Du gaz entre Paris et Berlin

Les tensions franco-allemandes liées à la décision de Berlin de se protéger via ses propres moyens de la crise de l’énergie fragilisent une Union européenne encore trop exposée à l’omnipotence économique allemande, domination qui trouve aussi son origine dans sa rigueur budgétaire.

Quand la Chine s’éveillera…Le monde tremblera. Combien le titre de l’ouvrage d’Alain Peyrefitte, publié en 1973, convient par analogie ramenée à l’échelle européenne, aux vicissitudes que traverse actuellement le couple franco-allemand. Concrètement et en abandonnant tout jeu de mot supplémentaire, force est de constater que devant la fraîcheur des relations franco-allemandes, l’Union européenne, s’inquiète, voire à son tour, tremble. Plusieurs raisons expliquent cette brouille, certes passagère, entre les deux plus grandes économies du continent, brouille qui intervient au plus mauvais moment au regard de la situation internationale. Crise de l’énergie, conflit ukrainien, relations russo-européennes, Russie avec laquelle l’Allemagne entretient des relations privilégiées…sont autant d’éléments qui ont contribué, non pas en tant que tel, à accentuer la rigidité des relations franco-allemande mais plutôt au regard des décisions prises outre-Rhin pour y faire face. L’Allemagne par son Chancelier Olaf Sholtz a ainsi dégainé un plan énergétique de 200 milliards d’euros visant à protéger les consommateurs allemands durant les mois d’hiver en doublant ce même plan par des achats massifs de gaz toujours dans la même optique.

Logique communautaire

Si la décision peut dans l’absolue se comprendre et se défendre, Paris voit dans cette même décision un acte individuel détaché de toute logique communautaire qui aurait dû alors prévaloir, l’Allemagne étant membre de l’Union et donc liée à certaines obligations contractuelles et diplomatiques, officielles ou tacites. Imaginer un achat groupé de gaz aurait alors pu être envisagé à l’échelle européenne incluant naturellement l’Allemagne. Mais Berlin, autonome financièrement en raison d’une gestion rigoureuse de ses comptes publics, a opté pour un achat souverain en adossant celui-ci à un plan énergétique qui illustre certes toute sa capacité financière mais a aussi eu pour effet d’irriter ses voisins, à commencer la France. Pour autant, faut-il voir dans cette brouille une altération durable des relations franco-allemandes ? Ni Berlin ni Paris n’ont intérêt à nourrir une polémique dont l’origine a déjà isolé le chancelier allemand en donnant le sentiment que l’Allemagne se moque de ses partenaires européens puisque cette dernière a les moyens de ses ambitions. Car effectivement l’Allemagne a les moyens de ses ambitions au contraire de ses partenaires coincés et englués entre dettes publiques et déficits abyssaux.

Expiation et rigueur

Doit-elle pour cela expier et s’autoflageller ? Il est évident que non mais cette aisance financière que l’Allemagne ne doit qu’à sa propre rigueur dans la tenue de ses comptes publics passe mal dans une Union européenne qui tente collectivement de résoudre la crise inflationniste qui frappe l’énergie. Pour beaucoup, un effort de concertation aurait été apprécié de tous, fût-il de pure forme. Dans le même temps, cette brouille remet sur le devant de la scène une forme d’hégémonie allemande en Europe, réelle ou supposée, qui tend à irriter Paris tant au regard des écarts économiques existant entre les deux pays que par un ego français mal digéré. D’aucuns admettront toutefois que si les relations européennes et franco-allemandes en particulier ne sont pas en l’état menacées, les mêmes reconnaîtront une fêlure, une de plus, dans la logique communautaire visiblement vite oubliée au profit des intérêts particuliers dès que surgit une crise majeure comme celle que nous traversons actuellement. Il est juste à souhaiter que l’hiver, tant du point de vue climatique que politique, soit doux….

Très chers salaires

Si le conflit qui agite les raffineries du groupe TotalEnergies pèse sur le climat social et relance la question des salaires, celle-ci ne fait qu’à nouveau émerger car longtemps éludée. Mais une remise en cause des principes de rémunération est aujourd’hui inéluctable.

