Après Daesh, un Etat islamique 2.0 ?

La mort du calife Abou Bakr El-Baghdadi marque la fin de l’Etat islamique dans sa version territoriale identifiée. Mais cette disparition n’annonce-t-elle pas l’apparition d’un nouvel Etat, défait d’attaches géographiques au profit d’une dissémination tentaculaire ?

La mort d’Abou Bakr El-Baghdadi, saluée de manière unanime comme un grand succès militaire, pose néanmoins de nombreuses questions (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/28). Parmi les premières à émerger : l’Etat islamique a-t-il les moyens de se remettre de la disparition du calife auto-proclamé ? Il est naturellement top tôt pour le dire mais la force et la puissance de Daesh laissent à penser que l’organisation est en mesure de le remplacer. Ce que les Occidentaux, et le monde en général, ignorent, c’est quand. La nébuleuse qu’est l’Etat islamique, composée de fidèles pétris d’islamisme radical, bien qu’aujourd’hui affaiblie d’un point de vue territorial ne l’est pas nécessairement d’un point de vue idéologique. Le récent attentat perpétré au sein de la Préfecture de Police de Paris le 3 octobre dernier le prouve, Daesh dispose d’un réservoir de combattants, actifs ou dormants, connus ou inconnus des services de renseignements qui reste très vraisemblablement lourd et mal estimés en dépit des efforts de signalement. Est-ce à dire que la menace terroriste existe toujours ?

Coup violent et Etat classique

Il est fort à parier que oui car si la mort de Al Baghdadi est un coup rude et violent porté à l’Etat islamique, le coup n’en est pas pour autant fatal. L’islamisme radical, comme toute les idéologies d’essence comparable, aveugle, ignorante et extrémiste, continue à séduire des individus en marge de la société contemporaine, bousculés par la mondialisation, souvent désoeuvrés ou incapables de s’intégrer dans le creuset social du pays dans lequel ils vivent. Il ne s’agit pas ici de dresser le portrait-type des combattants de l’Etat islamique mais de conserver à l’esprit que si la mort du calife auto-proclamé est une avancée notable dans la lutte contre Daesh, elle ne constitue cependant qu’une étape. Ainsi, par une analogie osée à connotation économique, il serait possible d’affirmer que Daesh est désormais devenu un label dont beaucoup pourraient se réclamer de par le monde. Cette menace est finalement d’autant plus inquiétante que l’Etat islamique, qui disposait certes d’un territoire conquis, ne présentait en rien les atours et les attributs d’un Etat classique. La coalition internationale qui luttait, et lutte encore via les services de renseignements contre lui, était, et est, en guerre contre une mouvance terroriste multiforme capable de renaître, non pas où elle le souhaite, mais sans trop de difficultés, pouvant compter sur des combattants opportunistes ou convaincus se réclamant d’elle.

Conflits et logique

Al Baghdadi qui incarnait le premier Etat islamique, assis territorialement, renvoyant Al Qaïda au rang de mouvement obsolète et dépassé, a, peut-être, par sa mort poussé à la création d’un Daesh 2.0, sans emprise géographique mais fort d’une multitude de points de conflits essentiellement disséminés en Europe ou dans les pays arabes, premières cibles pour ces-derniers des actes meurtriers de l’organisation terroriste. Cette nouvelle donne que l’on pourrait, par raccourci, alors qualifier de géopolitique ne l’est en rien. Elle est en réalité la conséquence presque logique de ce qu’a été l’Etat islamique dans sa version territoriale : un ensemble faussement structuré, dirigé par un individu certes charismatique mais clairement exposé car parfaitement identifié et donc aisément combattable. Le risque qui prédomine aujourd’hui n’est donc plus de voir apparaître un chef mais plusieurs, répartis où bon leur semble, renonçant à l’existence d’un Etat au profit d’un combat idéologique latent et lancinant contre lequel aucune armée du monde ne pourra rien. (Lire lepoint.fr : https://www.lepoint.fr/monde)

Un nain européen

Ensemble politiquement abouti, l’Union européenne reste incapable d’agir collectivement face à la crise turque. Cette incapacité qui révèle les tensions internes à l’Union met aussi en exergue son rôle marginal à l’échelle internationale.

L’offensive militaire turque l’a encore un fois révélé : L’Union européenne est incapable d’agir d’une seule et même voix. Incapable pour plusieurs raisons. A commencer par la volonté affichée de ne pas embraser la région par une action militaire (concertée ou placée sous la tutelle de l’ONU), car désormais la diplomatie est inutile, la volonté de ne pas engager de troupes militaires au sol qui fatalement essuieraient des pertes que l’opinion accepterait mal, la volonté de ne pas s’ingérer dans les affaires politiques d’une puissance étrangère, la volonté de ne pas en découdre avec un pays membre de l’OTAN..Bref ! Les excuses ne manquent pas et apparaissent toujours comme valables à ceux qui les avancent.

Crainte et divergences

A ce jour, l’Union européenne semble plus préoccupée par le risque de reconstitution de l’Etat islamique que par l’offensive militaire turque (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/15/). L’argument est audible mais est-il moralement acceptable ? Autre élément qui pourrait aussi expliquer l’inertie européenne, la crainte que Recep Tayip Erdogan, le bouillonnant et incontrôlable président turque, ne relâche les djihadistes actuellement détenus dans les geôles turques. Mais en réalité, l’incapacité européenne tient plus des pays qui la composent que d’autres considérations facilement résolvables. Les rivalités intrinsèques qui minent l’Union, entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est, les divergences qui ne manqueront pas de se faire jour entre la France et l’Allemagne sur la question turque, le voisin allemand soucieux de ne pas froisser la communauté turcophone résidant sur son territoire, le poids de la Turquie dans les échanges commerciaux au regard de l’implantation d’entreprises européennes sur le sol turc guident les choix politique d’un ensemble désuni d’un point de vue diplomatique. L’Union européenne restera encore longtemps un nain diplomatique tant qu’elle n’acceptera pas de s’assumer comme un acteur international au même titre que la Russie et les Etats-Unis, ces derniers refusant depuis plusieurs années désormais d’endosser le rôle de gendarme du monde. Cette inertie, palpable, fait le jeu de régimes cruels et violents tels que celui de Bachar El Assad ou semi-dictatorial à l’image de celui de Recep Erdogan.

