Otages d’obligation

Les difficultés rencontrées par les établissements scolaires dans la gestion des élèves perturbateurs renvoient à la notion d’obligation scolaire d’évidence mal comprise par certains et potentiellement devenue un fardeau pour nombre de collèges et lycées.

Et si l’on supprimait l’obligation scolaire ? Avant même de proposer un élément de réponse, d’aucuns s’exclameraient indignés en cris d’orfraie, mais au vu des difficultés rencontrées par les établissements scolaires face à certains élèves, la question mérite d’être posée. Tout d’abord, pondérons la question initiale. La suppression de l’obligation pourrait ne concerner que les collèges et les lycées ; l’école primaire garderait son caractère obligatoire avec un élagage des matières actuellement enseignées, caractère obligatoire se focalisant sur un triptyque lecture – calcul – écriture. L’école primaire pourrait être aussi renforcée dans sa mission fondatrice par l’intégration (comme en Allemagne) de la classe de sixième, qui se déroulerait non plus au collège mais à l’école primaire, les élèves n’accédant au collège que dès la classe de cinquième. Alors pourquoi donc ouvrir le débat la suppression de l’obligation ?

Logique d’uniformisation

Si à la fin du XIXème siècle, l’Ecole primaire a été rendue obligatoire (Loi de 1882), c’était avant tout pour ancrer la République, encore fragile (il suffit pour cela de s’attarder sur la tentative légitimiste de 1873 et la faiblesse des Lois Constitutionnelles de 1875 pour s’en convaincre) au sein d’une nation déchirée entre tentation républicaine et royaliste, voire bonapartiste. Parallèlement, l’obligation permettait aussi d’uniformiser une situation scolaire inégale jusqu’alors, d’assurer une logique d’alphabétisation continue de la population tout en travaillant à l’idéal républicain, réel ou fantasmé, sensé produire des citoyens exemplaires, fidèles serviteurs de la République. Pour autant, sommes-nous dans cette situation aujourd’hui ? A l’évidence non. L’Ecole et l’enseignement secondaire (collège et lycée) sont devenus otages de cette obligation, obligés qu’ils sont d’accueillir des élèves loin de se sentir concernés par leur scolarité, vécue comme une souffrance et non comme une voie d’émancipation. Ces élèves, souvent ingérables et perturbateurs, sont aussi et avant tout, les enfants de parents, souvent en rupture scolaire, critiques et dubitatifs à l’endroit de l’Ecole et qui usent de l’obligation scolaire, en confondant à dessein instruction et éducation, pour se dédouaner de toutes responsabilités quand au comportement de leurs enfants. L’obligation déresponsabilisant de fait l’individu, puisque l’élève ne se rend plus de lui-même à l’école mais par le fait d’une contrainte extérieure, nombre de parents transfèrent donc leur responsabilité sur l’Ecole alors que celle-ci instruit mais n’éduque pas. Or la confusion entre les deux termes est essentielle au regard des missions que chacun d’entre eux supposent.

Sens commun

Une fois l’obligation supprimée, sans que celle-ci ne nie ou n’altère le principe d’égalité car collèges et lycées resteraient accessibles à tous, parents et élèves seraient donc face à leurs responsabilités, cette nouvelle situation autorisant les établissements à refuser ou renvoyer un élève jugé, après faits avérés, de son enceinte. Aujourd’hui contraints de conserver ce type d’élèves au détriment de ceux enclins à l’étude, les établissements seraient donc libérés d’accueillir des élèves dénués de tout sens commun. Collèges et lycées se videraient d’élèves loin d’accorder à leur scolarité une quelconque priorité, scolarité de fait devenue leur seule responsabilité et non plus celle liée à une obligation, mais a contrario, se rempliraient d’élèves conscients que le savoir et la connaissance participent à la création d’une société libre et émancipée. Loin de trahir les idéaux des pères de l’Education, de Rousseau à Condorcet, cette idée mettrait à bas le concept de bienveillance et d’assistanat qui prévaut à ce jour dans de très nombreux établissements. Et que faire de ces élèves qui alors choisiraient de ne pas intégrer le collège ou le lycée ? La République, Etat de droit, renvoie aussi chacun à assumer les conséquences de ses actes. Mais que les thuriféraires de l’Education contemporaine se rassurent, ces quelques lignes ne constituent qu’une idée parmi tant d’autres et que chacun jugera à l’aune de ses convictions.

L’Ecole de demain

Confrontée aux conséquences dramatiques d’un nouveau cas de harcèlement, l’Education nationale ne pourra plus reculer son aggiornamento en ouvrant les yeux sur les réalités de son temps et sur celles qui ponctuent le quotidien de l’Ecole.

