Et ainsi naquit l’Homo consomminus

Confrontées à une crise de leurs modèles économiques, nos sociétés contemporaines devront inventer de nouveaux modes de consommation en adéquation avec le XXIème siècle. Explications.

L’annonce par Alexandre Bompart, Président-Directeur-Général du Groupe Carrefour, de la suppression prochaine de 2.400 emplois associée à la fermeture de plusieurs sites de distribution et le lancement d’investissements à venir dans le e.commerce (lire l’article dans lesechos.fr : Carrefour : les mesures phares de Bompard) traduit nombre de mutations à même de s’interroger sur le devenir de nos modes de consommation. Inutile ici de s’attarder sur les détails de ce plan propre au neuvième distributeur mondial mais intéressons nous plutôt aux évolutions sous-jacentes qui ont poussées le distributeur à de telles décisions. D’aucuns argueraient, et à raison, de la toute puissance d’internet qui a révolutionné le commerce dans son ensemble. D’autres, toujours à raison, invoqueraient la crise réelle de l’hypermarché car trop grand, trop anonyme,..etc. Les plus pessimistes y voient la fin programmée à longue échéance de la grande distribution (pourtant inventée par les Français dans les années soixante pour ensuite se répandre à la surface du globe).

Obsolètes et débilitantes

Tous ces arguments sont valables et pertinents mais à l’heure où la superficialité et la médiocrité (dont pourrait aussi aisément traiter ces quelques lignes) semblent être devenues des modes de fonctionnement récurrents pour une grande partie de nos sociétés contemporaines, la crise traversée par le distributeur français, et d’autres certainement qui préfèrent peut-être taire pour l’heure leurs difficultés, illustre peut-être la volonté de rompre avec des pratiques jugées désormais obsolètes et débilitantes mais aussi la crise de modèles économiques désormais dépassés. Rassurant ? Oui et non. Oui car le rituel du pèlerinage hebdomadaire dans les grandes enseignes de distribution qui prévaut encore aujourd’hui est devenu pour nombre d’entre nous aussi épuisant que vide de sens. A l’heure où le commerce en ligne offre tout, pourquoi encore se rendre dans les temples de la consommation aveugle où s’entasse un public blasé et dont l’imagination a été sapée par l’abondance de biens (même si celle-ci ne nuit pas !) ? Parallèlement, les crises sanitaires à répétition (l’exemple Lactalis en est le dernier exemple en date) poussent le citoyen-consommateur à la prudence, voyant peut-être dans la grande distribution un acteur peu regardant sur le contenu de ses rayonnages. En outre, le romantisme qui entoure le principe du circuit-court (absence d’intermédiaires entre consommateurs et producteurs) au point d’en faire une réalité, sinon dangereuse pour la grande distribution du moins un élément à ne plus négliger (lire l’article sur l’expansion.l’express.fr: Les hypers lorgnent le marché naissant des « locavores ») , a fini par convaincre un nombre croissant de consommateurs soucieux de s’extraire de la logique abrutissante de la consommation de masse.

Civilisation et innovation

Mais tous ces arguments ont aussi leurs pendants négatifs. Au premier rang d’entre eux une question : si la grande distribution marque le pas (sans être amenée à mourir demain) qu’est-ce qui la remplacera ? Les circuits-courts aussi séduisants soient-ils ne sont pas capables de nourrir la planète entière. Le bio ? Trop limité dans ses capacités de productions même si elles restent à étudier. Les crises sanitaires ? Tout aussi déplorables et inquiétantes qu’elles puissent être, elles se reproduiront fatalement tant la masse alimentaire à pourvoir est gigantesque. Alors se pose la question simple de la création d’un nouveau modèle de consommation qui peut certes passer par internet ou les circuits-courts mais pas uniquement. « Lesquels alors ? » questionneraient certains. Et bien c’est le propre de chaque civilisation, aux heures clefs de son histoire d’inventer, de créer, et d’innover, ici de générer de nouveaux modes de consommation. En un mot repenser un homo consomminus du XXIème siècle.

Crash démocratique

L’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes interroge sur le fonctionnement démocratique d’institutions où l’expression populaire se retrouve bafouée par un exécutif omnipotent. Explications.

Nombre de commentaires ont ponctué la décision de l’exécutif d’abandonner le projet aéroportuaire de Notre Dame des Landes. Certains saluent la décision prise, d’autres la condamnent, crient au déni de démocratie, d’autres au principe de réalité,…Bref ! Tous les avis sont en l’état valables pour légitimer le choix fait. Pour autant, la décision en question, indépendamment de son orientation, interroge certes sur le fonctionnement de notre démocratie, mais aussi et surtout sur des institutions pour le moins, et en l’état, particulièrement radicales. Ces institutions, celles de la Vème République en l’occurrence, bien que révisées au cours de la décennie passée (la dernière révision constitutionnelle sa été validée en juillet 2008), laissent encore au Président de la République, ici Emmanuel Macron, le choix de bafouer une expression populaire qui s’était, rappelons-le, exprimée pour la création du site aéroportuaire en 2016 dans le cadre d’un référendum local (55% de votes favorables contre 45% de votes défavorables). Quoi de plus démocratique que cela !

