L’impossible défaite

Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à investir leur nouveau président, Donald Trump semble plus que jamais absent du sommet de l’État. Plusieurs raisons l’expliquent et parmi elles : l’impossibilité d’accepter la défaite. Non sans conséquences.

Elu en 2016 à la surprise générale, voire peut-être même à la sienne, Donald Trump s’apprête à quitter le pouvoir. Les derniers commentaires le présentent comme errant comme un général défait dans une Maison Blanche désertée. Seulement, le trublion politique qu’il a été, et sera certainement encore, semble ne pas digérer la défaite. Mais, outre le fait de rejoindre le club très fermé des président non réélus au terme de leur premier mandat (Jimmy Carter emporté par les effets de la crise économique du milieu des années soixante-dix et Georges Bush par la tornade Bill Clinton), Donald Trump donne aujourd’hui le sentiment de nourrir une rancoeur tenace, presque incompréhensible, à l’égard de Joe Biden désormais appelé à gouverner. Quitte à défier la Constitution. (courrierinternational.com :https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse)

Démonstration et démocratie

Et force est de constater que nombreuses sont les questions qui se succèdent face à cette attitude qui relève plus de la cabale personnelle que du sens de l’État, de la guérilla politique que de l’intérêt général. Et si par cette attitude, qui interroge par delà les frontières de la première démocratie du monde, Donald Trump ne faisait pas la démonstration nue de ce qu’a été son mandat : une succession coup de mentons, de caprices, d’incohérences et de contradictions qui se sont souvent soldés par le lent discrédit de l’État et de la Nation américaine ? N’est-il pas juste d’affirmer, ou tout du moins de s’interroger sur le fait que le mandat de Donald Trump a plus terni la démocratie nord-américaine qu’elle ne l’a grandi ? (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/chroniques-de-la-presidence-trump/) Chacun apportera sa réponse à cette question à l’aune de ses convictions mais il est aussi vrai que rarement dans l’histoire des Etats-Unis, une élection aura été autant scrutée et suivie à travers le monde. Au-delà du personnage Donald Trump, le président sortant s’est révélé comme un sujet d’étude pour nombre de politologues qui ont cherché, et chercheront, à comprendre comment cet homme a pu accéder à la charge suprême.

Socle électoral et charisme

Alors désormais se pose la question : Donald Trump a-t-il été un accident de l’Histoire ou le signe annonciateur d’une nouvelle offre politique ? Une analyse pragmatique de la situation pousse à avancer que Donald Trump a su constituer en 2016 et 2020 un socle électoral qui pourra, à lui ou un autre candidat républicain, servir. Donc la thèse de l’accident peut s’évacuer d’elle-même car même si des Etats clefs ont basculé dans le camp démocrate pendant le scrutin, la victoire de Joe Biden n’est en rien écrasante. Ce qui relance l’idée de la présence d’un corps électoral encore fidèle au président déchu car les Etats-Unis, nation souvent manichéenne, ne saurait se contenter d’hommes ou de femmes politiques neutres ou sans relief. Il n’est en rien abusif d’affirmer que Donald Trump a su user de son charisme, de son expérience d’homme d’affaires mais aussi de discours souvent faciles et réducteurs pour séduire une Amérique apeurée en quête de réponses et de certitudes. Reste à savoir si dans quatre ans, lui ou un autre, s’appuiera sur cette Amérique.

Le covid, la résilience et l’avenir

Entre durcissement des phases de confinement et lassitude teintée de colère des populations, le coronavirus met à l’épreuve la capacité de résilience de chacun. Sans que ne se dessinent les contours d’une nouvelle société fruit d’une prise de conscience collective.

Alors que se durcissent un peu plus tous les jours les mesures visant à limiter la propagation du coronavirus, commencent à éclater ici et là des mouvements de rébellion que d’aucuns jugeraient compréhensibles au regard de la situation endurée. Dernier en date, celui des catholiques français qui en appellent au Gouvernement pour que celui-ci autorise à nouveau les messes. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/sante/article) Mais, à l’image de nombreuses manifestations ou rassemblements, les offices religieux, quels qu’ils soient, sont purement interdits. Risque de contamination oblige. Certes. Alors émerge, en parallèle de la colère dénonçant la privation de liberté individuelle et fondamentale, une question des plus sensibles, qui fait écho à la propagation du virus. Jusqu’à quel point accepterons-nous les contraintes imposées par le confinement ?

