Damoclès à l’Elysée

Epée de damoclès
Les pleins pouvoirs et la confiance accordés au Président Macron peuvent aisément aujourd’hui s’assimiler à une épée de Damoclès. Crédit photo : commons.wikimédia.org

Si l’élection d’Emmanuel Macron a généré une vague d’optimisme jugée exceptionnelle, cette même vague expose le président à un niveau d’exigences et de responsabilités tout aussi exceptionnel. Et ô combien périlleux pour lui.

Attention ! L’hiver arrive tôt ! Le constat peut paraître saugrenu alors que l’été débute à peine, mais en politique, les saisons changent vite et le temps peut vite tourner à l’orage ou appeler des froids polaires entre gouvernants et gouvernés. Ainsi, alors qu’il s’apprête à s’exprimer devant le Congrès réuni à Versailles le 3 juillet prochain, le président Macron, aussi solaire que souriant sur la photo officielle qui trônera dans tous les espaces publics, va devoir très rapidement accélérer le rythme d’exercice du pouvoir qui prévalait jusqu’alors. Elu, est-il nécessaire de le répéter, sur la volonté des Français de s’affranchir de l’ancien monde politique jugé obsolète et dépassé au profit de nouveaux ministres et députés présentés comme en adéquation avec les défis modernes et contemporains, Emmanuel Macron sait (c’est à souhaiter en tous cas) que l’état de grâce ne perdurera pas ad vitam aeternam. Désormais au pouvoir, l’ancien Ministre de l’Economie va devoir très sérieusement prendre les problèmes posés (Emplois, déficit,…) à bras le corps au risque de voir s’étioler la confiance placée en lui et ses proches.

Rédemption et paradoxe

Pourtant si cette perte de confiance ne se traduisait que par des sondages quelconques et successifs orientés à la baisse, le mal serait moindre. Pourquoi ? Car en réalité, l’élection d’Emmanuel Macron va plus loin qu’une simple côte de popularité. Elle dépasse le stade de l’affectif pour renvoyer l’individu à celui d’homme quasi-providentiel dans lequel l’électorat a placé plus que de la confiance : il a placé son destin et son avenir. Rien que ça. En témoigne partiellement l’indice de Confiance des Ménages qui n’a jamais été aussi élevé depuis dix ans. Rares ont été les présidents de la République a ressentir sur leurs épaules de simples mortels une telle responsabilité. Les Français, fatigués et psychologiquement usés, attendent désormais de leur Président de la République beaucoup, pour ne pas dire tout, au point de lui avoir concédé une majorité écrasante à l’Assemblée nationale. Et si être considéré par 68 millions de Français comme l’Elu, celui par qui le salut et la rédemption arrivent est tout à la fois passionnant et exaltant, voilà une situation qui expose le Président Macron à une responsabilité telle que Jupiter lui-même aurait du mal à l’embrasser. C’est dire ! Et de s’exposer ainsi à une vague de déception considérable, voire destructrice dans l’hypothèse où les résultats tant attendus et espérés ne seraient pas, très vite, au rendez-vous. La chute dans l’abysse de la disgrâce serait infinie et douloureuse car assimilée à une forme de trahison. Car de l’attente non satisfaite naît la déception. Conscient de cette réalité où se toisent grandeur et déchéance, au fait de l’optimisme peut être irraisonné qu’a fait naître sa victoire, Emmanuel Macron ne peut plus désormais ni temporiser ni s’accorder de droit à l’erreur. Cruel et étrange paradoxe que celui dans lequel est aujourd’hui enfermé le Chef de l’Etat : Les pleins pouvoirs lui ont été accordés quasiment les yeux fermés mais combien ces mêmes pouvoirs pèsent sur lui comme une épée de Damoclès. Reste donc à savoir quand et comment se traduiront les premières mesures phares aux effets palpables du quinquennat qui s’ouvre. Pavé de roses, ou annoncé comme tel par nombre d’observateurs, il ne faudrait pas que le mandat du nouveau président se transforme en chemin de croix. Et combien serait-il long alors….

