Les Etats-Unis doivent encore grandir

Objet de fascination, la première démocratie du monde est traversée par une crise sociale majeure opposant partisans et détracteurs du port et de la vente d’armes. Et si cette crise exprimait les premiers pas vers l’âge adulte d’une nation encore très jeune ?

Et si les Etats-Unis entraient dans l’âge de la maturité ? La question pourrait paraître étonnante, voire stupide, mais en s’attardant sur la manifestation organisée par la jeunesse américaine le 24 mars dernier à Washington, intitulée Marche pour nos vies, il n’est pas interdit de se poser la question (Lire l’article sur lemonde.fr : Etats-Unis : une génération qui a grandi sous la menace des armes). Car en définitive et souvent dans l’Histoire, ne sont-ce pas les jeunes générations ou les jeunes adultes qui ont, les premiers, lancé les mouvements de contestation ? En ce cinquantenaire de Mai 68, certes engoncés dans un confort tout bourgeois qu’ils apprécient, les post soixante-huitards n’ont pas toujours été des sexagénaires rangés mais des étudiants désireux de changer le monde qui les entourait. Le combat désormais officiel de la jeunesse américaine contre les lobbys des armes à feu (comprenez défenseurs du port et fabricants d’armes) peut s’assimiler à un premier pas vers un changement de mentalité au sein de la première démocratie du monde qui, en vertu de cet attribut démocratique, autorise le port d’armes pour finir par s’interroger sur la pertinence de ce droit.

Paradoxe, violence et talion

Certes. Mais de là à évoquer une quelconque maturité ? Répétons-le l’allégation n’est pas fortuite car les Etats-Unis, aussi puissants et respectés qu’ils peuvent l’être, restent une nation jeune, fondée au cœur du Siècle d’Or européen (1492 – 1681). Eblouis par les avancées technologiques et techniques de ce pays-continent, nombre d’entre nous ont fini par occulter le fait que les Etats-Unis, officiellement créés en 1776 lors de la Déclaration d’Indépendance, sont encore une nation qui doit achever sa mue intellectuelle en stabilisant ses rapports sociaux. L’élection de Donald Trump ne prouve-t-elle pas à sa manière que le peuple américain est encore capable de surprendre, et dans le mauvais sens du terme, une partie de sa population et de ses partenaires, alors que la situation internationale appelle à une pondération concertée et non pas à une escalade de la violence sous quelque forme que ce soit. Le souffle d’air frais que tente d’insufler la jeunesse américaine, et c’est là que réside aussi le paradoxe, se veut le constat sage et plein de bon sens, généralement apanage de quadragénaires éprouvés, d’une fraction de la population (près de 22,7 millions de 15-24 ans en 2015)* que le pays doit désormais faire le deuil de traditions issues d’une partie de son histoire où violence et loi du talion prévalaient.

Modernité et Moyen-Age

Cette jeunesse, courageuse et meurtrie, (Lire l’article sur slate.fr : Etats-Unis, Europe: la jeunesse a-t-elle encore un avenir? ) a compris qu’une nation moderne, prompte à s’ériger en donneur de leçon et en gendarme du monde, ne pouvait continuer d’abriter en son sein des lois autorisant un simple quidam à porter une arme au simple motif de faire valoir son droit à le faire et aussi d’assurer la survie d’une industrie pétrie de cynisme. Dans Ecrits sur l’Histoire (1969), l’historien Fernand Braudel (1982-1985) expliquait qu’au regard de la date de création des Etats-Unis, le pays en question en était alors, rapporté à la contemporanéité de notre temps, au Moyen-Age. Est-ce à dire ou penser que le Moyen Age européen était une ère archaïque, noire et obscure ? Loin s’en faut mais si la période a été intellectuellement riche et porteuse, artistiquement féconde, les codes qui régissaient les rapports humains étaient eux en revanche empreints de violence. Alors si la manifestation de la jeunesse américaine ne se soldera pas dans les mois ou les années à venir par l’abolition du port et de la circulation des armes à feu, elle marquera cependant un premier pas vers l’âge adulte d’un pays dont l’Histoire reste encore à écrire. Mais demeure la question de savoir combien de temps cette transition prendra…

*Sources : Banque Mondiale in http://perspective.usherbrooke.ca

Voie bloquée à la SNCF ?

