Une démocratie 2.0

La faiblesse du taux de participation lors du second tour des élections municipales confirme la désaffection de l’électorat pour les scrutins politique mais révèle encore plus la crise de confiance qui traverse la démocratie d’un pays pourtant attaché à son histoire libertaire.

Lassitude ? Crise du coronavirus? Ou les deux…. ? Les raisons susceptibles d’expliquer la faiblesse du taux de participation (40 % à 41 %) sont multiples et ne se cantonnent pas nécessairement à celles évoquées en préambule (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/politique). Depuis plusieurs années et plusieurs scrutins, la France accuse des taux de participation inquiétants qui interrogent jusqu’à la pertinence de certaines élections au regard du nombre d’électeurs mobilisés. Désormais, la réalité s’impose. Notre démocratie, et elle n’est vraisemblablement pas la seule, est malade et n’apparaît plus comme le vecteur d’expression favori d’électeurs qui nourrissent le sentiment que la chose publique, que le bien commun et l’intérêt général leur échappent au profit d’une classe politique jugée à son tour déconnectée de la réalité. D’aucuns argueront que la crise du covid-19 est en partie responsable de la faiblesse du taux constaté mais, à bien y regarder, cette pandémie et le confinement qui s’en est suivi n’ont été que des accélérateurs, y travaillant à la prise de conscience collective que le système conçu ne répondait plus aux attentes.

Menace et obsolescence

Trop d’inégalités sociales et économiques, trop de lenteurs et de blocages, trop de déclassement social ou encore trop d’impunité envers un trop grand nombre de représentants de l’État. Cette situation explosive qui se traduit d’abord dans les urnes fait naturellement le lit des populismes de tous ordres même si ces derniers ont encore du mal à franchir le plafond de verre qui le sépare du pouvoir suprême. Mais pour combien de temps ? Pour autant la menace est là et gronde à chaque élection comme un coup de semonce que beaucoup font semblant d’entendre. La démocratie, qui se veut le règne de la liberté d’expression et de pensées est pourtant aujourd’hui traversée de spasmes au fil des années de plus en plus violents. Est-ce à dire que le modèle démocratique tant vanté et tant espéré par des peuples longtemps, et pour certains encore, opprimés est devenu obsolète. (liberation.fr : https://www.liberation.fr/debats) Personne n’y songe car chacun de nous est viscéralement attaché aux libertés fondamentales que la démocratie apporte, génère et protège. Caprice d’enfants gâtés alors ? Pourquoi pas ? Mais l’excuse semble trop grossière pour être crédible. Que faire donc ? Réinventer la démocratie ? Certes. Mais comment ? Quand ? Et avec qui ? Quels seront les nouveaux contours de la démocratie 2.0 ?

Faillite et blanc-seing

Personne ne le sait surtout au sein d’une humanité qui se tourne aujourd’hui plus souvent vers les réseaux sociaux que les urnes pour s’exprimer. La faillite du politique, ici dans son sens grec de politis, est à rechercher au coeur même d’institutions qui semblent avoir déçu une majorité d’électeurs convaincus que le monde politique n’est, tout au plus, qu’un électron libre à la faible influence, dans un univers mondialisé où les individus ramenés au rang de chiffre se sentent broyés par un système qui les dépasse. Alors certes, répétons-le, l’humanité est capable du pire comme du meilleur et avancer que la démocratie est à classer dans le meilleur ne fait guère de doute et recueille l’unanimité mais unanimité ne signifie pas blanc-seing. Loin s’en faut. Peut-être serait-il alors temps de comprendre que la démocratie n’est pas un fait arrêté et immobile mais qu’elle peut-être aussi une argile fragile à travailler afin de l’amender pour en assurer la pérennité. Engoncé dans le confort facile de la contemporanéité, les sociétés occidentales, premières à se réclamer démocratiques et, à ce titre, prompte à en faire l’apologie, semblent avoir oublié de travailler à la survie de leur propre modèle.