Le piège de l’exemplarité

Piège
Exigence absolue, l’exemplarité est aussi une arme à double tranchant souvent à géométrie variable. Crédit photo : Pixabay.com

Si électeurs et citoyens placent aujourd’hui l’exemplarité comme principe fondateur de la vie politique, il convient de ne pas oublier que cette même exemplarité, souvent à géométrie variable, concerne autant les élus que les simples quidams. Explications.

S’il est un piège dont le personnel politique français ne se méfie pas, c’est bien celui de l’exemplarité. Piège sans pitié et qui ne pardonne pas, l’exemplarité cloue au pilori celui ou celle qui, malheur à lui, a dévié du chemin de la candeur et de la probité. Le nouveau Président de la République, qui a eu tôt fait de se débarrasser de ministres englués dans de basses affaires ou sur le point d’avoir à répondre devant la justice de leurs actes passés, avait en préambule précisé les contours de son action : moraliser la vie politique française. L’Histoire dira si le locataire de l’Elysée ira jusqu’au bout de son action mais pour l’instant, force est de constater qu’il tient l’engagement pris. (lire l’article sur lemonde.fr : Coup de semonce pour Emmanuel Macron) Et les premières victimes, exfiltrées ou démissionnaires, ont dû accepter les règles de l’exécutif tout en ayant feint, visiblement, de les occulter lors de la campagne présidentielle peut-être par manque d’attention volontaire, soucieux qu’ils étaient de flatter un ego en mal de reconnaissance en héritant d’un poste ministériel. Ce que semble, à l’évidence avoir omis Richard Ferrand, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez et a fortiori François Bayrou, c’est qu’il est difficile de promouvoir l’exemplarité au profit de l’intérêt général tout en usant de manœuvres pour certaines illégales ou à même de satisfaire un intérêt particulier d’essence financière. Les attentes et les exigences de la collectivité et de la société ne l’autorisent plus.

Tribunal politique

Pourquoi est-ce donc si difficile ? La réponse réside dans deux mots de la langue française, traduisible dans toutes les autres : crédibilité et confiance. Comment en effet être crédible auprès de l’électorat qui vous a porté au pouvoir si votre passé et votre présent présente des zones d’ombres qui attenteraient à l’intérêt général ? L’exercice du pouvoir, quel qu’il soit, exige aujourd’hui une vie personnelle aussi claire que cristalline, notamment à l’heure où les réseaux sociaux, animés d’une soif de transparence redoutable, revêtissent les habits de tribunal populaire, et se révèlent parfois pire que l’institution judiciaire elle-même. Quant au deuxième mot, confiance, il résonne comme une sentence implacable. Car là encore, comment s’en prévaloir si plane l’ombre d’une possible faute, d’un écart où qui plus est, les deniers publics auraient été engagés. Pourtant, étonnamment, un bémol s’impose. De Ferrand à Bayrou, tous crient leur innocence ou invoquent l’acharnement, souvent médiatique, pour endosser le rôle, facile, de victime expiatoire. Banal, classique et éculé faute d’autres arguments immédiats pour que cesse la curée. Et nombreux de vouloir au plus vite être entendu par la justice afin de prouver leur bonne foi. Classique là encore. Pourtant une question se pose. Tous n’entretiendraient-ils pas un rapport différent à la notion d’exemplarité ? Concrètement, où en placent-ils le curseur ? Une explication sous forme d’exemple s’impose. Faire intervenir un proche travaillant au sein des services de police pour faire sauter un procès-verbal est aussi le moyen de s’affranchir des conséquences de la faute commise, en l’état un excès de vitesse, un mauvais stationnement ou autre.

Une faute reste une faute

Qui d’entre nous ne l’a pas fait ou essayé de le faire… ? Nous considérons-nous, une fois la procès verbal effacé (même si la tentative a avorté), comme coupable ? Certes non. « Incomparable ! » crieraient certains. Admettons. Mais un acte qui consiste à contourner la loi reste une faute, pénalise la collectivité et atteint de fait notre prétendue exemplarité et ce même si nous n’exerçons aucun mandat public. Naturellement, les conséquences restent limitées et n’engagent pas le sort de la nation. Pour autant, est-ce moins grave pour autant ? Notre personnel politique, qui est aussi le reflet de la société que nous défendons et que nous promouvons, s’adonne parfois à des pratiques discutables et contestables au regard de leurs responsabilités publiques. Mais le simple quidam est-il tout aussi exemplaire que son indignation, légitime, veut le laisser croire ? Et la France, pays aussi réputé pour son art consommé des arrangements et des magouilles aussi diverses que variées n’a pas spécialement de leçons à donner… Finalement, l’exemplarité ne résiderait-elle pas plus dans le rapport que nous entretenons avec la faute commise (et celui qui la commet) que dans l’exigence de se présenter exempt de tous reproches devant la collectivité ? La question reste entière et il appartient à la morale de chacun d’y répondre.

