Un ambitieux futur factieux ?

Benjamin_Griveaux
Fidèle mais ambitieux, Benjamin Griveaux pourrait vite irriter un président attaché à son aura et son pouvoir. Crédit photo : wikipedia.org

En nommant Benjamin Griveaux porte parole du gouvernement, Emmanuel Macron récompense un fidèle et muselle aussi un ambitieux reconnu pour éviter que celui-ci ne devienne un factieux difficile à contrôler. Mais s’il n’y avait que celui-ci…

Ambition et goût du pouvoir pourraient facilement résumer Emmanuel Macron. D’ailleurs l’homme ne s’en cache pas spécialement et cultive à ce titre une forme de hauteur que d’aucuns jugent empreinte de prétention et de vanité. Emmanuel Macron a outre fait le choix de s’entourer de ministres non issus (à l’exception de Gérard Collomb), de la sphère politique mais aussi préféré choisir des hommes et des femmes fruits de l’entreprise, de la société civile pour employer une dialectique commune à tous. Le choix est judicieux dans la mesure où il permet au Président de rayonner et de trancher à l’aune de son expérience politique, certes limitée. Cette tactique, novatrice pour beaucoup, qui ne l’est d’ailleurs pas tant que cela in fine, permet ainsi à des individus forts de parcours professionnels divers, souvent brillants, généralement accomplis dans le secteur privé ou la très haute fonction publique de donner libre cours à leurs compétences. L’espace ministériel s’y prête, l’instant Macron le permet, le Président ayant à ses côtés des hommes et des femmes prêts à s’engager pour l’intérêt général sans compter et sans arrières-pensées. Certes.

République et Défense

Mais majoritairement issus du secteur privé, royaume de l’ambition et de la culture du résultat, ces hommes et ces femmes, n’en déplaise au Président golden boy, nourrissent ouvertement ou silencieusement, à l’abri des regards de l’Elysée, des ambitions personnelles. Le contraire serait étonnant et quoi de plus naturel. Dernier exemple en date : Benjamin Griveaux. L’ambitieux quadragénaire, qui avait manqué jusqu’alors son entrée au gouvernement se voit offrir un poste et non des moindre, celui de porte parole du gouvernement, tâche jusqu’alors échue à Christophe Castaner. Benjamin Griveaux, fidèle lieutenant du Président Macron avait attiré à lui bien des foudres lors de la campagne Présidentielle, jugé « brillant mais cassant » par beaucoup (Lire l’article sur le lemonde.fr : Le retour en grâce de Benjamin Griveaux, nommé porte-parole du gouvernement) l’homme n’a jamais manqué d’annoncer la couleur en précisant que son avenir se dessinerait sous les ors de la République plus que dans les bureaux du quartier de la Défense. Alors certes, nombreux seront à penser, et à raison, que pour museler les ambitions de personnages trop remuant et trop velléitaires, rien ne vaut un poste ministériel ou proche de l’Elysée. Le calcul est fin, peu original, d’autres Présidents de la République ayant agi de la même manière afin de ruiner l’avenir de prétendants trop gênants ou peu appréciés…Ce n’est pas Michel Rocard qui le démentirait…

Paradoxe et liberté

Seulement éloigner, paradoxe absolu, un individu de ses ambitions en le rapprochant au plus près du pouvoir pour qu’il s’y brûle les ailes ne peut être une politique à long terme. Elle peut le cas échéant briser dans l’oeuf une aspiration de puissance mais elle ne pourra contenir une vague plus profonde. Car c’est bien à cela que s’expose le Président de la République. En ouvrant les portes des ministères à des non-politiques, peu rodés aux arcanes du genre, habitués à une liberté de mouvement et de parole que le secteur privé autorise au nom de l’ambition, le Président risque souvent au cours de son mandat de se retrouver face non pas à un Benjamin Griveaux mais plusieurs Benjamin Griveaux prêts à saisir leur chance, tant le bouleversement social que la France connaît à ce jour offre à ces prétendants aux dents longues un très large champ de possibilités. Car celles et ceux qui ont suivi Emmanuel Macron lui ressemblent ou tendent à le faire comprenant que l’ère et l’aire du politique traditionnel a changé. Désormais la politique se joue aussi dans l’entreprise et non plus à l’Assemblée nationale, dans les start-up et non plus dans les fédérations de partis, renvoyées au rang de réservoirs à militants (parfois désabusés) éloignés des ambitions des jeunes loups. Le Président de la République devra donc, et ce n’est pas en soi réellement nouveau, se méfier d’abord de ses amis pour éviter que ces derniers ne lui fassent ce que lui a fait à François Hollande. D’aucuns appellent ça de l’opportunisme heureux, d’autres de la trahison.

