On a tous besoin de politique…

Déstructuré par la disparition progressive ou programmée des partis politiques historiques, le corps électoral français oscille désormais entre tentation extrémiste et apologie de l’individualisme renvoyant l’intérêt général au rang de préoccupation obsolète.

Relégué sur l’une des multiples chaînes d’information en continue, le débat organisée pour la présidence du parti Les Républicains n’aura finalement passionné personne. Et pour cause, nombre de téléspectateurs en ignoraient jusqu’à la tenue. Et quand bien même, il y a désormais longtemps que les débats politiques n’intéressent plus grand monde aujourd’hui. Idem à gauche, où Europe Ecologie Les Verts et le Parti socialiste doivent dans quelques jours élire leurs nouveaux chefs de file, élection qui promet de rivaliser de discrétion et ce pour les causes avancées ci-dessus. Pourtant, il n’est pas inopportun de se demander s’il n’y a pas quelque chose d’inquiétant dans cette désaffection pour la vie politique dans une démocratie telle que la nôtre. Pour apporter, essayer à tout le moins, un élément de réponse, plongeons-nous d’abord dans le monde d’avant, celui qui présidait la vie politique du pays avant 2017.

Fidélité politique

Alors, plusieurs partis entraient régulièrement en concurrence, avec leur cortège de militants ou de sympathisants, leur grand’messe pré-électorale où chacun pouvait compter ses troupes avant la batailles des urnes. Décriés car devenus obsolètes, ces mêmes partis ont donc implosé ou explosé, c’est selon, mais tous avaient une vertu : celle de structurer l’opinion publique autour de principes, de cristalliser des pans entiers du corps électoral qui par fidélité idéologique, historique ou familiale adhéraient au discours de l’un ou de l’autre. Et les résultats électoraux se voulaient le reflet de cette polarisation politique. Quelques années plus tard, le changement de paradigme est total et complet. Les partis historiques peinent à s’imposer dans l’opinion, y compris même parfois auprès de leurs militants historiques, au point d’être devenus les supplétifs d’un unique parti présidentiel, polymorphe et sans fondement idéologique historique ou politique affirmé. La disparition de la dimensions structurante des partis, consécutive à celle de l’opinion a ainsi engendré une vie politique binaire, voire manichéenne, ou le camp de la démocratie s’oppose à celui de l’extrémisme. Non que la bi-polarité gauche-droite qui prévalait historiquement dans la vie politique française n’était porteuse que de bienfaits, loin s’en faut, mais au moins avait-elle le mérite de marginaliser les extrêmes qui profitent aujourd’hui, certes de frustrations sociales diverses, mais peut-être aussi avant tout de l’appauvrissement intellectuel et politique des partis d’antan.

Assèchement culturel

Cette opposition binaire, que d’aucuns qualifieraient de dangereuse et pernicieuse, ne semble pas pour autant sur le point de disparaître. Car si l’urgence à limiter la progression des extrêmes s’avère impérieuse, il apparaît aussi que l’assèchement culturel d’une grande partie de la population contribue au développement d’un malaise social propre à favoriser les dits extrêmes. Passés les différents constats, aussi catastrophiques les uns que les autres, reste désormais à avancer des solutions dont l’une passe par la nécessité de retisser le lien qui existait entre les Français et la politique. Exercice ardu car il faudrait pour cela remonter, entre autre, à l’étymologie du mot, Polis en grec qui renvoie à la cité et donc à la vie de la cité. Cette définition pleine de sous-entendus altruistes et humanistes, se fracasse néanmoins aujourd’hui sur l’ultra-individualisme qui structure notre société, et par-delà, les sociétés occidentales et globales. Est-ce à dire que se profile la fin du politique ou de la politique. Certes non, mais il est à penser que dans les années à venir, sauf revirement de situation, la politique ne sera plus le processus visant à satisfaire l’intérêt général mais l’intérêt particulier.

Rétrécissement idéologique

La montée en puissance des courants extrémistes et des populismes à l’échelle mondiale conjuguée à la crainte climatique illustre la croissance d’une pensée individuelle et autarcique dans un monde de plus en fragmenté.

