Atterrir ou pas ?

jet-airplane-in-the-sky-with-sunLa victoire des partisans du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes n’a pas entamé la mobilisation des opposants au second aérogare nantais. Mais leur opposition ne serait-elle pas la traduction, consciente ou inconsciente, du refus et de la négation des évolutions qui agitent le Monde.

Les habitants de Loire-Atlantique ont ainsi choisi à 55,17 % de transférer l’activité de l’actuel aéroport de Nantes vers celui de Notre-Dame-des-Landes qui reste donc à construire. Pourtant en dépit de l’expression de la vox populi, les opposants au projet ne désarment pas, arguant de l’illégitimité du scrutin. Classique. Conseil d’Etat et Tribunal administratif seront certainement saisis et diront si la consultation est valable. En attendant pelleteuses et rouleaux compresseurs chauffent pour entamer les travaux dès le mois d’octobre prochain. Cela sent déjà la poudre ! A vrai dire, cela faisait plusieurs années que la situation s’était tendue autour de ce projet et plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, si rares, y compris parmi les opposants, contestent la pertinence d’un second site aéroportuaire, les opposants en question se refusent à le voir pousser (on peut les comprendre au regard des travaux pharaoniques que cela engendre) sur les territoires sur lesquels ils habitent, vivent, travaillent, se promènent, développent leurs activités de loisirs et où prospèrent faune et flore diverses et variées, insouciantes et innocentes.

Emploi, chantage et discours

Passé l’aspect bucolique de la situation une analogie, cynique certes, s’impose : Donc pour résumer tout le monde est toujours d’accord pour construire des prisons mais personne n’en veut à côté de chez soi. Légitime mais voilà un raisonnement sans fin. On ne pourra pas rationnellement implanter le second aéroport nantais sur Mars ! Tout cynisme mis à part, il n’est pas inopportun de s’attarder sur la raison profonde et véritable, ou du moins qui semble être à l’origine de l’opposition, indépendamment de considérations écologico-sociales. Car in fine, n’est-ce pas tant le sentiment d’impuissance des opposants face à un projet conçu de longue date par les ministères de tutelle (Environnement et Transports) qui pose problème plutôt que l’aéroport en lui-même. Si demain l’un des proches (enfant, parent, ami,…) de l’un des opposants décrochait un emploi grâce à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, quel serait le discours tenu ? Le chantage à l’emploi qui a aussi joué dans cette affaire, et qui continue aussi, apparaît encore comme un élément de frustration des opposants qui n’ont rien d’autre à opposer que leur refus. Maigre en période de disette économique….Mis devant le fait accompli d’un projet qui leur échappe, otage d’une réalité économique qui leur échappe tout autant, les opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes ou de Sivens donnent à une majorité le sentiment de se battre au nom de principes surannés et dépassés. C’est d’ailleurs une des problématiques de l’écologie contemporaine : si pollution, épuisement des ressources naturelles et sacrifice de la bio diversité (faune et flore) sont condamnables et doivent être limités, voire totalement éradiqués, sont-ils compatibles avec les évolutions passées et à venir ? La question reste entière et hante l’écologie politique dans son ensemble et le cas de Notre-Dame-des-Landes n’a plus, au regard de cette question, qu’une valeur anecdotique.

Lieu commun et refus

Mais revenons à nos opposants. Leur discours, construit, cohérent et pertinent, se base, à raison, sur les erreurs commises par le passé, et celles en venir, en matière environnementale. Pour autant, le présent est malheureusement aussi le fruit de ces erreurs et des modèles socio-économiques qui sont les nôtres. Les avions volent dans le ciel et brûlent du kérosène avant de se poser sur un tarmac. Avant cela ils embarquent des passagers qui se déplacent d’un point A vers un point B. Certains sont en vacances, d’autres travaillent, d’autres voyagent pour telle ou telle raison. Tout cet ensemble génère des flux humains, alimente des circuits économiques et financiers, créé ou maintien des emplois et participe, à son échelle, à l’immense marche du Monde. Lieu commun que de le dire mais réalité que les opposants au projet d’aéroport ont peut-être oublié ou feint d’oublier. Et leur malaise, moteur de leur opposition, d’être aussi l’expression du refus d’affronter une implacable réalité contre laquelle quelques hommes, fussent-ils bien intentionnés, ne peuvent plus rien. La fatalité, d’essence divine, a ainsi été remplacée par la réalité, d’essence pragmatique. Et est-ce que l’environnement y a sa place et laquelle ? Voilà l’enjeu et pas nécessairement quelques hectares pris sur le sol de Loire-Atlantique…

L’Union européenne en pleine crise d’adolescence

UEAnnoncée comme un cataclysme, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne est peut-être l’occasion rêvée de repenser l’Europe et de renouer avec ses origines sans occulter l’idée que ce Brexit traduit aussi une forme de crise de croissance de l’Europe politique.

