Erdogan pour un tour de plus

La réélection de Recep Tayyip Erdogan à la présidence de la République turque éteint les ambitions occidentales d’assister à un changement d’orientation politique notamment au regard des enjeux géopolitiques cristallisés autour de la Crimée, de la Mer Noire et de l’Ukraine.

En choisissant de réélire Recep Tayyip Erdogan à la tête de la Turquie (52,14% des voix exprimées), les Turcs semblent donc avoir intégré les griefs qui avaient permis à son principal rival Kemal Kiliçdaroglu de se présenter en rival crédible lors d’un scrutin des plus serrés. Ainsi, que ce soit sa dérive populiste assumée ou la lenteur de sa réaction à juger de la gravité du tremblement de terre survenue le 6 février dernier au sud de la Turquie, rien, surprenant paradoxe, n’a finalement altéré l’image d’un homme contesté mais devenu pour son pays incontournable. Sur le plan de la politique intérieure donc, sauf ambition nouvelle, la Turquie ne devrait pas modifier ses orientations économiques ou sociales même si les résultats de Kemal Kiliçdaroglu inviteront Erdogan a tempérer son discours et ses projets en la matière. Pour autant, c’est bien sur le plan de la politique extérieure que cette victoire déçoit nombre de nations à commencer par le bloc occidental qui espérait secrètement la défaite du président sortant.

Médiateur international

Plusieurs raisons concourent à cette déception à commencer par les liens entretenus par Erdogan avec Vladimir Poutine et perçus comme irritants et ambigus, la Turquie affichant volontairement mal sa position à l’égard de l’invasion russe en Ukraine. Les deux hommes qui se partagent désormais la même mer, à savoir la Mer Noire, sont à l’évidence d’un point de vue géopolitique intimement lié. Or, Erdogan, et avec lui la Turquie, qui depuis le début de la guerre en Ukraine se rêvent en médiateur international, ont jusqu’alors vu leurs ambitions diplomatiques déçues et douchées. Percevant le conflit comme un moyen de hisser la Turquie au rang de puissance mondiale, à tout le moins de puissance du bassin oriental de la Méditerranée, Erdogan a toujours échoué dans cette entreprise car contrarié dans son action diplomatique par la Chine qui cherche désormais à se poser en conciliateur impartial et ce pour d’autres motifs très éloignés de ceux d’Erdogan. Et, Vladimir Poutine, beaucoup plus sensible au poids de Pékin que de celui d’Ankara, a rapidement tourné son regard vers l’Empire du Milieu au détriment de l’ancien Empire ottoman, à l’influence secondaire voire marginale à ses yeux.

Soft power turc

Autre motif à même de décevoir les Occidentaux, l’aspect versatile des relations diplomatiques d’Erdogan, obsédé, comme peut d’ailleurs l’être Vladimir Poutine, par la volonté de rendre à la Turquie l’influence et l’aura dont disposait l’Empire Ottoman. Sans défendre de politique territoriale expansionniste comme Vladimir Poutine, Erdogan a donc articulé ses relations avec le monde occidental dans cette optique, blessant et irritant Européens et Etats-Unis par des prises de position à même de contrarier les uns et les autres ou par un soft power turc très actif dans le bassin méditerranéen oriental. Enfin, dernier point expliquant la déception des Occidentaux, l’absence désormais actée de voir évoluer socialement un pays traversé par une agitation croissante qui se heurte au conservatisme prôné par Erdogan. Conscients qu’un renouveau diplomatique est intrinsèquement lié à un changement global d’orientation politique, les Occidentaux devront donc patienter jusqu’au prochain scrutin pour espérer voir la Turquie sous un nouveau jour.

Kiev regarde plus loin

L’action diplomatique menée par Volodymyr Zelensky en marge du G7 met en évidence une vision du conflit russo-ukrainien et de ses lendemains qui vise à donner à l’Ukraine un rôle autre que celui qu’elle occupait avant la déflagration.

