisme, tensions géopolitiques,…) imprime à son mandat une tonalité qui renoue avec des accents que n’aurait pas renié Ronald Reagan (1981 – 1989) quand ce dernier cherchait à réhabiliter l’image des Etats-Unis dans le monde après le fiasco vietnamien (1965 – 1975) – (lejdd.fr : http://www.lejdd.fr/International) Certainement plus fin dans son approche diplomatique que Donald Trump, Joe Biden s’appuie toutefois sur la puissance et l’influence des Etats-Unis dans le monde pour rendre à son pays la place perdue. Impérialisme ? Gendarme du monde ? Finalement ni l’un ni l’autre, mais l’envie seule de redorer le blason d’un pays longtemps accusé, et à raison, des défauts cités. Mais cette position sera-t-elle tenable ? Refroidir la Turquie par la reconnaissance du génocide arménien est certes un acte fort, à la portée symbolique et politique très forte mais pour que la crédibilité des Etats-Unis sous l’ère Biden soit renforcée et continue de l’être, il faudra certainement plus. Le mandat de Joe Biden ne fait que commencer, alors….

Du foot au football business total

Première motivation des clubs européens signataires du projet de Super League : accroître leurs revenus. Mais où est le football dans ce projet ?

La création annoncée d’une Super League européenne de football concurrente de la Ligue des Champions bouscule une UEFA otage de la professionnalisation à outrance du football lui-même devenu un pan de l’économie mondiale. Tentative d’explications.

Présentée le18 avril dernier par douze clubs européens (Arsenal, Chelsea, Liverpool, Manchester City, Manchester United et Tottenham, le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Atlético Madrid, la Juventus de Turin, l’Inter Milan et l’AC Milan) le projet de création d’une Super League de football, concurrente déclarée de la Ligue des Champions, chère à l’UEFA (Union Européenne Football Association), a secoué le microcosme footballistique du Vieux Continent tremblant à l’idée de voir la compétition sportive européenne comptant parmi les plus suivies et les plus lucratives détrônée par une organisation aux visées purement financières. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/sport) Depuis l’annonce, les cris d’orfraie n’ont cessé de s’élever contre une initiative qui, il y a quelques années avait déjà été abordée sous la forme d’un G14 (groupe qui regroupait parmi les 14 grands clubs d’alors), pour être finalement abandonnée. Mais le projet de Super League avancé, qui permettrait aussi à quelques clubs triés sur le volet de bénéficier d’un statut d’invité pour évoluer aux côtés des clubs fondateurs, semble désormais si bien lancé que les institutions européennes paraissent bien en peine pour le contrecarrer. Certes. Mais une fois passés le constat et l’indignation, qui n’aura qu’un temps, que suscite cette initiative, la question qui émerge aujourd’hui n’est pas de savoir pourquoi une telle initiative est amenée à voir le jour mais quand est-ce qu’elle verra le jour.

Inflation et règles économiques

A la première question, la réponse qui s’impose semble d’une évidence quasi-puérile. L’inflation exponentielle des droits audiovisuels, du montant des transferts de joueurs et des budgets des clubs (par ailleurs dangereusement endettés) sans compter les recettes annexes liées à la vente de produits dérivés, expliquent cette volonté des plus grands et plus puissants clubs européens de créer un espace de jeu où le sport ne serait qu’un support à vocation financière. Devenu un pan de l’économie mondiale, le football n’échappe pas aux règles économiques au point de devoir lui aussi se diversifier afin d’assurer sa pérennité à long terme surtout en période de crise sanitaire dont les effets ont eu des conséquences sur la trésorerie des clubs. Andrea Agnelli, le président de la Juventus Turin et de l’Association des clubs européens (ECA), a récemment rappelé que la crise sanitaire pourrait entraîner un manque à gagner de 6,5 milliards à 8,5 milliards d’euros pour les clubs. Motif suffisant pour imaginer des solutions afin de limiter l’hémorragie financière fruit de la pandémie. Le raisonnement tenu par les douze clubs concernés est ainsi des plus simples : Une Super League animée par des clubs mondialement reconnus (les rencontres du Real Madrid sont suivis en Chine ou ailleurs) sera génératrice d’intérêt télévisuel, populaire, publicitaire et aussi sportif puisque les meilleurs joueurs mondiaux évoluent dans les clubs concernés.

