La révolution et le robinet

En dépassant toutes les considérations politiques et économiques, la question de la gestion de l’eau renvoie l’Humanité à l’essence même de sa survie dans un contexte impérieux d’économie et de partage de la ressource. Mais qui y est réelement prêt ?

Les deux conceptions de l’utilisation de l’eau qui se sont physiquement affrontées dans les Deux-Sèvres samedi 25 mars démontrent toute la complexité de la question qui va opposer partisans et détracteurs des méga-bassines et plus largement de l’utilisation de l’eau en qualité de bien commun. Objectivement, il apparaît que chaque partie avance des arguments valables et crédibles. Pour les premiers, l’inutilité inique de conserver de telle quantité d’eau quand celle-ci vient à manquer ; pour les seconds, la nécessité de maintenir ce système de retenues d’eau afin de servir une agriculture productiviste sollicitée pour nourrir l’Humanité. Et en filigrane émerge la nécessité, mainte fois répétée, de changer nos habitudes et modes de consommation d’eau. Certes. La formule fait florès au point d’être sur toutes les lèvres et d’être devenue une expression fourre-tout brandie comme un glaive rédempteur. Mais que signifie réellement de changer de mode consommation d’eau ? Réduire le temps de nos douches ? Réduire la capacité des chasses d’eau ? Opter pour une agriculture moins consommatrice ? Développer des plantes moins gourmandes,…

Accès à l’eau

Les solutions ne manquent pas mais il convient surtout peut-être d’accepter le fait qu’à besoins constants, voire croissants, en eau, l’Humanité, dont les effectifs augmentent au fil des siècles (la population mondiale est estimée à 9,7 milliards d’habitants en 2050) est confrontée à la raréfaction drastique de l’eau. Au regard de ce constat, changer de mode de consommation signifierait surtout révolutionner nos sociétés contemporaines de sorte que toute l’Humanité est accès à l’eau* et que ceux qui en profitent largement apprennent à l’économiser. En théorie, le défi est relevable. Mais ancré dans des cycles économiques anciens sur lesquels reposent la prospérité de nombreuses sociétés, il est peu probable que la révolution attendue éclate un jour. Et à défaut de révolution consentie à l’échelle globale, c’est surtout une crise de subsistance mondiale qui risque de déchirer une Humanité obligée de survivre dans un contexte de partage imposé de la ressource. Que choisir dans cette optique entre irriguer un champ de blé et satisfaire les besoins essentiels en eau d’un ménage lambda (Hygiène et alimentation) ? La question se révélera vite cornélienne. Elle pourrait certes dans un premier temps être réglée financièrement via un quelconque dispositif de compensation mais à terme ? Quand ne coulera l’eau plus l’eau du robinet dans la cuisine mais que sera irrigué le champ de la maïs qui jouxte la demeure, où sera la priorité, qui sera en mesure de la poser et de l’expliquer ? La question de l’eau dépasse donc toutes les considérations politiques, industrielles, économiques et nationales qui ont prévalu jusqu’alors mais qui continuent cependant à rythmer notre rapport à l’utilisation de cette dernière. Car peut-être pour la première fois de son existence, l’Humanité est confrontée à une question sans réponse.

Note : *Près de 2,2 milliards de personnes ne disposent pas de services d’alimentation en eau potable gérés en toute sécurité*, 4,2 milliards sont privés de services d’assainissement gérés en toute sécurité et 3 milliards ne possèdent même pas d’installations de base pour se laver les mains

Du point mort à la sixième ?

Le recours par le Gouvernement à l’article 49.3 afin d’adopter la réforme des retraites met en évidence les limites constitutionnelles d’une République désormais inadaptée aux attentes des citoyens. D’une crise politique, la France est passée à une crise de régime.

Qu’elle soit jugée injuste et inique, le jugement que l’on peut porter sur la réforme des retraites appartient désormais au passé. Pour autant, la tension qu’elle a créé par son contenu a désormais été remplacée par la manière dont elle a été adoptée en vue de son inscription au Journal officiel dans les jours à venir. Ainsi, en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution qui permet au Gouvernement de s’affranchir du vote de la Représentation nationale, ce dernier a escamoté non seulement l’un des fondements essentiels de la démocratie, à savoir le vote des députés, mais aussi terni un plus l’image de la Vème République qui prouve, ici plus que jamais, son inadéquation avec la structure sociale de la France du XXIème siècle.