L’expression et la négation

Car ce qui choque dans cette affaire désormais close de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ce n’est pas tant la décision prise que la possibilité pour le premier représentant de l’Etat, élu au suffrage universel, donc partiellement par ceux qui se sont exprimés lors du référendum local, de nier sans scrupule une expression populaire, légale et démocratique. Et la situation de nous interroger sur la possible nécessité de se pencher, une fois encore (car le débat n’est pas clos) sur notre constitution qui autorise la tenue de référendums locaux mais autorise le Président de la République à s’en laver les mains quel que soit le résultat. Et avec l’Enquête d’utilité publique et les 189 décisions de justice validant le projet lancé en 1963 ! Cette décision, qui confirme une fois encore la verticalité de nos institutions, en dépit du processus de décentralisation engagé depuis bientôt quatre décennies, n’est en rien encourageante pour les grands projets d’aménagements lancés depuis de nombreuses années à l’image des ligne à grande vitesse qui pourraient voir là le préambule à une fin programmée à défaut d’être officiellement enterrées. Que convient-il alors de penser au regard de ce choix ? Que la raison l’a emportée sur la passion, que le courage a cédé le pas à la lâcheté ? Chacun apportera sa réponse à l’aune de ses propres convictions. Mais peut-être qu’il serait opportun en parallèle de s’interroger sur la pertinence d’institutions par trop jacobines et centralisatrices et ce au détriment de l’expression démocratique. Sans cela, il sera difficile dans les années à venir de pourvoir évoquer tout en restant crédible le fonctionnement démocratique de nos institutions.

Lettre à nos très chères bagnoles…

L’abaissement la vitesse autorisée sur les routes départementales et nationales génère déjà ires et commentaires. Mais si la mesure s’avère in fine anecdotique, la grogne suscitée traduit aussi une inquiétude réelle sur l’avenir de l’automobile et sur son rôle central à nécessairement repenser.

L’annonce du prochain abaissement de la vitesse autorisée sur voie départementale et nationale sans séparation de 90 à 80 km/h n’a pas manqué, loin s’en faut, de provoquer moult commentaires, notamment chez les partisans du maintien de la vitesse autorisée actuelle. Plusieurs raisons ont été invoquées par ces même partisans : inutilité de la mesure au regard d’autres causes plus flagrantes d’accidents telles que l’usage du téléphone mobile au volant, l’absorption d’alcool ou de substances illicites (voire les trois conjuguées), distances de sécurité non respectées,…Bref ! Autant de raisons certes audibles mais qui trouveraient sans mal des contradicteurs, forts, qui plus est, de statistiques accablantes sur la responsabilité de la vitesse excessive dans la mortalité routière. D’autres argueront en revanche que la proposition du Gouvernement ne repose pas sur une étude sérieuse car menée sur une période d’observation trop courte. Là encore le débat s’annonce sans fin et c’est bien là que la bât blesse car cette joute verbale infinie tourne autour d’une réalité plus simple et plus pragmatique.

Puissance et mobilité

Les Français n’aiment pas que l’on touche à leur bagnole ! C’est ainsi. Naturellement, il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour cesser toute politique visant à réduire le nombre d’accidents, bénins ou mortels, sur les routes mais il pousse à s’interroger sur le rapport que nous entretenons avec nos voitures. Pour l’immense majorité d’entre nous, elle est un outil indispensable pour se rendre sur notre lieu de travail (quand ce n’est pas un outil de travail à part entière), pour assurer des déplacements quotidiens impérieux et nécessaires. A cela s’ajoute aussi un dimension égotiste et un sentiment de puissance et de supposée réussite sociale propre à la voiture. Pour autant, aussi indispensable soit-elle devenue, est-elle nécessairement le seul moyen de locomotion existant ? Non évidemment. Mais elle reste le moyen central de locomotion, celui autour duquel tout gravite et qui s’assimile tant au sésame qu’à la solution unique censée résoudre le problème de mobilité. Et n’évoquons même pas son rôle économique ! Si, folle utopie que l’allégation qui va suivre, la voiture n’était plus le premier moyen de déplacement des Français (et de bien d’autres populations) d’aucuns n’auraient cure de ce futur abaissement de la vitesse autorisée. L’exacerbation des tensions autour de la question automobile est le fruit d’une l’incapacité actuelle de nombre d’entre nous de se projeter dans un avenir sans voiture et plus largement dans un avenir totalement différent où la voiture autonome et connectée aura remplacée la voiture soumise à la volonté de l’homme.

Le bouclier et l’iceberg

Ainsi, derrière la levée de bouclier qui s’annonce et qui finira par se dégonfler, se cache tout à la fois un sentiment d’agression mu par une inquiétude et une ignorance sur ce que sera le futur de l’automobile et du futur tout court. Car changer de mode de transport n’est que la partie immergée de l’iceberg. La révolution automobile, qui passera par la disparition à grande échelle du moteur à explosion et par l’émergence du véhicule connecté, électrique et autonome (donc libéré de toute influence humaine), ne sera que la portion congrue d’une révolution bien plus large qui modifiera nos habitudes culturelles, sociales, culturelle et économiques. Et que dire de la contrainte environnementale (réduction des émissions de CO² notamment) qui dicte aujourd’hui, et qui dictera plus encore demain, nombre de décisions à prendre même si l’usage de la voiture électrique pose d’autres questions d’essence environnementales à étudier aussi. Alors oui l’abaissement de la vitesse autorisée de 90 à 80km/h va générer grognes et mécontentements mais au regard du vent de l’Histoire, il ne seront que zéphyrs effacés par la modernité qui prendra tôt au tard le dessus. Et ni l’un ni l’autre ne parviendront à éviter la condamnation irrémédiable de la voiture à propulsion thermique.