De l’humilité en politique

L’avis émis par le Conseil d’État sur la réforme des retraites interroge tant sur le contenu du texte proposé que sur la méthode employée par l’exécutif. Et le Président de la République de jouer avec le lien fragile qui l’unissait aux Français.

Fin de semaine morose pour l’exécutif…Alors que les sondages annoncent Benjamin Grivaux, candidat investi par La République En Marche en difficulté pour défier Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris, voilà que le Conseil d’État vient d’émettre un avis des plus critiques sur la réforme des retraites voulue par le Président de la République et le Gouvernement. Il n’en fallait pas autant pour relancer un mouvement syndical en perte de vitesse et qui saura, à n’en pas douter, rebondir afin de faire à nouveau valoir son opposition au projet de loi.

Régicide et cacophonie

Mais au-delà des mésaventures de Benjmin Grivaux, c’est bien la décision du Conseil d’État, la plus haute autorité du pays, qui risque de ternir les jours à venir de l’exécutif car cet avis, des plus neutres et des plus désintéressés, interroge aussi sur la manière dont Président de la République et Gouvernement sont amenés à présider aux destinées de la nation. Beaucoup argueraient d’une certaine brutalité et d’un comportement à la hussarde, tous deux incompatibles avec le tempérament éruptif d’un peuple régicide. Il est donc question de méthode plus que de contenu désormais pour Emmanuel Macron, bien que le contenu soit pour beaucoup discutable. S’appuyant sur la volonté des Français de réformer le régime des retraites, le Président de la République a surestimé la capacité des Français à accepter non pas une réforme mais sa réforme, celle que le Président veut lui et pas nécessairement ceux qui l’ont élu. Ainsi se dégage-t-il de cet épisode du quinquennat, outre une cacophonie que nul ne sait interrompre, mais surtout un malaise croissant entre un Président de la République et le peuple, alors que les institutions de la Vème République sont basées sur ce lien essentiel.

Brutalité et écouter

Accusé de vanité et d’autoritarisme, d’arrogance et de prétention, Emmanuel Macron a, par cette réforme des retraites certes nécessaire mais brutale et par trop radicale, érodé le lien de confiance déjà fragile qui l’unissait aux Français. Et en démocratie, c’est souvent ce lien qui permet à ses dirigeants de poursuivre les réformes engagées quand la confiance prévaut…mais lorsque la défiance a pris le pas…Plusieurs solutions s’offrent cependant au chef de l’État. Retirer le projet, le modifier et l’amender dans le sens des revendications proposées par les centrales syndicales, faire preuve de pédagogie,…Bref ! Tout est encore possible mais ce qui risque de fondamentalement faire la différence, c’est la capacité d’Emmanuel Macron à entendre plus qu’à écouter, à proposer plus qu’à imposer, à expliquer plus qu’à tancer. L’une des erreurs commises par Emmanuel Macron a été de penser que son élection lui offrait un blanc-seing alors qu’elle a aussi été le fruit du rejet massif de l’extrême droite et dès lors de considérer que tout était possible y compris les réformes les plus audacieuses. Et si un conseil devait être adressé au Président de la République, il appellerait le chef de l’exécutif à faire preuve d’un peu plus de souplesse et d’humilité.

L’ordre ou le dialogue

La multiplication des violences policières interroge sur les missions originelles des forces de l’ordre sensées protéger les populations et assurer l’ordre républicain. Mais ce-dernier ne serait-il pas devenu une excuse à toutes les dérives dès lors légitimées. Explications.

De dérapages en bavures, voilà que depuis plusieurs semaines désormais la Police nationale est sur le grill. Les violences policières à répétition, dénoncées tour à tour par le Ministre de l’Intérieur et le Président de la République, ne semblent donc pas s’atténuer (Lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/19) et tendraient même à monter l’opinion contre les représentants des forces de l’ordre. Une fois le constat dressé, il convient d’essayer de déterminer les origines de ces violences. Le risque terroriste qui a longtemps pesé, et pèse encore d’une certaine manière sur le pays, a plus ou moins légitimé les méthodes musclées d’une police alors parée de toutes les vertus, notamment celle d’offrir un rempart à la propagation du fléau terroriste.