Ite missa est ! La messe est dite à Westminster. La Grande-Bretagne va sortir de l’Union européenne. Dans l’intervalle, l’Histoire nous réserve certainement une passe d’armes politique entre Anglais, Gallois, Irlandais du Nord et Ecossais, ces derniers étant désireux de rester membres de l’Union européenne. Naturellement, au lendemain des résultats, il n’est pas étonnant que responsables politiques favorables à la construction européenne sombrent dans le pathos et le catastrophisme tout comme il est normal que les anti-européens (essentiellement composés de partis populistes) se réjouissent de la défaite des partisans du maintien de la Grande-Bretagne dans le cercle de l’Union. Et si, finalement, cette sortie à laquelle personne ne s’attendait réellement tout en la redoutant un peu malgré tout, était, sinon une bonne nouvelle, du moins un électrochoc aux vertus salvatrices. Une explication s’impose. Depuis des années, l’Union européenne s’éloigne de ses citoyens qui lui reprochent son inertie, son manque de transparence, sa complexité et autres maux qui ont fait de l’Union, pour certains en tous cas, l’ennemi à abattre. Pourquoi ne pas alors saisir le Brexit (qui appartient désormais à l’Histoire) comme l’opportunité de rappeler les fondements de l’Union européenne, ces principes et ses objectifs. Bref rappeler ce pour quoi elle a été construite, comment elle a été et qu’elle était la situation du continent il y a soixante ans.

Caprice de pays riche ?

Cet effort aurait des conséquences doubles : permettre aux citoyens de renouer avec les origines de l’Union et d’en appréhender les buts et les avantages qu’elle nous a permis d’acquérir ; permettre aux responsables politiques en charge de conduire les affaires européennes de s’écarter du tout-économique qu’est devenue l’Union au détriment de ceux qui la compose : nous tous. Pour employer une métaphore sportive dont on excusera la licence : revenir au fondamentaux est essentiel pour développer et produire un jeu efficace et pragmatique. Ensuite, pourquoi céder à la panique devant ce Brexit ? Soyons honnêtes un instant. Les Britanniques, exception faite des Ecossais (riches de pétrole en Mer du Nord ce qui n’est pas totalement inintéressant non plus pour l’Union si l’Ecosse persistait dans ses velléités à rester au sein de l’Europe), n’ont jamais réellement joué le jeu de la solidarité européenne. Ceux qui ont voté oui au maintien dans l’Union l’on fait après que David Cameron a obtenu de Bruxelles un statut spécial pour la Grande-Bretagne et sans que ne soit remis en cause le traité de Lisbonne. Qu’auraient-ils voté si le Premier ministre n’avait pas obtenu ce statut spécial auquel il s’accrochait pour défendre le Oui ? Caprice de pays riche diraient certains ! Donc pourquoi céder à la panique ? Franchement, il n’y a, en y regardant de plus près, que des questions économiques qui entrent en ligne de compte. De l’économie encore ! Mais c’est bien ce que reprochent les Européens à Bruxelles : N’être obnubilée que par l’économie. Les bourses vont s’effondrer quelques temps, Livre Sterling et Euro seront ballottées mais pour l’essentiel, les axes commerciaux perdureront, sous différentes formes certes mais ils perdureront. Car la Grande-Bretagne a plus besoin de l’Union européenne que l’inverse et que la liberté retrouvée des Britanniques autorise ces derniers à composer leurs propres partitions mais permet aussi aux autres pays de l’Union de composer celle qui leur chante à l’endroit des Britanniques. Passée la question économique, attardons-nous sur l’Union européenne en tant que telle. Cette sortie ne serait-elle pas paradoxalement, une forme de bonne santé ? Nous l’oublions car bercés tous les jours par les avantages qu’elle nous procure (paix, stabilité sociale, progrès technique, monnaie unique,…) mais l’Union européenne et avant elle la CEE, sont encore très jeunes au regard de l’Histoire.

Jeunesse et avatar

Le 25 mars 2017, nous fêterons les soixante ans des traités de Rome qui fondèrent la CEE. A peine soixante ans ! Et lorsque l’on regarde les acquis que l’Europe politique nous a permis d’obtenir en si peu de temps, il serait exagéré de jeter le tout aux orties. Bonne santé disions-nous ? Pourquoi ? Parce que l’Union européenne, comme tout ensemble de ce type, traverse avec ce Brexit, une forme de crise de croissance. Comme un enfant qui soudainement jaillit de sa boîte pour devenir un adolescent : chaussures, chemises et pantalons sont devenus trop étroits.Pourquoi ne pas voir la sortie de la Grande-Bretagne sinon comme une chance, mais comme un avatar à une construction encore très jeune et qui cherche ses marques dans un monde en mutation. L’objet n’est pas de savoir si les Britanniques ont raison de sortir. Ils se sentent majoritairement mal à l’aise dans l’Union telle qu’elle est aujourd’hui. Raison ou tort, ils lancent à Bruxelles un avertissement clair qui ne remet pas en cause la construction européenne mais la direction qu’elle a prise. D’autres le pensent mais n’iront pas jusqu’à la sortie. L’effet domino ne se produira pas car l’Union apporte finalement plus qu’elle n’enlève et la sortie des Britanniques de l’Union est aussi liée à des questions de politiques intérieures non résolues par David Cameron. Néanmoins, cette crise de croissance, qui met aussi en évidence combien l’espace européen est un espace de dialogue et de démocratie (le Brexit prouve aussi que les peuples peuvent pleinement s’exprimer désavouant ainsi ceux qui accusaient l’Union d’une forme de despotisme), ne doit pas être vécue comme une insulte ou un chaos annoncé mais comme la nécessaire obligation de revêtir l’Union européenne de nouveaux habits…Au risque de la voir à terme finir toute nue !

