Un pompier à l’Elysée

La réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République ne masque pas les fractures d’un pays divisé en blocs trop hermétiques pour assurer à l’avenir la concorde d’une nation qui cherche à éteindre l’incendie social que l’extrême droite a allumé. Pour l’instant sans résultat. Explications.

Quelques jours après la réélection d’Emmanuel Macron en qualité de Président de la République, nombreux sont les commentaires qui déjà s’attardent sur les difficultés qui attendent celui-ci dans l’exercice du pouvoir. Des tensions internationales aux conséquences économiques nationales et internationales, à la résurgence de l’inflation qui ampute le pouvoir d’achat des Français et à l’opposition politique que son mandat précédent et à venir suscite, les obstacles semblent périlleux dans leur franchissement. Pour autant, au-delà, et dans la perspective des élections législatives (12 et 19 juin), c’est véritablement l’opposition politique qui demeure la plus inquiétante. Ainsi, clairement, la réélection d’Emmanuel Macron ouvre la voie à une possible cohabitation qui, par essence, risquerait d’entraver l’action du président. Ce qui pour l’heure n’est qu’une hypothèse qui s’infirmera ou se confirmera, n’enlève rien aux tensions sociales qui règnent aujourd’hui en France.

Paysage instable

Il apparaît désormais nettement que le pays est désormais fracturé en trois blocs, qui pour le résumer à grands traits, s’articuleraient autour d’élites sociales et économiques satisfaites de la politique menée par le Président Macron, un bloc réfractaire et ouvertement enclin à s’adonner aux thèses extrémistes de droite et un troisième ensemble, peut-être plus diffus, composé d’individus soucieux de préserver la démocratie sans pour autant défendre l’action menée par le Président de la République, mais qui par conviction démocratique et libertaire, a voté pour le président sortant. (lefigaro.fr : https://www.lefigaro.fr/politique/) Ce paysage morcelé, instable, difficile à appréhender car mouvant et indécis pour le troisième, se veut donc le terreau électoral qui prévaut avant le scrutin législatif qui s’annonce risqué pour l’exécutif. En six semaines, l’ancien et le nouveau locataire de l’Elysée, devra faire preuve d’audace, chère à Danton, en tenant un cap économique à même de satisfaire sa base, en lançant un paquet de réformes sociales et écologiques à même de séduire la frange la plus progressiste de l’électorat sans oublier celles et ceux qui ont choisi l’extrême droite. Ce sera certainement la composante de l’électorat la plus difficile à conquérir tant Emmanuel Macron incarne l’anti-thèse des valeurs défendues par les tenants d’une France convaincue d’être méprisée, abandonnée, victime des avatars de la mondialisation et d’une immigration plus fantasmée que réellement fondée. Difficile encore car cette frange de la population, bercée par un discours approximatif et teinté de sophisme, de propositions et de réformes séduisantes mais impossibles à mettre en œuvre, n’accorde aucune confiance aux institutions de la République.

Force politique

Entre victimisation et complotisme, ces électeurs poreux au manichéisme des extrêmes, peu versés dans la culture, par choix, par manque de temps ou manque d’habitude, constitue aujourd’hui une force politique d’autant plus dangereuse car non seulement celle-ci est en augmentation, (42 % des votants s’étant rendus aux urnes dimanche 24 avril s’en réclament), d’un scrutin présidentiel à l’autre mais elle pourrait aisément encore croître si rien n’était engagé dans les années à venir, et pas seulement durant le quinquennat qui s’ouvre, pour essayer de la contenir. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/) Plusieurs solutions existent naturellement commencer par l’éducation qui dans le cadre scolaire doit encore et encore expliquer le sens de la démocratie et non pas banaliser celle-ci comme un fait acquis. Economiquement, en relançant l’ascenseur social souvent vanté mais plus souvent en panne. Politiquement, en démontant point par point les thèses extrémistes de manière rationnelle. Sera-ce suffisant ? Rien ne le démontre car si l’adhésion, qui relève de la volonté, de ces électeurs à ces quelques solutions n’est pas entière ou acquise, alors le chantier s’avérera des plus ardus. Face à ces réalités sociales et politiques, le quinquennat qui s’ouvre verra le chef de l’État exercer son mandat sur le fil du rasoir. Au risque de ne pas voir les lendemains qui chantent et de s’y couper…

L’accélérateur de particules

Au lendemain de l’élection présidentielle se posera à la patrie des Droits de l’Homme un choix crucial, entre démagogie et rationalisme. Désormais baignée par un manichéisme destructeur à même d’exposer la République à sa propre survie, la France se retrouve face à un nouveau destin.