Invité surprise du G7 tenu voilà quelques jours à Hiroshima, au Japon,Volodymyr Zelensky a su faire preuve d’une habilité diplomatique à même d’obliger dans le futur ses partenaires et ses alliés. Ce volontarisme affiché doublé d’une fine opération de communication, d’aucuns parleraient presque d’une forme de soft power ukrainien, s’inscrit dans des orientations militaires bien précises et qui renvoient à la contre-offensive que l’armée ukrainienne prépare pour une date qui n’a pas encore été dévoilée aux alliés. Pour autant, officielle ou pas, la dite contre-offensive se doit, et le président ukrainien l’a très bien compris, être réfléchie d’un point de vue militaire mais aussi d’un point de vue diplomatique.

Ambitions et humiliation

Soucieux de conserver ses alliés et les soutiens que ces derniers lui apportent, notamment d’un point de vue logistique et tout particulièrement après l’annonce officielle des Etats-Unis de livrer ses avions de chasse F-16, Volodymyr Zelensky a conscience du fait qu’en cas de revers militaire lors de la contre-offensive, les alliés occidentaux seraient potentiellement pris d’une forme de lassitude à l’endroit de la cause ukrainienne au risque de voir les si précieux soutiens s’effriter un à un. Ainsi, le premier objectif du président ukrainien, tenue de combat revêtue, était de s’assurer de la fidélité des alliés de la première heure, aujourd’hui et demain, en cas de d’échec de la contre-offensive. La tactique de Volodymyr Zelensky est d’autant plus fine que, en recueillant aujourd’hui l’agrément des alliés, il leur sera difficile de se dédier au cas où l’armée ukrainienne échouait dans ses ambitions. Et quid alors si la contre-offensive réussissait ? Le président ukrainien en sortirait grandit et renforcé tout comme ses alliés, Volodymyr Zelensky se posant alors en chef de file du monde slave auquel il serait malaisé de refuser quoi que ce soit, y compris une adhésion rapide de l’Ukraine dans l’OTAN. Mais cet objectif, dernier sur la liste des priorités des membres du Traité Atlantique, pourrait bien longtemps y figurer car si libérer l’est de l’Ukraine est un but partagé au sein des membres, humilier la Russie en intégrant l’Ukraine dans l’Organisation atlantique, n’est pas à l’ordre du jour. Ceci étant, se fiant à l’adage que gouverner c’est prévoir, Volodymyr Zelensky prépare déjà, et à raison, l’après-guerre, d’abord pour le bien de son pays, ensuite et surtout aussi pour assurer sa place dans le nouvel ordre européen qui naîtra au lendemain du conflit. Car en cas de victoire de l’Ukraine, celle-ci passerait de nation invisible à carrefour incontournable en Europe de l’Est, devenant un relais géopolitique essentiel au sein d’un continent européen bousculé.

Les loups et la survie

La rupture annoncée par Marine Le Pen avec le GUD, outre la mise en évidence d’une tentative de crédibilisation du Rassemblement National, confirme aussi la mue engagée par le parti d’extrême-droite dans la perspective de 2027. Et la démocratie de s’exposer à tous les dangers.

En annonçant sa décision de prendre ses distances avec le Groupe Union Défense (GUD), groupuscule d’extrême-droite fondé dans les années soixante-dix et dont elle était proche, Marine Le Pen opère ici une mue que d’aucuns qualifieraient de très inquiétante pour qui abhorre les idées défendues par l’ancienne candidate à l’élection présidentielle. Pour les partisans de cette dernière, en revanche, il s’agit là d’un pas supplémentaire vers une réhabilitation du parti. Pourtant, il convient de ne pas en douter, cette rupture avec le GUD présentée comme officielle, s’inscrit dans la volonté de Marine Le Pen de crédibiliser son parti en vue de la prochaine échéance présidentielle. Défait, en tous cas le parti d’extrême-droite épouse-t-il cette posture et tente de s’y conformer, de ces oripeaux les plus répulsifs, le Rassemblement National reste encore mu par les doctrines xénophobes et nationalistes sur lequel l’ancien Front National avait fait sa litière.

