En manque d’air

En reconnaissant un manque d’implication dans la réforme des retraites, le Président de la République Emmanuel Macron tente d’apaiser un pays fracturé tout en tentant de relancer un quinquennat mal engagé. Explications.

Aveu de faiblesse ou simple opération de communication visant à séduire une opinion majoritairement remontée contre la réforme des retraites ? L’un n’empêche pas l’autre et peuvent cependant très bien se marier. Ainsi, les déclarations du Président de la République dans le journal Le Parisien (édition du 23 avril 2023) via lesquelles le Chef de l’État reconnaît qu’il aurait « peut-être dû se mouiller un peu plus » au sujet de la réforme des retraites pourraient, pour certains être vécues comme une forme de mea culpa, pour d’autres, comme une provocation de la part de l’exécutif. Mais à vrai dire, si la teneur des déclarations ont une valeur propre que chacun appréciera à l’aune de ses convictions, elles traduisent aussi combien le malaise qui traverse le pays à ce jour a été ressenti par le Chef de l’Etat. Isolé politiquement, y compris au sein de même de sa majorité plus que jamais menacée à l’Assemblée Nationale, le Président de la République tente par ces mots d’apaiser une situation politique extrêmement périlleuse.

Evidence

Car dans un pays désormais fracturé, il sera très difficile pour le Gouvernement de proposer de nouvelles réformes d’une telle envergure, du moins touchant d’aussi près la vie quotidienne des Français. Et d’aucuns de regarder vers l’extrême-droite que chacun redoute de voir s’imposer comme une évidence, non politique, mais comme solution de rejet à l’égard une majorité qui a mal compris ou mal appréhendé les attentes des Français. Au regard de telles circonstances, le Président s’est donc fendu d’une déclaration qu’il espère comprise et entendue, ce qui reste, pour l’heure, des plus hypothétiques. Pour nombre de Français, la réforme des retraites passée en force via l’application de l’article 49.3 a été vécue comme un crime de haute-trahison, crime qui traduit lui aussi le rapport que les Français entretiennent au travail. Car dans un monde en perpétuelle mutation, socialement et économiquement violent, nombre de salariés, parmi les plus exposés et les plus fragilisés à cette violence, imaginent leur retraite comme une havre de paix que rien ne doit pouvoir raccourcir. A évoquer un manque d’implication, comprenez faire preuve de pédagogie en expliquant cette réforme, ses objectifs et ses raisons, le Président de la République comprend tardivement combien une grande majorité de salariés souffrent en exerçant leur activité professionnelle, combien certains subissent plus qu’ils ne vivent leur travail. En éludant cette réalité, Emmanuel Macron s’est comporté comme un technocrate borné alors que sa fonction imposait plus de compréhension et d’humanité et ce même si une réforme était potentiellement nécessaire. L’urgence de l’Elysée n’est donc plus de relancer le débat qui a altéré une Vème République déjà souffreteuse mais avant tout d’apaiser un pays épuisé psychologiquement par des crises sociales (Gilets Jaunes), sanitaires (Covid) et économiques (Inflation) qui ont laissé des traces profondes dans une société française angoissée par son devenir. Quant à l’objectif de relancer un quinquennat peut-être prématurément à bout de souffle,….

Point de côté démocratique

Plongée dans une crise de régime patente, la Vème République semble aujourd’hui à bout de souffle devant une société française appelant à une nouvelle respiration démocratique et en totale opposition avec le profil de celle qui avait validé les institutions de 1958.

A qui faudra-t-il du temps pour se remettre des effets et des conséquences de la crise sociale née de la réforme des retraites ? Au Président ou aux institutions de la Vème République ? Ou les deux ? Ce qui semble d’emblée clair et sans discussion possible, c’est que le Président de la République souhaite, en dépit d’une rencontre programmée avec l’intersyndicale, passer au plus vite au reste de l’agenda présenté lors de la campagne présidentielle de 2022. En bref passer à autre chose avec l’espoir qu’une actualité chasse l’autre. Mais entre le souhait du Président et la réalité sociale, un fossé existe. D’autant plus profond que l’aspect raide et formel des institutions de la Vème République l’on creusé plus encore. Et d’aucuns d’avancer à raison l’usage par le Gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution, contesté en France, incompris dans les démocraties voisines. Aussi, avec un Président désireux d’avancer coûte que coûte dans un paysage social fragmenté, il n’est pas abusif d’avancer le fait que la France est entrée dans une crise de régime. L’expression, maintes fois employée, n’a jamais pourtant pris autant de sens qu’en ce printemps 2023.