Sans mauvais jeu de mot liminaire, il n’est cependant pas impossible que le conflit social qui agite les raffineries et les dépôts du groupe TotalEnergies fasse tâche d’huile dans les jours à venir. Il est vrai que tous les ingrédients pour une contagion à l’échelle nationale sont réunis : Inflation, pouvoir d’achat amputé par une hausse fulgurante des prix, crise de l’énergie, limite des dispositifs fiscaux sensés amortir le choc des hausses constatées et surtout salaires incapables de remédier à cette situation qui place la France et les pays voisins au bord de la récession. Hors une fois le constat dressé, une réalité plus prégnante que les autres s’impose, à savoir la faiblesse des salaires aujourd’hui pratiqués en France. La question n’est pas nouvelle et s’était déjà invitée lors de la campagne présidentielle de 2007. Les candidats d’alors, avait, pour l’un proposé le système du « Travailler plus pour gagner plus », pour la seconde, l’idée, une fois élue, d’organiser des Assises des salaires afin de revaloriser le ratio formation / compétence / salaire.

Accélérateurs et fossoyeurs

Mal réglée, placée sous le boisseau de la contrainte économique et financière ou tout simplement écartée, la question du pouvoir d’achat, donc des salaires, a refait surface à la lumière de la situation post-covid et de la guerre Ukraine, tous deux accélérateurs de l’Histoire. Car désormais, pouvoirs publics et entreprises ne pourront plus nier la nécessité d’une augmentation des salaires au risque de voir la demande, premier moteur de la croissance, s’effondrer au profit d’une épargne légèrement mieux rémunérée en raison de l’augmentation des taux d’intérêt par les banques, épargne véritable fossoyeur de croissance car l’argent épargné n’est pas investi ou consacré à la consommation. Cette crise des salaires, longtemps écartée en raison d’une inflation faible qui compensait la faiblesse de ces derniers, est dès lors le caillou dans la chaussure d’une économie qui tournait jusqu’alors à plein régime, voire au-dessus. Terrorisés par le cycle d’une hausse de l’inflation qui serait compensée par une hausse proportionnelle des salaires, gouvernement et banques centrales ont choisi pour l’un de solliciter encore l’Etat-Providence via diverses interventions, (rabais du prix du carburant, chèque énergie…), pour l’autre de casser la croissance et l’investissement par une hausse des taux qui endiguerait le recours au crédit des particuliers ou des entreprises. Pour autant, il apparaît que socialement ce duo ne fonctionne pas. Salariés et fonctionnaires étranglés par une hausse continue des prix, appellent au secours afin de ne pas eux-mêmes plonger dans les affres des difficultés financières quand ce n’est déjà pas le cas.

Économie de marché et nivellement

Or la question salariale ne se réglera pas par une augmentation ponctuelle des salaires en question, ce qui reviendrait à poser un emplâtre sur une jambe de bois, tout au plus permettrait-elle de liquider quelques factures impayées et d’apaiser un temps la grogne sociale. Il convient désormais, dans une économie de marché à laquelle est soumis le marché de l’emploi, de repenser la rémunération en fonction des compétences, des responsabilités et des formations suivies et ce dans une logique méritocratique. En partant de ce postulat, l’augmentation de salaires ne serait plus aléatoire ou liée à un quelconque et obscur principe au sein de telle ou telle entreprise ou institution, mais le fruit d’une réalité individuelle et professionnelle. A ce jour, les obstacles sont nombreux car la peur que suscite une telle démarche est liée à la nécessité de repenser en totalité notre système de rémunération y compris le sacro-saint Smic devenu la pierre angulaire de la politique salariale. Sortir du nivellement par le bas qu’impose le Smic, sans pour autant l’abaisser ce qui aurait pour effet de précariser encore plus ceux qui le perçoivent, repenser le travail, serait aussi une révolution culturelle qui permettrait vraisemblablement de motiver entreprises, salariés et agents publics. Mais pour l’heure, les files d’attentes devant les stations-essence s’allongent et monte doucement la gronde de ceux qui redoutent d’être à sec.