Déficits et temps juridique

Parallèlement, cette Super League, moyen d’éponger des déficits abyssaux (en 2016, le montant cumulé des encours des 20 plus grands clubs européens s’élevait à 133 milliards d’euros) est aussi un acte d’indépendance de la part de clubs trop à l’étroit dans une UEFA (forte d’un budget s’élevant en 2019 à 5,7 milliards d’euros) jugée archaïque, et encore trop réfractaire à l’idée d’un football business total. (sportune.fr : https://www.sportune.fr/business) Et de là à ce que l’UEFA prenne les aspects d’une association caritative dédiée à la défense des clubs exclus de la Super League à venir, il n’y a qu’un pas. L’UEFA, qui n’ a cessé depuis des décennies d’oeuvrer au développement du professionnalisme le plus débridé, n’a donc pas su trouver les arguments, prise à son propre piège, pour contenir les envies sécessionnistes des grandes écuries européennes. Reste à savoir quand cette Super League verra le jour. Tout est désormais question de temps juridique et de recours devant les tribunaux mais il est fort probable que le projet aboutisse sauf si l’UEFA réformait la Ligue des Champions afin de ne conserver que les clubs sécessionnistes ce qui exclurait les autres formations européennes au risque de voir éclater de nouveaux contentieux. Cornélien…Pour l’heure, les deux camps s’observent et se toisent, attendant certainement le geste de l’une ou l’autre partie. Mais une chose est certaine, il est peu question de ballons ou de joueurs dans cette affaire mais beaucoup d’argent et de recettes. Bref, du football business total.

L’ENA et les élites

Remplacée par l’Institut du service public, l’Ecole Nationale d’Administration a longtemps concentré sur elle un ensemble de critiques visant à dénoncer des lauréats accusés de former une caste élitiste hors-sol. Mais cette stigmatisation ne révélerait-elle pas une angoisse latente nourrie par les évolutions sociétales ?

Annoncée comme une étape-clef, voire une révolution, du quinquennat finissant d’Emmanuel Macron, la suppression de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) a bousculé nombre de futurs et anciens élèves d’une institution fondée en 1945 avec pour objectif de former les hauts-fonctionnaires de la République. Rapidement accusée d’être une fabrique à élite administrative, l’ENA a agrégé autour d’elle ses partisans et ses détracteurs (leparisien.fr : https://www.leparisien.fr/politique). Ces-derniers, de plus en plus nombreux au fil des années, se sont essentiellement retrouvés dans le mouvement des Gilets Jaunes, pourfendeurs d’une institution coupable à leurs yeux d’être totalement déconnectée de la réalité sociale et économique du pays. Dans le même temps, toujours plus taxée d’élitisme, l’ENA, qui finit par compter parmi les plus prestigieuses institutions de la nation avec l’Ecole Normale Supérieure, l’Ecole Polytechnique, l’Ecole de la Magistrature, l’Ecole du Haut-Commissariat de la Marine, l’Ecole des Mines Paris-Tech et d’autres, s’est progressivement vue reprochée de s’éloigner dans son recrutement des classes moyennes, en contradiction avec les valeurs de la République que celle-ci devait, par essence, servir.

Utilité et arcanes

Formant des hauts-fonctionnaires aux compétences unanimement et mondialement reconnues, l’ENA a lentement vu son image se dégrader au sein d’une population qui, tout en reconnaissant son utilité intrinsèque, ne parvenait plus à adhérer aux logiques développées par ceux qui en sortaient, tout au service de la nation et de l’intérêt général qu’ils fussent. Cette fabrique à élite, devenue illisible pour une majorité de Français, nourrissait à son endroit doutes et méfiance. Pour autant, plusieurs questions se posent désormais alors que l’ENA se meurt et que se dresse fièrement le prochain Institut du service public appelé à la remplacer dans la forme certes, certainement pas dans le fond. Première des questions, l’ENA formait-elle réellement des élites ? Si chacun peut apporter sa propre réponse, il semble évident que formés aux rouages et arcanes du fonctionnement de l’État, celles et ceux qui en sortaient se distinguaient par une connaissance aigue des mécaniques administratives complexes qui prévalent en France, connaissance qui, avouons-le, échappe à nombre d’entre nous. En cela, l’ENA formait d’évidence des élites. Non pas sociale mais d’abord intellectuelle qui, de par leur fonction, devenaient sociologiquement des élites. Autre reproche formulé à l’endroit de l’institution, l’entre soi de son recrutement. Forte d’un concours d’entrée des plus exigeants, l’ENA a pris le partie de ne sélectionner que ceux qu’elle considérait comme les plus aptes à remplir les fonctions que l’État proposait. (lepoint.fr : https://www.lepoint.fr/debats)

Collectivité et certitude

Là encore taxée d’élitisme, mais pouvait-il en être autrement, l’Ecole Nationale d’Administration, s’est bornée à former les futurs serviteurs de la collectivité plus souvent enfermés dans les bureaux des ministères ou des préfectures que dans les préfabriqués posés en bordure des chantiers d’autoroutes ou des ouvrages d’art en construction. Globalement, il apparaît que la stigmatisation des élites issues de l’ENA, tout comme d’autres grandes institutions républicaines dédiées à la formation des serviteurs de l’État, renvoie aussi à la perception de ce qu’est une élite, comment celle-ci naît et perdure dans le temps. En période troublée, à l’image de celle que la planète traverse, les élites, du moins ceux considérés comme en faisant partie, représentent à leur corps défendant une forme de caste prétendue protégée des aléas du quotidien et exemptée des rigueurs du quotidien. Fondée ou non, cette certitude, renforcée par la technocratisation d’un Etat ancien, reste encore durement ancrée dans nombre de mentalités. Les années passant et les crises, de quelques natures qu’elles soient avec, il est fort probable que la question des élites ainsi schématiquement résumée, soit régulièrement convoquée. Non pas pour les accuser d’énièmes maux mais peut-être pour expier les inquiétudes et les angoisses de populations en mal de réponses et en quête de responsables, avérés ou non.