Réalités et décalages

Là encore, le recours à l’Histoire s’avère utile et éclairant. Conçue en 1958 afin de stabiliser la vie politique d’un pays déchiré par une succession sans fin de cabinets ministériels, la Vème République s’appuyait sur une société française soucieuse d’équilibre et de quiétude, écœurée de débats politiciens stériles, et alors que se dessinaient les grandes heures des Trente Glorieuses. Mais soixante-cinq ans plus tard, alors que la France, est entrée comme bien d’autres pays, dans l’ère post-industrielle et post-moderne, il s’avère que la constitution de 1958 ne répond plus aux attentes de citoyens. Pourquoi ? Car les électeurs, quels qu’ils soient, sont désormais soucieux du fait que leurs voix soient entendues et prises en compte et ce dans leur immense diversité. Certes, le passage en force opéré par le Gouvernement peut traduire de nombreuses réalités : isolement politique, faiblesses structurelles de la loi, fragilité de la majorité et de ses alliés, tensions au sein même de la majorité. Mais avant d’être un quelconque témoin de réalités fondées ou fantasmées, il est surtout un outil dépassé dans une démocratie qui se veut moderne et modèle. La Constitution de la Vème République, voulue à l’image du Général de Gaulle, figure tutélaire d’une nation humiliée en 1940 en quête de reconnaissance et de renaissance à l’orée des années soixante, ne correspond plus d’évidence au schéma social et politique de la France d’aujourd’hui. Et l’article 49.3, véritable outil anti-démocratique, imaginé afin de s’exonérer des hésitations et des atermoiements de la représentation nationale jugée passionnée et versatile, incarne à lui seul le décalage qui existe entre Gouvernement et volonté citoyenne. A l’heure où circulent sans frein et sans barrière la parole et les idées sur les réseaux sociaux, où le débat, pertinent ou pas, s’invite sur la Toile pour rejaillir dans la sphère publique, et alors que le paysage politique se morcelle toujours un peu plus, il apparaît comme presque naturel de repenser notre démocratie. Car d’une crise politique, la réforme des retraites adoptée au forceps, nous sommes passés à une crise de régime, lourde et périlleuse, à même d’interroger sur le devenir de nos institutions. Et se pose désormais une question simple : la Vème République doit-elle céder la place à la Sixième qui dés lors évacuerait l’article 49 ou doit-elle encore s’enliser dans le risque de nouvelles crises de régime ?

Du travail ! Mais pour quoi ?

Si la mobilisation contre la réforme des retraites ne faiblit pas, celle-ci pose aussi en filigrane le rapport que la société entretient avec la valeur travail et plus largement au sens donné à celle-ci ainsi qu’au travail en tant que tel.

Dire que l’opposition née de la réforme des retraites voulue par le Gouvernement est le fruit d’un rapport d’aliénation des Français au travail est devenu un lieu commun. Si bien qu’aujourd’hui d’autres raisons tendent à expliquer les tensions qui entourent la réforme actuellement examinée par le Sénat avant de retourner devant l’Assemblée nationale pour le vote d’adoption ou de rejet. Ces raisons liées à la volonté des salariés de pouvoir profiter de leur vieillesse et plus globalement de s’affranchir de toutes les obligations professionnelles sont naturellement légitimes et parfaitement audibles. Pour autant, elles occultent peut-être la raison ultime, à savoir que, aliénant, le travail est aujourd’hui devenu pour beaucoup une souffrance tant à la fois physique que psychologique. Nerveusement épuisant ou physiquement exigeant, le travail est désormais subi et non vécu, à des degrés divers selon le secteur d’activité dans lequel l’on évolue mais celui-ci reste malgré tout source de mal-être plus que de bonheur.

Démographie et compétition

Ainsi, nombreux sont celles et ceux à s’interroger sur la valeur travail, à savoir ce que le travail apporte, indépendamment de l’aspect financier, socialement et humainement au regard des concessions que celui-ci impose. Autre questionnement, implicite aussi, le sens que chacun cherche dans son travail ou le sens, en tant que tel, du travail effectué. Le sujet, qui relève plus de la sociologie et de la psychologie, que d’un argument démographique, à la valeur technique pour ce-dernier, franchit rapidement les frontières du débat classique et éculé posé par l’envie de profiter de sa vieillesse ou de s’exonérer des obligations professionnelles. Car comme toute société, le travail a aussi évolué et mûri au fil des siècles. La perception de celui-ci n’est plus nécessairement la même que celle qui prévalait il y a cinquante ou quarante ans. Devenu souffrance, espace de compétition psychologiquement éprouvant, soumis à des cycles économiques où alternent plein emploi et chômage de masse, le travail est quasiment devenu le meilleur ennemi des salariés. Indispensable économiquement et financièrement, le travail s’avère aussi cruel et cannibale tant il est capable d’engloutir des individus contraints de s’y plier pour assurer leur survie. Naturellement, une analyse plus fine des détracteurs de la réforme prouve que ce sont les catégories les plus exposées et les plus fragiles qui dénoncent en majorité le recul de l’âge de la retraite. Il serait difficile de les blâmer mais elles restent aussi un témoin de la nécessité de repenser le travail pour les années à venir. Doit-il rester un vecteur de survie économique ou doit-il se muer en vecteur de lien social ? Mais dans une société mondialisée où le libéralisme s’est imposé sans coup férir, imaginer une telle mutation reviendrait à changer non seulement la vocation première du travail mais aussi de modèle économique mondial. Et qui est prêt à cela ?