Après le 24 avril…

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, une seule hypothèse paraît des plus certaines : le prochain locataire de l’Elysée aura à gérer les conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Autant de préoccupations qui risquent de l’éloigner des affaires intérieures pourtant urgentes.

Il est naturellement impossible à cette heure de prédire qui des douze candidats déclarés à l’élection présidentielle sera celui ou celle qui siégera à l’Elysée au soir du 24 avril pour les cinq années qui viennent. Pour autant, la question qui émerge désormais est de savoir comment le futur ou la future locataire de l’Elysée répondra aux multiples défis qui se poseront à lui. Non qu’ils soient plus nombreux qu’il y a cinq ou dix ans, voire plus, mais ces mêmes défis ont été générés ou amplifiés par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. Pour le premier, le rebond puis le choc économique qu’il a suscité, et qu’il conviendra de gérer avec délicatesse pour éviter une vague inflationniste trop élevée propre à un relèvement lui aussi élevé des taux d’intérêt (sans compter les risques sur l’emploi, le moral des ménages et des entreprises), il faudra aussi apprendre à gérer les épisodes de contamination possibles dans les années à venir. L’exercice est loin d’être aisé tant l’exaspération au regard d’une épidémie qui n’en finit pas est grande et moteur de tensions sociales à surveiller de près. Pour ce qui est du deuxième défi, à savoir les conséquences de la guerre en Ukraine, qui aurait presque pu faire oublier la pandémie tant sa soudaineté et sa violence ont sidéré le monde, il conviendra là encore de faire preuve d’une très grande habileté et d’une vigilance diplomatique accrue.

Tensions géopolitiques

Les mutations géopolitiques auxquelles nous assistons sont loin d’être achevées et la question ukrainienne ne pourrait, finalement, être qu’un avant-goût des décennies à venir. Le portrait qui se dessine entre guerres sanitaires et tensions géopolitiques n’est en rien engageant pour celui à qui échoira la charge suprême. Alors se pose d’évidence la question simple : Que faire ? Il appartiendra à chacun d’y répondre à l’aune de ses propres convictions mais si le bon sens devait l’emporter il semble que plusieurs mesures essentielles s’imposent. Les recherches engagées pour éteindre la pandémie par la vaccination de masse seront certainement à poursuivre et à intensifier pour, à l’arrivée, faire du covid-19 une épidémie saisonnière banale et non celle capable de paralyser une planète entière pendant des mois entiers. Or cette politique de lutte contre l’épidémie, que personne ne conteste fondamentalement, est aussi porteuse de décisions, le Pass vaccinal l’a prouvé, capable de générer nombre d’oppositions susceptibles de ralentir ou d’interférer dans les processus d’éradication ou de contrôle du virus et ce sans compter les tensions sur les systèmes de santé concernés (Hôpitaux, soignants, …) mis à rude épreuve et rapidement dépassés. Ainsi, repenser l’hôpital, ses missions de service public et travailler au confort professionnel des soignants s’est avéré comme une urgence absolue au lendemain de la première vague de la pandémie. Et force et de constater que ce ne sont pas les quelques augmentations consenties aux personnels qui permettront d’éluder le problème pour les années à venir.

Cordiales ou amicales ?

La situation internationale appellera une finesse de jugement et un sens de la diplomatie des plus aiguisés tant les relations avec la Chine et la Russie sont vraisemblablement amenées à se tendre non pas jusqu’au point de rupture mais dans des dimensions plus cordiales que franchement amicales. La nécessité pour l’Occident, et la France en particulier, de conserver avec le géant asiatique de solides contacts commerciaux obligera certainement à des concessions difficiles à accepter (Droits de l’Homme, Indo-Pacifique,…) inévitables, la France n’étant en rien un poids lourd mondial, au mieux une puissance moyenne en mal de reconnaissance internationale. Quant aux rapports avec la Russie, ils sont d’ores et déjà à réinventer, avec ou sans Poutine, soit dans une optique de nouvelles collaborations, soit dans une logique d’éloignement progressif pour n’aboutir qu’à de simples rapports diplomatiques d’usage. Mais la France, là encore puissance moyenne, a-t-elle les moyens de se priver d’un tel partenaire ? Dans cette même veine, quel rôle jouer dans l’OTAN, aujourd’hui au coeur de tant de questionnements, et plus largement quel rôle endosser d’un point de vue diplomatique à l’échelle internationale ? Il apparaît in fine que tant la pandémie que le conflit ukrainien ont bouleversé l’agenda de l’élection présidentielle, souvent amenée à ronronner autour des thèmes classiques de la dette, du financement des retraites ou de l’emploi au profit d’une préoccupation, issue des bouleversements explicités plus avant, le pouvoir d’achat. Et c’est un euphémisme que de dire combien le prochain ou prochaine locataire de l’Elysée aura à transformer une nation prise dans le chaos de l’Histoire.

