Un vol républicain

Vol républicain
La médiocrité, voire l’absurdité anti-républicaine, des programmes proposés par les candidats pourrait faire naître un sentiment de vol électoral.

Entre confiance trahie et programmes superficiels, la France s’apprête à choisir un nouveau Président de la République alors que pointe le sentiment d’un scrutin volé où l’ambition personnelle se dispute avec l’intérêt général.

A quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, rien ne semble annoncer que la France se prépare à choisir un nouveau Président de la République. Certes les candidats en présence multiplient les réunions publiques entre deux débats télévisés, plutôt soporifiques au demeurant, mais à part cela, rares sont ceux à éprouver cette forme d’agitation passionnée qui tendrait à monter au sein de l’opinion. Et pour cause, les Français dans leur grande majorité apparaissent comme blasés, presque résignés à choisir le nouveau locataire de l’Elysée. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation : Inadéquation de l’offre politique, pléthore de candidats, incapacité de ces derniers à cerner et à percevoir les attentes réelles ou supposées des Français,….la liste est longue. Mais au-delà de ce constat, une autre réalité pourrait poindre, réalité qui s’exprimerait par le sentiment diffus que les électeurs sont sur le point de se faire voler le scrutin à venir. Comment ? Une explication s’impose et réside dans l’offre politique citée ci-dessus tout comme dans la faiblesse des programmes proposées, quand ces derniers ne relèvent pas du fantasme identitaire totalement irréaliste.

Bas coût et médiocrité

Ainsi, épuisée par des années d’inertie où l’ambition personnelle à lentement pris le pas sur l’intérêt général, de manière consciente ou inconsciente, la classe politique française, en mal de renouvellement mais forcée malgré elle d’y consentir, a accouché d’une forme de proposition politique générale à bas coût, médiocre et passablement superficielle. Certes les programmes des candidats inscrits dans le cadre des principes de la République méritent d’être écoutés, mais ces mêmes programmes ne sont pas en mesure d’insuffler l’espoir et l’envie de changement que réclame un électorat fatigué, voire écoeuré par un discours politique global apparemment hermétique à la gronde populaire. Ce sentiment de spoliation pourrait aussi être renforcé par l’idée que les institutions de la Cinquième République, qui consacrent l’homme providentiel, mèneront à l’Elysée un homme ou une femme qui en aucun cas ne sera institutionnellement remis en cause si sa politique devait être un échec, a fortiori si celle-ci ne parvenait pas à accoucher rapidement de résultats probants.

Le meilleur ou le moins mauvais ?

A l’arrivée, et alors que le France comme tant d’autres pays au Monde s’interroge sur son avenir et sa capacité à affronter les défis qui l’attendent, notamment sur le plan environnemental et économique, les deux pouvant s’avérer bien plus intrinsèquement liés que l’on ne l’imagine, les Français se retrouvent dans une situation politique inédite : des candidats rendus quasi-transparents en raison non seulement de la faiblesse ou de l’absurdité complète de leurs programmes respectifs mais aussi en raison d’une érosion quasi-totale de la confiance accordée aux institutions nées en 1958. Le passage du septennat au quinquennat, qui aurait pu régénérer la Constitution n’a finalement pas modifié en profondeur le fonctionnement de notre démocratie, tout au plus accéléré son rythme sans en modifier le fond. Dès lors et à moins de trente jours de l’élection présidentielle, le pays se retrouve dans une situation inédite qui le pousse à se demander, non pas quel sera le meilleur candidat mais quel sera le moins mauvais pour assurer le relève de François Hollande. Questions lourdes quand on sait que l’élection à venir est certainement une des plus lourdes de sens que le pays n’a jamais eu à affronter tant les défis proposés se révèlent herculéens.

L’Europe avant tout

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En reconduisant la majorité sortante, les Néerlandais ont aussi affirmé leur attachement à l’Union européenne contre le populisme exclusif de Geert Wilders;

Les élections législatives néerlandaises n’ont pas donné lieu au cataclysme annoncé au point de s’interroger sur les capacités mobilisatrices du populisme défendu par Geert Wilders. Et si l’échec de celui-ci résidait dans un puissant sentiment pro-européen. Explication.

