Le réseau du plus fort

Des Gilets Jaunes à Bilal Hassani, les réseaux sociaux ont démontré toute leur puissance en relayant sans délai et dans l’anonymat le plus complet le message d’internautes soucieux de donner corps à leur voix.

Quel lien existe-il entre les Gilets Jaunes et Bilal Hassani, auteur-compositeur qui ira défendre la France lors du concours Eurovision de la chanson organisée cette année à Tel-Aviv, en Israël ? De prime abord, aucun. Et pourtant à y regarder de plus près, l’on s’aperçoit que ce qui unit les Gilets Jaunes et le héros de la contre-culture du XXIème siècle ce n’est pas la couleur approximativement approchante de la perruque du chanteur et des gilets fluorescents mais les réseaux sociaux. Plus précisément, la force et la puissance de ces derniers. Une explication s’impose. Sans réseaux sociaux, ni les Gilets jaunes, ni Bilal Hassani n’auraient pu accéder au rang de notoriété qui est le leur aujourd’hui. Bien des raisons l’expliquent. Agissant en dehors de toutes sphères contrôlables, les internautes, fervents pratiquant des réseaux, invisibles des sondeurs et échappant à toute manipulation politique et médiatique directe, sont ainsi parvenus à créer un espace d’influence d’échelle mondiale ne répondant à aucun des canons de la communication connus tout en faisant voler en éclats les prévisions établies, non sur la volatilité des réseaux, mais sur des réflexes ou des préjugés sociétaux désormais dépassés.

Médias et followers

La capacité de mobilisation des Gilets Jaunes tient avant tout à la puissance des réseaux sociaux qui par effet viral et contagieux parviennent à attirer à eux un ensemble de partisans, déclarés ou non, d’indécis à convaincre ou simples quidams séduit par la facilité du message à relayer via un média, internet, souple, rapide, immédiat et anonyme d’où l’impossible prévision qui entoure l’émergence des Gilets Jaunes. Raisonnement similaire en ce qui concerne Bilal Hassani. L’homme, inconnu de la sphère publique officielle qui s’affiche habituellement sur les chaînes de télévision ou d’informations en continu, est passé à travers les mailles du filet de la médiatisation classique mais pas de celle des réseaux sociaux. A coup de vidéos postées sur You Tube, de followers fidèles bien décidés à défendre leur poulain, Bilal Hassani a encore déjoué les pronostics les plus fiables, de ceux qui il y a encore dix ans auraient été considérés comme paroles d’Evangile au point d’en devenir des vérités qu’il ne manquait plus qu’à mettre en pratique. Or, la lame de fond que représente les réseaux sociaux aujourd’hui, capables de bouleverser les principes essentiels qui sous-tendent la sphère audiovisuelle essentiellement articulés autour de l’audimat, est devenu, à son corps défendant et au grand malheur des grands organes de presse et de télévision un impitoyable juge de paix. Malheur à pondérer cependant car encore surpris par la puissance de ces réseaux sociaux, leur capacité de mobilisation, le nombre inconnu de ceux qui se cachent derrière leur écran de téléphone ou d’ordinateur, les grands médias, les institutions et les pouvoirs publics sauront à n’en pas douter prendre le pouls de ces nouveaux acteurs de la vie publique, médiatique et politique pour à terme proposer des contenus en adéquation avec celles et ceux qui font vivre ces réseaux sociaux. Est-ce à dire qu’un jour le législateur d’une manière ou d’une autre, d’une manière détournée ou non, viendra réguler internet pour en saisir les arcanes et les réflexes ? Seuls l’avenir le dira. Mais si le choix de Bilal Hassani reste une anecdote piquante, joviale et distrayante comme l’est d’ailleurs ce jeune homme, l’aventure des Gilets Jaunes laissera elle des traces que d’aucuns veulent déjà effacer pour éviter que l’Histoire ne se répète.

L’Europe encore et toujours

Si le Brexit a pu menacer l’unité de l’Union européenne, il apparaît trois ans après le référendum britannique que l’Europe politique a su conserver son dessein initial en renvoyant la Grande-Bretagne a ses contradictions.