Aura-t-il fallu attendre le suicide de Nicolas, le 5 septembre dernier, lycéen de 15 ans, pour qu’enfin soit levée l’omerta sur le harcèlement scolaire qui gangrène les établissements scolaires ? D’aucuns l’espèrent, tout comme beaucoup se voient horrifiés par le geste fatal d’un adolescent poussé à bout au sein d’une institution, à savoir l’Education nationale, au mieux, dépassée par cette réalité, au pire totalement aveugle. Etat dans l’État, mammouth irréformable pour Claude Allègre, éphémère Ministre de l’Education nationale dans le Gouvernement de Lionel Jospin (1997 – 2002), institution aussi sacrée que critiquée, l’Education nationale est aujourd’hui dans la tourmente. Tout d’abord, en raison de la lettre rédigée par le Pôle Versailles à l’endroit des parents de Nicolas (voir article du journal Le Monde en date du 17 septembre) ensuite, et de manière plus générale car l’institution peine tous les jours un peu plus, à répondre aux exigences du temps.

Réalités du quotidien

Figée, pour ne pas dire arc-boutée sur des textes devenus d’évidence obsolètes et anachroniques, l’Education nationale semble bien aujourd’hui au bout de ses limites et de ses moyens. Obsédée par l’idée que chaque élève sorte du collège ou du lycée fort d’un diplôme, et ce quelque soit le niveau de l’élève en question, l’Education nationale s’est coupée non seulement des réalités contemporaines de son époque mais aussi des réalités qui composent son propre quotidien : harcèlement, classes surchargées, inclusion difficile d’élèves en trop grand décalage avec les attendus exprimés dans chaque niveau, professeurs sous tension, manque récurrent d’enseignants, violence verbale et physique à l’endroit des enseignants…les problèmes s’amoncellent et pis ! s’accroissent régulièrement. Alors, une fois le constat dressé vient le temps des solutions, du moins des propositions sensées améliorer le système éducatif français. Et force est de constater que le chantier est immense. Mais l’une des premières solutions seraient peut-être que l’Education nationale sorte de sa Tour d’ivoire pour constater de visu et in situ ce que signifie aujourd’hui enseigner et à quelles réalités sont confrontés élèves, enseignants et communautés éducatives. Pelle-mêle, des parents de plus en plus agressifs et exigeants, et ce sans réelle raison au risque d’exacerber les tensions existantes ; des élèves surprotégés par une bienveillance extrême qui confine à l’assistanat pédagogique et qui épousent le schéma parental, transformant l’Ecole en officine ; des cours d’école où se déclarent parfois de véritables règlements de comptes entre élèves chauffés à blanc à cause d’un mot malheureux sur les réseaux sociaux ; des cas multiples de harcèlement volontairement tus de part et d’autre pour éviter tous remous au risque encore d’exposer les victimes à des situations extrêmes comme celle du jeune Nicolas. Et la liste est malheureusement longue car le monde de l’éducation, exposé de par sa fonction à toutes les réalités sociales, s’avère être un champ infini de solutions et de questionnements. Pour autant, si l’Education nationale devait dans l’instant engager sa mutation, celle-ci passerait par une inévitable plongée dans le quotidien de l’Ecole et cesser de voyager dans les sphères nimbées du monde de l’Education. Est-ce trop demander ?

Russie – Corée ou l’inutile rapprochement

Le rapprochement annoncé entre la Corée du Nord et la Russie tend à se présenter comme la création d’un bloc asiatique capable de concurrencer la sphère occidentale. Mais les intérêts trop divergents des deux pays démontrent les limites de l’exercice.

Alors que l’effet des sanctions internationales se fait désormais réellement sentir en Russie, et ce même si celle-ci a augmenté de 40 % ses exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) à destination de l’Europe, et que la contre-offensive ukrainienne compromet tous les jours un peu plus les plans de l’opération russe ouverte en février 2022, Vladimir Poutine doit recevoir, dans le cadre d’une visite officielle dans les jours à venir le dictateur nord-coréen Kim Jung-Un. Peut-on dès lors évoquer un rapprochement entre les deux pays et les deux hommes ? Au sens formel du terme oui mais dans quel objectif ? La Corée du Nord, en froid absolu avec le monde occidental et les Etats-Unis en particulier, située à quelques encablures du Japon, espace placé sous la protection de Washington, s’adonne, par ce voyage, à une forme de provocation qui réjouit tout à la fois Vladimir Poutine et Kim Jung-Un.