Train
Entre fermeté et grève perlée annoncée, les syndicats de cheminots devront ménager la susceptibilité d’usagers qui ont encore en mémoire la grève de novembre 1995. Droits réservés : pxhere.com

Le conflit opposant syndicats de cheminots et Gouvernement sur la réforme de la SNCF s’annonce dur même si la détermination de l’Etat pourrait avoir raison des partenaires sociaux conscients de leur image dans l’opinion. Explications.

Avec l’annonce d’un prochain mouvement de grève initié par la SNCF dans le cadre du projet de réforme de l’entreprise ferroviaire, les négociations entamées entre l’Etat et les partenaires sociaux prennent dés à présent un nouveau tournant (Lire lemonde.fr : Grève à la SNCF : le gouvernement tiendra bon, assure Bruno Le Maire ). Décidé à mener la réforme à son terme, l’Etat et avec lui le Président de la République font face aux syndicats de l’entreprise, décidés pour leur part à ne pas céder aux volontés du Gouvernement en particulier sur le statut de cheminot. Il n’est pas nécessaire ici de revenir sur les détails d’une réforme annoncée par Emmanuel Macron au cours de sa campagne présidentielle mais de passer celle-ci au crible de celle qu’en sont temps, en 1995, Alain Juppé avait tenté d’initier pour finalement abandonner le projet, perdre tout le crédit politique dont il jouissait alors et ouvrir une voie dégagée pour la Gauche plurielle de Lionel Jospin, grand vainqueur des élections législatives anticipées de 1997. Aussi, via le prisme de l’Histoire, est-il judicieux de penser que les syndicats de la SNCF auront raison de la détermination du Gouvernement.

Réforme et orientation

Plusieurs paramètres laissent à penser que non. Tout d’abord, l’état de l’opinion de 2018 est loin de ressembler à celui de 1995 encore largement baigné de notions de compromis voire de volte-face au nom de la nécessité de préserver une forme de statu-quoi somme toute confortable. Ensuite, la détermination d’Emmanuel Macron, qui s’appuie aussi sur l’évolution des mentalités au cours des vingt-trois ans écoulés, semble tout à la fois motiver et effrayer des syndicats cheminots, remontés contre une réforme jugée inique et injuste, loin des préoccupations de l’entreprise. Enfin, l’épreuve de force sur le point de s’engager, non sans une certaine violence, permettra à son vainqueur d’orienter, sinon en durablement du moins pendant une grande partie du quinquennat, la politique globale du Gouvernement. En cas d’échec, Emmanuel Macron et Edouard Philippe deviendraient les cibles faciles et dégagés d’adversaires politiques et syndicaux prêts à en découdre. Une réforme non aboutie ou une demie-réforme serait assimilée à une forme de volte-face prompte à ouvrir de multiples brèches dans la politique menée par le Gouvernement. Parallèlement, échaudés, pour ne pas dire effrayés par la diligence et la brutalité avec laquelle le Code du Travail a été modifié dans le cadre de la loi éponyme grâce aux recours aux ordonnances, les syndicats de cheminots savent que toute faiblesse serait fatale et que le Gouvernement peut à tout moment rompre le dialogue (option risquée à bien des égards alors qu’il a déjà été initié) et passer en force.

Usagers et opinion

Mais en annonçant le lancement d’un mouvement de grève de deux jours par semaine jusqu’au 3 juin, les syndicats de cheminots savent que les désagréments causés aux usagers seront moindre que ceux qui avaient prévalu en 1995, mouvement de grève qui avait durement écorné l’image de l’entreprise publique au point de braquer l’opinion contre elle. Conscients de cette réalité, les syndicats de cheminots espèrent dont par ce conflit, larvé et reconductible, entraver autant que faire se peut les négociations sans trop gêner des usagers prompts, à leur tour, à se retourner, tout comme en 1995, contre l’entreprise. Et de justifier les désagréments à venir par la position du Gouvernement à leur endroit expliquant ainsi qu’il n’y a guère d’autres solutions pour faire valoir leurs droits et sauvegarder l’entreprise. Certes. Mais cette grève, atypique et iconoclaste pour le moins, ne serait-elle pas finalement un aveu masqué de renoncement, preuve que le poids de l’opinion est plus fort que celui de contestation ?

L’art du cache misère politique

Si le changement de nom du Front National en Rassemblement National a pour vocation de relancer le parti, l’opération lancée par Marine Le Pen s’assimile plus à un cache misère qu’au sauvetage d’un parti exsangue. Mais gare cependant aux franges les plus extrêmes à même se passer de tout parti.