Quand la Police perd son bon sens

La multiplication des violences policières en France interrogent sur la mission des forces de l’ordre qui ne pourront pas s’affranchir d’une réflexion sur leur rôle et le sens de celui-ci. Et l’idée d’une refondation de la Police Nationale d’émerger dans une logique de reconquête de l’universalisme républicain.

Il est des institutions, en tous cas présentées comme telles, qui ne sont en France jamais remises en cause au premier rang desquelles la Police Nationale. Elle n’est pas la seule dans ce cas là puisque l’Armée française ou l’Education Nationale jouissent du même traitement. Souvent décriée ou critiquée, a fortiori récemment, la Police Nationale apparaît pour beaucoup comme intouchable, et de là en partie les crispations à son endroit qui l’entourent dans l’opinion. Plusieurs raisons expliquent ce statut d’intouchable. Sa vocation à protéger et servir les populations et son rôle de garante de l’ordre républicain permettent à la Police Nationale de figurer parmi les institutions à part dans l’organigramme de la République. Pour autant, les dernières semaines, voire les dernières années, ont été éprouvantes pour l’institution qui dépend de la Place Beauvau. Interpellations et pratiques jugées trop musclées, dérapages verbaux, parfois xénophobes, de plusieurs policiers dans l’exercice de leurs fonctions ont atteint l’image d’exemplarité voulue par l’État. (leparisien.fr : https://www.leparisien.fr/politique)

Bouleversement et idéal républicain

Il convient donc désormais de dépasser la simple critique pour oser avancer ce qui il y a encore une trois mois, avant le bouleversement du confinement et de la pandémie de coronavirus, paraissait impensable : refonder la police. L’idée pourra être jugée saugrenue mais l’est-elle réellement ? Et avant de pousser des cris d’orfraie, il convient déjà de définir avec précision ce que l’on entend par refondation ? Les mots ont leur poids et leur sens surtout quand ces derniers conditionnent l’action de l’une des institutions les plus anciennes de France. Il est clair que la Police de Georges Clemenceau, fondateur de la police moderne en 1906 n’a rien de commun avec celle de 2021, actuellement dirigée par Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Et d’ailleurs ont-elles encore des points communs ? En se penchant sur la question, la Police Nationale de 1906, empreinte de folklore et de nostalgie dans la conscience collective, pouvait se prévaloir d’une forme de gène républicain qui semble aujourd’hui faire défaut à celle de 2021. Non que les fonctionnaires de police contemporains soient dénués d’esprit ou d’idéal républicains (latribune.fr : https://www.latribune.fr/opinions), loin s’en faut, mais à l’image de la société française, il apparaît que l’universalisme républicain qui fondait nombre de nos institutions et constituait une des bases de notre modèle social s’est étiolé au point d’en devenir banal et secondaire pour finir galvaudé alors qu’il devrait être le noyau constitutif de celui-ci.

Concorde et contestation légitime

La refondation avancée consisterait donc dans une première étape à renouer avec cet idéal républicain, fait de concorde et de bien commun. Les récentes polémiques accablant les fonctionnaires de police accusés d’inspirer la peur sont pour d’aucuns jugées comme excessives mais doivent-elles être pour autant balayées d’un revers de main…A partir du moment où une institution sensée protéger et servir une population inspire la crainte, que cette dernière soit fondée ou non, exagérée ou non, alors se pose la question du sens, du rôle et de l’image des dépositaires de l’ordre public qui ne peut accepter les excès. Cet ordre public, vanté par le Président de la République, ne peut ainsi servir, en démocratie d’autant plus, de passeport à la mise au pas d’une contestation légitime, quelle qu’elle soit, reconnue par la Constitution. Souvent employé comme fourre-tout, l’ordre républicain, apanage de la Police Nationale, est ainsi peut-être en passe de devenir l’alibi à la multiplication de violences qui interrogent. Car en République l’usage de la force, fût-il employé par la Police nationale, doit d’abord s’appuyer sur l’intérêt général et non pas la volonté de certains d’étouffer la critique. Et en cas, on ne plus prétendre vivre en démocratie.