Défendre l’Ukraine, sauver la démocratie

Après un mois de conflit, le président ukrainien tente de susciter l’aide et la compassion des nations occidentales par ses multiples interventions. Mais plongées dans leurs contradictions, ces mêmes nations voient leur modèle démocratique attaqué et fragilisé par la réalité de la guerre.

D’aucuns songeraient qu’en s’adressant tour à tour aux différents parlements des démocraties occidentales, (France, Italie, Berlin, Etats-Unis,…) Volodymyr Zelensky tente d’impliquer plus encore les nations concernées dans le conflit (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/live/) Certes, il serait difficile de ne pas voir dans la manœuvre du président ukrainien assiégé de susciter plus encore de compassion qui pourrait se traduire par un engagement plus que matériel. Mais, in fine, il s’avère des plus légitimes de la part d’un pays agressé de la sorte de se plier à cet exercice. Pourtant derrière la manœuvre qu’il est malaisé, voire indécent, de reprocher au regard de la situation, se cache en réalité un double message. Tout d’abord, un véritable appel au secours d’une nation meurtrie, saignée à blanc et en proie à un exode massif de sa population. Que restera-t-il de l’Ukraine au lendemain de cette guerre qui semble prendre le chemin d’un conflit long et coûteux pour toutes les parties engagées ? Un scénario à la tchétchène se décide aujourd’hui avec l’objectif, pour Moscou, de raser le pays afin d’y instaurer un régime des plus favorables à la Russie.

Force brutale et sauvage

Le second message délivré en filigrane par les différentes allocutions de Volodymyr Zelensky est quant à lui teinté de prudence et d’un avertissement qui se veut solennel : Nos démocraties sont en danger et il y a sur cette Terre des individus qui ne croient qu’en la force brutale et sauvage au détriment de régimes ouverts et pluriels. Ce message, saisi par tous les esprits éclairés et dont le sens et la portée ont eu le mérite de réveiller l’Union européenne, s’est traduit dans les faits par la mise en place d’un ensemble de sanctions inédites à l’endroit d’un pays agresseur, par la relance du débat sur la sécurité en Europe, par la nécessité de repenser les relations sino-européennes et de replacer les Etats-Unis dans le jeu sécuritaire sur le Vieux continent. Mais l’ensemble de ces éléments suffiront-ils à faire trembler Vladimir Poutine ? La question reste entière car après un mois de guerre, les forces russes sont toujours présentes sur le sol ukrainien, opposées à une défense héroïque et farouche des Ukrainiens emmenés par un président érigé au rang de héros national voire international. Pays martyre, l’Ukraine paye aujourd’hui durement et injustement sa volonté et son envie de se tourner vers l’Europe occidentale et non la Russie, longtemps mise au ban des nations et qui réclame de la manière la plus indue qui soit sa part.

Sanctions handicapantes

En faisant le choix de la violence, de la menace, de la guerre et des exactions, Vladimir Poutine savait qu’il serait ostracisé du concert des nations tout en sachant aussi que son influence sur la question énergétique enfermerait l’Europe occidentale dans un dilemme cornélien. (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/vox) Toute implication militaire de la part de ces mêmes nations entraînerait de facto un conflit à bien plus grande échelle dont l’Europe ne saurait prédire l’issue ; les sanctions prises à l’endroit de la Russie, handicapantes pour cette dernière, ne sont pas visiblement à ce jour suffisantes pour enrayer l’offensive russe et pourraient à terme se retourner contre ceux qui les ont prises. En déclenchant la guerre en Ukraine, dans un jeu diplomatique tactique et retors, Vladimir Poutine a poussé les nations occidentales démocratiques face à leurs contradictions, leurs renoncements et leur aveuglement parfois volontaire. Et pendant ce temps, précieux, l’Ukraine est écrasée au quotidien par des bombardements incessants.

N’avoir d’yeux que pour Pékin

Le conflit ukrainien, tout en redessinant les lignes de fractures et les équilibres diplomatiques européens, tend aussi à réévaluer la place de la Chine dans le processus de mondialisation ainsi que dans les espaces géopolitiques globaux. Explications.