L’Iran et le tourbillon de la jeunesse

Le vent de contestation qui souffle sur l’Iran depuis plus d’un mois désormais pourrait sonner le glas d’un régime épuisé et anachronique. La jeunesse iranienne, avide de liberté, fera vaciller le régime mais ne pourra le faire définitivement tomber sans l’appui des Occidentaux.

Nul ne sait si la révolte populaire – pourquoi d’ailleurs ne pas parler de révolution ? – qui agite l’Iran depuis un mois désormais fera vaciller le régime des mollahs au pouvoir depuis 1979 au point de le faire tomber. La société iranienne, qui s’est enflammée après la mort de Masha Amini le 16 septembre dernier, arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait des cheveux visibles, est depuis traversée par une vague de manifestations condamnant d’une part la mort de l’étudiante de 22 ans mais d’autre part toutes les formes de répression appliquées au nom de loi islamique. L’Iran, fort d’une population jeune, éduquée et cultivée, pressée de participer aux avantages de la mondialisation, fait savoir au régime de Téhéran que les privations de liberté n’ont que trop duré. Cette révolte de la jeunesse iranienne, déjà déçue par d’autres mouvements de ce type il y a quelques années, pourrait cependant bien arriver à ses fins. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/)

Sanctions et hédonisme

Plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, l’épuisement d’un régime qui ne parvient plus à s’imposer à l’échelle diplomatique, cerné par des sanctions internationales lourdes qui entravent son développement économique et pousse l’inflation à de niveaux records. Cet isolement diplomatique et économique se double aussi d’un isolement politico-religieux. Chiite dans un monde musulman à 90 % sunnite, l’Iran ne peut trouver d’appui que dans le Hezbollah, certes solidement implanté au Liban mais en perte de vitesse dans la galaxie de mouvances islamistes. Mais les dernières heures du régime des mollahs pourraient surtout trouver leurs origines dans la jeunesse iranienne elle-même. La nouvelle génération moins soumise que ses pairs, moins versée dans le Coran ou les textes saints que les Gardiens de la Révolution s’avère en revanche beaucoup plus friande de modernité et de nouvelles technologies que d’interdits religieux. Moins docile, beaucoup plus rebelles et irrévérencieuse et plus ouverte sur le monde, la jeunesse iranienne nourrit tout ce que le régime prohibe : libertés individuelles et hédonisme. Taxée d’occidentalisme par les castes dirigeantes, la jeunesse iranienne a tout simplement faim de liberté et manifeste son envie de vivre en sortant de la société figée dans laquelle les mollahs l’ont enfermée dès sa naissance. La fin du régime iranien, qui marquerait une avancée significative dans les relations internationales au point d’abaisser le niveau de tension existant au Moyen-Orient, serait aussi la marque de l’agonie d’un des derniers vestiges de la Guerre Froide.

Implosion et discrédit

Le point de crispation que constitue l’Iran dans le nord de la Mésopotamie serait alors dissous par une implosion du régime et non une explosion comme certains auraient pu le redouter. Menée par une jeunesse avide de changement, la contestation, si elle devait aboutir, sonnerait le signal de révoltes futures dans d’autres pays de la région. Les pouvoirs quasi-monarchiques de Recep Tayip Erdogan en Turquie ou la main mise sanglante de Bachar El-Assad sur la Syrie seraient certainement atteints par l’émancipation iranienne mais reste à savoir dans quelle mesure. Pour l’heure, les manifestations se poursuivent et sont réprimées dans le sang et la violence. Mais pour combien de temps encore ? Car si le monde a aujourd’hui les yeux rivés vers Kiev et les cours de l’énergie, la future crise iranienne, si celle-ci devait s’éterniser et prendre encore plus d’ampleur, pourrait aisément susciter l’intérêt des puissances occidentales qui plaideront toujours, au regard des réserves de pétrole de l’Iran, pour un régime stable et ouvert à la négociation. Et dire que ces dernières attendent cyniquement d’apprécier l’évolution de la situation n’est qu’un euphémisme. Voilà peut-être aussi une piste à explorer pour la jeunesse iranienne : le soutien des Occidentaux pour discréditer le régime des mollahs. La question est désormais de savoir si ces mêmes Occidentaux ont inscrit l’Iran sur leur agenda futur.