Résilience et gravité

L’interrogation renvoie à la capacité de résistance d’un individu face à une obligation d’essence verticale, c’est-à-dire imposée de manière jacobine et pyramidale par le Gouvernement. Cette résilience, mise à rude épreuve depuis plusieurs mois désormais, pourrait cependant trouver ses limites (Voir youtube.fr : Boris Cyrulnik – https://www.youtube.com/watch?v=oV3T55KmGE4). Tout d’abord parce que l’être humain n’est pas naturellement programmé pour vivre enfermé ou contraint. Ensuite, car, habitués à un confort social qui nous a longtemps permis de nous déplacer et d’agir à notre guise, nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité progressive d’assumer cette privation de nos libertés usuelles. Si le cas des fidèles catholiques ayant défilé dans les rues de la capitale parisienne peut prêter à sourire, il reste aussi symptomatique d’une société, et plus largement de sociétés, qui ne comprennent ni n’appréhendent la gravité de la situation sanitaire. Point de bêtise ou de stupidité, mais dans un monde globalement empreint d’aisance et de facilité, la soudaineté et la violence du Covid-19 ont bousculé et surpris une humanité encore sous le choc des effets des mesures annoncées. Et preuve tout à la fois de la lassitude éprouvée face à la pandémie et l’agacement à l’endroit des protocoles sanitaires entravant toutes sorties non essentielles, il apparaît que les Français se déplacent plus au cours de cette seconde phase de confinement que lors de la première.

Fossoyeur et réflexion

Si la pandémie laissera des traces sanitaires et psychologiques, il semble, pour ne pas dire certain, que le confinement et les mesures associées en laisseront aussi et pour de nombreuses années. Est-ce à dire que le Covid a tellement bousculé nos existences qu’il se révèle être le fossoyeur du monde d’avant et le couloir menant au nouveau monde, tant vanté au lendemain du premier confinement ? Rien n’est moins sûr. Pour autant, la réalité semble plus sombre. La pandémie a surtout révélé les fragilités organiques de nos sociétés, quelles qu’elles soient, développées ou émergentes, les limites de nos systèmes de santé dépassés car rongés par la contrainte budgétaire, l’incapacité, quoi qu’il puisse en être dit, de proposer de nouvelles orientations sociétales, de générer une réflexion globale sur ce que pourrait être un autre monde. Il suffit pour cela de constater le silence des corps organisés (Partis politiques, syndicats, associations,…) devant la prise de conscience qu’impose la pandémie. In fine, cette résilience tant louée, risque surtout d’accoucher d’une société égale à celle qui prévalait avant le covid-19, à la rigueur matinée de quelques changements mais ô combien marginaux.

Fin d’épisode ou début d’histoire ?

Si la victoire de Joe Biden scelle le départ de Donald Trump de la Maison Blanche, elle n’éteint pas nécessairement la fièvre populiste. Les racines du mouvement mues par l’idée d’une confrontation entre peuples et élites sont à même de donner naissance à une nouvelle forme de populisme, plus sournois car influençant des discours à vocation pondérée.

D’aucuns, et à raison, pourraient penser que la défaite de Donald Trump à l’élection présidentielle sonne le glas du populisme politique qui a prospéré en divers endroits de la planète depuis une dizaine d’années. Etats-Unis, Royaume-Uni, Hongrie, Pologne, Italie sont autant de pays à avoir cédé aux sirènes d’un courant politique mêlant simplifications et exagérations à des fins purement électorales, opposant peuple et élites politiques, économiques ou médiatiques mais sans solutions pérennes pour l’intérêt général (Lire vie-publique.fr : https://www.vie-publique.fr/). Ce sentiment qui vise à penser que le populisme est possiblement en train de vivre ses dernières heures, légitime et compréhensible, doit cependant être pondéré car si les dirigeants populistes sont progressivement amenés à quitter le pouvoir, car incapables, ou à se discréditer au sein des institutions internationales, voire au sein de leur propre pays (il suffit d’apprécier l’ampleur des manifestations pro-avortement en Pologne qui témoignent de l’élan libertaire et démocratique de cette dernière), il est possible que le populisme prenne d’autres formes. Une explication s’impose.

Double crise et complexité

La conjonction actuelle mondiale de la crise sanitaire et économique, la première nourrissant la seconde, le poids et les effets de la mondialisation, pourrait pousser, dans les mois ou les années à venir les populations les plus exposées aux conséquences de cette double crise à, sinon ouvertement opter pour des régimes clairement populistes, mais à se tourner vers des thèses empreintes ou influencées par des discours populistes portées par des candidats ou des partis que l’on qualifiera de modérés ou républicains. Cette insinuation du populisme dans le discours relevant avant tout de l’intérêt général traduirait plusieurs évolutions au sein même de sociétés aujourd’hui à la recherche de sens et de repères. Première d’entre elles, la porosité et la fragilité des discours conventionnels à des thèses qui n’appellent finalement que peu de connaissances de la complexité qui préside à nos sociétés contemporaines. Le raccourci politique, servit par des thèses conspirationnistes ou complotistes dont le populisme sait faire ses choux gras, menace partis et organisations reconnus pour leur pondération mais souvent en peine à résoudre les équations sociétales. Deuxième évolution, celle de populations en quête de solutions et de réponses à leur mal-être, que celui-ci soit social ou économique. Le populisme, qui prospère avant tout sur la peur de l’inconnu et du lendemain, dans l’idée d’un ennemi incarné par des élites politiques égoïstes, trouve dans les interrogations de notre époque un terreau fertile à sa croissance.