Législature et réflexion

Car rares ont été les circonstances au cours de la Vème République où, en dépit d’une conjoncture économique globalement favorable malgré une inflation encore élevée, les institutions ont inspiré un tel rejet. La présidentialisation du régime, l’usage répété sous cette législature (mais pas seulement) de l’article 49.3, l’isolement de l’Assemblée Nationale, réduit au rang chambre d’enregistrement concourent, entre autres facteurs à ternir une constitution et une République pourtant conçue dans une logique de stabilité et de stabilisation. Est-ce à dire que les Français appellent à des institutions moins rigides, à même d’assurer une meilleure représentation des différentes formes politiques du pays et à une perte partielle des pouvoirs incombant au Chef de l’État ? Nul ne le sait car pour en avoir la certitude, il conviendrait d’engager une réflexion officielle, voulue par le Président de la République, qui aboutirait à un projet constitutionnel, voté par référendum. Soit. Mais en développant l’analyse, le malaise social qui étreint aujourd’hui le pays ne tiendrait-il pas à une forme d’anti-macronisme déjà présent lors de la précédente mandature ? L’idée est séduisante car elle cristalliserait sur un seul individu tous les maux du pays.

Pouvoirs et moeurs

Pour autant, sans éluder une part d’anti-macronisme, il est craindre que le mal, soit plus profond que cela car engagée dans une inertie coupable depuis de nombreuses années, à vrai dire depuis la mort du Général de Gaulle, père de cette constitution voulue par lui et épousant sa conception du pouvoir, la Vème République se meurt. Cette constitution sur-mesure, dans laquelle se sont fondus avec une relative aisance ses successeurs, car elle leur accordait de larges pouvoirs, a néanmoins perdu au fil du temps sa pertinence historique et politique, se détachant progressivement des attentes des Français qui eux, en revanche, voyaient leurs mœurs, leurs habitudes et leurs envies évoluer. Aussi, avancer le fait que la France est une démocratie est fondamentalement vrai. Mais il apparaît aussi que celle fondée par la constitution de 1958 ne correspond plus à celle à laquelle aspirent les Français. Reste à savoir si le Président Macron l’a compris et intégré ou si, comme ses prédécesseurs, il se rangera derrière la légitimité des institutions pour continuer à agir.

Pékin : si proche, si loin

Puissance extrême-orientale capable de défier les Etats-Unis, la Chine peut aussi se permettre de tenir à distance ces partenaires européens venus chercher une solution diplomatique au conflit ukrainien. Explications.

Il y a de cela quelques jours le Président Emmanuel Macron et Ursula Von der Layen, présidente de la Commission Européenne, se sont rendus à Pékin afin de pousser Xi Jing Ping, le président chinois, à infléchir la position de Vladimir Poutine quant à la question ukrainienne. Au terme de ce voyage économico-diplomatique, si la Chine s’est engagée à acquérir cinquante hélicoptères de combat H160 conçus et fabriqués par Airbus Helicopters et ce pour un montant estimé entre 750 millions d’euros et un milliard, le volet diplomatique s’est soldé par un demi-succès, les plus pessimistes diraient un semi-échec. Car c’est un fait, la Chine n’a guère été impressionnée par le duo européen, certes convaincant mais insuffisamment armé pour déstabiliser un Xi Jing Ping sûr de son fait et de son influence. Les raisons de cet échec sont multiples mais parmi les premières, si ce n’est la première, c’est que ni la France, ni l’Union Européenne, (ce qui pour cette dernière est des plus inquiétants), ne représentent des puissances mondiales de premier rang.

Voix de l’Europe

Tout au plus puissance moyenne, bien que dotée de l’arme nucléaire, la France ne peut opposer à la Chine que de puériles rodomontades loin d’effrayer l’Empire du Milieu. Quant à l’Union Européenne, elle qui pensait, via la guerre en Ukraine gagner ses galons de puissance continentale, il convient d’admettre que les ambitions n’ont guère été suivies des faits. Implicitement et discrètement soutenu par les Etats-Unis, le duo Macron-Van der Layen a pu néanmoins faire entendre la voix de l’Europe Occidentale, poliment entendue par Xi Jing Ping. Mais de là à affirmer que cette voix a été écoutée, la question reste en suspend et trouve rapidement sa réponse. Et pour cause. La Chine n’a qu’un besoin économique limité, certes non négligeable, de l’Union Européenne. Mais elle se sait grande puissance mondiale en devenir et peut donc à ce titre se montrer parfois distante voire désintéressée par les requêtes européennes. Plus préoccupée par sa rivalité avec les Etats-Unis, soutien officiel des Européens, Pékin reconnaît dès lors la nécessité de privilégier sa relation avec Washington qui par voie de conséquence entretiendra celle entretenue avec les Européens. Position vexante pour les Européens, mais d’une réalité qui confine au cynisme, arme que la Chine manie avec aisance.

