De l’enthousiasme à la lassitude

Espace de fortes oppositions depuis son renouvellement, l’Assemblée Nationale s’expose au risque croissant de voir ses travaux ralentis par des affrontements nombreux et violents quitte à lasser des citoyens en quête d’orientation claire au regard de la situation.

Alors qu’approchent les vacances parlementaires, il n’est pas inopportun de dresser un premier bilan des débats qui agitent l’Assemblée Nationale depuis son renouvellement en juin dernier. Et une réalité s’impose : les échanges et les commentaires qui précèdent chaque vote sont des plus houleux et des plus tendus. L’explication de cette agitation qui tranche singulièrement avec l’apathie habituelle du lieu tient à la composition de la dite assemblée. Sans majorité absolue et jeu démocratique oblige, le Gouvernement ferraille face à des oppositions remontées et requinquées par leurs résultats électoraux, par l’apparente faiblesse de l’exécutif contraint de composer, voire de cohabiter avec lesdits groupes d’opposition, et par la posture de certains alliés ou reconnus comme tel amenés à faire valoir leur position quand ce n’est pas leur dissidence. D’aucuns affirmeraient alors que cette activité, fiévreuse et passionnée, n’aura qu’un temps et que celui-ci aura raison de chaque groupe parlementaire poussé progressivement dans les rangs de l’intérêt général. Certes. Mais si c’est le contraire qui venait à se produire ?

Lassitude et dissolution

Si a contrario d’un scénario dominé par la sagesse, espéré à terme comme tel, le Gouvernement devait affronter cinq ans d’opposition acharnée ? Plusieurs conséquences pourraient alors voir le jour. Tout d’abord, le risque que se lasse l’opinion publique devant le ralentissement du travail parlementaire gangrené par des débats à rallonge alors que s’obscurcit singulièrement l’avenir du pays. Second risque, à long terme celui-ci, que lors des prochaines échéances électorales d’envergure nationale, les votants, déjà rares, se tournent de manière plus massive vers des choix politiques plus clairs et plus tranchés. Concrètement, oublier une Assemblée composite au profit d’une représentation nationale avec une majorité absolue qui déciderait sans pour autant nier les voix divergentes mais minoritaires. Car, n’en doutons pas, si la mandature qui s’ouvre devait s’avérer aussi tendue pendant cinq ans, la situation à l’Assemblée deviendrait intenable poussant l’exécutif à deux solutions. La première consisterait à prendre son mal en patience avec l’espoir que s’essoufflent, tôt ou tard, les oppositions ; la seconde, plus radicale et certainement plus risquée, consisterait à dissoudre l’Assemblée avec l’espoir d’obtenir une nouvelle majorité ou de devoir réellement cohabiter. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement et le président de la République sont acculés à des solutions qui, de leur point de vue, alternent entre la peste et le choléra.

Copie-conforme

En face, la stratégie de sape et d’épuisement, notamment menée par la NUPES, aux résultats contrastés à ce jour, mais qui empoisonne la majorité macronienne, tend à contrebalancer le travail parlementaire en évitant une domination totale et dogmatique des députés Renaissance et Horizon. Quant au Rassemblement National, dont la présence dans l’hémicycle interroge plus qu’elle ne dérange tant celui semble incapable de comprendre les débats ou les enjeux liés à l’intérêt général, sa stratégie d’opposition défendue avec enthousiasme par les barons du parti se résume à rester assis et silencieux, ce qui pousserait presque à sa banalisation et ce non sans danger. Dès lors, que faire ? Si la question n’a pas de réponse pour l’heure, il apparaît cependant évident que la mandature actuelle ne sera pas la copie-conforme de celles connues par le passé. Témoin d’une forme de renouveau de la démocratie par la multiplicité des sensibilités qu’elle abrite, l’Assemblée Nationale se veut aussi l’expression de la grande déréliction que subit la démocratie hexagonale, ne sachant plus vers quelle option politique se tourner. Signe de décadence ? Désintérêt programmé et irréversible pour la chose politique ? Vacuité intellectuelle et culturelle ? Il existe certainement plusieurs réponses mais toutes convergent vers l’idée que cette mandature sera pénible. D’abord pour ses acteurs directs, ensuite pour les citoyens exposés au manque de lisibilité d’une Assemblée inédite.

Retour de ma chronique hebdomadaire le 28 août prochain.

De l’autre côté des Alpes…

Confrontées à une situation inédite au regard de sa composition, l’Assemblée Nationale et la majorité présidentielle vont devoir s’habituer à défendre chaque texte et chaque loi en jouant d’une nouvelle règle : le compromis. Si cher à nos amis transalpins ! Explications.