Beaucoup, pro-européens comme eurosceptiques, voire carrément anti-européens, voyaient la sortie la Grande-Bretagne de l’Union européenne comme une épreuve dont l’ensemble communautaire fondée en 1957 ne se relèverait pas. Et d’aucuns de pointer les risques inhérents à cette sortie, négociée ou non, en avançant le risque de voir la fièvre émancipatrice se propager dans toute l’Union. Et force est de constater qu’il n’en a été rien. Certes, entre le référendum britannique de juin 2016 et la sortie programmée le 29 mars prochain, le visage politique de l’Europe a changé. Les élections ont amené en Autriche, en Hongrie et en Italie, pays fondateur pour ce dernier, des gouvernements peu enclins à gouverner aux côtés de Bruxelles, voire à remettre en cause les fondements démocratiques de l’Union européenne mais aucun à ce jour n’a ouvertement et officiellement demandé sa sortie de l’Union. Car si celle-ci peut revêtir des aspects lourds, elle n’en reste pas moins porteuse d’avancées et d’avantages qui in fine pèsent plus que les inconvénients et les gouvernements à majorité ou les coalitions populistes l’ont très bien compris en dépit des critiques ou des menaces proférées à l’endroit de l’Union européenne.

Onde de choc et maturité

Que faut-il alors retenir de ce Brexit qui semble désormais inéluctable bien que plusieurs plans de secours semblent se faire jour sans pour autant s’apparenter à de vraies solutions ? (Lire l’article sur iris-france.org : http://www.iris-france.org/128692-plans-durgence-pour-le-brexit-vers-un-accord-sans-accord/ ) Pour autant, il apparaît que, trois ans après l’onde de choc du résultat britannique, l’Europe sort presque grandie de cette épreuve. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur les négociations engagées une fois la décision britannique du retrait entérinée. L’Union européenne a négocié avec fermeté, pied à pied avec les Britanniques afin d’accoucher du meilleur accord possible, entendez qui préserve les principes européens fondamentaux et originels sans pour autant négliger les aspirations britanniques. D’aucuns diraient, ce qui est assez rare dans l’histoire de l’Union européenne, que celle-ci a fait preuve de maturité, comprenant que les intérêts individuels des pays composants l’ensemble, fussent-ils puissants, ne pouvaient prendre le dessus sur l’ambition européenne. En laissant la Grande -Bretagne quitter l’Union européenne, et en laissant à son destin un pays souvent turbulent, toujours iconoclaste et partagé depuis trois siècles entre son continent d’origine et le grand large, comprenez les Etats-Unis d’Amérique pour des raisons historiques, linguistiques et économiques, l’Union européenne a donné l’image d’un ensemble politique cohérent avec son histoire et fidèle à ses convictions en renvoyant les Britanniques et notamment les parlementaires de la Chambre des Communes à leurs responsabilités : Acceptez ou non l’accord proposé, nous ne transigerons plus.

Emancipation et dommages collatéraux

Forte de cette nouvelle stature politique et diplomatique, l’Union européenne a aujourd’hui toutes les cartes en mains pour dessiner son avenir tout en faisant passer un message sans équivoque à ceux qui souhaiteraient la quitter : Nous ne braderons pas nos ambitions collectives pour satisfaire les intérêts particuliers de pays en mal d’émancipation. Ainsi, l’Union européenne n’interdit-elle à aucun peuple de quitter ses rangs mais précise, Brexit à l’appui, que le départ ne sera pas exempt de dommages collatéraux. Souvent brocardée pour son inertie et sa lourdeur, l’Union européenne a fait preuve durant les trois ans passés d’une rigueur et d’une fermeté dont peu l’imaginaient capable a fortiori les Britanniques partisans du retrait qui par leurs députés se sont opposés à l’accord proposé. En voulant préserver son dessein européen, en agissant comme un ensemble politique adulte et responsable, l’Union européenne a gagné en crédibilité à l’échelle internationale sans jamais se désunir ou en offrant le spectacle de pays en dissonance avec les ambitions originelles. Passée l’épreuve du Brexit, et quelle que puisse être l’avenir des relations entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne, avec ou sans traité, reporté ou non, appliqué ou non, l’Europe a gagné en puissance. A elle désormais de l’exploiter avec justesse, audace et intelligence.

Que les gros salaires…

Les polémiques entourant la rémunération des grands chefs d’entreprises ont encore rebondi à l’occasion de l’affaire Carlos Ghosn. Mais ces polémiques ne répondraient-elles pas à des réactions épidermiques où se mêlent Histoire et sentiments humains ?