La victoire qui cache l’autre défaite

Virginia Raggi.jpgLa victoire de Virginia Raggi aux élections municipales romaines traduit les limites du discours social démocrate jugé insuffisant dans un univers ultra-libéral.

La nouvelle louve de Rome, c’est elle : Virginia Raggi, avocate de 37 ans qui désormais dirigera la capitale italienne. Et la victoire de la brune transalpine, membre éminent et actif du mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo, ancien humoriste qui a perdu tout sens de la dérision depuis qu’il est entré en politique, n’est pas à prendre comme un événement secondaire tant à l’échelle de la politique italienne qu’européenne et, en l’état française. Pourquoi ? La France et l’Italie, pays ô combien similaires en terme d’économie, de structures sociales, de collusions historiques (et bien d’autres choses dont la liste serait trop longue à énumérer), sont ainsi l’une et l’autre amenées à s’interroger sur la victoire plus que nette (67,2% des voix) de Virginia Raggi sur son adversaire de centre gauche, soutenu par Matteo Renzi, le Président du Conseil, car celle-ci révèle l’existence de deux gauches au sein même de l’échiquier politique. En Italie, Beppe Grillo, a su fédérer autour de lui un ensemble, disparate ou pas mais assez cohérent en définitive, de sympathisants et militants de gauche déçus ou frustrés par la politique gouvernementale de Matteo Renzi.

Rupture

Et sa force aura été non seulement de ferrailler contre le Président du Conseil mais aussi de lui enlever deux villes, et non des moindres, Rome et Turin. Si de manière générale, la gauche italienne reste bien implantée dans les grandes villes de la péninsule, la réalité est là : 5 Etoiles est présent sur le terrain et capable de remporter des élections lourdes et d’en assumer le sens politique. Et Beppe Grillo de ne pas s’arrêter là. Les intentions de l’homme dépassent certainement les frontières de Rome ou Turin. Mais il s’agit là d’une autre aventure. Pour autant, il n’est pas inutile, comme avancé précédemment, de dresser un comparatif avec la France. Premier élément de comparaison : le mouvement 5 Etoiles, parti contestataire de gauche, a su faire vaciller le pouvoir de Matteo Renzi qui incarne une forme transalpine de social démocratie que nos frondeurs réunis à l’Assemblée Nationale sous la bannière anti-Hollande pourraient, à des fins tactiques et électives, imiter. Reste à fédérer autour de soi un ensemble assez lourd pour faire trembler les fondations en place. Le second élément est que les membres de 5 Etoiles n’ont pas hésité à rompre avec le Parti démocrate italien, rupture que les frondeurs n’oseraient imaginer ou bien de manière secrète sans jamais en franchir le pas. D’aucuns diraient que la Parti de Gauche ressemble au mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo mais la similitude s’arrête au discours car le parti cher à Jean-Luc Mélenchon n’est pas parvenu à enlever une grande ville française. Ensuite, la victoire de Virginia Raggi prouve aussi que la doxa sociale démocrate défendue comme alternative au libéralisme sauvage n’a plus nécessairement d’écho car jugée comme trop conciliante, voire trop accommodante avec le système capitaliste actuel.

Malaise politique

Les compromis concédés, appréhendés comme inacceptables par la gauche dite extrême (ainsi considérée car en désaccord avec la gauche dit de gouvernement ou de centre gauche), semble désormais écoeurer une portion croissante de l’électorat qu’il soit italien ou français, même si dans l’Hexagone l’essai semble difficile à transformer dans les urnes. Tout cela ne saurait cependant occulter le malaise politique qui hante les deux pays, expression d’une fatigue et d’une lassitude générale à l’endroit des partis politiques qui animent l’échiquier depuis des années. Est-ce à dire que la victoire de Virginia Raggi marque en Italie le début d’une nouvelle ère ? Seuls les politologues transalpins sauraient réellement le dire, d’autant que s’agrègent à cette victoire des éléments propres à la politique italienne et romaine en particulier. Mais une chose est certaine : Beppe Grillo a su faire venir à lui la frange croissante des mécontents. En France, c’est le Front National qui s’est adjugé ce rôle. Le discours n’est pas le même et les ambitions non plus…

Une autre idée de la République ?

640px-Place_de_la_République_-_MarianneL’assassinat des deux agents de la force publique a déchaîné les passions. Mais en marge de l’agression portée à la République, se pose aussi la question de l’image du régime auprès des Français. Problématique qui n’est pas étrangère au débat général sur le terrorisme.

