La loi Travail l’a mis en évidence. Et bien que beaucoup s’en doutaient, il existe aujourd’hui deux gauches. Une de Gouvernement, guidée par des thèses socio-libérales ; une parlementaire, fidèle à l’histoire idéologique du parti fondé par François Mitterrand au Congrès d’Epinay en 1971. La fracture, nette et profonde, n’est pour certains en aucun cas tenable et pourrait coûter à François Hollande sa réélection. Lieu commun que ces quelques lignes mais qui introduisent cependant une autre forme d’interrogation. La gauche doit-elle se convertir au libéralisme pour rester au pouvoir ? En un mot, faut-il appliquer et promouvoir une politique de droite tout en étant de gauche, ou prétendu comme tel, pour conserver le pouvoir ? C’est, à y regarder de plus près, le pari pris par le locataire de l’Elysée. Et dans ce cas là pourquoi se représenter sous une étiquette progressiste tout en sachant pertinemment que reconduit à la tête de l’exécutif, sera menée à nouveau une politique d’inspiration, au mieux socio-libérale, au pire de centre-droit avec le turbulent Emmanuel Macron en qualité de Premier ministre. Bref ! Spéculations pour l’heure ! Là n’est pas l’objet. Qu’est devenu la gauche française ? La question se pose. Un ensemble de valeurs progressistes qui cherchent à bousculer l’ordre établi ? L’affirmation de la puissance publique via le renforcement de l’Etat-providence ? Une attention particulière portée aux plus démunis ? Autant de questions qui trouvent leurs réponses à gauche de l’échiquier mais aussi à droite.
Misère et SDF
La gauche française, taraudée par ces principes fondateurs issus de l’évolution du marxisme et la nécessité de répondre aux attentes immédiates de la société, sait que le chemin qui lui reste est étroit. Le constat vaut aussi pour la droite, consciente qu’une exacerbation de l’individualisme, du libéralisme économique, de la limitation de l’action de l’Etat-providence et du soutien à l’esprit d’entreprise (qui n’est pas en plus le seul apanage de la droite) pourrait la couper d’une bonne part de ses électeurs. Mais revenons à la gauche. Se réveiller tous les matins en songeant à la misère du monde, en s’interrogeant sur le sort du SDF en bas de chez soi est compliqué ! C’est pourtant ce que l’on demande à un homme ou une femme engagés à gauche ! Le peuvent-ils ? Oui ! Tous les jours ? Chacun apportera la réponse à cette question…Combien est-il finalement plus facile de se réveiller en libéral convaincu ou en socio-libéral ! Moins contraignant idéologiquement et moins exigeant socialement. Mais au pouvoir, élu sur un programme engagé à gauche, il devient difficile, voire illisible, de promouvoir une politique de droite. Question de crédibilité. Et la question initiale de se reposer. La gauche doit-elle se convertir au libéralisme pour rester au pouvoir ? Chacun apportera sa réponse. Toute affirmation définitive serait risquée. Ce qui est sûr, car relevant d’un constat simple, c’est que la gauche souffre d’une crise d’identité et de croissance. D’identité car elle ne sait plus elle-même où se situer sur l’échiquier politique traduisant une fracture intrinsèque lourde ouverte dès 1983 avec le tournant de la rigueur ; de croissance car elle n’a peut-être pas su prendre avec justesse le pouls de la société française. Quand celle-ci demandait une alternance de gauche, il lui a été servie du social-libéralisme. Pour plusieurs raisons certainement : par conviction des promoteurs de la politique menée, par facilité politique, par incapacité à réformer le courant dans son sein et à proposer une vision de gauche. A la place, la société française a eu une politique fort accommodante avec le monde de l’entreprise, le tout saupoudré de quelques principes humanistes et progressistes posés ça et là.
« De gauche mais pas seulement ! »
Insuffisant certes mais révélateur du malaise qui ronge la gauche obligée, victime de ces carences propres et de son inertie, d’opter pour une politique d’inspiration libérale. Lionel Jospin lui-même, idéologue de la gauche des années soixante-dix et quatre-vingt, avait présenté son programme présidentiel en vue de l’élection éponyme de 2002 « de gauche certes mais pas seulement ! » Toutes visées électorales passées, le mot traduisait aussi une certaine impuissance à réinventer le discours de gauche. Déjà…! La faute à qui ? A l’idéologie même qui s’enfermerait dès lors dans une forme de tautologie politique, incapable de détourner son regard de ce qu’elle est ? De ces partisans et défenseurs, incapables d’assumer une évolution qui les briseraient idéologiquement avant de les anéantir électoralement ? Ce qui est aussi certain, c’est que si rien n’oblige la gauche à promouvoir une politique de droite, rien ne l’empêche de méditer sur son avenir. Et opter pour le social-libéralisme, premier par vers le libéralisme (l’épithète social traduisant une forme non assumée d’orientation finalement prise) n’est pas le meilleur moyen de reconquérir un électorat déçu. « Celui qui pense est malheureux » disait le philosophe roumain Cioran. Ne vaut-il pas mieux alors être malheureux dans un effort d’introspection salvateur ou artificiellement libéré par la facilité de la contradiction ? Car si le premier est coûteux et cruel, le second le sera aussi. Et plus vite qu’imaginé.