Jamais peut-être sous la Vème République élection présidentielle aura revêtu une telle dimension. Si le scrutin de 1981, qui a vu l’élection de François Mitterrand, avait résonné comme un coup de semonce dans des institutions dominées depuis 1958 par la droite républicaine, les autres suffrages se sont finalement révélés et a posteriori assez ternes offrant un clivage gauche-droite devenu aujourd’hui obsolète. Et c’est bien pour cette raison que le rendez-vous de 2022 recèle tous les ingrédients pour rester à part dans l’Histoire de la Vème République. Ici plus d’affrontements policés entre deux blocs, dépassés par la mondialisation et obnubilés par la préservation de l’Etat-Providence sous une forme ou une autre. Ce que révèle l’élection 2022, c’est l’existence de deux classes sociales si tant est que l’expression soit encore d’actualité : La première, populaire, terrienne et attachée à une tradition vécue comme le garant d’une continuité culturelle et historique mise à mal par une mondialisation malheureuse ; la seconde, plus élitiste et européiste, impliquée et investie dans une contemporanéité vécue comme un progrès global, technique ou social.

Chaos ou lumière

L’affrontement de ces deux visions du passé, du présent et de l’avenir exprime de fait une opposition qui pourrait vite à terme se révéler inconciliable car animée par des revendications qui tendent à atteindre à la satisfaction de l’une et de l’autre. Résumer la situation à un combat Tradition contre Progrès serait tout à la fois réducteur et gratuit tant la complexité du débat qui les oppose s’avère des plus délicates. Car au-delà d’une simple confrontation qui s’incarne entre deux candidats, c’est véritablement un choix de société qui se pose à la patrie des Droits de l’Homme. Non que l’élection présidentielle de 2022 accouche du chaos ou de la lumière mais il est certain que le résultat donnera une sévère inflexion à la France et à l’Europe de demain. Matrice de son destin mais aussi, à sa mesure, du continent sur lequel elle est implantée, la France pose par ses choix un certain nombre de directions à prendre ne serait-ce, à titre d’exemple, dans la construction européenne. Longtemps engoncée dans le confort de son histoire, la France est passée en cinq ans dans un accélérateur de particules (Gilet Jaunes, Pandémie et Guerre en Ukraine) qui a révélé les forces et les faiblesses d’un pays aux multiples fractures, sciemment ou inconsciemment, ignorées et pourtant déjà dénoncées en 1995 par Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle d’alors.

Nostalgie et modernité

Nation présentée comme sereine et disciplinée, la terre de Voltaire et de Rousseau, est devenue le théâtre d’une scission quasi-manichéenne entre les nostalgiques d’un passé qui n’a jamais existé et les thuriféraires d’une modernité porteuse de tous les progrès. Et entre ? Là se pose un vide aux formes de question sans réponse. Est-ce à dire que le paysage de l’Hexagone a tellement changé qu’il se bornerait à présenter l’apparence d’une lutte larvée entre deux factions aux ambitions opposées ? Pour autant, si le climat sociétal actuel est encore loin de celui qui prévalait au temps des guerres civiles, telles celles qui ont émaillé Rome au premier siècle avant Jésus-Christ, le combat idéologique entre Populares (parti du peuple de Rome) et Optimates (Parti des élites) est lui bel est bien lancé. Et pour mémoire, Rome, incapable de gérer ces conflits fratricides en raison d’institutions dépassées et inadaptées aux évolutions d’alors, avait sombré dans une crise qui a eu raison de la République. Bis repetita ?

La tactique et le vide

Accusé d’avoir préparé son opposition à Marine Le Pen pendant son quinquennat, Emmanuel Macron s’est surtout appuyé sur son sens tactique politique et la faiblesse des programmes des partis historiques. Explications.