Il fallait s’y attendre. La tuerie d’Orlando, en Floride, et le double assassinat des agents de la force publique à Magnanville ont tous deux déchaîné propos et polémiques tapageurs, avalanche de pathos et réactions en tous genres qui toutes s’indignaient, et à raison, des outrages commis à l’endroit de citoyens lambdas (fussent-ils agents des forces de l’ordre, ils n’en restent pas moins des citoyens) et de régimes politiques visés. L’émotion est grande particulièrement en France où, une fois encore la République, par ses premiers représentants, est touchée et blessée. Les causes de ces agressions à répétition sont connues et identifiées, inutile donc d’y revenir même s’il convient de les garder à l’esprit. Mais s’attarder sur le degré d’émotion qu’elles suscitent n’est pas inintéressant. Pourquoi ? Les agresseurs (ici l’unique agresseur ayant prêté allégeance à l’Etat islamique), savent que toute atteinte portée au régime républicain sera vécue en France comme un véritable drame national. Et c’est peut-être d’ailleurs là une de nos faiblesses que ces hommes et femmes fanatisés savent exploiter avec une certaine habileté teintée d’un cynisme macabre.

Dieu et la République

Plus précisément, les Français sont tellement attachés à leur modèle républicain perçu comme unique et exemplaire que toute attaque portée est vécue comme une agression personnelle voire physique. Là aussi, réside-t-il peut-être une faiblesse que ces fanatiques exploitent. Croire que notre modèle républicain est le seul qui vaille tend à occulter de manière un peu méprisante et condescendante les autres régimes politiques à la surface du globe qui pour certains subissent au quotidien les agressions sanglantes de l’Etat islamique sans que quiconque s’en émeuve plus que cela. Les Français, qui ont remplacé Dieu par l’Etat républicain, autre forme de croyance dévote, tendent ainsi à considérer que les violences commises à l’endroit de leur régime sont des outrages commis contre le Régime par excellence. Pour résumer : la République ou le chaos. Il y a aussi dans cette attitude, empreinte de quelques relents colonialistes, la marque d’une forme de crise de la République qui ne se vivrait que par symboles comme la Guerre de 14-18 se vit par ses Monuments aux morts. Les policiers assassinés, qui représentent la dite République, sont, d’une certaine manière, des symboles républicains comme le sont les bustes de Marianne, le drapeau tricolore, la Marseillaise ou le triptyque Liberté-Egalité-Fraternité. Les Français en sont venus à vivre la République non comme un cadre législatif porteur de lois et de devoirs mais comme une succession de symboles qui, salis, déchaînent passions et humeurs. Pourtant, l’Histoire le montre, la République a été blessée et attaquée en de biens autres occasions sans que ces agressions soient vécues aussi charnellement. Est-ce le sang versé, la douleur des familles et la perte de deux citoyens (et d’autres avant eux), exemplaires au regard de leur fonction, qui suscitent tant d’émotion ou l’idée que notre régime jugé parfait par beaucoup (en dépit de nombreux débats qui l’agitent) ait pu être bafoué ? Certainement les deux.

Admiration et haine

Le terrorisme, à éradiquer au plus tôt, n’est pas le seul ennemi de la République, loin s’en faut. Mais nous ne pourrons pas nous affranchir dans les années à venir d’une réflexion sur l’idée républicaine et sur sa pertinence car la République n’est pas un lieu de mémoire sacré inamovible, un dogme intangible. Il n’est pas question de la jeter aux orties mais d’accepter l’idée que notre modèle suscite certes de l’admiration mais aussi de la haine. Et à nous de comprendre pourquoi ce rejet de la République croît au point de pousser certains à s’en prendre à elle. Premier travail qui sera suivi d’un second, lié au premier naturellement : comprendre notre République, de ne plus la percevoir comme le régime parfait absolu, mais comme un régime parmi d’autre, de nous défaire de ce complexe de supériorité qui nous aveugle, en faisant évoluer l’idée républicaine avec son temps. Troisième étape, et non des moindres, ne plus vivre la République comme une succession de symboles. Le quotidien de chacun y pousse, il faut en convenir, mais doit-il nous empêcher de nous interroger sur ce que nous attendons de la République et surtout sur ce qu’elle doit incarner ?

Euro 2016 : entre espoirs et réalités

logo_euro_2016[1]Si l’Euro 2016 promet une succession de rencontres sportives de très haut niveau, il est aussi pour les pouvoirs publics et les acteurs économiques, porteur de grandes espérances chiffrées à 1,2 milliards d’euros. Mais est-il raisonnable d’attendre autant d’une compétition avant tout sportive ?