Problème de logique

Le retrait de la vie politique de François Fillon consacre le passage définitif de l’électorat à un autre monde. Et les tentatives d’anciens élus ou responsables pour réintégrer le jeu politique d’apparaître comme des atermoiements anecdotiques répondant à des logiques clivantes dépassées.

Les adieux de François Fillon à sa famille politique le 19 novembre dernier, et accessoirement à son micro-parti, marquent, il n’est pas abusif de le penser, la fin définitive d’une ère politique que l’élection présidentielle avait déjà poussé dans la tombe. D’aucuns argueraient du contraire devant les tentatives de Manuel Valls de s’immiscer à nouveau dans le débat politique ou devant la campagne de Laurent Wauquiez, décidé pour se dernier à s’imposer en qualité de président du mouvement Les Républicains. Mais à y regarder de près, ces tentatives ou cette agitation, perdues parmi tant d’autres, ne relèveraient-elles pas de poussifs atermoiement d’anciennes gloires politiques ou de seconds couteaux en mal de reconnaissance ? Car, que l’on soit en accord ou pas avec Emmanuel Macron et la politique engagée depuis son élection, force est de constater que celui-ci tient le pays sinon d’une main de fer du moins du poigne plutôt ferme. En témoignent les timides mobilisations organisées par les centrales syndicales pour protester contre la réforme du Code du Travail.

Anecdote et baroud

Ainsi pour revenir, l’espace de quelques lignes au retrait de François Fillon, retrait qui ne laissera pas de traces impérissables dans l’histoire politique française, celle-ci apparaît donc tout aussi anecdotique que peuvent apparaître les derniers barouds d’honneur d’anciens responsables politiques. Il semble en effet que la France soit désormais passée dans un autre monde, plus précisément dans une autre logique sociétale, certes handicapée de contradictions et d’inégalités d’aberrations et d’incongruités que personne ne conteste et que tous veulent combattre, mais qui a enterré l’ancien monde. Est-ce à dire que la France a enfin accepté de rompre avec le poids de son Histoire, celle qui la galvanisait autant qu’elle l’oppressait ? Il est trop tôt pour l’affirmer et les historiens se chargeront de confirmer ou d’infirmer la question dans les années à venir si tant est que celle-ci se pose un jour. Mais la France d’Emmanuel Macron n’est plus, en terme de représentations mentales de l’avenir politique ou d’attentes nourries par l’action de celle-ci, celle de François Mitterrand ou de François Hollande, encore moins celle de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy. Il semble que les Français ont acquis l’idée de passer du XXème siècle au XXIème siècle, par envie ou par dépit, si ce n’est par obligation ou nécessité mais toujours est-il que la réalité est là : l’ancien monde est derrière nous. Certes pas très éloigné mais la purge politique opérée au lendemain de l’élection présidentielle a prouvé combien le pays avait soif de changement. Reste à savoir si ce changement tant de fois espéré, aujourd’hui engagé, répondra aux attentes nourries à son endroit. Pour l’heure, le renouvellement du personnel politique à droite comme à gauche (si d’aventure les deux notions ont encore un sens aujourd’hui) ne parvient pas à convaincre un électorat, certes critique à l’endroit d’Emmanuel Macron, mais encore vu et perçu comme le seul recours susceptible à résoudre les difficultés du pays. Quant aux tentatives de Laurent Wauqiez ou de Manuel Valls, il semble qu’elles répondent aussi dans leur méthode, du moins celle concernant le candidat à la présidence des Républicains, à des logiques visiblement dépassées de reconstruction de clivages politiques dont l’électorat paraît lassé. Car avec la nouvelle ère qui s’est amorcée au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, les logiques clivantes, longtemps métronomes de la vie politique française depuis 1958, sont, d’évidence, aujourd’hui désuètes et obsolètes. Faut-il pour autant ranger Adam Smith, Ricardo, Marx et Jaurès au fond des bibliothèques ? Une réponse alternative et ouverte dirait alors qu’il n’est pas nécessaire d’en arriver à cette extrémité mais comprendre que les théories développées par les uns et par les autres appartiennent à un monde révolu, en constante mutation et friand de nouvelles recettes.