Quel point commun existe-t-il entre la turbulente République italienne et la nôtre ? Jusqu’à ce jour, concédons que hormis la nature des régimes et leur fonctionnement, rares étaient les similarités. Un président du Conseil pour un Premier ministre de l’autre, un président de la République au pouvoir consultatif d’un côté pour un président de la République aux pouvoirs quasi-illimités d’un autre côté. Bref ! Des ressemblances de cousins germains. Ainsi, la première, régulièrement soumise à des crises gouvernementales voit les députés abandonner la confiance mise dans une majorité au profit d’une autre entraînant de fait la chute irrémédiable du gouvernement en place. Pour la seconde, la stabilité des gouvernements successifs est le fait de majorités solidement ancrées qui conférent au pouvoir en place une marge de manœuvre égale à la mandature en cours sauf motion de censure, non pas improbable, mais souvent vouée à l’échec. Pourtant, alors que couve une énième crise gouvernementale en Italie, (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/) la France tend, de par les résultats des élections législatives de juin dernier, à se rapprocher d’une forme d’italianisation de son fonctionnement parlementaire.

Crédibilité et stabilité

Avec la multiplication des partis d’opposition au sein de l’Assemblée Nationale et de la majorité relative dont dispose le Gouvernement d’Elisabeth Borne, il apparaît désormais comme évident que le Gouvernement en question se retrouve sur le fil du rasoir à chaque texte présenté, jouant sa crédibilité sur chaque loi car dépendant d’une notion nouvelle au sein de l’hémicycle : le compromis. Avancer que celui-ci est totalement nouveau serait faux car les couloirs de l’Assemblée bruissent d’alliances sourdes ou tacites qui ont permis aux multiples majorités et gouvernements d’hier et d’aujourd’hui de faire voter sans encombre leurs lois. Pour autant, il semble bien dès à présent que le compromis se jouera à proprement parler dans l’Hémicycle, vote par vote, député par député. La vie politique française si lénifiante par le passé est soudainement devenue parmi les plus nerveuses et tendues d’Europe en raison de la nouvelle configuration électorale. Il ne serait donc pas étonnant au cours de la mandature à venir que crises gouvernementales et motions de censure viennent bouleverser une assemblée longtemps endormie dans le confort de sa stabilité. Raillée pour son aspect imprévisible et abracadabrantesque, la République italienne, et elle n’est pas la seule, se alors pose comme une forme de modèle de fonctionnement face à une République française qui goûte peu à la fantaisie politique. Et pourtant ! Il conviendra de s’habituer à ce que l’Assemblée nationale s’agite de coalitions de circonstances, d’abord en vertu de l’intérêt général, ensuite pour le bien du fonctionnement de l’État. Reste à savoir si cette nouvelle tendance ravivera la ferveur démocratique d’un pays où prés de la moitié des électeurs ne se rend plus aux urnes et où la décrédibilisation des partis et du personnel politique pousse les électeurs restant à se tourner vers les extrêmes, aussi peu crédibles ou compétents par ailleurs.Et l’avenir de dire, comme souvent, si la France et sa République sauront dépasser un mode fonctionnement visiblement obsolète.

Uber, l’État et des questions

Le scandale Uber files qui a éclaboussé le Président de la République met en évidence toutes les ambiguïtés des pouvoirs publics et des sociétés face à ces entreprises à l’influence croissante qui interrogent sur la capacité de résistance des Etats.

Ce qu’il est devenu commun de nommer désormais le Uber files, à savoir comment la société nord-américaine est parvenue dans le courant des années 2010 à noyauter et influencer les Etats dans lesquels elle souhaitait s’implanter renvoie à une double réalité qui met en évidence hésitations, craintes et fascination. (Lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/pixels/article) La première teintée d’évidence met en exergue la puissance d’un lobby, qui, dans son rôle cherche, à faire valoir ses intérêts ; la seconde, plus inquiétante, comment un ou plusieurs Etats s’avèrent finalement poreux et perméables à ces mêmes lobbies. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : appât du gain, manœuvre à dessein politique, volonté d’accroître l’influence du lobby en question…Les motifs sont nombreux mais ne parviennent pas à masquer l’aspect pernicieux de la logique de ceux qui dirigent des lobbies in fine presque aussi puissants, parfois plus, que des Etats souverains. Reste donc à identifier les relais qui au sein d’une structure administrative sont à même de présenter tous les aspects positifs que revêt l’arrivée d’une entreprise lambda appuyée par un lobby.

Dictionnaire et méfiance

En France, et depuis quelques jours, c’est le Président de la République lui-même qui est accusé d’avoir favorisé l’implantation de la société Uber en France au détriment, à l’origine, des chauffeurs de taxis, qui dénonçaient alors une concurrence déloyale. Pertinente ou non, cette arrivée a bouleversé le paysage économique français au point qu’aujourd’hui le dictionnaire a fait entrer le terme Ubérisation dans ses pages et que le championnat de France de football de Ligue 1 en a aussi pris le nom, pour être qualifié de Ligue 1 Uber Eats. Passé l’anecdote, le Président de la République qui assume pleinement avoir favorisé l’implantation de la société Uber en France, se heurte aujourd’hui certes à des parlementaires outrés, plus dans une posture politicienne que réellement morale, à une forme de méfiance face au lobbies prop re à l’Europe. En voyageant hors de nos frontières, le poids, le rôle et l’influence des lobbies s’avèrent être non seulement reconnus mais aussi totalement assumés renvoyant l’Europe et ses principes à des convictions que d’aucuns jugeraient dépassées. Outre-Atlantique, les lobbies, nombreux, ne cachent en rien leur puissance et leur aire d’influence. Qu’il soit militaro-industriel, pharmaceutique ou colonne vertébrale du transport routier, les lobbies sont connus et acceptés comme des acteurs de la vie économique d’une nation côtoyant et influençant l’État et ses serviteurs sans scrupule.

