Les mots du lendemain

L’escalade diplomatique et militaire engagée par Vladimir Poutine traduit tout le mépris de l’homme pour les principes démocratiques défendus par l’Occident mais pousse aussi à s’interroger sur la nature des relations qu’il conviendra d’entretenir avec lui à l’avenir.

En annonçant mettre en alerte la force de dissuasion, qui comprend une composante nucléaire, Vladimir Poutine ouvre la voie à un nouveau discours sans ambiguïté. Lui qui dans une rhétorique paranoïaque s’en prend physiquement à l’Ukraine, puis à l’OTAN, aux Etats-Unis et à l’ensemble du bloc occidental pour justifier son action militaire, pose désormais la question essentielle des relations que l’Occident devra entretenir à l’avenir avec sa personne. Et ne nous y trompons pas. Déjà complexes et compliquées, les relations avec Vladimir Poutine seront, une fois le conflit achevé, et il est à souhaiter que cela soit dans les meilleurs délais et quelle qu’en soit l’issue, rendues quasiment impossibles. Plusieurs raisons l’expliquent. Ainsi, si le conflit avec l’Ukraine se soldait par une victoire ukrainienne, l’agressivité de Poutine n’en serait certainement que décuplée et pousserait les relations internationales dans des limites qui frôleraient, si elles ne le franchissent pas, l’impensable. Si le conflit ukrainien se soldait par une victoire de la Russie, il est fort probable que l’appétit de Poutine ne se limiterait pas à la seule Ukraine. Affirmer que le monde est aujourd’hui embarqué dans une crise majeure qui met en péril la paix de la planète n’est en rien exagérée. Les relations diplomatiques actuelles, où se mêlent intérêts économiques aigus et volonté de puissance, offrent un terreau favorable à ce scénario catastrophe. Si Vladimir Poutine vit dans l’espoir de reconstituer l’ancien empire russe, celui qui prévalait au XIXème siècle, fruit des conquêtes tsaristes, la Chine entretient elle aussi l’idée, via l’annexion un jour prochain de Taiwan, de faire renaître l’empire du Milieu, pierre angulaire de l’Asie passée. Et que dire de la Turquie d’Erdogan, prit dans le fantasme de la renaissance de l’Empire Ottoman.

Frustration et succès démocratique

Quid donc des relations à venir avec Vladimir Poutine ? Teintées de chantage permanent, de tensions récurrentes et de concessions territoriales, le tout placé sous le sceau de dissuasion nucléaire à même de paralyser toute décision ou, au contraire, faite de fermeté appuyée par un dispositif militaire équivalent qui renverrait Russie et Occident aux plus grandes heures de la Guerre Froide ? Sauf que si la Guerre Froide résultait d’une opposition politique, celle-ci n’était pas empreinte de détestation mutuelle. Ce qui différencie la Guerre Froide de la situation actuelle est le profond mépris, voire plus, que Vladimir Poutine nourrit à l’endroit du monde occidental. Dans un délire, le mot n’est pas erroné, qui lui est propre Vladimir Poutine déverse un torrent de frustration contre un Occident jugé à l’origine de tous les maux de la Russie contemporaine. Le succès démocratique des anciens pays satellites de l’URSS, excepté la Hongrie, heurte un individu convaincu que l’autoritarisme est la seule matrice sociale possible pour administrer un Etat. Comment alors envisager un discours serein et équilibré avec un tel individu ? La réponse réside certainement dans la question. En mobilisant le dispositif de dissuasion au prétexte que les sanctions atteignant son tissu économique et financier prises à son endroit sont illégitimes, Vladimir Poutine espère faire fléchir des Occidentaux jugés faibles et apathiques, voire désinvoltes pendant près de trente ans de relations diplomatiques avec la Russie.

Une bête acculée

Autre aspect des relations à venir, la nécessité qui s’imposera de réintégrer la Russie dans le champ de la sécurité en Europe et dans le monde en général. Les négociations entamées avec Emmanuel Macron puis l’accord de Joe Biden d’organiser une rencontre sur le sujet allaient dans le sens de cette réintégration. En forçant les frontières de l’Ukraine, en bafouant le droit international qui reconnaît à chaque Etat de consentir aux alliances qui lui sied, Vladimir Poutine a balayé ces efforts, préférant une reconnaissance par la force que par la négociation. Comment donc à nouveau entamer un processus de négociations alors que se ferment une à une les portes des Etats qui étaient prêts à échanger. Devenu un paria mondial, ne pouvant compter que du bout des doigts sur la Chine, elle-même préoccupée par la sauvegarde de la confiance de ses alliées économiques que sont les Etats-Unis et l’Europe occidentale, Vladimir Poutine est sur le point de se retrouver seul contre le monde entier. Alors, d’aucuns d’espérer une réaction interne, une révolution russe 2.0 qui exclurait Poutine du jeu politique national…Mais y a-t-il en Russie l’espace et la volonté pour ? Si c’est le cas, la lutte sera longue et douloureuse car déjà banni de la communauté internationale, Poutine pourrait se révéler monstrueusement diabolique. Car il n’y a rien de pire qu’une bête acculée… !