Gain diplomatique

Mais c’est certainement là le seul gain diplomatique de ce périple. Si la Russie peut s’enorgueillir de ce déplacement pour les même raisons que la Corée du Nord, à savoir agacer les Occidentaux, le dit rendez-vous ne sera en rien marqué par de quelconques déclarations ou actes en devenir susceptibles de modifier le cours du conflit russo-ukrainien ou les relations avec les Etats-Unis. Et pour cause, ces deux pays que sont la Corée du Nord et la Russie sont désormais à l’arrêt. Exclus des traités internationaux et du G20 pour la Russie, enfermés dans des logiques autocratiques stériles, Russie et Corée du Nord semblent s’agiter toutes seules dans un bocal vide avec l’idée que cette agitation effraiera la planète. Si l’une peut potentiellement accorder quelques facilités dans l’obtention de pétrole à bas coût à la seconde, l’autre en envoyant quelques milliers de tonnes de charbon, rares sont les avantages que peuvent tirer ses deux pays d’un rapprochement de circonstance qui s’inscrit dans la volonté de faire front commun contre les Etats-Unis et les Occidentaux. Forte d’une présence et d’une influence croissante en Afrique, la Russie peut néanmoins présenter un intérêt relatif à une Corée du Nord mise au ban des nations. Mais si cette influence russe en Afrique est réelle, celle-ci reste encore trop disparate en dépit de la multiplication des coups d’État de ces derniers mois en Afrique de l’Ouest où la Russie a, de manière sous-jacente, joué un rôle. Reste cependant à savoir dans combien de temps la Chine, autre puissance impliquée en Asie et en Afrique, sifflera la fin de la récréation, agacée à son tour par les gesticulations d’un dictateur vieillissant et d’un, plus jeune, nourri de nationalisme exacerbé ? Pour l’heure, le rapprochement russo-coréen annoncé ne semble pas affoler les chancelleries internationales, convaincues que la dynamique engagée repose plus sur une forme de bravade, voire sur la recherche désespérée d’alliés de second rang, que du développement d’une stratégie diplomatique visant à créer un bloc asiatique allant de l’Oural à la Mer de Chine. Manoeuvre diplomatique passée presque inaperçue, ce rapprochement témoigne surtout de l’isolement de la Russie et de la Corée du Nord, loin en tout état de cause de la création d’un nouveau bloc politique, les intérêts de la Russie et de la Corée étant trop divergents pour se poser en réels concurrents de la sphère occidentale.

Chaises musicales diplomatiques

La multiplication des coups d’État en Afrique de l’Ouest démontre combien la région est parvenue à se défaire de l’autorité tacite de l’ancienne puissance coloniale qu’était la France et ce au profit de la Russie, très active dans la zone. D’une puissance rejetée à une autre à l’action plus officieuse, l’Afrique de l’Ouest s’expose pourtant à de nouvelles influences souterraines.

En déclarant aujourd’hui dans une entrevue accordée au journal Le Monde (Edition du 3 septembre 2023) que « la Françafrique est morte depuis longtemps » la ministre des Affaires européennes et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, ne fait finalement qu’entériner une évidence qui prévaut depuis l’enchaînement des coups d’Etat militaire en Afrique de l’Ouest. Cette zone du continent, fragile et sensible au regard de son exposition aux factions islamistes, avait pourtant acquis une forme, toute relative certes, de stabilité en raison de la présence des forces militaires françaises et du soutien politique et économique de l’Hexagone. Mais, alors que ladite zone se révèle aussi un nouvel espace d’influence entre la Russie et la France, et plus largement, l’Occident, plusieurs pays (Burkina Fasso, Mali, Niger, Gabon,…) ont donc décidé de tourner le dos à la démocratie. Non par rejet catégorique des principes de celle-ci mais plutôt par ce que ces derniers incarnent, à savoir une sorte de domination post-coloniale imprimée, ressentie comme telle à tout le moins, par l’ancienne puissance coloniale qu’était la France.

Intérêts et influence

Perçue comme oppressant et dominateur, l’Hexagone est désormais persona non grata au sein d’une zone devenue hostile à ses intérêts. Reste donc à savoir comment évolueront les relations diplomatiques et économiques entre la France et ses pays, riches de matières premières que la France avait pris l’habitude d’exploiter, certes dans le cadre de contrats en bonne et due forme. Pour autant, la question économique pourrait moins compter que la teneur des relations diplomatiques, ces dernières conditionnant la première. La France, tout comme d’autres nations européennes implantées en Afrique de l’Ouest via des entreprises diverses et variées, va devoir surtout se préoccuper des jeux d’influence et des nations qui vont s’y adonner. Et en premier lieu, la Russie. Si celle-ci souffre sur le front ukrainien, le front plus officieux ouvert en Afrique de l’Ouest, animé par procuration par les forces armées des pays théâtres de coups d’État, semble apporter plus de satisfaction. Longtemps territoire placé sous le contrôle officieux des anciennes puissances coloniales, dont la France, l’Afrique de l’Ouest, s’émancipe de son ancien tuteur grâce au soutien de Moscou. Peut-on dès lors réellement avancer l’idée d’émancipation ou de transfert d’influence d’un pays dominant à un autre ? La question mérite d’être posée car derrière la volonté de se défaire de la France et de son modèle politique, se cache aussi ou peut-être, voire les deux, l’ambition de la Russie de faire main basse sur une région dont la fragilité intrinsèque permet aux différents coups de force d’aboutir. Devenue un enjeu géopolitique majeur, l’Afrique de l’Ouest ouvre aujourd’hui une nouvelle page de son histoire loin de la France et de l’Europe, proche de la Russie. Mais quand l’Afrique de l’Ouest pourra-t-elle écrire sa propre histoire, détachée de toute influence ?