La démocratie à l’épreuve de l’Affaire Merah

Le procès Merah serait-il le révélateur d’une société débordée par l’émotion ? Tentative d’explication.

Il y aura donc un second procès Merah. Inutile ici de présenter à nouveau les rouages de ce qui compte aujourd’hui parmi les plus lourds attentats terroristes que le pays ait connu. (Lire l’article sur lemonde.fr : Un nouveau procès Merah est-il nécessaire ? ) Mais pourquoi alors ne pas s’attacher au contexte général et à l’atmosphère qui ont prévalu, et qui prévaudra encore, lorsque se tiendra le second procès. Et plus précisément à ce que nous attendons de notre justice ? La question revêt à l’occasion de ce procès une valeur centrale. Première des réponses, première tentative en tous les cas : la justice n’est pas une vengeance. Et en dépit de l’horreur et du dégoût que peuvent inspirer les propos et l’idéologie meurtrière d’Abdelkader Merah, cet homme ne peut-être l’objet d’une quelconque vendetta. Il en va de l’honneur de la République et des valeurs qui la fondent, de la grandeur d’un peuple qui s’est le premier insurgé en Europe contre l’arbitraire et l’absolutisme. Qui pourrait se réclamer défenseur de la démocratie si cet homme, répétons-le, honni par une écrasante majorité de la population, devait être laissé aux mains de la violence, celle que lui-même appelle et défend ? L’émotion, profonde et légitime, suscitée par les actes commis par Mohammed Merah à Toulouse et Montauban, émotion qui anime encore aujourd’hui nombre d’entre nous, ne peut devenir un moteur de violence.

Sentence et droit

Certes la sentence est facile et l’est d’autant plus pour ceux qui n’ont pas été frappés par l’indicible. Pourtant, effort de prime abord impossible et impensable pour nombre d’entre nous, il faudra au cours du second procès, comme ce fut le cas au cours du premier, séparer l’émotion du droit, la colère de la règle pour préserver la grandeur de la justice des hommes, souvent critiquée et critiquable à bien des égards, mais pourtant seul et unique repère dont nous disposons pour séparer le grain de l’ivraie. Or, le premier procès, hautement médiatisé, et cela se comprend, a aussi été quelque peu l’otage de passions, voire de déclarations tout aussi passionnelles qu’instinctives, qui tendaient à occulter le droit au profit d’une émotion fruit de la colère, de la haine et de la vengeance. Ces sentiments sont naturellement et évidemment compréhensibles. Mais ont-ils leur place dans un prétoire ? Là encore se pose la question. Car est-il audible, en démocratie et en République, que l’émotion, fut-elle des plus vives, influence la justice au point de contrarier le droit ? Une des forces du terrorisme, si tant est que celui-ci puisse en avoir une ou en revendiquer une, est de renvoyer notre démocratie et nos valeurs, ainsi que ses outils que sont la justice et le droit, dans ses ultimes retranchements. Comment une société telle que la nôtre a-t-elle finalement pu laisser grandir en son sein de tels individus ? Comment et par quelle faute commise a-t-elle pu nourrir un radicalisme de cet ordre ?

Réalité et dérive

Le procès Merah figure au rang de ces étapes judiciaires qui marqueront notre société moderne et contemporaine par sa capacité à l’interroger dans son ensemble. Inutile d’évoquer un quelconque bouc-émissaire qui servirait de prétexte facile à une explication qui le serait tout autant pour éviter d’affronter la réalité de nos responsabilités. Car une chose est en revanche quasiment sûre. Le procès Merah nous oblige dès à présent à faire face à une société à la dérive qui s’est trop longtemps cachée derrière le confort d’une modernité grasse et généreuse. Est-ce à dire que nos démocraties sont devenues ou sont trop faibles ? La question est trop manichéenne et appelle un réponse par trop déterministe. Mais avancer l’idée que nos démocraties n’ont pas su s’adapter à la mouvance terroriste n’est pas nécessairement erroné. Rien naturellement n’effacera la douleur des familles des victimes présentes ou à venir, mais repenser les arcanes du droit sans altérer les valeurs fondamentales et les libertés individuelles permettraient peut-être d’appréhender avec plus d’assurance la question terroriste.