Quand Wagner fait chanter l’Europe

L’annonce du retrait des forces françaises du Mali dans le cadre de l’opération Barkhane ouvre la voie à la progression du groupe Wagner, entité paramilitaire russe, prompte à endosser le costume de rempart contre le terrorisme sahélien. Au grand dam des Européens ?

Si les prochaines semaines, vraisemblablement les prochains jours, devraient, la prudence s’impose, voir les forces russes stationnées à proximité de la frontière ukrainienne retourner dans leurs bases d’origine, ce retrait ne marquerait pas pour autant l’arrêt de l’influence et de la pression russes. Conscient des enjeux stratégiques en Europe orientale, d’où l’actuelle situation, Vladimir Poutine sait aussi que le jeu diplomatique visant à conférer à la Russie la place dans le concert des nations que lui estime juste ne se borne pas à la présence de forces militaires sur la seule Europe mais sur d’autres continents. Implantée depuis plusieurs mois en Afrique de l’Ouest, habituellement aire d’influence de la France, la force Wagner, composée de militaires russes officiellement détachés de Moscou, tend à s’imposer comme le recours sécuritaire recherché par certains pays de la zone, en particulier le Mali. Secoué en 2020 et 2021 par deux coups d’État qui ont mis au pouvoir une junte militaire peu amène avec les forces françaises de l’opération Barkhane initiée en 2013 par François Hollande puis relayée par la force Takuba créée en 2020 par Emmanuel Macron, le Mali cherche désormais ouvertement à se défaire de la présence de l’ancienne puissance colonisatrice jugée encombrante et source de maux. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/afrique/article/)

Concurrent et omniprésence

Cette position qui a précipité et acté la fin de l’opération Barkhane n’est pas pour déplaire à Moscou qui se retrouve ainsi implantée dans un pays et une région sensibles sans concurrent réel. L’opportunité d’asseoir la réputation de la Russie comme rempart au terrorisme djihadiste qui gangrène le Sahel pourrait donc être saisie sans coup férir par une Russie trop heureuse de jouer un rôle diplomatique tacite au sein d’un continent progressivement placé sous la férule de Pékin. Dans ce jeu de billard à trois bandes où s’affrontent à fleurets mouchetés Russie, Chine et France pour le contrôle du Sahel mais pour des motifs différents, la question de l’influence reste centrale. Si la Russie, via la force Wagner, (Tv5monde.com : https://information.tv5monde.com/video/) cherche à étendre l’aura de la Russie en Afrique afin de donner à Moscou un poids diplomatique plus lourd sur la scène internationale, la Chine y accroît elle sa présence à des fins essentiellement économiques elles aussi liées de manière sous-jacente à des motifs diplomatiques. Quant à la France, les motifs de sa présence au Mali et au Sahel en général étaient avant tout liés à la lutte contre la menace terroriste islamiste, la zone étant réputée pour abriter de nombreux individus aux intentions malveillantes. Ainsi, en déplaçant quelques troupes stationnées sur les bords de la frontière ukrainienne, Vladimir Poutine donne-t-il des gages de bonnes volontés sur le théâtre européen tout en regagnant espace et influence sur autre terrain miné, ici le Mali.

Dirigeant inspiré et Hydre de Lerne

En se plaçant au centre du jeu diplomatique mondial, déplaçant le centre de gravité de l’axe Washington / Pékin vers Moscou, en s’activant sur des zones périphériques aux enjeux stratégiques, Vladimir Poutine cherche à se présenter comme un dirigeant inspiré et conciliant en desserrant l’étau ukrainien tout en endossant le rôle de rempart contre le terroriste sahélien. Ce qui revêt tous les aspects d’une manoeuvre tactique à grande échelle peut aussi être analysé à travers le prisme de la circonstance heureuse : comprenant que le bourbier ukrainien revêtait plus de risques que d’avantages, Vladimir Poutine a peut-être opté pour une autre partition diplomatique à jouer articulée autour de l’Afrique, moins exposée géographiquement pour la Russie. Une certitude semble pour autant aujourd’hui s’imposer : l’homme du Kremlin, tout aussi vilipendé, honni ou détesté qu’il soit s’avère in fine un redoutable adversaire diplomatique, véritable Hydre de Lerne, que rien ne laisse trembler lorsqu’il s’agit de donner à la Russie la place que celui-ci entend lui attribuer.