Les racines du mal

Rigueur comptable
L’origine du mal se trouve peut-être dans le tournant de la rigueur pris en 1983 par François Mitterrand et Pierre Mauroy.

Au lendemain de la déconfiture électorale du Parti socialiste, nombreux s’interrogent sur les raisons de cette humiliation. Les coupables ne manquent pas mais l’Histoire politique ne montrerait-elle pas que les origines du mal sont anciennes. Explications.

Beaucoup s’étonnent encore, alors que s’annonce une déferlante En Marche au sein de l’Assemblée Nationale, de la déconfiture que droite et gauche ont subi tant lors de l’élection présidentielle que lors du premier tour des élections législatives. Si l’étonnement se comprend, il trouve cependant des raisons qui tendraient à le pondérer même s’il reste légitime au regard de l’Histoire politique française où jamais telle déculottée n’avait été enregistrée. Et des deux partis historiques à avoir subi le plus lourd et le plus cuisant revers reste encore le Parti socialiste, impuissant à endiguer la vague Macron, incapable de proposer une nouvelle alternative progressiste crédible face à un homme qui a fait de l’explosion des clivages politiques son credo, écartant sans ménagement Adam Smith et Karl Marx, tout en imaginant un syncrétisme inédit des deux idéologies. L’avenir dira si l’expérience est efficace car en cas d’échec, la chute de l’enfant prodige de la politique risque d’être aussi lourde que put être fulgurante son ascension.

Rigueur et real politik

Pour autant, c’est bien le Parti socialiste qui aujourd’hui traîne sa gueule de bois sans parvenir à évacuer les relents d’une soirée où le macronisme a coulé à flot. Qu’es-ce qui a bien pu clocher ? Certains, tels Pascal Lamy, préfèrent stigmatiser la politique de François Hollande et Manuel Valls (à laquelle Emmanuel Macron a largement contribué aussi…), d’autres se rabattent sur le programme de Benoît Hamon, d’autres sur tout et n’importe quoi, ne sachant plus où chercher les raisons de la débâcle. Et si finalement aucun des hommes cités, et avec eux leurs homologues politiques, n’étaient en réalité responsables ? « Facile ! » s’écrieront certains. Peut-être. Mais est-ce que la défaite du Parti socialiste enregistrée lors de la présidentielle et des législatives à venir ne remonte pas à l’orée des années quatre-vingt. Disons-le tout de go ! La gauche française, charnelle et passionnelle, combative et progressiste, dévorée par l’envie de bousculer l’ordre établi est morte en 1983 lorsque François Mitterrand et Pierre Mauroy ont opté pour la politique de rigueur. Cette real politik, imposée diront certains par les conditions économiques nationales et internationales d’alors (inflation galopante, franc attaqué,…), a crucifié la gauche française, paralysée son action pour les décennies qui ont suivi renvoyant son action qualifiée de progressiste à une forme de gestion de l’Etat providence. Choquant ? Excessif ? Il appartiendra à chacun de juger à l’aune de ses convictions si la gauche française s’est corrompue avec le marché mais dire que celle-ci a tourné le dos, en 1983, à ses pères et ses principes fondateurs n’est pas erroné non plus.

