Ne pas dire que l’on ne savait pas

L’Italie lance un signal fort à l’Union européenne en ouvrant potentiellement la voie à un gouvernement d’extrême droite et interroge les limites de la démocratie dans un monde en plein bouleversement.

Qu’elle bascule majoritairement, ou non dans le camp de l’extrême droite, l’Italie envoie un signal puissant et inquiétant sur l’état de son opinion et plus largement sur celui de l’opinion de nombreux européens. La progression à l’échelle globale des discours extrémistes interrogent les principes libertaires et démocratiques qui ont longtemps soutenu nos sociétés. La question essentielle qui se pose aujourd’hui est simple : la démocratie répond-t-elle aux aspirations et aux besoins de tous ? D’aucuns argueront que oui quand d’autres crieront le contraire voyant en cette dernière l’origine de tous les maux. Il n’est donc pas interdit désormais de s’intéresser aux moteurs qui poussent les électeurs à se tourner vers les courants et les partis d’extrême-droite. Par ses discours conservateurs, faisant l’apanage d’un passé glorieux, voire d’une nostalgie historique qui n’a jamais existé, les partis d’extrême droite agitent le chiffon rouge d’une forme de sécurité qu’il ne tient, selon eux, qu’à restaurer en les mettant au pouvoir.

Facilité de discours

L’exacerbation des tensions politiques et géopolitiques des dernières années conjuguées à un sentiment, réel ou supposé, de déclassement social travaillent aussi à pousser des électeurs en manque de culture politique à se laisser séduire par des partis à la rhétorique que beaucoup ont longtemps qualifiée de limitée mais qui s’avère in fine suffisamment construite pour un électorat peu friand de débats complexes et d’explications qui le seraient tout autant. La facilité du discours des courants d’extrême droite et la réflexion tout aussi lapidaire à laquelle ils invitent satisfont un électorat en mal de reconnaissance, noyé dans les affres de la mondialisation et victimes des aléas d’une économie qui dépasse leur seule sphère locale. La crainte de voir s’effondrer un univers borné et rassurant, hiérarchisé depuis des décennies, voire plus, participent à cette fuite en avant qui ravit des partis aux exigences intellectuelles déjà faibles. Si certaines figures d’extrême-droite se démarquent de la pauvreté intellectuelle que ces partis présentent, c’est avant tout pour conférer aux partis en question une certaine légitimité et une crédibilité capables de les intégrer dans l’échiquier politique dans lequel ils cherchent à s’imposer. L’exemple type est encore l’italienne Giorgia Meloni du parti Fratelli d’Italia ou encore en France, Jordan Bardella pour le Rassemblement National. L’une et l’autre défendant un conservatisme agressif qui cache en réalité des thèses fondamentalement régressives et anti-démocratiques. Mais leur électorat en a cure. Pourquoi ? Car par des discours bruyants, éloquents et provocateurs, l’électorat en question nourrit le sentiment de posséder une voix qui les représente pour se faire le porte-voix de leurs difficultés. Mais le hiatus entre des attentes exprimées et des ambitions politiques s’appuyant sur ces aspirations, pour l’heure impossible à mesurer, sera d’autant plus flagrant quand l’extrême-droite sera arrivée au pouvoir. Dès lors la pseudo- vocation sociale et économique qui sous-tend son action et qui légitime son discours volera en éclat pour voir apparaître un lot croissant de déçus. Mais le mal sera fait.

De Kiev à Pékin

Avec un conflit ukrainien qui semble tourner à l’avantage de Kiev, se redessine en parallèle un nouvel espace d’influences dans lequel s’impose la Chine, soucieuse de d’apparaître comme le premier contestataire à l’ordre occidental.

Alors que se profile une potentielle défaite de l’armée russe en Ukraine, voilà qu’émerge, conséquence du conflit à l’échelle géopolitique, une nouvelle définition des rapports internationaux. Si la guerre en Ukraine aura infailliblement des effets sur la puissance et l’influence russes, cette même guerre aura permis à la Chine, allié prudent de Moscou de prendre les devants d’une sorte de rébellion anti-occidentale. Si Pékin n’est pas prête à faire parler les armes comme le fut Poutine, l’Empire du Milieu sait combien son allié slave aura beaucoup de mal à se relever des conséquences du conflit et à occuper la place de premier contestataire de l’ordre occidental. En se glissant dans la brèche, Pékin peut ainsi non seulement se poser comme meilleur ennemi des Etats-Unis, mais aussi endosser le rôle de figure de proue d’un anti-modèle occidental. Or, les relations internationales ont tout à redouter de cette métamorphose chinoise.