Annoncés comme catastrophiques, voire cataclysmiques, les résultats des élections législatives néerlandaises ont finalement laissé nombre d’analystes politiques désemparés. Non que ces derniers aient souhaité la victoire du populiste Geert Wilders, loin s’en faut, mais les sondages (encore eux…!) qui ont précédé le scrutin annonçaient le chef de file de la droite ultra-conservatrice et nationaliste vainqueur de la consultation électorale d’où les interrogations de ces mêmes analystes aujourd’hui bien en peine de trouver une raison ou un ensemble de raisons qui pourraient expliquer ces résultats. Pour autant, s’il est naturellement très difficile de dresser le panorama des motivations qui ont animé les électeurs néerlandais, il n’est pas interdit de s’intéresser au mouvement de Geert Wilders et aux carences intrinsèques du discours qu’il défend encore aujourd’hui. Premier constat à s’imposer : l’incapacité avérée, aux Pays-Bas en tous cas, pour le parti populiste et islamophobe de fédérer autour de lui un électorat suffisamment dense pour accéder à la charge suprême.

Aventure populiste

Prise de conscience, mobilisation des élites sociales peut-être plus éclairées sur la réalité du discours xénophobe, retour à un vote conservateur modéré pour des électeurs tentés en temps par l’aventure populiste,…Autant d’éléments qui concourent à la défaite de Geert Wilders et d’un discours somme toute limité aux solutions simplistes ou absurdes. Autre point à ne pas négliger, la volonté pour une majorité de Néerlandais d’affirmer ou de réaffirmer par ce vote leur attachement à l’Union européenne. Car ne l’oublions pas, les Pays-Bas, pays de tolérance par excellence qui s’est construit sur les prospères Provinces Unies, font parties des pays fondateurs de l’Union européenne. Et l’accession de Geert Wilders au poste de Premier ministre aurait certainement précipité les Pays-Bas dans une crise profonde vis-à-vis de l’Europe et de ses pays membres et surtout fondateurs. Est-ce à dire qu’en dépit des difficultés économiques, certes moins lourdes que celles que traversent la France, l’Italie ou la Belgique le sentiment européen a pris le dessus sur l’euroscepticisme qui prévaut dans nombre de pays et à même de nourrir les discours extrémistes ? Il n’est pas interdit de le penser car in fine, l’idée d’Europe est d’abord celle d’un continent uni autour de valeurs fondamentales communes que sont la tolérance et l’humanisme. Autant de contre valeurs pour les populistes de tous horizons.

Sentiment d’appartenance

Que donc retenir de ce scrutin néerlandais ? Que l’extrême droite y a échoué ? Non. Il serait excessif de le penser car les résultats affichés par le parti de Geert Wilders sèment le trouble sur le paysage politique néerlandais, faisant de sa formation politique un parti à part entière, réellement impliqué dans la vie politique locale, tout comme l’est le Front National en France. Impliqués certes mais freinés lors des scrutins électoraux majeurs, ceux qui déterminent les orientations d’un pays. Or le populisme, ou plus exactement les populismes européens, qui tentent sans réel succès à ce jour de se fédérer en une sorte de mouvement commun, semblent encore se heurter au sentiment général d’appartenance à un ensemble européen commun, à une destinée transfrontalière, certes servie par des institutions jugées imparfaites, mais qui transcendent les courants politiques ou les orientations que chaque pays peut être amener à imprimer à son pays. Les menaces que font peser les partis xénophobes ou ultra-nationalistes n’en restent pas moins prégnantes et doivent être appréhendées avec justesse et gravité car seules des nations unies et conscientes de leur destin commun seront en mesure de les contenir pour enfin les annihiler.

Le populisme banalisé

Erdogan
Recep Erdogan incarne un populisme assumé, agressif et prompt à la polémique.

La banalisation du populisme, aidée par l’inertie d’une sphère politique républicaine impuissante et électoraliste, expose les sociétés contemporaines à une décadence lourde de conséquences. A moins que la chute n’ait déjà commencée ?