Voilà ! C’est donc fait ! Le Front National, parti d’extrême droite fondée par Jean-Marie Le Pen a vécu pour désormais s’appeler Rassemblement National, ainsi l’a voulu la présidente du Parti, Marine Le Pen. Elle qui traîne comme un boulet sa prestation télévisée lors du débat de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle en mai 2017, a proposé à ses militants, près de 50.000 officiellement encartés à ce jour, un changement de nom jugé par Marine Le Pen comme essentiel. Plusieurs raisons semblent justifier ce changement à commencer par la volonté de la présidente du parti de rompre avec l’histoire politique initiée par Jean-Marie Le Pen. « Tuer le père » était devenu pour Marine Le Pen, plus qu’une nécessité œdipienne, un impératif de survie qui lui permettait de ne plus être perçue comme la fille de Jean-Marie Le Pen (qu’elle reste par ailleurs) mais avec qui elle a rompu une prétendue filiation politique. (Lire l’article sur lemonde.fr : Marine Le Pen réélue présidente du FN, son père déchu de la présidence d’honneur)

Strapontin et alliances

Car dans ce changement de nom intervient aussi la volonté d’accoucher d’un nouveau parti, dont l’appellation laisse supposer de futures alliances avec qui serait susceptible de s’entendre avec la présidente actuelle. Marine Le Pen a parfaitement compris que l’ancien Front National ne disposait plus aujourd’hui que d’un strapontin sur l’échiquier politique actuel. Certes le parti d’extrême droite n’est pas le seul mais les autres formations politiques ont pour elles (pour l’heure concernant Les Républicains) de ne pas ériger la haine de l’autre et de l’étranger comme base de réflexion idéologique. Consciente de la difficulté pour le Front National d’exister dans un tel environnement, amputé de figures clefs telles de Floriant Philippot et son courant souverainiste, Marine Le Pen tente aujourd’hui de déshabiller Jacques pour habiller Paul. Concrètement, ce changement de nom, qui s’assimile plus à un cache misère qu’autre chose ne pourra cependant pas masquer la nature profonde du parti en question. Désormais persuadée que son parti ne parviendra jamais au pouvoir seul, Marine Le Pen s’aventure sur le terrain  de rapprochements possibles avec l’espoir de séduire ou convaincre Les Républicains que le Rassemblement National vaut mieux que le Front National. Se pose alors la question de la porosité idéologique entre les deux formations ; celle de Laurent Wauquiez, qui n’a eu de cesse ces dernières semaines de battre en brèche les cadres de son parti et celle du Rassemblement National désormais contraint d’accepter le principe de la compromission toujours banni jusqu’alors.

Déliquescence et terreau

Mais derrière ce changement de nom, qui relèvera de l’anecdote historique dans les années à venir, se cache aussi la déliquescence d’un parti, (tout légitimé qu’il pense être par le soutien de Steve Bannon, l’ancien conseiller stratégique de Donald Trump, ou lancé dans une chasse aux propos racistes proférés par l’un de ses cadres – lire l’article sur lemonde.fr : Le numéro 2 du Front national de la jeunesse, Davy Rodriguez, suspendu pour propos racistes) cerné par des affaires judiciaires lourdes, des conflits de personnes larvées nourris de haines cuites et recuites, des luttes de pouvoir, à bout de souffle dans les sondages et l’opinion…Bref ! Choses communes à nombre de partis politiques mais qui ont su s’en relever via une gestion pragmatique des difficultés survenues grâce à ses composantes souvent éclairées et cultivées. Situation inverse au Rassemblement National où se bousculent pelle-mêle divers profils souvent vierges de toute expérience politique et aux capacités limitées en matière de règlement d’affaires quelconques. Est-ce à dire que Marine Le Pen a cherché, par ce changement de nom, à faire du neuf sur du vieux ou a posé un cautère sur une jambe de bois ? Peu importe à vrai dire et tout démocrate devrait se satisfaire des difficultés rencontrées par Le Rassemblement National. Mais gare cependant ! Car si l’expression politique institutionnelle et organisée qu’est le Rassemblement National est aussi l’ultime émanation d’un parti épuisé, en l’occurrence Le Front National, il reste encore dans le pays un terreau extrémiste, xénophobe et nationaliste qui n’a finalement guère besoin de parti pour s’exprimer. Et c’est bien là que le sens du mot démocratie doit prendre tout son sens.