Les tensions apparues voilà quelques jours entre la France et l’Italie au sujet des migrants embarqués à bord du l’Océan-Viking met certes en exergue la question de la gestion de ces hommes et ces femmes en quête d’une vie meilleure mais, plus largement, celle-ci fait émerger un rétrécissement idéologique en cours dans de nombreux pays, rétrécissement qui passe par une érosion des principes élémentaires de fraternité et d’humanité. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/) Si l’Italie a récemment fait le choix d’un gouvernement d’extrême-droite, elle n’est pas le seul pays à être tenté par la dérive populiste ou extrémiste. La poussée des Républicains les plus radicaux lors des élections de midterms aux Etats-Unis, l’ombre de Boris Johnson au Royaume-Uni, les atteintes répétées aux droits de l’Homme de Viktor Orban en Hongrie ou les coups de menton diplomatiques de Kim Jung Hun en Corée du Nord finissent par démontrer que le monde dans lequel nous vivons se tourne progressivement vers des courants de pensées plus xénophobes et autarciques que vers l’altruisme et l’ouverture.

Autorité et sens collectif

Ce rétrécissement idéologique, concerne sans surprise les pays déjà familiers de modes de gouvernement autoritaires tels que la Russie ou la Corée du Nord, mais, plus inquiétant, il commence à toucher singulièrement les démocraties bien établies telles que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. La France, bien qu’encore protégée, à quand même vu par trois fois des candidats d’extrême-droite (2002, 2017 et 2022) parvenir au second tour de l’élection présidentielle. En Algérie et en Tunisie, deux poids lourds d’Afrique du Nord, les régimes en place durcissent chaque jour un peu plus leur emprise sur des populations partagées entre défense de la tradition et appel de la modernité. Autre forme d’individualisme croissant, le rapprochement de la Chine, qui n’est pas à proprement parlé un parangon de démocratie, et de l’Allemagne, qui irrite autant qu’il intrigue ses partenaires européens, mais qui témoigne à son échelle d’une perte de sens collectif quand la situation internationale le commande, y invite à tout le moins. (larevolutionpermanente.fr : https://www.revolutionpermanente.fr/La-relation-entre-l-Allemagne-et-la-Chine-redevient-une-source-de-tensions-avec-les-Etats-Unis) Plusieurs raisons pourraient expliquer cette fuite en avant vers les populismes et les extrêmes : peur des conséquences des flux migratoires, défi climatique mal appréhendé, perte de sens du message politique originel et incapacité de ce dernier à résoudre les malaises sociétaux inhérents à toutes communautés humaines…

Réflexion globale

Autant d’éléments qui effraient et poussent les électeurs vers des voies radicales qui proposent des solutions rapides, séduisantes et à court terme. Quoi qu’il en soit, il apparaît évident que l’heure est à la fièvre individualiste et non plus à la réflexion globale. A ce titre, les dangers qui guettent le monde sont nombreux et particulièrement périlleux car certains peuvent aisément déboucher sur des brouilles diplomatiques, voire dans le pire des cas, sur des conflits armés. Sans imaginer le pire, il n’est pas cependant interdit de s’en prémunir, la guerre en Ukraine l’a prouvé. Si bien que l’Union Européenne, prise d’un frisson sécuritaire, réfléchit à son tour à la manière de prévenir un conflit armé. Ainsi, d’aucuns dans un fatalisme consommé diraient que le monde va mal. La question qui se pose cependant est de savoir s’il va plus mal aujourd’hui que par le passé, et là encore, conviendrait-il de définir ce qu’est le passé. Plus concrètement, il apparaît que l’érosion des principes démocratiques dans une société mondialisée est devenue un réel enjeu d’avenir au même titre que la question environnementale qui d’ailleurs n’en est plus une puisque cette dernière impose désormais une réponse.

De Lula à Tocqueville

Elu président du Brésil, Lula devra composer avec un pays fracturé, déchiré par une crise sociale et politique profonde. A quoi s’ajoute une question environnementale des plus prégnantes, la forêt amazonienne cristallisant toutes les passions à l’échelle internationale.