La crise du Président

Si la crise ukrainienne semble encore loin d’une résolution à même de satisfaire tous les acteurs engagés, celle-ci s’offre en qualité de promontoire presque bienvenu à Emmanuel Macron qui peut y voir nombre d’avantages tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Explications.

En décidant d’aller à la rencontre de Vladimir Poutine afin de tenter de désamorcer la crise ukrainienne, le président de la République Emmanuel Macron a tenté, consciemment ou inconsciemment, d’atteindre quatre objectifs qui allient politique intérieure et politique extérieure. La pari, risqué, au moins pour le volet de la politique extérieure, ne pourra être jugé gagné que dans quelques mois, si le chef de l’État russe commence à retirer ses troupes stationnées à la frontière ukrainienne. (lacroix.com : https://www.la-croix.com/Debats/) Pour autant, le premier objectif qu’a vraisemblablement tenté d’atteindre le président française est de s’imposer, en France comme à l’étranger, comme un chef d’État influent, soucieux de l’équilibre des forces en Europe et garant de la sécurité de celle-ci. Dans une posture mitterrando-gaullienne, Emmanuel Macron a donc essayé de donner sens à son action internationale en se présentant comme un relais diplomatique majeur, presque unique, ce qui en période de campagne électorale présidentielle est toujours opportun.

Allemagne et Union européenne

Et de toucher ici le second objectif, à savoir celui de s’imposer au sein de l’Union européenne comme le chef de file de pays angoissés par les gesticulations guerrières de la Russie. En prenant à son compte les préoccupations continentales, damant ainsi le pion à l’Allemagne, puissant partenaire, souvent privilégié des Etats-Unis dans la résolution de crises diplomatiques en Europe, Emmanuel Macron s’est de fait octroyé le rôle longtemps dévolu à Angela Merkel, l’ex-chancelière allemande. Celle-ci partie, le président français a désormais le champ libre pour endosser le rôle informel de premier chef d’État européen tant dans le processus de construction européenne à venir que dans la résolution de la crise en cours. Troisième objectif, et non des moindres, donner par son action sa place à l’Union européenne dans la résolution du conflit potentiel. Longtemps dénigrée pour son immobilisme, sa faiblesse et son incapacité globale à faire face à des crises locales ou internationales sans l’aide des Etats-Unis, l’Europe politique trouve ici, et le président français avec elle, l’opportunité de s’imposer comme le premier acteur de la sécurité du continent, à raison dans la mesure où la crise actuelle se joue sur le continent européen.

Partenaire et cristallisation

Dernier élément, la possibilité pour Emmanuel Macron, sous couvert d’action guidée par la sécurité de continent, de devancer, voire remplacer, les Etats-Unis, en qualité de partenaire de négociations. La Russie, qui avait donné le sentiment de ne vouloir traiter qu’avec Washington, a trouvé dans Emmanuel Macron un diplomate auquel elle ne s’attendait pas, tout comme les Etats-Unis (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/international/). Par là même, le président français, qui n’a pas oublié le contrat des sous-marins australiens raflé par les Etats-Unis via le traité Aukus alliant le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis pour le contrôle de l’Asie-Pacifique (pourtant si loin du Donbass), cherche ainsi par la crise ukrainienne à aussi faire valoir la voix de la France en présentant cette dernière comme un acteur clef des relations internationales. Loin de se résoudre dans les jours qui viennent, la crise ukrainienne semble pourtant rebattre les cartes de la géopolitique mondiale en cristallisant la Russie comme source d’interrogations au regard de ses intentions futures, en donnant à l’Union européenne un potentiel embryon d’existence diplomatique et en renvoyant les Etats-Unis comme acteur de circonstance car inclus dans le traité de l’OTAN via lequel ces derniers peuvent encore se prévaloir d’une certaine influence sur la Russie.

Echec et…échec à Moscou

Confronté à une escalade militaire et diplomatique qu’il n’avait pas nécessairement envisagé, Vladimir Poutine, se sait désormais pris dans un engrenage dont il ne sortira pas vainqueur. Explications.