Ordre et Etat policier

Mais dans l’intervalle qui sépare la situation actuelle de celle qui prévalait il y a encore cinq ans, une élection présidentielle inédite de par son résultat est venu changer la donne. Le nouveau Président de la République, sous des aspects avenants, s’est en fait révélé un partisan sinon déclaré du moins clairement avoué de l’ordre. Et d’avancer la notion sacro-sainte dans une démocratie telle que la nôtre de l’ordre républicain, celui justifierait toutes les interventions au motif que celui-ci lutte pour le bien public. (Lesechos.fr : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses) Certes. Mais devant le nombre de blessés ou de mutilés, la question se pose avec tout autant de légitimité que la défense de l’ordre républicain : Une telle violence est-elle nécessaire ? Visiblement non. Les excès de la Police nationale certes aux effectifs épuisés, confrontés à des difficultés croissantes dans l’exercice de leurs fonctions respectives ne sont plus à ce jour tolérables car les accepter tels quels reviendrait à basculer dans un Etat policier où le simple fait de manifester son mécontentement serait synonyme d’un potentiel dérapage.

Violences et missions

Aussi, il n’est pas inutile, devant les mutations subies par la société, devant des nouvelles formes d’expression (réseaux sociaux à même d’amorcer des rassemblements publics sans délai ou peu), l’émergence d’une nouvelle forme de violence liée à l’incompréhension des politiques menées depuis l’élection d’Emmanuel Macron, de s’interroger sur les missions fondamentales de la Police. La France, qui se veut une démocratie moderne ne peut plus aujourd’hui confier sa sécurité intérieure à une Police dont les méthodes de maintien de l’ordre se borne à attendre les instructions avant de passer à un tabassage en règle et arguer de la défense de l’ordre public et républicain. Mais imaginer avant toute manifestation, à risque ou non, un dialogue entre forces de l’ordre et organisateurs afin d’établir les potentielles dérives ne relève pas de l’utopie. Considérer que tout manifestant n’est pas un terroriste en puissance ou un casseur en sommeil ne fait pas non plus offense à la Police dont le rôle, rappelons-le reste de protéger la population et non pas la terroriser par la menace de violences devenues intolérables.

Machiavel et les schizophrènes

L’annonce du retrait de l’âge pivot offre au Gouvernement une bouffée d’oxygène dont il tirera profit quelque soit le résultat de la conférence à venir entre partenaires sociaux. Explications.

Entre cynisme et tactique politique, il n’y a souvent qu’un pas que le Premier Ministre Edouard Philippe, n’a pas hésité à franchir quand certains l’en croyait incapable. Et pourtant, en annonçant le retrait de l’âge pivot du projet de loi portant sur la réforme des régimes de retraites en proposant aux partenaires sociaux d’avancer une solution concrète et aboutie, le Premier Ministre a déplacé toute la responsabilité de ce point de contentieux sur les négociations à venir. Machiavel aurait certainement applaudi. Clairement, si d’ici fin avril, ces derniers n’ont pas trouvé de solutions de financement pour parvenir à l’équilibre du système, alors l’âge pivot sera réintroduit dans la loi via ordonnance comme le prévoit la Constitution. Celui que beaucoup jugeaient faible et affidé au Président de la République a ainsi fait valoir une forme d’indépendance qui ne peut que satisfaire l’exécutif en cette période de tensions sociales et syndicales.

Réalités syndicales et désunion

Pour autant, reporter la responsabilité sur les négociations à venir, sans relever du génie politique, révèle aussi une connaissance assez fine de la réalité syndicale du pays, traversée de tendances conservatrices et réformistes qui auront beaucoup de mal à s’entendre quand les partenaires issus de la sphère patronnale argueront eux d’un retour de l’âge pivot. La guerre de tranchées qui se prépare et qui va certainement déchirer l’unité syndicale affichée jusqu’alors, même si celle-ci n’était que factice, va d’évidence profiter au seul Gouvernement qui n’aura plus alors qu’à marcher sur les cendres de la désunion et l’incapacité des partenaires sociaux à présenter une alternative crédible au financement du système pour imposer sans difficulté l’âge pivot. Et le Gouvernement de déjà se pavaner en avançant que la discussion a été ouverte mais n’a pas trouvé d’issue, désormais….Et ce sans compter sur le possible retournement de l’opinion qui, jusque là favorable aux mouvements de grève, en dépit de quelques signes de lassitude, pourrait se révéler cruel pour les syndicats en présence accusés alors de ne pas avoir su proposer de solutions à un Gouvernement aux allures de rouleau-compresseur.

Représentativité et cristallisation

In fine, le retrait annoncé de l’âge pivot peut s’apparenter à un gain de temps à peu de frais, voire gratuit et sans conséquence pour l’exécutif qui, par ce report qui ne dit pas son nom, s’offre les moyens de voir l’opinion se retourner contre des syndicats en mal de représentativité à l’échelle nationale (seuls 11 % des Français sont syndiqués). Et si d’aventure, une solution pertinente et crédible était avancée par les partenaires sociaux, alors le Gouvernement pourra se targuer d’avoir ouvert la voie des négociations, en revêtant l’habit du dialogue constructif. La question des retraites, qui a écumé quatre réformes en moins de trente ans, et sans comptabiliser celle en cours, est loin d’avoir fini de cristalliser les passions tant, schizophrènes, les Français restent passionnément attachés au système par répartition mais acceptent l’idée d’une réforme. Bref ! Une situation sociale comme seule la France sait en produire !