Gouverner ou partager ?

Accusé d’autoritarisme dans sa gestion de la crise sanitaire, le Président de la République est confronté à une vague d’irritation montante au regard des méthodes employées. Mais la Constitution ne se prête-t-elle pas à un exercice péremptoire et solitaire du pouvoir ?

Il a été dit et écrit beaucoup de choses sur l’art de gouverner. Or, si le pouvoir, élément consubstantiel à l’art de gouverner, fascine, celui-ci peut aussi irriter. Et c’est souvent dans les périodes de crise que cet agacement atteint son paroxysme. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/politique) L’épidémie de coronavirus, qui semble ne jamais donner de signes de faiblesse, a ainsi tendance à attiser les passions qui se déchaînent depuis plusieurs semaines contre l’exécutif français. Clairement, le Président de la République, se voit régulièrement accusé d’autoritarisme, voire de pouvoir personnel. Les faits confirment peut-être cette réalité mais seule l’Histoire saura dire si ce sentiment est fondé ou fantasmé. Pour autant, et afin d’être complet, essayer à tout le moins, sur la réflexion ou l’analyse d’une possible dérive personnelle du pouvoir, il n’est pas interdit de regarder la Constitution et l’histoire de cette dernière, éclairante sur les reproches formulés contre l’exécutif.

Oripeaux et sentences

La Cinquième République, celle qui depuis 1958, préside aux destinées de la France, a été rédigée et conçue dans une optique de pouvoir non pas exclusivement personnel, mais concentré sur un seul homme, le Président de République. Souvent vilipendée pour son caractère officieusement monarchique et habillée d’oripeaux républicains, la Vème République n’en reste pas moins le régime qui à ce jour, avec la IIIème République, a duré le plus longtemps. Parallèlement à cela, elle confère au premier d’entre nous, à savoir le Président de la République, un pouvoir décisionnel unique et un ensemble de responsabilités qui l’est tout autant indépendamment du poids que ces dernières génèrent. Pour autant, la question qui peut se poser à ce jour est la suivante : Au regard de la situation actuelle, le Président de la République peut-il décider tout seul ? A la lecture de la Constitution, rien ne l’empêche. D’aucuns arguent cependant que la multiplication des Conseils de défense, forme de messes péremptoires où sont assénées les sentences présidentielles, illustrent cette dérive personnelle devenue pour certains insupportables. Mais cette même dérive, considérée comme telle, réelle ou supposée, est-elle mal vécue parce que la situation sanitaire impose l’annonce fréquente et répétée de décisions présidentielles, donc d’essence conjoncturelle ; ou est-elle, plus simplement, structurelle, auquel cas une crise de régime semblerait se dessiner ? La question ne peut appeler de réponse tranchée sauf si celle-ci s’inscrit dans une logique purement électoraliste visant à stigmatiser les institutions et son premier représentant, quel qu’il soit. (franceinter.fr : https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-22-septembre-2020

Equilibre et rigidité

Accusé d’autoritarisme, le Président de la République, pourrait aussi, en multipliant les consultations à foison, en prenant le temps de la réflexion, être accusé de ne pas respecter l’esprit des institutions qui appellent à une prise de décisions franches et nettes. L’équilibre est donc précaire et périlleux car s’affrontent deux réalités diamétralement opposées et d’essence qui le sont tout autant : un cadre constitutionnel défini et une crise sanitaire sans précédent. Concilier les deux relève, ici ou ailleurs, de la gageure. In fine, il apparaît en filigrane que le coupable de l’irritation montante, liée à la privation de libertés, à la succession de mesures toujours plus contraignantes toutes incarnées par un seul homme qui en décide les contours et l’application, trouve peut-être plus son origine dans la raideur et la rigidité de nos institutions que dans celui qui les applique. Certes ces dernières pourraient être engagées de manière plus souple, de sorte à limiter tout conflit, et cette méthode revient à celui qui en a la charge nonobstant son appréhension personnelle de l’exercice. Mais la crise sanitaire qui finira par s’éteindre, doit aussi être l’anti-chambre d’une réflexion à porter sur nos institutions, sur le caractère que nous souhaitons leur donner et surtout sur les méthodes à employer pour l’appliquer au mieux dans une logique de concorde républicaine.