Une réforme et du cynisme

La réforme des retraites cristallise encore les oppositions au sein de la majorité présidentielle et des groupes parlementaires. En brandissant la menace de la dissolution, Emmanuel Macron sait que passée l’indignation des parlementaires, un réalisme teinté de cynisme s’imposera blessant encore les institutions.

En faisant planer la menace d’une potentielle dissolution de l’Assemblée Nationale en cas d’obstruction au passage de la réforme des retraites, le Chef de l’État prend de prime abord un risque que d’aucuns jugeraient dans dangereux mais qui s’avère finalement particulièrement tactique, voire cynique à l’endroit des députés, quel que soit leur appartenance politique. Pourquoi ? Tout d’abord, la menace en question poussera la majorité présidentielle, déjà relative, à faire corps autour du président, les députés Renaissance ou affiliés n’ayant aucune envie de retourner devant les urnes. En ces temps de restrictions énergétiques annoncées, d’inflation élevée et de hausse des prix conjuguée, tout scrutin visant à renouveler la représentation nationale pourrait lui en revanche s’avérer hautement risqué et prendre un aspect de vote sanction. Deuxième raison, nul ne sait en cas d’élection anticipée quels résultats sortiraient de urnes.

Cohabitation

L’exemple italien de Georgia Meloni a considérablement et profondément marqué les démocraties européennes qui se retrouveraient, à commencer par la France, dans un très grand embarras s’il fallait composer avec un parlement, et par conséquent, un gouvernement issu des rangs extrémistes. Quelle politique serait alors engagée ? Pro-européiste ? Atlantiste ? ….Troisièmement, et toujours dans la veine de surprises électorales désagréables, nombre de députés ont encore en tête, l’Histoire le leur au moins appris, les déconvenues de Jacques Chirac en 1997. Convaincu de retrouver une majorité RPR à l’Assemblée Nationale, celui-ci décida de dissoudre l’Assemblée et retrouva une majorité certes mais issue du Parti Socialiste avec lequel il a fallu cohabiter avec Lionel Jospin en qualité de Premier Ministre. Quatrième raison, si la majorité présidentielle, fragile, n’a aucun intérêt à retourner devant les urnes, aucun groupe parlementaire, tout aussi fragile car composite et divers, n’y a non plus réellement intérêt y compris le Rassemblement National dont la transparence et l’inutilité au sein de l’Assemblée sont devenues patentes. Bref rien ne jouerai en faveur d’une dissolution alors que l’hypothèse d’un 49.3 serait la plus probable. Encore que.

Critiquée mais jamais abrogée

Sans risque pour le Gouvernement, elle permet aussi aux autres groupes parlementaires de s’insurger à peu de frais contre le gouvernement en arguant de l’aspect autoritaire et brutal de l’article de loi, toujours critiqué et vilipendé mais jamais abrogé pour autant. L’utilisation du 49.3 permettrait à ces mêmes groupes parlementaires de faire bloc contre le Gouvernement mais sans risque de voir l’Assemblée renouvelée, donc leur mandat mis en péril. Quant à la motion de censure, elle participe d’une logique analogue. Votée et majoritaire, elle entraînerait la chute du Gouvernement et donc de nouvelles élections. En réalité, ce projet de loi sur les retraites porte autant sur l’avenir d’un système qui nécessite certainement encore d’être amélioré ou réparé que sur des institutions qui ne sont plus nécessairement en phase avec les enjeux sociétaux, politiques ou économiques qui commandent notre quotidien. Et c’est peut-être là aussi que réside les interrogations qui traversent notre démocratie. Car la crise politique et économique latente se double aussi une crise institutionnelle qui perdure quand elle depuis plusieurs voire décennies.