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, plus que le résultat qui n’aura en réalité surpris personne, c’est surtout la déroute des partis historiques, Parti socialiste et Les Républicains qui aura marqué le scrutin. Car c’est désormais un fait, les partis qui ont structuré la Vème République sont quasiment en état de mort cérébrale tant la débâcle des deux candidates, à savoir Anne Hidalgo (PS) et Valérie Pécresse (LR) a été lourde et humiliante. Reste dès lors à esquisser les raisons de cette déroute. D’aucuns se sont empressés de porter la responsabilité de la présence de l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle sur Emmanuel Macron, accusant celui-ci d’avoir ourdi pendant cinq ans un plan qui lui permettrait de retrouver un adversaire suffisamment clivant pour in fine s’imposer au second tour. Le raisonnement n’est en réalité pas si erroné que cela, risqué au demeurant, car Emmanuel Macron, fin tacticien, a su ainsi user de la dangerosité des propos de Marine Le Pen et de l’histoire de son parti pour fédérer autour de lui tous les démocrates, qu’ils fussent de son bord ou pas, avec le désir d’apparaître comme l’ultime recours. En faisant preuve de pragmatisme politique, presque de cynisme, en adaptant sa position et son discours aux circonstances, en utilisant les crises successives (Gilets Jaune, Pandémie, crise ukrainienne) comme autant de support à son bilan, le président sortant a stigmatisé l’extrême-droite au point d’en faire le seul vrai adversaire et l’ennemi de la démocratie.

Inspiration et conversion

Second point qui peut aussi expliquer la déroute des partis historiques, la faiblesse, voire la vacuité, des programmes proposés. Si à gauche, l’inspiration social-démocrate n’a pas su se concrétiser dans un ensemble de propositions modernes et à même de séduire un électorat de gauche en mal de reconnaissance et de figure de proue aussi charismatique qu’efficace, à droite, le programme élaboré apparaissait comme une vague émanation des propositions du président Macron. Pour le résumer, l’offre politique, fade et médiocre, n’a su peser face à la radicalité de Marine Le Pen. La gauche française qui a manqué le tournant de la social-démocratie au profit d’une conversion à l’économie libérale teintée de mesures sociales afin de ne pas y perdre son âme n’a pas su concurrencer avec une droite républicaine incapable de s’extraire de son logiciel libéral dépassé par une mondialisation qu’elle ne comprend plus. La voie était donc toute tracée pour les deux protagonistes que sont Emmanuel Macron et Marine Le Pen se retrouvent un jour d’avril pour briguer la charge suprême. Renvoyées à leurs contradictions, leur dogmatisme, voire leur immobilisme, ainsi que leurs errances et leurs approximations idéologiques, Les Républicains et le Parti socialiste ont gaspillé tout le crédit que des années de luttes politiques avaient permis d’acquérir. (lopinion.fr : https://www.lopinion.fr/politique)

Recomposition et Convention

Face à un électorat changeant, prompt à l’abstention, (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022) reflet d’une société marquée par des mutations perpétuelles et continues, désormais éloigné des combats jugés obsolètes du XXème siècle, les partis historiques se sont épuisés à renouveler des discours depuis longtemps éculés et basés sur la fidélité de sympathisants et de militants aujourd’hui partis. La recomposition du paysage politique français amorcé il y a cinq ans se poursuit avec d’autant plus de violence qu’il douche des partis trop longtemps convaincus de leur aura et de leur puissance. Et que dire du phénomène Jean-Luc Mélenchon, porteur d’une voie populaire que les Montagnards de la Convention n’auraient pas renié ? Habité d’une autre radicalité, parfait contraire de celle portée par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon s’est imposé comme le tribun et le héraut d’un électorat progressiste que Républicains et Parti socialiste ont négligé. Ainsi, se recompose le paysage politique national, entre un pragmatisme démocratique teinté de libéralisme sous-jacent incarné par Emmanuel Macron et la radicalité anti-démocratique de Marine Le Pen et celle révolutionnaire populaire de Jean-Luc Mélenchon. Et cette forme de tri-partisme qui règle désormais la vie politique française pourrait bien être celui des trente ou quarante prochaines années.