Que ce soit en Grande-Bretagne, avec le vote pro-brexit, en Turquie avec les propos tempétueux de Recep Tayyip Erdogan, en France avec les provocations anti-démocratiques permanentes de Marine Le Pen, et naturellement de Donald Trump aux Etats-Unis, n’assisterions-nous pas à une forme de banalisation du populisme ? Question rhétorique qui n’appelle aucune réponse si ce n’est une explication post-constat, explication qui ne sera ici que partielle tant le phénomène reste complexe. Longtemps ostracisé du discours politique, tendance qui a d’ailleurs nourri une partie de sa croissance, le populisme a aujourd’hui pignon sur rue au point d’occuper le pouvoir au sein de places fortes européennes. En Grande-Bretagne, même si Theresa May n’est pas une populiste au sens strict du terme, sa présence au 10 Downing Street est le fruit d’un vote populiste et anti-européen ; en Turquie, Recep Erdogan, qui rêve de rendre à la Istamboul la grandeur et l’influence perdue de l’Empire ottoman, multiplie les interventions tapageuses (les dernières en date accusant les Pays-Bas et l’Allemagne de pratiques nazies – voir l’article sur lemonde.fr : Meetings turcs annulés en Allemagne : Erdogan évoque des « pratiques nazies »  ) en renforçant cette impression de populisme assumé et vindicatif ; Aux Etats-Unis, le slogan de campagne de Donald Trump (L’Amérique d’abord) est similaire à la politique menée par le président turc ; et en France, la menace que fait peser l’extrême droite sur la prochaine élection présidentielle est loin d’être négligeable tant et si bien que désormais de nombreux analystes se demandent qui Marine Le Pen affrontera au second tour du scrutin. Et la liste est encore longue…

Médiocrité et désillusion

Cette banalisation du populisme, cette pratique politique qui consiste à flatter, à coups de sophisme grossier, les bas instincts et les intérêts du peuple afin que ceux qui le développent puissent accéder au pouvoir, a souvent fait florès dans l’Histoire pour cependant être souvent contenue par des discours républicains prompts à ramener à la raison un électorat perdu et déboussolé. Pour autant, aujourd’hui, rien ne semble plus arrêter les discours cités précédemment : la désillusion croissante de certaines franges de la population, qu’elle soit européenne ou américaine, s’est incarnée dans des figures politiques longtemps enfermées dans une médiocrité circonscrite par un ensemble de discours pondérés et mesurés. Débordée pour de multiples raisons, notamment liées à son impuissance à résoudre la crise économique et sociale qui traverse nos sociétés contemporaines, la sphère politique républicaine a ainsi laissé le champ libre à une logorrhée haineuse essentiellement venue d’extrême-droite. Assidue à dénoncer les travers de systèmes politiques qualifiés d’imparfaits et de sociétés psychologiquement épuisées, sans pour autant proposer un ensemble de solutions viables, fiables et surtout moralement acceptables, l’extrême-droite et son discours populiste ont rongé les démocraties contemporaines avec l’assentiment tacite de partis républicains qui ont utilisé cette progression comme un argument électoral et non comme une menace pour la démocratie.

Porosité

Erreur tactique qui s’est finalement retournée contre leurs auteurs et qui s’est révélée d’autant plus lourde de conséquences que ce même populisme a, parallèlement, crû de manière autonome en prospérant sur le désespoir social. Mais le schéma conventionnel qui alliait jusqu’alors extrême-droite et populisme est lui aussi en passe d’être dépassé, confirmant la banalisation de ce même populisme. Dire que Theresa May est d’extrême-droite est faux et excessif, idem pour Donald Trump et Recep Erdogan mais les discours tenus pas les uns et les autres les renvoient tour à tour dans un univers à la porosité affichée avec l’extrême-droite, celle-ci n’hésitant pas en s’en réclamer quand les premiers ne condamnent en rien les propos des seconds. Ne serait-ce pas le signe d’une banalisation acquise et consommée d’un discours politique désormais partie intégrante de nos sociétés ? Le signe d’une décadence amorcée sans possibilité de la freiner ? C’est aujourd’hui à craindre car pour reprendre le titre d’une des chansons de Serge Reggiani, les loups sont entrés dans la Paris, à la différence qu’aujourd’hui les loups se sont grimés en moutons mais ils restent des loups.