Dire que la tension monte entre la Russie et les puissances occidentales, Etats-Unis en tête, est un euphémisme. Ainsi, avec l’annonce du déploiement de 3000 militaires en soutien de l’OTAN en Europe de l’Est, Washington et Joe Biden posent-ils les bases d’un rapport de force amené à s’élever plus encore si Moscou répondait à ce déploiement par de nouvelles arrivées de troupes sur la frontières russo-ukrainienne. (lemonde.fr :https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/02/) La question qui émerge désormais, des plus légitimes, est donc de savoir quand la Russie franchira-t-elle le Rubicon diplomatique au risque de s’exposer aux gémonies de la communauté internationale ? Et l’hubris de Vladimir Poutine sera-t-il dompté par le réalisme pragmatique des Occidentaux ? Voilà aussi une interrogation pleine de sens. Or, le chef du Kremlin sait que pour exister à l’échelle mondiale et sur la scène internationale, la Russie a besoin de dépasser son statut de simple producteur de gaz et de pétrole. Et c’est d’ailleurs là que se trouve l’origine de l’agitation qui prévaut depuis le mois de novembre dernier sur la frontière ukrainienne, agitation ne servant finalement qu’à attester du poids militaire et diplomatique d’un pays marginalisé.

Réaction en chaîne et temporisation

Si l’Ukraine reste un objectif majeur pour Vladimir Poutine, arguant du fait que celle-ci s’inscrit de plain pied dans l’identité russe (bien que martyrisée par Staline entre 1932 et 1933), combattant l’idée que celle-ci puisse intégrer l’OTAN au risque de ramener le camp occidental à ses frontières, il apparaît aussi que toute tentative d’invasion de l’Ukraine se solderait par une réaction en chaîne dont Vladimir Poutine connaît les effets immédiats ou à moyens termes. Pourtant, pour pouvoir se targuer de cette légitimité internationale et enfin profiter des effets de la mondialisation dont la Russie à jusqu’alors été privée, pour enfin exister diplomatiquement, politiquement et économiquement Vladimir Poutine sait que l’invasion de l’Ukraine est essentielle pour la Russie. Pourtant, pris à son propre piège, dénonçant à des fins de victimisation l’hystérie de l’Occident devant les manœuvres russes à la frontière russo-ukrainienne, avançant l’idée que les Occidentaux n’ont pas compris les inquiétudes russes, ce à quoi rien ne les obligeait ceci dit, Vladimir Poutine joue désormais le jeu d’une forme de temporisation qui lui permet surtout à terme de ne pas perdre la partie d’échec engagée, espérant secrètement un match nul synonyme de statu quo (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/international/le-poker-de-poutine-face-a-l-occident-20220130). Conscient que l’invasion de l’Ukraine déchaînerait les foudres occidentales sur la Russie fragilisant possiblement sa position de chef de l’État russe, Vladimir Poutine appelle d’une demie-voix à une résolution pacifique en tous cas dialoguée.

Manipulation et fiasco

Sous-estimant la méfiance des Etats-Unis à l’endroit de la Russie et leur intérêt pour les frontières orientales de l’une de leur zone d’influence qu’est l’Europe occidentale, Vladimir Poutine ne pensait certainement pas que ses velléités à l’endroit de l’Ukraine provoqueraient une telle réaction. L’ancien espion du KGB, pourtant si habile dans les procédés de manipulation, a fait preuve d’un manque évident, consciemment ou inconsciemment, de discrétion dans ses manoeuvres visant à annexer l’Ukraine. L’analyse biaisée, voire obsolète, qui a été la sienne, considérant que l’Ukraine, trop éloignée des préoccupations des Etats-Unis se complaisant dans une forme d’isolationnisme non-dit, ne susciterait aucun intérêt de Washington, tout au plus une protestation de pure forme, s’est avérée fausse. Joe Biden, qui a dû en août dernier assumer le fiasco de l’évacuation des troupes et ressortissants américains en Afghanistan, sait aussi que les élections de mi-mandat à venir en 2022 pourraient être influencées par le résultat diplomatique de la crise ukrainienne, fut elle menée sous l’égide de l’OTAN. Pour avoir ainsi mal lu ou mal compris Alexis de Tocqueville (De la démocratie en Amérique), Vladimir Poutine n’a pas nécessairement retenu le fait que la politique étrangère des Etats est souvent commandée par la politique et les exigences intérieures de ces derniers.