Géants polymorphes

L’Europe, a tort ou à raison, retranchée derrière des principes qui lui sont propres et respectables, a toujours eu une attitude très craintive face à ces géants polymorphes, aux ramifications nombreuses et à l’influence souvent forte mais difficilement quantifiable. Est-ce à dire qu’il convient d’avoir face aux lobbies une attitude toujours empreinte de méfiance ? La question se pose et trouve une réponse partielle, au moins dans l’Hexagone, car en France les lobbies sont autorisés par la loi Sapin 2 qui reste cependant assez floue par certains aspects. Pour autant, la dimension complotiste dont peut parfois s’entourer l’appréhension que l’on peut avoir des lobbies reste, semble-t-il, assez forte. Mal compris dans leurs objectifs et dans leurs pratiques, les lobbies forcent nombre de sociétés et d’État à s’interroger sur leur capacité de résistance face à des groupement d’entreprises liées par une volonté commune : le profit. Et cette volonté est-elle compatible avec la notion d’intérêt général qui anime en théorie chaque puissance publique ? Il appartiendra à chacun de répondre à cette question à l’aune de ses principes.

L’UE plutôt que l’OTAN

La candidature de l’Ukraine en qualité de pays membre de l’Union européenne offre à cette dernière une solution diplomatique qui contente tout à la fois Kiev et Moscou, la Russie restant encore très allergique à l’OTAN et indifférente à l’Union Européenne.

En acceptant la candidature de l’Ukraine en qualité de pays membre de l’Union européenne, Commission et Parlement européens s’engagent dans une voie, au regard de la situation géopolitique et diplomatique actuelle, des plus prudentes. Plusieurs raisons poussent à cette analyse qui met en évidence, alors que la crise ukrainienne tendait à prouver le contraire, une forme de frilosité de la part des vingt-sept. Ainsi, en acceptant l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne dans un protocole d’adhésion qui s’étale sur dix ans durant lequel devront être engagés la reconstruction du pays et la lutte contre la corruption endémique qui ronge le pays, Bruxelles s’offre une solution à moindre coût. Concrètement, intégrer l’Ukraine dans l’Union vaut toujours mieux que de l’intégrer dans l’OTAN à laquelle l’Ukraine est aussi candidate.

Opportunité ou problème

Les conséquences de l’adhésion programmée et effective de l’Ukraine seront moindre qu’une entrée dans l’OTAN à même de hérisser Vladimir Poutine véritablement allergique à l’Organisation de défense atlantique. L’absence de risque militaire et d’escalade liée ne sont pas sans rassurer des Européens qui tablent sur une fin prochaine du conflit. Certes il est fort probable qu’une issue ne soit trouvée que dans le courant de l’année 2023 mais il est quasiment certains que le volet militaire et actif du conflit sera clos d’ici 2032. En parallèle, l’Union Européenne sait aussi que tout puissant et dangereux soit-il, Vladimir Poutine n’est en rien éternel et que sa succession finira bien par se poser un jour. Le successeur de l’actuel maître du Kremlin aura devant lui la nécessité de rétablir des relations diplomatique saines avec l’Union européenne et les Etats-Unis, l’entrée de l’Ukraine dans le marché unique apparaissant alors plus comme une opportunité économique frontalière que comme un problème. Dans le même temps, intégrer l’Ukraine dans l’Union européenne permet aussi à cette dernière de s’affranchir d’une nouvelle crise politique et diplomatique. Politique car l’Union démontre sa capacité à s’élargir y compris face à la menace du géant russe, diplomatique car elle prouve qu’elle sait contourner l’obstacle de l’OTAN pour s’assurer une certaine sécurité car jamais la Russie de Vladimir Poutine ou ses successeurs n’oseront s’en prendre à un pays de l’Union européenne. Dernier point, et non des moindre, qui ouvre à l’Union une sorte de boulevard, le fait que Vladimir Poutine se moque en tous points de l’Union européenne qui n’est à ses yeux qu’un espace économique où vendre son gaz et son pétrole. Préoccupé à ce jour par l’annexion des républiques ukrainiennes pro-russes, Vladimir Poutine ne cache pas son mépris pour un ensemble, l’Union européenne, à ses yeux quasi-insignifiant sur le plan diplomatique car toujours secondé par les Etats-Unis. Reste à savoir cependant si cette adhésion, pour l’instant à l’état de projet, sera toujours appréciée par la Russie comme un avatar sans effet direct dans les années à venir. Avec ou sans Vladimir Poutine.