Colbert, Ferry, le temps et l’Histoire

Entre Histoire et mémoire, les questions qui émergent aujourd’hui en France sur la prégnance du racisme et de la xénophobie renvoient à l’appréhension des modes de pensées d’un pays aux relations complexes avec son passé. Essai d’explication.

Le débat qui anime aujourd’hui la France sur l’héritage historique de la colonisation et de son corollaire raciste et xénophobe est en passe d’ébranler les certitudes d’un pays longtemps confit dans son Histoire. La patrie, mère des Droits de l’Homme, a toujours eu beaucoup de mal à digérer son passé pour de multiples raisons qui vont de la grandeur à l’égo, en passant par l’orgueil et la puissance, la honte et le déshonneur. Ainsi dans un esprit de reconnaissance, n’a-t-on pas hésité à donner le nom de Colbert à une des salles de l’Assemblée Nationale. Colbert, éminent Contrôleur général des Finances de Louis XIV mais aussi auteur du Code Noir en 1685. Dans le même temps, les écoles Jules Ferry, Paul Bert, Ferdinand Buisson, sans compter les rues, les places, les avenues…ont fleuri pendant des décennies afin d’honorer les pères de l’école républicaine tous piliers d’une République, la troisième en l’occurrence qui a porté à son paroxysme l’entreprise coloniale. Et les exemples ne manquent pas, de De Gaulle à Mitterrand…Le dilemme est des plus cornéliens. (lire lemonde.fr :https://www.lemonde.fr/idees)

Lumières et mémoire

Donc, faut-il encore honorer des hommes comme Colbert, Ferry et autres figures charismatiques d’un pays à double face où se côtoient l’esprit des Lumières et les heures les plus sombres d’une nation tiraillée par les erreurs du passé ? La question ne trouvera pas de réponses ici car chacun apportera la sienne. Mais l’Histoire qui se veut une construction de faits avérés et vérifiés portent avec elle tous les aspects qui la composent, aspects jugés à l’aune de l’époque dans laquelle nous vivons. Au même titre que nôtre contemporanéité sera jugée dans des décennies par d’autres, admirateurs ou révulsés par notre mode de vie et de pensée. Ainsi, les propos de Jules Ferry sur la responsabilité des races supérieures serait-il aujourd’hui, et à raison et sans discussion possible, condamnés. Mais à la fin du XIXème siècle, ce même discours qui a alors certes ému, n’a pas entravé la marche à la colonisation ni altéré l’idée que l’Europe et l’Homme blanc se sentaient investis d’une supériorité considérée à cette époque comme fondée. Le débat actuel nous renvoie inéluctablement à ces questions essentielles d’histoire et de mémoire, les deux se disputant la primauté de la raison. L’histoire, construction de faits, et la mémoire, perception partielle, individuelle ou collective, du passé qui s’agrège dans un ensemble plus global au point de former un des éléments constructeur de l’Histoire, apparaissent comme le nœud gordien du débat qui se fait jour.

Culture et vide temporel

Evoquer Colbert et Ferry comme de grands hommes d’Etats, des promoteurs de la grandeur du pays ou artisans de la République pour le second n’est pas insultant si parallèlement sont rappelés ce que les deux hommes, entre autres figures tutélaires, ont aussi défendu comme idées qui vont aujourd’hui à l’encontre des fondements de nos sociétés. Dans un improbable et impossible bond dans le temps, Colbert et Ferry ne comprendraient rien à nos sociétés contemporaines s’ils devaient y faire un séjour. Pourquoi ? Car chaque époque défend ses propres mœurs qui par le biais de la culture, de l’éducation, du savoir…sont amendées ou combattues. Colbert et Ferry pensaient et agissaient comme des Hommes de leurs temps, confrontés aux évolutions et modes de pensée de leur propre époque dans un pays lui-aussi en construction intellectuelle. Jeter aux orties Colbert ou Ferry sans autre forme de procès reviendraient à les effacer de l’Histoire, à creuser un vide temporel qui n’aurait aucun sens car l’action ou la non-action, les erreurs ou les bienfaits de ces hommes expliquent aussi l’évolution de l’Histoire qui a continué après eux. Le Code Noir a été aboli car il avait été rédigé et la colonisation a été condamnée pour enfin cesser car elle opprimait injustement et cruellement des Hommes. Juger les Hommes du passé est une tâche ardue, difficile et complexe car si le tribunal du temps n’excuse rien, comme toute institution judiciaire, celui-ci écoute avant de condamner.