Ensemble abouti ou inertie substantielle

C’est un fait les démocraties européennes, toujours promptes à donner des leçons de morale, sont aujourd’hui incapables de sauver le peuple kurde qui fut en première ligne quand il s’est agi de combattre l’Etat islamique. Mais, ensemble politiquement abouti, l’Union européenne hésite puis recule chaque fois que celle-ci se retrouve confrontée à la nécessité d’agir seule face à un conflit situé à ses portes. Et celle-ci de se réfugier derrière les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU sachant pertinemment que l’Organisation internationale n’a qu’un rôle limitée et reste aussi otage des tensions internationales ou des enjeux géopolitiques. Ainsi, l’Union européenne se remet elle même en cause par cette inertie substantielle, cette incapacité à franchir le pas diplomatique que nombre attendent d’elle dans un monde multipolaire, la réduit au rang de puissance secondaire. Reste à savoir si l’avenir de l’Union européenne s’inscrit dans cette logique d’ensemble à l’influence locale ou dans celui d’un acteur international aux ambitions autres que celles affichées dans les traités fondateurs.

A l’ombre de Doha

Les Championnats du Monde d’athlétisme de Doha révèlent l’impossibilité climatique d’organiser des compétitions sportives dans le Golfe persique mais aussi la faiblesse morale des pays participants pourtant au fait des atteintes multiples commises par le pays hôte le Qatar.

Et s’il n’en reste qu’un seul debout…Ce sera peut-être seulement le stade Khalifa ! Passée la boutade, teintée d’un brin de cynisme, il apparaît clairement en marge des Championnats du Monde d’athlétisme de Doha que les conditions climatiques qui prévalent pour cette compétition défient toutes les lois de la rationalité. Non que le Qatar ne soit pas capable d’accueillir sur le plan technique une telle manifestation mais il est désormais évident, pour ceux qui en doutaient, que tout être humain, fut-il sportif de haut niveau, ne peut résister aux températures qui écrasent les compétiteurs qui plus est en étant soumis à un effort physique intense.

Désert urbanisé

Secret de Polichinelle crieront certains à raison mais passée cette évidence reste à s’interroger sur le choix du Qatar pour organiser les mondiaux d’athlétisme, anti-chambre officieuse de la prochaine Coupe du Monde de Football qui doit elle aussi se tenir au Qatar, certes en novembre 2022. La réponse ne réside pas dans l’architecture ou l’esthétique du stade, fort audacieuses l’une et l’autre, mais dans la volonté d’un pays du Golfe persique de prouver aux yeux du monde que le pétrole ne constitue pas le seul atout de ce bout de désert urbanisé. Et que stades, villes, routes, centres commerciaux et autres agréments de tout grand pays développé ont droit de cité dans ce qui resta longtemps une vaste étendue de sable battue par les vents. Ainsi, grâce à ses mondiaux d’athlétisme le Qatar se pose en véritable acteur international, le pays ayant compris avec justesse et finesse combien le sport de haut niveau était un outil politique et diplomatique puissant, surtout quand celui-ci s’accompagne de moyens financiers quasi-illimités. Car désormais il faudra compter avec le Qatar. Si jusqu’alors le doute prévalait, doute à peine ébranlé par le rachat en 2011 du Paris Saint Germain, celui-ci n’a plus guère de raison d’être tant la pétromonarchie s’est astreinte à développer l’image d’un pays actif, empreint de modernité contemporaine et prêt à se positionner parmi les grands de ce monde.

Considérations et transparence

Banaliser la destination Qatar, ici Doha, comme le sont devenues New-York, Londres ou Paris telle est l’ambition des Qataris, fut-ce au prix d’une atteinte à l’environnement comme le prouve le système de climatisation du stade Khalifa qui bafoue toutes les règles en matière d’émission à gaz à effet de serre. Et visiblement, le Qatar, à tort ou à raison, semble bien se moquer de ce type de considérations tout comme des conditions de travail des ouvriers employés à la construction des stades de la prochaine Coupe du Monde de Football. Mais ces derniers, si loin, si transparents voient leur sort échapper à la pitié de sociétés bien pensantes plus préoccupées par le prix du dernier téléphone mobile, du prix du litre d’essence que par leurs existences respectives. Et dès lors d’émerger une vraie question d’essence morale où se mêlent respect de la dignité humaine, des droits de l’homme et de l’environnement au regard de la compétition actuelle qui touchera à sa fin dans quelques heures. Mais une fois acquise la conviction que nombre de principes fondamentaux sont bafoués, qui osera se lever pour simplement refuser de se prêter à une parodie de rendez-vous sportif dicté par l’appât du gain ? Nul ne le sait. Mais peut-être que lorsqu’un athlète ne se relèvera plus, terrassé par la chaleur ou que le nombre d’employés disparus sur les chantiers aura atteint des sommets intolérables, peut-être qu’alors, en effet, quelqu’un osera siffler la fin de la partie.