Images policées

Certes prudent et silencieux pendant les débats portant sur la réforme des Retraites, souvent en retrait dans les débats qui animent l’Assemblée Nationale, le Rassemblement National tente depuis les élections législatives de juin 2022 de présenter un visage de parti politique acceptable, soucieux de démocratie et empreint de principes sociaux. Ce calcul, élaboré au lendemain de la défaite de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, ne relève pourtant que du jeu de dupes, basant sa réussite supposée sur la faiblesse politique et culturelle de son électorat sensible aux images lisses et policées plus qu’aux réalités idéologiques du parti. La question qui désormais se pose n’est donc plus de savoir si cette mue réussira, non pas en tant que telle, mais plutôt si les résultats escomptés seront au rendez-vous ? Le danger auquel s’expose aujourd’hui la démocratie est donc réel car pour paraphraser Serge Reggiani, si les Loups sont entrés dans Paris, ils risquent rapidement de propager les pires maux possibles. Autre question qui émerge aussi, à savoir : la politique menée par Emmanuel Macron favorise-t-elle la montée de l’extrême-droite ? La réponse est des plus mitigées car depuis les années soixante-dix, en dépit de quelques élections où il a été sévèrement balayé, le parti d’extrême-droite séduit lentement un nombre d’électeurs croissant. L’imputer au seul Emmanuel Macron serait donc excessif.

Terreau de croissance

Isolement géographique, déclassement social, question migratoire instrumentalisée à l’excès, chômage de masse, désert culturel dans lequel erre son électorat et autres réalités économiques ont nourri les thèses d’un parti qui a fait de la misère et du désespoir social son terreau de croissance. D’aucuns, inquiets à nouveau, ont déploré la fragilité du Front républicain qui avait, et qui a par ailleurs réussi à contenir l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir lors de la dernière échéance présidentielle quand d’autres craignent de voir ce même front voler en éclat lors de la prochaine élection présidentielle. Ainsi, si lors de la crise politique qui a suivi l’adoption de la réforme des retraites via l’emploi de l’article 49.3, nombreux ont évoqué une crise de régime, il est à craindre cependant que la démocratie française soit encore plus en danger devant la montée en puissance de l’extrême-droite. Il ne convient donc plus aujourd’hui d’évoquer une quelconque crise de régime mais plutôt d’une réelle crise de survie de la démocratie.

Remonter le temps

Plombé par la réforme des retraites, le Président de la République Emmanuel Macron ne parvient pas à retourner une opinion encore braquée contre lui. Cette crise politique qui fragilise son mandat ampute aussi l’opportunité qu’avait le président de réformer durablement le pays pendant son quinquennat.

Décidément rien n’y fait. Ni l’annonce d’un agenda surchargé de réformes à venir, ni l’évocation de Jean Moulin, ni celle de la Résistance ou de la justice portée par la République, rien ne semble redorer le blason du Président de la République qui traîne comme un boulet la réforme des retraites passée en force à l’Assemblée Nationale. Est-ce à dire que le restant du quinquennat sera assimilable à un chemin ou de croix, ou, une actualité en chassant une autre, l’émotion suscitée par la dite réforme finira par s’éteindre doucement. Pour l’heure, aucun indice ne penche en ce sens. Que faire alors ? Démissionner ? Le Président de la République a annoncé qu’il s’y refusait. Dissoudre l’Assemblée Nationale au risque de perdre le peu de majorité, déjà relative, dont il dispose ? Finalement, passées toutes ces options, il ne reste au Président que celle de la résilience, épreuve ô combien plus psychologique que politique tant cette dernière appelle aux qualités intrinsèques de l’individu à s’adapter à son environnement.

Pays grippé

Une question se pose malgré tout, sachant qu’une réforme des retraites était certes nécessaire mais sans revêtir de caractère urgent, pourquoi Emmanuel Macron n’a-t-il pas engagé d’autres projets de sociétés éminemment moins politiques alors que son agenda présidentiel s’interrompait après le printemps 2027 ? Si la réforme des retraites est déjà vue comme le point noir du quinquennat du Président, il est dommage que celui-ci n’est pas utilisé son second mandat, défait de toute pression électorale liée à une potentielle réélection pour tenter, comme il l’avait amorcé en 2017, de réformer un pays grippé. Tous les observateurs politiques s’accordent sur ce point : Emmanuel Macron avait devant lui une autoroute via laquelle s’ouvrait une multitude de réformes à même de transformer, essayer du moins, la société française. En faisant de la réforme des retraites une question centrale et un objectif crucial de son mandat alors que celle-ci n’est in fine qu’une simple question d’intendance comme le rappelait voilà peu l’ingénieur et enseignant Jean-Marc Jancovici, le Président de la République a hypothéqué les quatre années à venir de son mandat sans compter les effets délétères causés sur sa majorité et plus largement sur le parti présidentiel. Et d’aucuns de pousser des cris d’orfraie prédisant que cette erreur politique a conforté l’extrême droite dans ses ambitions présidentielles. L’idée n’est cependant pas nouvelle et devra attendre 2027 pour potentiellement se confirmer ou s’infirmer. Pour l’heure, une chose s’affirme en revanche comme réelle : Le Président Macron et sa majorité souffrent comme certainement aucun attelage politique sous la Vème République n’a souffert, espérant secrètement que revienne la magie des premiers mois du premier quinquennat. Mais en politique, nulle magie. Et si remonter le temps est impossible, assumer l’instant est en revanche une nécessité.