Brutalité et rupture

Car si Moscou brille par une certaine brutalité, sans finesse et sans élégance, dans ses relations diplomatiques toutes encore empreintes des méthodes employées par le KGB, la Chine saura en revanche faire preuve de beaucoup plus de rondeur et de douceur sans pour autant perdre les objectifs fixés. A l’image de son histoire et de sa culture, la Chine, qui déteste le chaos et la rupture, aura à coeur dans les années à venir de s’imposer de manière discrète et silencieuse comme elle l’a fait, et le fait encore en Afrique, en rachetant à l’insu de tous des millions d’hectares de terres, en s’immisçant dans les économies locales notamment nord-africaines ou européennes. Bercée par une philosophie millénaire et structurée par les principes d’un parti communiste infiniment puissant, la Chine saura sans mal se mettre au diapason des effets de la guerre en Ukraine. Premier acheteur de gaz et de pétrole russes, rendant donc ainsi dépendant Moscou de son bon vouloir, Pékin place habilement ses pions, alimentant son économie en sources d’énergie vitales acquises à des tarifs des plus accessibles tout en épuisant un allié de circonstances tourné vers un seul objectif : voler aux Etats-Unis la place de première puissance mondiale. Il n’est nul besoin d’imaginer d’autres desseins de la part de Pékin que celui décrit ci-dessus. Non pas afin de dicter sa loi (ce qui est déjà plus ou moins le cas) mais parce que toute nation de cet ordre est appelée à se hisser au sommet de la hiérarchie pour assurer son existence. Confrontée à un vieillissement de sa population, la Chine doit désormais trouver l’espace de sa survie quitte à s’allier avec une Russie vieillissante et au ban des nations. Mais pour l’heure, Pékin, attend patiemment la fin d’un conflit régional aux effets mondiaux dont elle saura, n’en doutons pas, tirer avantageusement les conséquences.

Le poids de l’héritage

La mort de la Reine Elizabeth d’Angleterre propulse le Prince Charles sur le trône d’une monarchie dont la modernisation ne saurait plus attendre. Défi ou gageure pour le roi Charles III qui par son action héritera du titre officieux de grand roi. Ou pas.

Avec la disparition d’Elizabeth II, disparaît aussi un des derniers grands témoins du XXème siècle. La souveraine britannique aura connu la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre Froide, la décolonisation des Indes et de l’Afrique où le Royaume-Uni était plus que partie prenante, la construction et la chute de Mur de Berlin, l’assassinat de John Kennedy…La liste est longue car non-exhaustive. La grand-mère du peuple britannique quitte donc la scène par la grande porte, elle qui avait été intronisée Reine d’Angleterre presque par effraction, d’aucuns diraient par un accident de l’histoire dynastique britannique. Mais se pose désormais la question de la succession, plus précisément que roi sera Charles III d’Angleterre. Elizabeth II, si sympathique avec es robes fleuries, ses chapeaux parfois extravagants et son énigmatique sourire, avait malgré tout corseté une monarchie qu’elle voulait à son image : lisse, exemplaire et sans scandale à même de la ternir.

Modernité et Tik-Tok

Si la souveraine a su rester au-dessus des vicissitudes de la monarchie, les scandales et les manquements à l’exemplarité n’ont quant à eux pas manqué. Loin s’en faut. Mais imperturbable, la Reine d’Angleterre a tenu le cap pour que jamais ne soit fondamentalement altéré l’image de la couronne. Le nouveau roi, forcément plus moderne que la défunte reine, ne serait qu’au regard de leur âge respectif, aura pour lourde tâche d’adapter la monarchie au XXIème déjà bien allègement lancé. Non que Charles III se lance dans la réalisation de vidéos Tik-Tok ou autres activités d’influenceurs, mais dans un monde totalement intégré, traversé de secousses multiples aux répercussions mondiales et géopolitiques, Charles d’Angleterre devra sans tarder impliquer la monarchie britannique dans la marche du monde. Si Elizabeth II ne s’est jamais départie de sa réserve, souvent à ses dépens par ailleurs, le roi Charles III se sait dans l’obligation de se montrer bien plus actif et communicant que ne l’était la souveraine. Est-ce à dire que Charles III se montrera plus actif politiquement, utilisant jusqu’à la limite ses prérogatives royales ? Nul ne le sait encore mais l’homme conscient de son âge, devra aussi transmettre à son fils William un trône au diapason du monde et non pas blotti dans le confort moelleux des salons de Buckingham.

Respect et gravité

La Reine Elisabeth II, héritière en 1952 d’une monarchie encore à la tête d’un immense empire colonial et bercée par les relents d’un âge victorien révolu, avait cherché à maintenir la royauté britannique dans une tradition séculaire invitant au respect et à la gravité de l’institution. Bien que n’étant en rien menacée dans ses fondements, le peuple britannique restant encore très attaché à l’institution monarchique, il faudra toutefois que Charles III fasse preuve d’une grande habileté pour conserver l’héritage ancestral protégé et transmis par la souveraine disparue tout en ouvrant celle-ci aux défis de son temps. Nombreux, souvent complexes et violents, ces mêmes défis seront pour Charles III des rites de passage à commencer par la question climatique et environnementale, à laquelle l’ancien Prince Charles était, et est encore, très attaché. Nul doute que l’homme sera attendu sur le sujet et ce à double titre. D’abord en qualité de fervent partisan de la défense de l’environnement, ensuite en qualité de roi. La portée et la force de sa parole, sur ce sujet, tout comme sur d’autres, seront les témoins de son implication et surtout du rôle que celui-ci entend jouer. Bref, fera de lui un grand roi ou un roi de plus dans l’histoire de la monarchie britannique.