Penser l’après-guerre

Si le conflit en Ukraine a révélé une forme de dépendance de l’Occident à la Russie, se pose désormais la question de l’après-conflit qui sera conditionné par deux options : La rupture définitive ou la normalisation. Mais quid de Vladimir Poutine ?

Après après six semaines de guerre, il apparaît désormais que le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine pourrait sans mal s’éterniser pendant des mois voire des années. Scénario que nombre de pays occidentaux, à commencer par les capitales européennes peinent à imaginer mais qui semble pourtant d’une actualité brûlante. Quelque peu escamoté en France par la campagne électorale liée à l’élection présidentielle, le conflit n’en reste pas moins présent dans le quotidien de tous, à commencer par celui des Ukrainiens. Mais au chapitre des conséquences, outre l’étiolement progressif des relations diplomatiques entre Europe de l’Ouest et la Russie, ce sont surtout les effets à long terme qui inquiètent nombre de gouvernements. Si la crise de l’énergie, qui n’avait pas attendu le conflit pour se déclarer mais qui a utilisé celui-ci pour se démultiplier, reste prégnante et au rang des premières préoccupations, la question des équilibres économiques au sein du continent n’est pas neutre. Toute indésirable qu’elle soit devenue, la Russie a longtemps été un partenaire économique sinon majeur du moins non négligeable pour de nombreuses entreprises ou pays occidentaux.

Dépendance et rupture

Des enseignes telles que Renault, Leroy Merlin et autres Décathlon pour ne citer qu’elles avaient consenti à de lourds investissements dans un pays réputé difficile d’accès. Or, si les voies d’accès au marché russe sont désormais fermées, nul ne sait pour combien de temps elles le resteront et si elles sont amenées à rouvrir un jour. Le conflit ukrainien a ainsi révélé, non pas une dépendance de l’Occident à la Russie mais a mis en lumière tous les réseaux économiques et financiers qui passaient ou partaient d’elle. Et ne parlons pas de celles et ceux qui au lendemain de l’invasion russe ont démissionné de leur poste au sein de divers conseils d’administration de sociétés russes. De fait, deux solutions s’imposent à ce jour. La première est de progressivement rompre toute relation économique avec la Russie pendant et après le conflit afin de marquer notre désaccord avec la guerre en cours et accessoirement contribuer à l’asphyxie de l’économie russe. Deuxième option, imaginer un après-conflit qui sera marqué par un retour à des relations diplomatiques et économiques normales ou en voie de normalisation avec un pays qui, quoi que l’on puisse en penser, joue un rôle sur la scène économique européenne et mondiale, ne serait-ce que du point de vue énergétique.

Jeu politique et diplomatique

Le dilemme est entier et n’est pas nécessairement prêt d’être tranché car toute décision aurait à son tour son lot de conséquences à assumer en terme sociaux et économiques. Pour autant, avant que n’arrive cette question, émerge une autre problématique : Que faire de Vladimir Poutine ? Tenter de le destituer ? L’écarter du jeu politique et diplomatique ? Conditionner la normalisation des relations d’après-conflit à son départ ? Les questions sont multiples et sont toutes liées au retrait des forces russes d’Ukraine et à la cessation immédiate des combats, ce qui pour l’heure ne semble pas être le cas. Le maître du Kremlin ne semble pas enclin à quitter ses fonctions et continue, toute outrecuidance passée, à narguer les Européens et les Occidentaux. De manière générale, le conflit ukrainien a mis en évidence toutes les contradictions et les réalités, parfois tues ou simplement ignorées, qui unissaient et unissent encore aujourd’hui l’Europe de l’Ouest à la Russie et qui expliquent cette forme de prudence ou de retenue face à Moscou. Car si un conflit armé est une solution radicale ici à un pseudo-désaccord entre la Russie et l’Ukraine, les conséquences ou les réalités qui l’entourent sont elles bien plus complexes. Et les Européens de l’Ouest sont en train, sinon de le comprendre, du moins d’en éprouver les effets.