Cette fois, ça y est ! L’Euro 2016 tant attendu par les passionnés de ballon rond est lancé ! Pendant un mois, tous autant que nous sommes, iront de temps à temps jeter un coup d’oeil aux résultats de telle ou telle équipe. Voilà pour le côté bon enfant de la chose. Car à y regarder de plus près, que peut-on réellement attendre de la compétition tant sur la plan sportif qu’extra-sportif ? Pour ce qui est du premier, la glorieuse incertitude qui prévaut en la matière fera office de réponse à la question et de conclusion. Pour ce qui est du second point, en revanche, la question reste entière et pleine de sens. A l’annonce de l’organisation de la compétition en France, nombreux ont été ceux à sortir leur calculatrice et à afficher les potentielles retombées économiques et financières. Il est serait difficile de les blâmer : d’autres en ont fait autant avant eux et l’Euro n’a lieu que tous les quatre ans. Résultat des estimations :Un milliard deux cent millions d’euros de chiffres d’affaires générés durant la compétition. Diantre ! Voilà une manne inespérée par les temps qui courent. Certes ! Mais il ne s’agit que d’une estimation. Et lors de la dernière grande manifestation sportive d’audience internationale organisée en France, à savoir la Coupe du Monde en 1998, les retombées effectives avaient finalement été moindres que celles attendues et ce pour divers paramètres qui se sont alors conjugués…Déception dans les rangs des organisateurs qui avait été balayée par la victoire de l’Equipe de France mais déception quand même.

Sport et émotion

Il serait donc exagéré et présomptueux, voire risqué d’attendre trop économiquement parlant d’un événement qui prend place, qui plus est, dans un pays placé sous la menace terroriste, partiellement handicapé par des grèves diverses et variées, meurtri par des inondations dont on panse encore les plaies et par des violences extra-sportives parallèles à la compétition du fait de supporteurs avinés et abrutis. Aussi, un constat s’impose-t-il de lui même. Il ne faudra attendre de l’Euro 2016 que ce qu’il peut donner, à savoir une succession de rencontres internationales, certaines d’un très haut niveau sportif et technique associées à des communions populaires que l’on souhaite évidemment maîtrisées. Pour résumer : du sport et de l’émotion simple et pure. Pour ce qui est des effets économiques et financiers, il est encore trop tôt pour tirer la moindre conclusion. Mais il est sûr que si violences et débordements se multipliaient de manière irrationnelle, la passion populaire autour de la compétition s’essoufflerait vite pour céder la place à une prudence de raison et de circonstance qui aurait tôt fait de doucher les attentes économiques des uns et des autres. Car pour l’heure, le chapitre des violences s’est malheureusement déjà ouvert sur un roman plutôt noir. Il reste encore suffisamment de jours pour naturellement inverser la tendance et oublier ces premières heures sombres qui ternissent conjointement le pays organisateur, la compétition, le football et les pouvoirs publics. Car là encore, il n’est pas interdit de se demander si de tels évènements ne sont pas in fine le révélateur des carences propres au pays hôte, en l’état, police débordée par des supporteurs mobiles, informés et conscients des faiblesses des forces de l’ordre qui leur font face. Les brutes avinées (pour ne citer qu’elles) qui ont semé le désordre dans les rues de Marseille en préambule au match opposant l’Angleterre à la Russie renvoie le pays, pourtant soumis à l’état d’urgence, à des réalités socio-sportives peut-être mal appréhendées en amont et aux conséquences lourdes.

Décréter la bonne humeur

Certes les stades se sont jusqu’alors remplis et c’est tant mieux. Mais un tel événement ne se mesure pas seulement à l’aune d’une billetterie florissante. Elle est censée, du moins dans l’esprit des organisateurs, générer un engouement général porteur et ce à tous points de vue. Et répétons-le, l’erreur est peut-être là : attendre plus que la compétition ne peut donner et engendrer. L’Euro 2016 n’a pas la capacité de décréter de lui-même la bonne humeur et la fièvre acheteuse qui pourrait l’accompagner. C’est bien dommage mais si le football, en tant que sport, est capable de mobiliser et générer des capitaux abyssaux, les manifestations internationales dans lesquelles il est censé être roi ne sont en réalité que des enveloppes et des structures handicapées par leur propres limites. Concrètement, l’Euro 2016 propose du football mais il n’est pas le football. Pensons-y….

Le malentendu britannique

BrexitA l’approche du référendum devant décider de la sortie ou du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, se pose aussi la question de savoir quelles raisons ont poussé le Royaume-Uni à vouloir intégrer la CEE en 1973.

A vrai dire, s’il est une question à se poser aujourd’hui concernant la possible sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, ce n’est pas tant de savoir pourquoi une majorité de Britanniques souhaite (ou pas) en sortir mais plutôt pourquoi la Grande-Bretagne est entrée dans la Communauté économique européenne (CEE) en 1973. Là encore un bref mais pédagogique retour en arrière s’impose. Après avoir essuyé deux refus consécutifs en 1963 et 1967, refus grandement liés à la position de la France qui s’opposait à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE, le Royaume-Uni faisait enfin son entrée dans l’espace européen, non sans un certain scepticisme de part et d’autre. Parmi les raisons qui poussèrent la Grande-Bretagne à vouloir intégrer le marché commun, figuraient en tête de liste la possibilité de profiter des retombées des échanges commerciaux qui animaient le continent. Partiellement tenue à l’écart du dynamisme économique qui assurait alors la prospérité des pays fondateurs, tous engagés dans des phases de reconstruction d’après-guerre, la Grande-Bretagne avait pris l’habitude de commercer d’une part avec ses anciennes colonies rassemblées sous la bannière du Commonwealth et d’autre part avec les Etats-Unis, partenaire naturel avec lequel le Royaume-Uni entretenait, et entretient encore, des liens extrêmement privilégiés.