De l’exception à l’anonymat

Rares ont été les Présidents de la République aussi impopulaires après un an de mandat. Mais Emmanuel Macron, volontiers présenté comme le pourfendeur de l’ancien monde, ne serait-il pas devenu le bouc-émissaire d’une nation effrayée par les mutations irréversibles qui l’entourent.

Isolé, brocardé, attendu par des concerts de casseroles lors de ses déplacements, son effigie parfois brûlée sur la place publique,….il apparaît à la lecture de tous ces éléments, que le Président de la République Emmanuel Macron traverse certainement à ce jour le plus difficile début de mandat qu’il ait eu à assumer, un an après avoir été réélu. Les raisons qui expliquent cette impopularité sont pour beaucoup évidentes et trouvent d’abord leurs racines dans la réforme des retraites qui a repoussé l’âge légal de départ à 64 ans, ensuite dans l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution et ce afin que le texte soit définitivement adopté. En conséquence, d’aucuns considéreraient que le retrait de la réforme suffirait à apaiser les tensions sociales et permettrait au Président de la République de renouer avec des Français plus que fâchés à son endroit. Pour autant, rien n’est moins sûr car en filigrane émerge une question plus insidieuse qui tendrait à minimiser l’impact de la dite réforme.

Bouc-émissaire et dépendance

Et si le Président de la République, élu après une campagne présidentielle au cours de laquelle il a expliqué vouloir réformer le système des retraites, s’avérait finalement n’être que le bouc-émissaire d’une nation inconsciemment effrayée par les effets de la globalisation et plus largement par un monde en mutation permanente depuis plus de vingt ans désormais, monde dans lequel elle n’est plus qu’une nation parmi tant d’autres, confrontée à une concurrence économique sauvage et dans laquelle elle a du mal à s’imposer ? La question n’est pas neutre et renvoie le pays à sa réalité sociale et économique. Certes la France est vantée, et à raison, pour sa qualité et son art de vivre mais en scrutant avec plus d’attention la position internationale de la France, celle-ci n’apparaît plus que comme une puissance moyenne, incapable d’agir seule dans le dossier ukrainien, plus ou moins arrimée à la politique étrangère des Etats-Unis, économiquement dépendante de grands acteurs tels que la Chine, l’Allemagne, des Etats-Unis et de l’Union européenne. Toutes ces réalités qui confinent à la concession pousse le pays à épouser une position de suiveur plutôt que d’acteur, obligée de s’adapter plutôt que d’imprimer son propre rythme. Si la réforme des retraites a cristallisé tout le mécontentement que nombre de Français nourrissent à l’endroit du Président de la République, les tensions nées de cette même réforme interrogent des pays voisins, où, à système égal et comparable, l’âge légal de départ (Italie, Royaume-Uni, Espagne,…) a été renvoyé à 67 ans. Certes, une analyse plus fine des structures économiques permettrait de pondérer cette comparaison mais l’attachement des Français à un départ à 62 ans ne relèverait-il pas d’un combat propre au roman picaresque où un Don Quichotte improbable viendrait pourfendre les moulins de la réforme voulue par le Président de la République, nul ne peut le contester, mais qui s’inscrit peut-être aussi dans une logique de plus grande envergure qui pousse la France à se mettre au pli de la majorité et non de sa seule exception. Débat sans fin argueraient d’aucuns mais la réalité s’impose aussi : la France longtemps jugée comme une exception dans le monde en raison de son Histoire (pas toujours glorieuse non plus) est peut-être désormais contrainte de rentrer dans le rang de l’anonymat et de se plier, malgré elle, aux XXIème siècle.