Alors que durant les premiers jours de la guerre en Ukraine, les regards se sont tournés vers Moscou, espérant un signe d’apaisement, c’est désormais vers Pékin que se tourne l’attention de toutes les parties prenantes du conflit. Et dire que la résolution de la crise, déclenchée par Vladimir Poutine, de plus en plus isolé, se jouera dans la capitale chinoise est un euphémisme tant le poids politique et surtout économique de la Chine pèse lourd sur les relations internationales et plus précisément leur nature. L’enjeu pour Pékin est on ne peut plus clair. Si la Russie de Vladimir Poutine pouvait, à la rigueur et pendant un temps endosser les sanctions économiques décidées par l’Union Européenne et l’ensemble des nations occidentales, la Chine est bien trop impliquée dans le processus de mondialisation pour se permette une quelconque brouille avec l’Europe ou l’Amérique du Nord. Soucieuse de développer ses relations commerciales avec l’Europe via les nouvelles routes de la soie qui traverseront l’Europe orientale dont l’Ukraine (geoconfluences.ens-lyon.fr : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie), la Chine ne peut s’autoriser un soutien à la Russie qui ne manquerait pas de heurter, voire plus, ses partenaires européens. Situation identique avec les Etats-Unis, partenaire commercial de premier rang pour un pays désireux de satisfaire une classe moyenne en pleine éclosion et avide de progrès social tout en faisant oublier aux Occidentaux la question Ouïghours par des relations commerciales fructueuses.

Chaos contre continuité

L’heure des choix a sonné pour l’Empire du Milieu car la Chine, et sa culture millénaire, abhorre le chaos et la rupture préférant la négociation et la continuité de relations paisibles dans lesquelles toutes les parties sont satisfaites. Il est cependant vrai que la Chine se retrouve dans une situation des plus inconfortables : soutenir la Russie lui assure la paix avec un voisin longtemps turbulent mais qui est aujourd’hui un de ses fournisseurs de gaz et de pétrole attitré au risque de rompre de manière indirecte ou directe les relations commerciales avec les Européens et les Nord-Américains ; s’abstenir de tout soutien, ce qui en terme diplomatique revient à soutenir les Occidentaux, c’est garantir son avenir économique pour de longues décennies au risque de relancer les rancoeurs apaisées avec la Russie. Le conflit ukrainien, qui a bouleversé la géopolitique européenne en remodelant les lignes de fractures Est-Ouest et en déplaçant les centres de gravité propres à équilibrer les espaces de tensions diplomatiques, est aussi en train de perturber les choix et les orientations de la Chine, à l’aise dans l’ambiguïté de positions toujours à même de servir ses intérêts.

Indo-Pacifique et équilibrisme

Sauf que la situation actuelle, dictée par la brutalité d’une décision unilatérale, ici celle de la Russie, impose une prise de position sinon radicale du moins franche dans ses fondements. Peu coutumière du fait, répétons-le, peu encline à la rupture, la Chine sait que tout soutien officiel à la Russie hypothéquerait ses ambitions de domination de la zone Indo-Pacifique en poussant les Etats-Unis à plus d’activisme dans la région concernée. Parallèlement, la question Ouïghours, que les Occidentaux ignorent à dessein afin de ne pas froisser le géant chinois, pourrait soudainement faire éruption dans les relations diplomatiques tout comme le cas Taïwan, pour l’heure passé sous silence. Enfin, une prise de position directe, aurait pour conséquence d’entraver sérieusement, comme décrit précédemment, les relations économiques et commerciales entre Asie et Occident, (lemondepolitique.fr : https://www.lemondepolitique.fr/cours/) conséquence que Pékin ne souhaite en aucun cas affronter. Ainsi, ce numéro d’équilibrisme risqué, qui ne pourra avoir qu’un temps, est peut-être le dernier avatar d’une politique chinoise placée sous le sceau de l’ambivalence, Pékin ne pouvant plus s’offrir le luxe de jouer les géants capricieux dans un monde en recomposition.

Entre cynisme et hypocrisie

Si la crise ukrainienne bouleverse l’équilibre géopolitique européen et tétanise un Occident sidéré, il renvoie aussi celui-ci à ses errances et ses approximations à l’égard de la Russie. Autant de failles que Vladimir Poutine a su exploiter avec cynisme.