« Moderne pas socialiste »

D’adaptations du discours social au marché et de concessions, parfois grossières et mal assumées, à celui-ci, la gauche française a fini par perdre son âme dans une politique prétendument moderne épousant les contraintes économiques alors qu’elle n’a fait qu’accompagner ce dernier en reniant parfois son histoire. Nombreux ont encore à l’esprit les mots de Lionel Jospin qui, présentant son programme présidentiel avant le scrutin de 2002, lançait : «Mon projet est moderne, pas socialiste » (lire l’article sur liberation.fr : « Mon projet est moderne, pas socialiste »). Aveu de collusion ? Et que dire de François Hollande qui au Bourget en janvier 2012 déclarait être l’ennemi de la finance et qui avec le CICE a flatté le monde de l’entreprise en échange de créations d’emplois qui relèvent de l’arlésienne ? Les exemples ne manquent pas et mettent tous évidence cette capitulation, d’aucuns diraient trahison, de la gauche devant le capital et qui au fil du temps a dissous le clivage, devenu artificiel, entre conservateurs et progressistes. Faut-il pour cela jeter la pierre à François Mitterrand et Pierre Mauroy, figures tutélaires de la gauche ? Ni oui, ni non. Les hommes en question ont agi en fonction de leurs convictions fatalement influencées par les circonstances de l’Histoire. Mais plus de trente ans après, les faits sont là : cruels et sans pitié. Il fallait bien que l’addition se paye un jour ! Mais combien est-elle chère payée !

Le risque de la victoire

Elections
La République en Marche, annoncée comme victorieuse, s’expose au danger d’une omnipotence non désirée et sclérosante pour les partis historiques.

Annoncée comme vainqueur du scrutin législatif, La République en Marche risque en cas de majorité absolue de confisquer sans le vouloir le débat démocratique au sein de l’Assemblée en écartant les partis historiques en sclérosant toute opposition.

Caracolant dans les intentions de vote, les candidats de la République en Marche, le parti du président Macron, peut aborder le premier tour des élections législatives (11 et 18 juin) pour le moins serein. Et il est à parier que le parti en question obtienne la majorité absolue au terme du second tour du scrutin. Bonne nouvelle pour les partisans du nouveau président mais qui pourrait finalement s’avérer plus ennuyeuse que réellement positive. Pourquoi ? Une explication s’impose. Emmanuel Macron qui défend, et s’est fait élire, sur l’explosion des clivages politiques, va vraisemblablement pouvoir compter sur une majorité écrasante de députés issus de tous les bords de l’échiquier politique (à l’exception du Front National), majorité qui écartera de fait les partis historiques non pas du débat mais de toutes possibilités de peser sur le débat en question. Celui qui voulait recomposer le paysage politique et parlementaire en générant une forme de syncrétisme idéologique risque d’étouffer toute forme de débat clivant au sein de même de l’assemblée.

Assemblée toute-puissante

L’histoire a déjà prouvé combien une majorité surpuissante et écrasante était capable de nuire au débat en imposant une seule et unique voix au sein de l’Hémicycle, asphyxiant par là même celles et ceux qui représentaient un autre courant politique. Ainsi, en 1993, la droite emmenée par Jacques Chirac avait-elle raflé la majorité des sièges au Parlement au point que devenue obsédante et surpuissante, le nouveau président élu en 1995 avait décidé, deux ans plus tard, de dissoudre l’Assemblée avec les conséquences que l’on sait. Rien ne dit qu’Emmanuel Macron sera confronté à une situation identique mais une majorité trop lourde pourrait donner le sentiment d’exclure les autres partis et donc d’écarter des citoyens soucieux et à raison (c’est le principe de la démocratie) de faire valoir leur voix par les députés élus. Le risque encouru est finalement celui d’aboutir à un Etat aux ordres de la République en Marche, sans que le Président de la République l’ait voulu, dépassé qu’il est aujourd’hui par le succès de son projet devenu en partie réalité. Car l’absence d’opposition crédible, forte et capable d’interroger le Gouvernement ou la majorité sur le sens de son action est préjudiciable à la démocratie où seule s’impose alors un seul point de vue, ce qui au regard de la pluralité républicaine n’est pas sans poser de problèmes moraux. Est-ce à dire que la République en Marche doit perdre les élections législatives ? Il n’est pas nécessaire de tomber dans l’excès inverses mais il serait peut-être salutaire pour la démocratie que l’Assemblée Nationale accueille toutes les sensibilités politiques que les électeurs veulent y voir siéger. Emmanuel Macron sait qu’une majorité absolue, certes efficace et dévouée, peut aussi être perçue comme sclérosante, facteur d’impossible et de verrouillage pour des Français en quête de changement et non pas d’omnipotence repeinte et aux couleurs de La République en Marche.