Et si la crise des migrants n’était finalement que le révélateur du reniement des principes qui président l’espace européen depuis sa création en 1957 ? La question se pose avec autant d’acuité que l’Union européenne, créée sur la base d’une coopération et d’une solidarité inter-Etats, se voit rongée par la montée exponentielle des nationalismes particuliers, par la réticence des Etats à statuer sur le sort des migrants, par les atermoiements à définir une politique claire et arrêtée sur la question, chacun renvoyant l’autre à ses responsabilités souveraines alors que les Traités successifs rappellent la notion de solidarité comme fondamentale. Où se situe donc le nœud gordien dans une Union européenne que l’on croyait forte et qui se révèle aussi fragile que diverse dans ses composantes ? Un premier constat s’impose : les moteurs historiques de la construction européenne sont en panne. Et alors que resurgissent ici où là des rancoeurs d’un autre temps, de celles qui ont amené le continent à se déchirer au XIXème et au XXème siècle, l’Union européenne semble se diriger, lentement mais sûrement, vers sa désagrégation. Certes, les Traités ne seront pas rompus demain, ni après demain. Mais dans cinquante ans, l’Union existera-t-elle toujours ?
Avatar excentré
L’inertie qui est devenue le moteur d’un ensemble qui devrait continuellement progresser laisse, exemple cruel mais patent, des milliers de désespérés aux portes d’une Europe désemparée car mal préparée, (ou pire ! Indifférente !) à affronter les réalités du nouveau monde. Car à l’origine, la CECA, la CEE, puis l’Union européenne, toutes trois créées au XXème siècle n’ont pas été, malheureusement, conçues pour faire face aux changements qui s’opèrent aujourd’hui. Alors, le monde se divisait en deux blocs avec des nations périphériques plus ou moins assujetties à l’un ou l’autre. La vision du monde était simple et l’Union européenne se voulait, à son corps défendant, une forme d’avatar excentré du bloc occidental accompagnée de l’OTAN et plus ou moins de l’ONU. A l’écart des soubresauts extérieurs, l’Europe politique s’auto-gérait en faisant face à ses propres problèmes sociétaux, économiques, politiques ou environnementaux sous l’oeil bienveillant de l’Oncle Sam. La dislocation du bloc soviétique a pris de court un ensemble finalement fragile en raison de sa diversité originelle et qui a dû apprendre à composer avec le monde entier. Généreuse dans ses ambitions, mais faibles dans ses moyens, l’Union européenne a compris à ses dépens qu’elle (et avec elle les Européens) n’était plus seule à décider et que la protection relative et tacite que lui offrait un monde bi-polaire s’était évanouie. Car le malaise qui prévaut aujourd’hui au sein de l’Union européenne n’est-il pas plus le fruit d’une inadaptation structurelle que d’une vague de migrants qui certes la concerne mais qu’elle serait très largement en mesure de gérer ? Le premier devoir de l’Union aujourd’hui, outre celui prioritaire d’accueillir des migrants chassés par la guerre, la dictature et la faim, est de réformer profondément ses textes pour offrir le visage d’un ensemble apte à faire face au XXIème siècle. Peu importe le nombre de pays membres, la question se pose en terme d’ambition et non en terme de pouvoir particulier, de moteurs ou d’amitiés choisies. Que veut devenir l’Union européenne ? Une addition de pays, les uns évoluant au sein de l’Euro zone, les autres en périphérie créant de fait une forme de hiérarchie au sein de même de l’ensemble (quand les Traités évoquent l’équité et l’égalité des membres) ? Un espace économique marchand, ce qui reviendrait à transformer l’Union (si n’est pas déjà le cas) à une gigantesque zone de transit commercial ? Ou autre option, repenser les textes fondateurs en conservant les principes de solidarité qui prévalait alors en les adaptant aux nouvelles crises mondiales.
Société post-industrielle
L’Europe du XXIème siècle n’est plus à reconstruire comme elle l’était au sortir de la Seconde Guerre mondiale ! Elle est même passée du statut de société industrielle à celui de société post-industrielle. Vécue comme une crise par un ensemble dépassé par les événements, l’arrivée des migrants en Europe pourrait être, au contraire, perçue comme un moyen de moderniser l’Union. Comment ? En adaptant l’espace européen aux réalités sociales, économiques, politiques ou religieuses qui l’entourent au lieu de vivre ces dernières comme des agressions extérieures qui n’auraient pour vocation que d’atteindre l’univers que nous nous sommes construits. L’accueil des migrants est l’opportunité pour nous Européens de sortir de notre vase clos, de comprendre que le monde a changé et changera encore. S’enfermer dans le dogme d’une doxa absolue considérant que notre espace seul prévaut conduira à l’échec. Dans des centaines d’années, si l’Union existe encore, cette crise actuelle sera perçue comme une crise de croissance à terme dominée. Si l’Union a disparu, alors les historiens de demain l’interpréteront comme un avatar civilisationnel, une tentative collective de coopération à grande échelle qui aura échoué sous les coups de boutoirs de l’individualisme, des nationalismes mal contrôlés (fruits d’un flottement politique et social en voie de globalisation), d’une inertie coupable dans laquelle se seront cloîtrés les pays membres préoccupés par leurs intérêts particuliers et non par un dessein collectif. Il ne suffit pas d’avoir une monnaie commune ou de passer de frontières en frontières sans contrôles douaniers pour parler d’Union européenne. Au delà de ces exemples pris à la volée, il devient urgent de penser l’Europe et non plus de la subir au risque de lourdes déconvenues, de comprendre ce qu’elle a cherché atteindre et non plus d’en défendre l’espace par peur de l’autre. Et ce travail de réflexion, nécessaire à tout ensemble humain qui défend son avenir, est l’affaire de tous les Européens. Et aujourd’hui, pas demain !