Il y a de cela vingt ans, le Brésil déboulait sur la scène internationale, fraîchement et fièrement habillé de son statut de premier pays émergent. Ainsi, dans l’acronyme qui désignait ces pays sur la voie de la modernisation et de l’industrialisation, le Brésil figurait en tête des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Grenier à céréales du monde, notamment de soja et de tournesol, espace de sous-traitance, voire de montage pour de nombreux constructeurs automobiles européens, exportateur de pétrole, le Brésil s’imposait comme un acteur économique et diplomatique allant même s’inviter dans les négociations sur le nucléaire iranien. Mais vingt ans plus tard, le conte de fée s’est mué en triste réalité : près d’un tiers de la population brésilienne vit sous le seuil de pauvreté, la crise sociale qui fracture la pays n’en finit pas de s’aggraver au point qu’en 2018, les Brésiliens choisirent un ancien militaire, Jair Bolsonaro, pour gouverner le pays sans que le marasme économique dans lequel le Brésil baigne depuis la crise de 2008 n’ait été résolu. Pis ! Les inégalités sociales se sont aggravées et se sont vues greffées à une crise environnementale lourde de conséquences puisque ayant pris pour cible la forêt amazonienne victime d’une déforestation sans précédent sous la présidence Bolsonaro.

Développement et crise sociale

Pourtant, d’aucuns affirmeront que l’élection de Lula à la présidence de l’État fédéral va relancer le processus démocratique, économique, diplomatique et environnemental brésilien. De nombreuses raisons permettent de l’espérer à commencer par le profil d’un homme connu et qui a su mener le Brésil sur la voie du développement au début des années deux mille. La satisfaction des partenaires du Brésil, échaudés par l’expérience Bolsonaro, qui a accompagné l’élection de Lula témoigne aussi de la bonne volonté de ces derniers afin de relancer le processus en question. Tous les voyants semblent dès lors au vert et rien ne semble empêcher ou entraver le retour du Brésil parmi les grandes nations mondiales. Pourtant, a contrario des espoirs suscités par la victoire de Lula, nombreuses sont les embûches qui se dressent devant Lula. Politiquement parlant, celui-ci devra composer avec 99 députés bolsonaristes élus au sein du Congrès brésilien, ouvrant la voie à une gouvernance délicate poussera Lula à diriger le pays non pas tel l’homme de gauche qu’il est d’homme mais plutôt dans une logique centriste. Du point de vue économique, fragilisé par l’inflation mondiale et la remontée des taux bancaires pratiqués par les banques centrales, handicapant le Brésil dans l’hypothèse d’un emprunt, Lula doit aussi se saisir, afin de la résoudre, de la crise sociale. Rappelons que plus de 20 % de la population, soit 50 millions d’habitants, vivent avec moins de 2 dollars par jour et plus du tiers se situe sous le seuil de pauvreté. En outre, la classe moyenne (25 % des Brésiliens) est particulièrement vulnérable aux fluctuations de l’économie brésilienne largement tournée vers l’exportation de matières premières agricoles.

Poumon vert et compromis.

Et quid de la question environnementale ? Certes Lula a annoncé une réduction drastique de la déforestation de la forêt amazonienne mais réduction ne signifie pas arrêt. Le développement de l’agriculture intensive brésilienne dédiée au soja, au tournesol ou à l’élevage passe par l’abattage de l’un des poumons vert de la planète. Dès lors, les défis qui se posent au nouveau président sont de fait immenses car ils imposeront de nombreux compromis auxquels les électeurs de Lula ne s’attendent pas nécessairement. Et dans le reste du monde, attention à ne pas idéaliser l’élection d’un homme, élection qui reste certes une avancée positive mais qui ne peut occulter le fait que Lula sera confronté à des réalités dont il ne pourra s’affranchir notamment en matière sociale et qui auront des conséquences sur sa politique environnementale. Mais peut-être que le nouveau président brésilien a déjà en tête cette réflexion de Tocqueville, à savoir que la politique extérieure des Etats est souvent conditionnée par leur politique intérieure.