Outre les différents griefs retenus contre Carlos Ghosn, (actuel président de Renault et ancien président de Nissan) l’affaire au centre de laquelle l’homme d’affaires est aujourd’hui enlisé n’a pas manqué de réveiller la récurrente polémique portant sur la rémunération des chefs de grandes d’entreprise. Ironie du sort et de l’actualité celle-ci a aussi été relancée par la démission de Chantal Jouanno de son titre de coordonnatrice de la Commission du Grand débat national voulue par le président Macron (lire l’article sur rtl.fr : http://Commission nationale du débat public : Chantal Jouanno refuse de démissionner), et ce alors que montaient de nouveaux débats portant sur sa future rémunération (14.666 euros brut / mois). Pour autant, passés les faits précédemment évoqués, il n’est pas inutile de se pencher sur les raisons qui suscitent depuis tant d’années, en France en particulier, de telles polémiques sur la rémunération de certains de nos concitoyens. Plusieurs raisons pourraient l’expliquer.

Elite et aversion

L’Histoire de France peut ainsi apparaître comme un premier recours et notamment celle de l’Ancien Régime. Le royaume de France qui prévalait avant la Révolution Française était dominé par une élite sociale, la noblesse de robe et d’épée, qui puisait ses privilèges dans les premières heures de la construction du royaume. Vivant globalement dans une aisance financière et matérielle qui contrastait avec le dénuement ou les moyens limités du Tiers-état, cette noblesse aveugle n’a pas sur anticiper le bouleversement révolutionnaire de 1789 tout en imprimant à la France et à son peuple un profond sentiment d’aversion contre les élites d’une part, et d’autre part contre l’argent en tant que tel. Et il n’est pas erroné aujourd’hui d’affirmer que les Français ont un rapport compliqué avec l’argent, rapport rendu d’autant plus compliqué dans une société judéo-chrétienne comme la nôtre notamment. L’argent, alors inconsciemment ramené à l’image des Marchands du Temple, ceux là même que Jésus accusait d’avarice et de vénalité, prend alors une dimension coupable qui fait de celui qui en possède un être vil, dénué d’humanité car pétri par le goût du lucre. A lui d’expier d’une manière ou d’une autre. Autre explication, plus proche de nous encore, la portée de la dialectique marxiste via laquelle l’argent, facteur d’aliénation de l’individu et objet d’accumulation par les élites capitalistiques, travaille aussi à l’idée que l’argent, utilisé dans une logique libérale, promeut l’inégalité sociale. Autant de raisons audibles et valables qu’il appartiendra à chacun de juger ou de déjuger mais qui participent toutes, consciemment ou inconsciemment, à la polémique portant sur la rémunération de certains. Néanmoins, le raisonnement ne serait pas complet s’il ne faisait pas référence à un autre sentiment, somme toute humain, et qui agite aussi la polémique.

Jalousie et hypocrisie

Ainsi, devant le niveau de rémunération de certains, niveau qui a connu une réelle inflation depuis plusieurs années désormais dans le secteur privé en particulier (Chefs d’entreprises, sportifs de haut niveau, artistes,…), beaucoup arguent de l’indécence des salaires versés. « Trop élevés ! Injustifiés ! Anormal ! » crient certains devant les sommes allouées. Certes. Mais derrière le prétexte de l’indécence sensée dénoncer les salaires versés, ne se cacherait-il pas une forme de jalousie non avouée et d’hypocrisie malsaine ? Jalousie car ceux qui dénoncent aujourd’hui ces montants d’ailleurs versés selon des critères (compétences, expériences, diplômes,….), certes discutables, refuseraient-ils ces mêmes salaires si l’on devait les leur verser pour leur activité actuelle ? Hypocrisie car en ignorant volontairement le fait que nous vivons dans une économie de marché où les salaires répondent aussi à la loi de l’offre et de la demande, nous nions une réalité économique que nous refusons d’assumer. Et à feindre de savoir que le libéralisme économique et le capitalisme génèrent des inégalités sociales que nous sommes toujours prompts à dénoncer quand nous considérons en être victimes, nous reflétons encore l’image d’une société capricieuse et immature. Ainsi, apparaît-il que la polémique et les débats sur les salaires versés aux chefs de grandes entreprises, sportifs ou autres n’a pas réellement de sens car fondés sur des sentiments humains qui relèvent naturellement de la subjectivité et non de l’objectivité qui supposerait alors une analyse complexe et extrêmement détaillée de la valeur ajoutée des compétences, de l’expérience et des diplômes de chacun, ainsi que leur place et leur rôle dans le circuit économique contemporain. Tâche ardue s’il en est.