Violences visibles, violences cachées

Les manifestations visant à dénoncer les violences policières et la gangrène du racisme révèle une saturation légitime des populations à l’endroit de ces actes. Pourtant, toutes les violences ne sont pas nécessairement physiques. Explications.

Que ce soit en France, aux Etats-Unis, ou ailleurs dans le monde, les violences policières, qu’elles soient à caractère raciste, antisémite, xénophobe ou autres sont, pour qui se prétend partisan de la démocratie, proprement intolérables. Le droit que chacun possède d’exister sans la menace de subir de tels actes doit rester entier et imprescriptible. Il figure au rang des fondements de nos sociétés contemporaines et de nos civilisations. Mais passée cette évidence qui semble pourtant échapper à certains, il est aussi permis de s’interroger sur un phénomène qui, sans être nouveau, prend aujourd’hui une dimension jusque là tue ou étouffée.

Agressions et insoumission

Dire que la pandémie mondiale de covid-19 a bouleversé les modes de pensées et les mentalités apparaît peu à peu comme une évidence. Et dénoncer les violences policières, longtemps vécues comme des agressions contre lesquelles le commun des mortels ne pouvaient rien, est désormais acté : trop, c’est trop ! (Lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/societe/) L’idée que l’ordre républicain pouvait se permettre de tels égarements n’est aujourd’hui plus acceptée et ne pourra jamais être acceptable. Pourtant, au-delà de la prise de conscience de populations fatiguées de violences punies de sanctions laissant un goût souvent amer car jugées trop légères, une forme de soulèvement et d’insoumission face à l’ordre établi, voire à la raison d’État qui autorisait beaucoup, émerge dans des populations qui entendent, et à raison, faire valoir leur droit à une vie dénuée de tous préjugés menaçants. Or, les forces de l’ordre, qu’il serait faux et abusif de qualifier comme entièrement racistes et xénophobes, sont aussi des microcosmes de nos sociétés contemporaines. Tout comme ces dernières abritent des individus aux préjugés et aux propos teintés d’un racisme latent ou clairement affiché, les forces de l’ordre n’échappent pas à cette tendance, tendance qui se retrouve aussi dans d’autres strates professionnelles.

Discrimination et brutalité

Car la violence n’est pas seulement physique, elle peut aussi être portée par une idée préconçue qui fermera, par exemple, les portes d’une entreprise à une personne noire, asiatique, arabe, handicapée…Elle porte alors le nom de discrimination à l’embauche, circonvolution qui veut s’affranchir de toute brutalité mais qui n’en est pas moins dénuée car elle exclut l’individu en raison de ce qu’il est. (L’express.fr : https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management) D’aucuns se défendraient alors de faire preuve de racisme, xénophobie ou d’intolérance, arguant d’une incompatibilité du candidat pour le poste proposé. Certes la législation en France, tout du moins, a progressé, mais la réalité est tout autre. Le rapport à l’altérité, que la mondialisation, sans dénoncer celle-ci comme un bouc-émissaire facile et de circonstance, a gommé au profit d’un individualisme triomphant, apparaît ainsi comme un des grands combats que les générations futures seront amenées à mener. Est-ce à dire que toutes formes de violences basées, sur le sexe, la religion, l’appartenance ethnique ou le handicap seront bannies de nos sociétés. D’aucuns l’espèrent. Mais racisme, xénophobie et antisémitisme se nourrissent avant tout d’ignorance et de vacuité intellectuelle. Et en la matière, le chemin semble encore long.