Influence et renouvellement

Ainsi, le départ quasi-certain de Donald Trump de la présidence des Etats-Unis, marque certes la fin d’une période que les historiens auront pour tâche de qualifier dans les années à venir, mais ne scelle pas nécessairement celle du populisme. L’épisode Donald Trump a mis en évidence le fait qu’un pays à l’influence globale pouvait céder à la tentation populiste (Lire Esprit.presse.fr : https://esprit.presse.fr/article), accréditant ainsi la possibilité d’une gouvernance de cet ordre. Or, le départ de celui-ci, qui ne clôture pas nécessairement l’expérience, ouvre peut-être une ère de turbulences politiques où le populisme, capable de se renouveler, ce qui est d’ailleurs sa force, cherchera par les moyens à sa disposition à s’imposer directement ou indirectement. Plus que de discours novateurs, c’est probablement de prudence qu’il faudra faire preuve dans les années à venir.

La puissance au-delà de l’élection

Quel que soit le candidat qui siègera à la Maison Blanche au lendemain de l’élection du président des Etats-Unis, une certitude s’impose : la capacité de la nation américaine à influer sur la politique internationale. Car même contestée, la puissance des Etats-Unis, mélange de soft et hard power*, persiste à dicter la teneur des échanges mondiaux.

Vue de France, l’élection présidentielle américaine revêt toujours un aspect fascinant, peut-être parce que les deux nations partagent un ensemble de points communs qu’elles peinent, par orgueil, à reconnaître. Vue des Etats-Unis, on peut s’interroger sur l’intérêt que nourrit l’élection présidentielle française. Et pour cause, le choix des électeurs français pour le premier de leur représentant n’a finalement que peu d’influence sur la politique mondiale, à la rigueur à l’échelle européenne, au contraire du choix des électeurs de la première démocratie. Inutile de le nier, le choix du prochain président des Etats-Unis, et ce depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, donnera le ton des futures relations internationales dans un contexte politique et sanitaire, pour le premier complexe, pour le second chaque jour plus inquiétant. Et que dire des tensions raciales qui hantent les Etats-Unis, promptes à renforcer le climat d’incertitude qui règne autour de ce scrutin ou de ces swing states (Etats balance) sur lesquels les yeux, sondages à l’appui, se rivent à l’approche du scrutin.

Intérêt et point de fixation

L’élection du président des Etats-Unis possède cette force invisible, cette capacité presque consubstantielle à capter l’intérêt de tous les pays que compte la planète, tous ayant, ou ayant eu, de près ou de loin, des relations diplomatiques politiques, commerciales ou économiques avec les Etats-Unis. C’est l’apanage des grandes puissances, voire des super-puissances : celui d’être incontournable. Et si chaque président des Etats-Unis écrit lors de son passage à la Maison Blanche une page d’histoire que le futur jugera à l’aune de l’expérience et de l’analyse objective, il n’en reste pas moins que le locataire du 1600 – Pensylvannia avenue, à Washington, dicte inconsciemment la teneur des échanges à venir. Dans un monde a-polaire, les Etats-Unis restent encore une forme de point de fixation capable de déstabiliser ou au contraire apaiser un monde déboussolé, en perte de repères et ce certitudes. Non que les Etats-Unis soient les guides suprêmes d’une Humanité en mal de confiance mais il est probable que si Donald Trump devait être élu, alors son élection serait interprétée par nombre de régimes populistes, officiels ou officieux, comme une confirmation des politiques engagées (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international) ; si en revanche Joe Biden l’emportait, alors il serait possible d’espérer une forme de détente à l’échelle internationale avec la Chine, la Corée du Nord, voire l’Europe, souvent malmenée depuis l’élection de Donald Trump en 2016. (latribune.fr : https://www.latribune.fr/economie/)

Contradiction et inertie

Possible mais en rien certain car, imprévisibles, les Etats-Unis interrogent encore souvent leurs partenaires par leur attitude déconcertante et parfois en totale contradiction avec les réalités contemporaines telles que, entre autres, le retrait de l’Accord de Paris. Car, si Joe Biden est élu, celui-ci acceptera-t-il de le réintégrer ? Rien ne l’annonce. Anecdotique au regard du poids des Etats-Unis, ce retrait illustre parfaitement ce contre-pied permanent dans lequel les Etats-Unis évoluent, conscients de leur influence et viscéralement attachés à leur positionnement isolationniste. Point d’anti-américanisme ici mais simple constat objectif qui met en évidence l’effet d’entraînement que peut initier Washington à l’échelle mondiale car rares sont les pays capables de modifier la teneur des échanges internationaux. La Chine ? L’hypothèse a souvent été avancée mais force est de constater que le point de gravité de la géopolitique mondiale se situe encore – mais pour combien de temps encore ? – entre la côte Ouest et la côte Est de la patrie des Pères fondateurs.

* Soft power et hard power : Défini par le géo-politologue américain Joseph Nye en 1990 comme l’habileté à séduire et à attirer, le concept de soft power met en perspective la notion de puissance dans un cadre non conventionnel. A contrario, le hard power (manière forte) est un concept utilisé dans le cadre des relations internationales en prônant le réalisme dicté par la situation. Il désigne la capacité d’un corps politique à imposer sa volonté à d’autres corps politiques à l’aide de moyens militaires et économiques.