Un si étrange dessein… ?

En assassinant un des piliers de la République Islamique l’Iran, Donald Trump prend le risque d’une escalade militaire et diplomatique incontrôlable. Pourtant, le dessein présidentiel est peut-être autre. Explications.

En choisissant d’assassiner sur le sol irakien le général Ghassem Soleimani, l’un des piliers du régime de Téhéran, Donald Trump a ouvertement fait le choix de l’escalade militaire et diplomatique face à un ennemi déclaré depuis quatre décennies désormais. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette décision lourde de conséquences pour l’ensemble du Proche-Orient et qui ne laisse pas sans interroger sur la perception de Donald Trump sur la situation diplomatique mondiale et régionale. (Lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/chroniques-de-la-presidence-trump/article/2020/01/05) Tout d’abord, le contentieux américano-iranien datant de 1979, date à laquelle cinquante deux diplomates américains avaient été retenus en otages pendant un an dans leur propre ambassade sur le sol iranien par les suppôts de la nouvelle république islamique, et qui reste la matrice des relations entre ces deux pays. La seconde, s’apparenterait à la volonté de Donald Trump de limiter la propagation en Irak du chiisme, variante radicale de l’Islam, jugé trop vindicatif et trop belliqueux au goût du pensionnaire de la Maison Blanche.

Vulnérabilité et sanctions

La troisième pourrait résider dans l’intention de Donald Trump de réaffirmer l’influence des Etats-Unis dans le périmètre Moyen-Oriental. L’option n’est pas négligeable car à quelques mois de l’élection présidentielle et pour satisfaire un électorat en manque de supériorité supposée, qui attendait plus un retrait des Boy’s que leur départ pour la zone, le président américain peut aussi vouloir se poser en chef de guerre et en défenseur des principes fondateurs des Etats-Unis. (leschos.fr : https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/en-pleine-crise-avec-liran-trump-mobilise-son-electorat-religieux-1160258) Pour autant, entre spéculations et réalités, se cache peut-être aussi un dessein diplomatique qui demandera à être confirmé ou infirmé. En élimant un des hommes forts du régime iranien, les Etats-Unis démontrent que les hommes, les piliers de la Révolution islamique sont in fine vulnérables partout où les intérêts américains sont présents. Autre ambition non avouée, elle aussi à vérifier, instiller l’idée dans l’opinion iranienne que le régime actuel ne peut amener le pays que vers le chaos, preuve en est l’élimination de l’un de ses plus puissants défenseurs. Jouer la carte du retournement de l’opinion progressif de la rue iranienne contre le régime est cependant un pari risqué tant le peuple iranien apparaît fidèle aux Gardiens de la Révolution.

Impuissance diplomatique et lenteur

Mais la multiplication des sanctions économiques et diplomatiques, l’isolement du pays sur la scène internationale et les protestations polies des grandes puissances mondiales apeurées par l’interventionnisme américain pourraient inciter à la naissance d’une opposition politique sur laquelle les Etats-Unis ne manqueraient pas de s’appuyer pour renverser le régime. Hypothèse crédible quant on sait combien l’Iran cherche aujourd’hui à séduire nombre d’entreprises occidentales pour servir et accompagner son développement. Aussi, levons toute ambiguïté : l’objectif ultime des Etats-Unis et qui prévaut depuis 2019 est bien la disparition de la République islamique d’Iran. Tout comme l’Administration de l’ancien président George W.Bush avait juré le renversement de Saddam Hussein, cette même Administration travaille depuis plus de quarante ans désormais à la perte du régime iranien. Sans y parvenir preuve de la robustesse politique du régime et de son ancrage social. Devant l’impuissance diplomatique, ou plus précisément la lenteur des effets des sanctions engagées, Donald Trump a opté pour la provocation en précipitant l’Histoire qui lie les deux pays. Encore une fois, le pari, si c’en est un, est extrêmement risqué car le Proche-Orient est une des régions les plus explosives du monde, si ce n’est la plus explosive. Et l’Iran, puissance régionale à l’influence réelle qui peut s’appuyer sur des réseaux tout aussi puissants, à commencer par le Hezbollah, sait aussi, et à raison, que le bras de fer qui l’oppose aux Etats-Unis est loin d’être perdu d’avance.