Bien que ralentie par l’héroïsme des forces régulières et par celui de la résistance ukrainienne, l’avancée de l’armée russe apparaît au fil des heures comme des plus inquiétantes. Si l’aspect militaire est naturellement celui qui frappe le plus, la dimension humaine, avec le sort réservé aux populations civiles est aussi une source de préoccupations majeure. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/06) Pourtant, parallèlement à cette agression, qui défie les lois de l’entendement dans un contexte géopolitique marqué par la dissuasion nucléaire, émerge une autre réalité, d’essence politique, à même d’interroger les sociétés démocratiques contemporaines actuelles. L’invasion de l’Ukraine par la Russie renvoie ainsi les démocraties occidentales, Etats-Unis compris, à leurs errances, et par certains aspects, à leur vanité. Longtemps convaincus que la démocratie était un bien politique précieux, voire sacrée, nombre de pays régis par ce système ont, volontairement ou involontairement, ignoré, ou traité parfois avec condescendance, les régimes autoritaires ou dictatoriaux, préférant souvent, de manière hypocrite, composer avec eux au prétexte d’intérêts économiques présentés comme supérieurs. L’exemple du gaz russe en est le parfait exemple.

Seul prix à payer ?

Confrontés à une réalité visant à nier l’existence d’une Ukraine démocratique, ces mêmes nations occidentales, à juste titre blessées et outrées au regard des principes qu’elles défendent, sont désormais dans l’obligation de mettre en œuvre tous les moyens disponibles pour protéger un pays agressé. En appliquant tout un ensemble de mesures économiques sensé affaiblir la Russie, le bloc occidental espère donc faire plier Poutine dès lors poussé à retirer ses forces d’Ukraine car tiraillé par les conséquences financières et monétaires de son acte belliqueux. La question qui se pose alors est de savoir si ces mesures suffiront à infléchir sa position ? Ces mesures seront-elles le seul prix à payer ? Il appartiendra à chacun de répondre à cette question mais une autre réalité, plus matérielle celle-ci, s’impose. La force militaire de la Russie de Vladimir Poutine qui commande la deuxième armée la plus puissante au monde impressionne et renvoie les armées du bloc occidental, hors Etats-Unis, à un constat simple : même associées, les différentes forces européennes ne pourraient rivaliser avec l’armée russe tant en hommes qu’en matériel. Et que dire de l’armada nucléaire qui surpasse en nombre celle des Européens de l’Ouest. En 2018, la Russie possédait 2000 armées stratégiques déployées, quand la France et le Royaume-Uni, associées, en possédaient 450. Ainsi, l’avancée des forces russes dans l’Ukraine dévastée semble presque inéluctable sauf si dans un élan aux conséquences impossibles à imaginer, l’Europe et les Etats-Unis décidaient d’une réponse armée, peut-être seule option à même d’entraver la marche de Poutine. Si rien n’atteste que l’Ukraine sera son seul objectif, les nations européennes sont aujourd’hui averties : Lorsque Poutine veut, Moscou prend.

Déflagration

Engager un conflit armé avec la Russie sur le sol ukrainien relèverait d’une déflagration politique, humaine et diplomatique telle que l’on en a pas vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais qui en Europe de l’Ouest, et plus largement en Occident, souhaite en arriver à cette extrémité ? Si manifestations et élans de solidarité se multiplient en faveur de l’Ukraine, qui est aujourd’hui prêt à militairement s’engager, c’est-à-dire sur le sol ukrainien, aux côtés de la nation du président Zelinsky ? Mourir pour Kiev n’est pas manifester pour Kiev. In fine, le conflit ukrainien a mis en exergue toutes les contradictions de nos démocraties, toutes ses approximations et ses reniements face à un régime qui emprisonne ses opposants, qui assassine des journalistes et décapite des démocraties libres et souveraines. (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/vox/societe) Vladimir Poutine, fin stratège, a su manipuler et se jouer, avec tout le cynisme qu’on lui connaît, de ces errements et de ces failles, de ces divisions et de ces contradictions, à même de pousser les Occidentaux dans l’inertie d’un questionnement sans fin : faut-il intervenir militairement en Ukraine ? Et dans l’attente d’une réponse qui tarde à venir, l’Ukraine sombre chaque jour dans le chaos. Et nombre de d’Occidentaux de nourrir le secret espoir que la population russe, excédée par les conséquences économiques liées à l’invasion, se retourne et se révolte contre Vladimir Poutine.