Economie et erreur

Mais à l’orée de la première crise économique, la Grande-Bretagne, dont l’histoire s’était grandement jouée sur les mers, se tourna vers la terre ferme du continent pour renforcer une économie certes solide, s’appuyant sur un libéralisme encore bon teint, mais qui ne pouvait plus se contenter de ses échanges avec un Commonwealth trop faible et des Etats-Unis naturellement présents mais trop éloignés pour assurer pleinement le prospérité du Royaume-Uni. C’est donc avant tout l’argument économique qui prévalu en Grande-Bretagne pour solliciter l’adhésion à la CEE. En France, la disparition du Général de Gaulle, facilita l’intégration de la nation britannique qui vit en la CEE une forme de bouée de sauvetage. Mais l’erreur alors commise a été de croire que la Grande-Bretagne se plierait de bonne grâce aux règles qui prévalaient au sein de la CEE puis de l’Union européenne. Il suffit pour cela de se remémorer les options politiques de Margaret Thatcher dans les années quatre vingt, options clairement inspirées et copiées du libéralisme décomplexé de Ronald Reagan, qui manquèrent de conduire CEE et Grande-Bretagne à la rupture. Autre erreur, la notion de mutualisation et d’entraide internationale qui présidait, et encore aujourd’hui, à la création de la CEE lors de la ratification du Traité de Rome en 1957. Ainsi, la Grande-Bretagne a-t-elle toujours donné le sentiment d’une adhésion « à la carte » aux principes européens, en l’état en faveur de ses intérêts économiques propres qui ne sont pas incompatibles avec ceux de l’actuelle Union européenne mais complémentaires. Et c’est d’ailleurs en partie sur ce point que repose la problématique sous-jacente du référendum du 23 juin prochain (l’autre partie étant une question de politique intérieure). Troisième erreur, conséquence de la seconde, et imputable aux instances et gouvernements européens alors en exercice à la fin des années soixante, celle de croire que l’adhésion du Royaume-Uni, motivée par des questions économiques, serait naturellement et automatiquement suivie par une adhésion aux principes fondateurs de la CEE.

Candeur et malentendu

Il ne s’agit pas de maudire les Britanniques, loin s’en faut, mais ils ne sont pas les seuls responsables dans la crise ouverte que traduit le référendum à venir. La naïveté des instances et gouvernements européens des années soixante-dix s’est conjuguée avec le flegme cynique des gouvernants britanniques de l’époque, les premiers imaginant candidement que la Grande-Bretagne changerait d’attitude, les seconds que la CEE et l’Union finiraient par se résoudre à leur présence sans poser plus que questions que cela ou exiger quoi que ce soit. A l’arrivée : un malentendu qui dure depuis quarante-trois ans. « Mauvais mariage ! » crieraient certains. « Soit ! Divorçons ! » répondraient d’autres. Pas si simple car, comme le rappelle le cabinet Cassini Conseil, « d’un point de vue économique, l’Union européenne est un partenaire indispensable pour le Royaume-Uni. Les échanges commerciaux avec l’Europe dépassent largement ceux avec les Etats-Unis et, de très loin, ceux réalisés avec les pays du commonwealth. Dans le domaine financier, un secteur important pour le Royaume-Uni, les pays de l’Union européenne sont là aussi une source de revenus très significative, en particulier des Etats comme les Pays-Bas, la France ou l’Allemagne »*. Et alors qu’à cette heure, le maintien apparaît à certains comme impérieux, vitale à d’autres, il semble en parallèle que la seule perdante soit l’Union européenne incapable de faire régner l’ordre dans ses rangs et alimentant encore un peu plus la crise qui la ronge. Alors si le divorce est une solution, il faut juste s’entendre pour savoir qui paiera la pension alimentaire…

Sources : http://www.cassini-conseil.com/le-royaume-uni-et-leurope*

Mohammed Ali ou une vie le poing levé

Muhammad_Ali_1966Athlète et citoyen, Mohammed Ali a marqué l’Histoire de la boxe et de la société américaine. Car jusqu’alors rares avaient été les sportifs à dépasser leur condition pour s’engager en faveur d’une cause collective : la défense des droits civiques.