Nouvelle partition

Déclencheur ou accélérateur, le conflit ukrainien a révélé l’émergence de plusieurs pôles géopolitiques travaillant à leur survie et s’appuyant sur les peurs et les faiblesses structurelles de sociétés finalement fragiles et exposées.

N’est pas fin diplomate qui veut. Le Président de la République Emmanuel Macron en a fait l’expérience, baignée de désillusion, alors que le conflit ukrainien tend à s’inscrire dans la durée. Inutile ici de revenir sur les conséquences économiques et énergétiques de cet affrontement. Inflation générale, hausse des coûts de l’énergie, remise en cause forcée et accélérée des modèles carbonés…La liste n’est en rien exhaustive et appelle à une réflexion rapide, juste et pertinente sur les modes de fonctionnement qui doivent être impérativement les nôtres dans les années à venir. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article/) Passés ce constat alarmant, il en est un autre qui s’impose aussi. Le conflit en Ukraine a jeté les bases d’une nouvelle partition du monde. Jusqu’à alors agité par les soubresauts de conflits locaux et lointains, maîtrisés par quelques résolutions onusiennes ou l’intervention d’une puissance occidentale tiers, le monde est contraint désormais de s’adapter à l’apparition de nouveaux blocs géopolitiques, systèmes avant-coureurs d’affrontement, non pas militaires (même si ces derniers ne sont pas à totalement écarter) mais véritablement idéologiques. Inutile encore une fois de convoquer les modèles obsolètes du marxisme comme moteur de l’Histoire ou la démocratie libérale comme porte-étendard du capitalisme sauvage.

Troïka et dépendance

Par idéologie, il convient d’entendre aujourd’hui la volonté de pays unis au gré d’intérêts et de circonstances communs de créer des espaces politiques, économiques et géostratégiques à même d’assurer leur survie dans un avenir compté. Le rapprochement, fruit du conflit ukrainien, de la Russie, de la Turquie et de la Chine, illustre cette volonté de s’imposer mondialement comme une forme de troïka orientale, et ce même si la Turquie fait ici office de parent pauvre de l’attelage. Idem pour les Etats-Unis, qui, conscients de la faiblesse et des errances de l’Union Européenne face à la Russie et la question énergétique, (latribune.fr : https://www.latribune.fr/economie/) n’aura de cesse de travailler discrètement à l’affaiblissement de l’Euro, à renforcer sa coopération avec l’Arabie Saoudite ou à s’attacher à nouer des alliances particulières avec des membres de l’Union Européenne afin, officieusement, à fissurer un ensemble encore fragile compte tenu de son âge, à peine 65 ans, soit une poussière dans l’Histoire. Habile moyen pour garder l’Union européenne en situation de dépendance sous couvert d’alliance politique réelle au demeurant. La Chine, dont les yeux sont rivés depuis des années sur Taiwan, sait que toute intervention menée seule la conduirait à l’échec mais appuyée diplomatiquement par la Russie, dans un cynique jeu de billards à trois bandes, pourrait aisément dans les années à venir sauter le pas sans que les nations occidentales n’osent intervenir.

Risque et compromis

Car la peur est aussi un des éléments diplomatiques qui entre en jeu. Certes si celui-ci n’a rien de nouveau et reste une des bases fondamentales de toutes négociations, la peur a pris ces dernières années une place majeure dans nos sociétés, faisant de l’espoir et de la confiance des principes dépassés. La peur d’une escalade nucléaire, d’une crise climatique en voie d’accélération, d’un effondrement des sociétés contemporaines et autres sont en passe de devenir le leitmotiv de gouvernements prêts à trancher en faveur du compromis plutôt que du risque. Choix condamnable ? Il appartient à chacune de juger à l’aune de ses propres convictions. Mais, à l’exemple de Vladimir Poutine, convaincu et visiblement à raison, que les nations occidentales n’interviendraient pas directement en Ukraine, celui-ci a mis en évidence combien le compromis, ici accepter un conflit aux portes de l’Europe au prix d’une déstabilisation économique plutôt qu’un conflit frontal avec l’Europe de l’Ouest, restait le choix final de nations apeurées. Si le cynisme a toujours fait partie du jeu diplomatique, Talleyrand ne le démentirait pas, celui-ci atteint désormais des sommets dont on ne connaît pas encore la hauteur.

Lire aussi : lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/02/depuis-un-siecle-les-tres-mouvantes-frontieres-des-pays-europeens_6139912_3232.html