Otage

Second point, ne pas chercher à infléchir la position de Vladimir Poutine permet aussi à Pékin de maintenir ses partenaires économiques européens à distance dans une forme de chantage qui ne dit pas son nom. Enfin, ne pas interférer dans le conflit par une demande officielle à Moscou de cessez-le-feu ou autre manœuvre diplomatique, offre à Pékin, là encore une relation privilégiée avec la Russie, finalement elle aussi otage des décisions actuelles ou à venir de Xi Jing Ping. Fragilisée par une confrontation qui s’éternise et des sanctions économiques qui commencent à se faire sérieusement ressentir, la Russie est aujourd’hui consciente de devoir conserver d’excellentes relations avec Pékin qui en cas de demande officielle, quelle qu’elle puisse être, obtiendrait satisfaction. Dans un jeu diplomatique des plus pervers plus proche du billards à trois bandes que des négociations feutrées des chancelleries (même s’il y en a), la Chine se pose en arbitre d’un conflit purement européen, voire au-delà. C’est le propre des puissances mondiales, voire des superpuissances en devenir.

Confusion de genre

En avançant la thèse selon laquelle la Nupes s’engageait sur la voie de l’ultragauche des années soixante-dix, le ministre de l’Intérieur prend le risque de commettre plusieurs erreurs aux conséquences diverses. Explications.

Et tout d’abord une erreur historique car si la Nupes appelle certes à une révolution, celle-ci se veut citoyenne et pacifique, à l’opposé de celle qui était réclamée par les groupes d’ultragauche des années de plomb qui ont ensanglantées l’Europe occidentale. La seconde erreur réside dans l’appréciation des moyens déployées par la Nupes. Rien ne laisse à ce jour supposer que les Insoumis et alliés de ces derniers fomentent une quelconque rébellion propre à renverser la République comme le laisse entendre en filigrane le Ministre de l’Intérieur. Le propos, avancé à raison, a un objectif simple : diaboliser le parti de Jean-Luc Mélenchon afin de l’isoler politiquement en le taxant de vouloir jeter le pays dans le chaos.

Amalgame et conservatisme excessif

Au chapitre des conséquences, la première est déjà de mettre en évidence une certaine inculture et grossière ignorance de l’Histoire contemporaine. Ces dernières, certainement manipulées à raison, n’en ternissent pas moins une classe politique déjà et souvent taxée de médiocrité, en manque de crédibilité. Et les déclarations de Gérald Darmanin, d’y contribuer et ce même si cette saillie politique reste calculée. Autre conséquence, amalgamer deux courants politiques lointains voisins d’une histoire politique commune qui est celle du marxisme des années soixante-dix et dont la Nupes ne se revendique pas en dépit du malaise éprouvé au regard de la politique de Vladimir Poutine. Cet amalgame pourrait ainsi avoir l’effet inverse escompté par l’auteur, à savoir fédérer plus encore militants et sympathisants de la Nupes qui auraient alors tout loisir de dénoncer les propos irresponsables du ministre facilement taxé à son tour d’une forme de conservatisme excessif. Dernière conséquence, tenant aussi de l’erreur, la volonté de rejouer une opposition idéologique obsolète alors que le macronisme, dont le Ministre de l’Intérieur, se veut un des symboles, se présente comme une synthèse politique inédite devant accoucher des fondements d’un monde nouveau. Plus globalement, il apparaît peut-être et plus simplement que la sortie de Gérald Darmanin témoigne aussi de la fébrilité croissante, en tous cas actuelle, d’un Gouvernement malmené pendant l’examen de la réforme sur les retraites et qui cherche aujourd’hui à retrouver une certaine aura, voire légitimité au sein de l’opinion. En déplaçant le débat sur l’opposition idéologique pure, indépendamment des contenus politiques proposés, le Ministre de l’Intérieur, développe une tactique maintes fois employée et qui relève, sans originalité, une fois encore, de l’ancien monde.