La disparition de Mohammed Ali, outre le fait quelle marque le départ pour le Panthéon des sportifs de l’un des plus grands boxeurs que le monde ait connu, est aussi une perte pour celles et ceux qui ont fait de la défense des droits civiques et des droits humains un combat. Certes Mohammed Ali n’ a pas été le seul à s’engager dans ce type de cause, d’autres que lui s’y sont largement impliqués parfois avec moins d’aura et de reconnaissance mais toujours avec autant de sincérité. Pourtant la force de Mohammed Ali aura été, il en aura d’ailleurs été l’un des premiers, d’utiliser sa condition de sportif de haut niveau pour porter un message par delà les frontières de sa discipline d’origine. Naturellement, presque cyniquement de surcroît, la comparaison avec d’autres sportifs auteurs de déclarations censées amender le débat social ou dénoncer des injustices criantes est inévitable. La question ne réside cependant pas dans cette comparaison et il serait dangereux de s’y aventurer plus avant. Mohammed Ali avait une très haute opinion de son sport à qui il devait tout et dont il avait su transcender l’essence dans le débat social à des fins collectives et d’amélioration des conditions de ceux qui souffraient d’inégalités abyssales. Ces mots, ces déclarations, ces actes n’étaient pas des coups d’éclats tapageurs mais le symbole d’un engagement fort et sincère, servis par des interventions mesurées et savamment calculées, fruits d’une profonde connaissance des arcanes de la société américaine.

Tribunes

Nombreux argueraient du fait que l’histoire des Etats-Unis des années soixante s’y prêtait mais il serait réducteur de ramener l’action de Mohammed Ali à cette seule circonstance temporelle. Répétons-le, la médiatisation et sa célébrité de Mohammed Ali ne servaient pas sa personne. Elles se voulaient le passeur d’un message à vocation sociale et civique. Point de polémique, point de violence verbale ou de victimisation. Lorsque l’homme refuse de partir pour Viêt-Nam déclarant à la face du Monde et du Gouvernement des Etats-Unis qu’il  n’avait « rien contre les Viet Cong et que jamais ces hommes ne l’avaient traité de négro » , Mohammed Ali mesure pleinement son propos dans un contexte politique où la cause des Afro-Américains reste (aujourd’hui encore) un combat à mener et à remporter. Du ring à la Marche de Washington (à laquelle il n’a pas participé), Mohammed Ali ne voyait pas de différence. Conscient que sa condition de sportif lui donnait accès à des tribunes auxquelles ses semblables n’avaient pas droit, Mohammed Ali, fin et intelligent, sagace et un brin politique, a su imprimer à son métier, la boxe, une dimension citoyenne et sociale comme d’autres ont rarement su le faire. Sportif sur le ring mais aussi citoyen de plein droit sur ce même ring. Pas d’avion privé, pas de voiture de luxe ou de cortèges de naïades énamourées pour se faire valoir. Pour Mohammed Ali le combat du ring était celui de sa vie : celui d’un homme noir, descendant d’esclaves, obligé de lutter tous les jours dans un monde de blancs pour faire valoir des droits que d’autres lui refusaient. Dire que Mohammed Ali était grand est faible. Il était immense et gigantesque sur le ring et en dehors, peut-être plus en dehors que sur, porté par un idéal qu’il incarnait par devers lui, voire qui le dépassait. Ambassadeur d’une cause, Mohammed Ali s’était fait le porte-parole d’une Amérique bafouée et humiliée, celle du peuple noir. Exemple de cette contestation de l’ordre établi sa volonté de se convertir à l’Islam en devenant Mohammed Ali, rejetant le prénom et le nom Cassius Clay, patronymes qui le renvoyaient à une condition d’esclave qu’il abhorrait.

Insoumis et blanche Amérique

D’aucuns l’ont alors accusé d’être anti-américain, de salir la bannière étoilée, y compris parfois parmi ses semblables. Mohammed Ali en avait cure et à raison tant son combat résonne encore dans l’histoire des Etats-Unis, ses poings accablaient ses adversaires sur le ring, son engagement (ses autres poings !) éreintaient une société américaine enlisée dans ses préjugés. Enfant d’un peuple dont l’Amérique se souvenait lorsqu’elle en avait soudainement besoin, Mohammed Ali incarnait l’image d’un insoumis que la blanche Amérique aurait aimé voir rentrer dans le rang, à savoir en silence et dans l’ordre. L’homme combattait le racisme non pour lui et satisfaire des intérêts personnels mais pour mettre fin à un sentiment qui rongeait (et ronge encore) la société américaine. La figure emblématique et charismatique de Mohammed Ali restera longtemps dans les esprits de ceux qui ont fait de la lutte contre les inégalités et l’injustice le combat d’une vie. Loin de toute dimension politique, mu par la seule volonté de donner au peuple noir la place qui lui revenait dans la société américaine, à savoir comparable en tous points à celle des blancs, Mohammed Ali a, à sa façon et presque cinquante ans avant, posé les jalons de l’élection de Barack Obama à la Maison Blanche un soir de novembre 2008. Si le président des Etats-Unis se doute que le combat de Mohammed Ali n’a pas été vain et finalement utile comme celui de Martin Luther King ou d’Angela Davis, l’ancien boxeur l’espérait et n’osait peut-être pas en rêver.