Explication de texte

Accusés de transformer l’information ou de contribuer à alimenter de sombres complots, les médias doivent affronter la méfiance de leurs concitoyens et d’une certaine frange du monde politique. Et si cette crainte était liée à l’incapacité de nos sociétés à accepter leurs propres reflets. Explications.

Il est fréquent en démocratie de s’en prendre ouvertement aux journalistes et aux médias. La proie est facile et si elle peut mordre, la morsure sera toujours interprétée comme la réaction à une vérité que la victime aura eu le malheur et le courage de dire. Ainsi, depuis quelques semaines, de nombreux acteurs du monde politique, Laurent Wauqiez, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et outre atlantique, Donald Trump lancent à l’envi attaques et critiques contre les médias de leurs pays respectifs. Répétons-le il est classique dans une démocratie de s’en prendre aux vecteurs d’information accusés de pervertir, transformer, dénaturer ou interpréter selon ses envies ou ses orientations cette dernière. D’ailleurs la critique des médias n’est pas le seul apanage des acteurs de la vie politique ; le commun des mortels au café du commerce, sur internet ou sur les réseaux sociaux ne s’en prive pas, rendant les journalistes responsables de tous les maux. La question à cette heure n’est donc pas de savoir si les journalistes sont responsables de la faim dans le monde (rappelons aussi que certains d’entre eux exercent leur activité professionnelle dans la plus grande précarité) ou de la défaite à l’élection présidentielle de François Fillon mais plutôt de savoir pourquoi ils sont la cible de nombre de nos concitoyens.

Grandeur et décadence
Jouissent-ils de privilèges indus ? Non. Sont-ils au cœur de complots visant à déstabiliser l’ordre mondial ? Non. Et à ce propos un homme comme Donald Trump est certainement plus à même de bouleverser les équilibres internationaux plus que les journalistes qu’il honnit ouvertement. La réalité est peut-être finalement bien plus simple qu’il n’y paraît et renvoie à l’essence même de l’activité journalistique. Qu’es-ce qu’un journaliste ? Un transmetteur d’information, un individu qui s’abreuve de faits, qui absorbe les composantes complexes et multiples d’une tendance pour la restituer à ses lecteurs, ses auditeurs ou ses téléspectateurs. Voilà tout. Et le halo de crainte qui entoure cette profession est tout compte fait lié à l’incapacité pour ses détracteurs d’accepter la vérité simple et froide, aride et dépassionnée que les journalistes et médias s’évertuent avec conscience et éthique à diffuser. Certes cette acte de transmission est parfois maladroit, malheureux, malvenu…Bref ! Tous les qualificatifs n’y suffiraient pas mais il n’en reste pas moins que le métier de journaliste n’est pas celui de communicant et sa fonction première reste de montrer le monde dans sa beauté comme dans sa laideur, dans sa grandeur comme dans sa décadence. Critiquer à l’excès les journalistes et les médias au point de les insulter et de dévaloriser leur métier revient à renier et à refuser d’assumer notre monde. Evoquer les bidonvilles de Lagos ou de Buenos Aires n’est pas se vautrer dans le sensationnalisme ou le voyeurisme, c’est montrer aussi et avant tout que notre monde, voulu aseptisé, est aussi facteur de déséquilibre sociaux lourds et dont il faut accepter l’existence. Accuser les médias, comme nombre d’acteurs politiques, aux accents volontiers populistes et animés pas de basses fins électoralistes, de n’accorder la parole qu’à un panel choisi d’individu relève de la manipulation d’opinion quand ce n’est pas de la simple bêtise. « Mais les journalistes transforment tout ! » entend-t-on régulièrement ici ou là Mais que transforment-ils ? Le plomb en or ? Ne serait-ce pas la vérité qu’ils diffusent qui dérange ceux qui les accablent ? Pour conclure un débat qui n’aura certainement jamais de fin, rappelons, incidemment, qu’une presse libre et indépendante est un pilier de la démocratie. Lieu commun certes mais qu’il est bon de rappeler à l’heure où la superficialité et la médiocrité des rapports humains tendent à écarter toute réflexion au profit de raccourcis intellectuels fermés et hermétiques aux évolutions nécessaires auxquelles presse et journalistes contribuent aussi.