Rancoeur et exclusion: premiers agents recruteurs de Daesh

İD_bayrağı_ile_bir_militanSi les revers militaires de l’Etat islamique confirment l’efficacité des efforts engagés par la coalition internationale, ils ne sauraient occulter la rancoeur que nos sociétés contemporaines engendrent et nourrissent.

Ainsi, personne ne s’en plaindra, à commencer par les populations qui vivaient sous sa coupe brutale et manichéenne, l’Etat islamique recule. Les frappes de la coalition internationale associées aux investigations menées par les différents services de renseignements européens ont porté des coups, sinon définitifs, du moins lourds à Daesh. Pour autant, cette succession de bonnes nouvelles qui seront couronnées un jour par l’annonce de la disparition complète de l’organisation islamique ne saurait masquer une réalité plus inquiétante encore : la persistance d’un terreau propice au développement de mouvements tel que celui qui terrorise le Moyen-Orient et l’Occident aujourd’hui. Et la question ne règlera pas dans les sables qui bordent le Tigre, l’Euphrate ou ceux du Sahel mais dans nos sociétés contemporaines et prétendument modernes. Revenons à l’origine du recrutement par l’Etat islamique d’une partie de ces affidés, ceux en l’espèce issus des pays européens. Des hommes et des femmes à l’existence terne, vide, sans but ou objectif définis et qui voient dans l’Etat islamique le moyen de donner un sens à leur vie.

Fantômes de la société

Car pour nombre d’entre nous, les ambitions d’une vie se dessinent dès l’enfance, mues par l’espoir de reproduire peu ou prou le schéma familial. Mais pour d’autres, certes minoritaires, ce schéma et ces ambitions n’existent pas. La faute à de nombreux paramètres d’essence familiale ou sociétale, voire les deux, peu importe en réalité. In fine, ces individus, fantômes de la société dans laquelle ils ont grandi trouvent dans la radicalité proposée par l’Etat islamique (mais cela pourrait être une autre organisation) une forme d’exutoire social, la clef à la vie qui, soi-disant, les attendait mais que leur environnement originel ne leur offrait pas. Naturellement, on peut opposer à cela de nombreux exemples mais s’interroger sur la déshumanisation de nos sociétés contemporaines n’est pas un tort. Elle touche une minorité d’individus en manque d’exaltation, aveuglée par une propagande qui soudainement leur donne le sentiment d’être considéré, donc d’exister. Eux si transparents jusqu’alors voient au loin un groupe prêts à les accueillir, eux qui étaient sinon rejetés, du moins écartés. Mais ce concept de déshumanisation, qui peut se doubler de celui de désociabilisation, pourrait aussi toucher d’autres franges de la population telles que les demandeurs d’emploi isolés, les travailleurs pauvres ignorés de tous, les familles monoparentales tiraillées entre adversité et contraintes diverses et variées. Alors est-il faux de penser que nos sociétés contemporaines, sans engendrer ex-nihilo des terroristes en puissance, créent cependant les conditions, à tous le moins, les ferments de rancoeurs et de non-dits qui finissent un jour au l’autre pas exploser d’une manière ou d’une autre ? Lors des attentats de janvier et de novembre 2015, le profil global des meurtriers a longuement été étudié. Origines sociales, influences, convictions, entourage et fréquentations. Mais rares (pour ne pas dire jamais) ont été les discours s’interrogeant sur le désespoir que peuvent créer nos sociétés contemporaines porteuses, disons-le, d’exclusion (sous diverses formes), de xénophobie et d’inégalités sociales qui toutes conjuguées accouchent parfois de phénomènes dépassant l’entendement.

Briser des individus

Evidemment, la raison qui prédomine chez nombre d’entre nous empêche de franchir de telles extrémités et rien ne saurait justifier de basculer dans l’horreur. Mais rien non plus ne dédouane un modèle de société, le nôtre, lui aussi brutal (certes sous d’autres formes que celui que défend l’Etat islamique) et capable de briser ou disloquer des individus en manque de repères ou de principes faute de les avoir acquis. Il serait trop facile alors d’évoquer, entre autre, le sempiternel choc des cultures, excuse facile qui expliquerait sans appel la radicalité de certains. Mais il n’y a pas plus de choc de cultures aujourd’hui qu’il y en a eu lors des Croisades (XIème – XIIIème siècle). Si l’époque change, l’objet reste le même : le pouvoir et la conquête qu’il induit. Car que recherche l’Etat islamique ? Le pouvoir semble être la réponse adéquate. Et pour le servir, Daesh sait séduire des hommes et des femmes perdus, égarés, sans réel repères culturels ou éducatifs qui en font des cibles faciles et consentantes. Il va sans dire que l’éducation joue un rôle fondamental pour lutter contre le fléau de la radicalité. Mais elle n’est pas la seule à devoir faire acte de contrition : ce sont des sociétés entières qui doivent s’interroger sur ce qu’elles sont devenues et comment elles ont pu laisser prospérer en elles les germes de la haine. Sans cette réflexion, Daesh mort, un autre le remplacera. Inévitablement.