Alexeï Navalny restera-t-il le seul ?

Si les manifestations d’opposants emmenées par Alexei Navalny mettent en exergue la confiscation du pouvoir opérée par Vladimir Poutine via un système personnel dédié à son seul profit, cette contestation intérieure ne peut suffire. Une position de l’Occident visant à défendre les Droits de l’Homme en Russie doit compléter la menace.

Avancer que Vladimir Poutine, actuel président de la Russie, supporte mal toute forme d’opposition relève de l’euphémisme. Et affirmer, dans le même temps, qu’Alexei Navalny, irrite au plus haut point le résident du Kremlin en est un aussi. Pourtant, la détestation que se porte les deux hommes, le premier étant totalement imperméable à la conception que le second se fait de la démocratie et des libertés inhérentes à celles-ci, met en exergue toutes les failles du système Poutine pensé et concrétisé dans les faits depuis le début des années 2000, à l’heure où Vladimir Poutine succéda à Boris Elstine. Conçu sur la base d’une cooptation qui ne prend même plus la peine de se cacher, par un musellement quasi-généralisé des organes de presse, par les menaces proférées à l’endroit des des journalistes quand ceux-ci ne sont tout simplement pas assassinés à l’image d’Anna Politovoskaïa (2006), par une corruption endémique et une multiplication de faveurs dont profitent les proches du président russe, le régime de Vladimir Poutine tend finalement aujourd’hui à ressembler plus à une affaire personnelle qu’à la gestion saine d’une nation pourtant riche de milliers d’atouts. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article)

Redistribution et contestation

A l’heure où la Russie tente de redorer son blason international dans un contexte de redistribution des cartes à l’échelle internationale, redistribution entre autre nourrie par l’élection de Joe Biden aux Etats-Unis et les effets de la pandémie de coronavirus, Vladimir Poutine, doit en la personne d’Alexeï Navalny, faire face, non pas à un opposant de plus mais à un opposant déterminé, dont l’action a reçu la bénédiction tacite de l’Occident. De ce fait difficilement éliminable comme un obscur journaliste de région ou un lanceur d’alerte trop véhément, l’homme sait aujourd’hui peser sur le système Poutine. Car les revendications libertaires et les multiples dénonciations d’Alexeï Navalny visant à révéler la réalité du système Poutine ont certes pour objectif, et effet, de déstabiliser le Kremlin et son organisation mais présentent aussi le danger pour l’ancien officier zélé du KGB de porter de très sérieux coups à un ensemble en définitive fragile. Reposant essentiellement sur une police et une armée omniprésentes, sur des réflexes datant de l’ère soviétique et le principe obsolète que les Russes ont besoin d’un pouvoir et d’un homme forts à leur tête, le système Poutine pourrait vaciller tant l’ampleur de la contestation gagne un terrain tous les jours plus grand. Preuve de la menace représentée par Navalny : à peine celui-ci a-t-il posé le pied sur le sol russe que celui-ci a été emprisonné. Rares sont les démocraties qui agissent ainsi avec leurs opposants…Car pour ceux qui en douteraient, la Russie de Poutine n’est en rien aujourd’hui une démocratie mais plutôt une démoctature ou dictacratie, habile mélange d’autorité affirmée et saupoudrée de principes démocratiques vites bafoués.

Libération et mondialisation

Si le sujet anime les étudiants occidentaux en Sciences Politiques, il est en revanche une réalité vécue par un peuple russe dont on ne sait pas s’il accepte ou refuse, silencieux et attentiste, la politique de Poutine. A la vue des manifestations actuelles, tout laisse à penser que le peuple russe est aujourd’hui sur la voie de la libération. Mais les ressources de Vladimir Poutine sont encore nombreuses, voire insoupçonnées, et à même d’étouffer toute rébellion. Etonnamment, et par un principe d’inversion proportionnelle, plus l’opposition d’Alexeï Navalny s’avère forte et structurée plus la réaction de Vladimir Poutine devant cette même opposition se révèle sectaire et autoritaire. (Revue-Projets.com : https://www.revue-projet.com/articles),Est-ce à dire que pour que le système Poutine s’assouplisse, Alexeï Navalny doit cesser son action libertaire ? D’aucuns argueront, et à raison, que toute opposition, même vouée à l’échec dans un premier temps est bénéfique à long terme car elle sème les graines d’une libération future. Pour autant, il convient de ne pas oublier la composante internationale où la Russie n’est en rien à l’aise. Tributaire de son secteur pétrolier (La Russie est le deuxième producteur de pétrole mondial), la Russie reste aussi dépendante du marché international dans lequel elle peine à s’insérer. Bien que considéré comme un pays émergent, il est fort probable qu’elle le soit encore longtemps, situation dont Vladimir Poutine est conscient car celui-ci n’ignore en rien que la question des Droits de l’Homme et son traitement futur en Russie conditionnera aussi sa place au bal de la mondialisation. Mais cette place devra se faire sans lui.

Le révélateur rwandais

Si de nouveaux documents d’archives tendent à confirmer le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, les révélations apportées confirment en filigrane le déclin de l’influence diplomatique de l’Hexagone à l’échelle internationale.

C’est une affaire sale. De celles qui empoisonnent la République, qui tâche la réputation d’un pays qui se veut, et se prétend souvent, un modèle de vertu et de défense des Droits de l’Homme. Cette affaire, le génocide des Tutsis au Rwanda au printemps 1994, ne lâche pas la France, collée à son Histoire comme un bout de sparadrap sur ses doigts (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/afrique). Les faits sont simples : au début des années quatre-vingt-dix, sous la présidence de François Mitterrand, des signaux alarmants proviennent de ce pays d’Afrique centrale, dans la régions des Grands Lacs, mettant en évidence des violences croissantes portées à l’encontre des populations Tutsis et proférées par les Hutus, l’autre ethnie vivant au Rwanda. Les origines de cette haine qui sépare les deux peuples sont anciennes et mal appréhendées par l’ancienne puissance coloniale qu’est la France.

Françafrique et influence

Les frontières du pays, dessinées par des occidentaux totalement ignorants des rivalités existants entre les différents peuples d’Afrique, englobent donc deux ethnies incapables de négocier une cohabitation pacifiée et durable. Le génocide débutera au printemps et se soldera par près de 800.000 victimes Tutsis. Le rôle de la France est alors pointée du doigt, son influence dans la région interrogée, les réseaux de la Françafrique mis sur le grill, son statut d’ancienne puissance coloniale vilipendée, l’Opération Turquoise diligentée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et confiée à la France stigmatisée. Et l’affaire de s’enliser et s’enfoncer dans les remous de l’Histoire, revenant régulièrement à la surface avec son lot de nouvelles révélations accusant toujours un peu plus l’inertie et l’inaction de la France au cours de la période. (Franceinter.fr : https://www.franceinter.fr/monde) Mais au-delà des faits historiques qui deviennent au fil des années un peu plus clairs et précis, se pose aussi la question de l’influence de la France au sein d’un continent qui a longtemps été sa chasse gardée, ses rivalités sourdes avec d’autres nations européennes impliquées de manière sous-jacente dans la région telles que l’Allemagne ou le Royaume-Uni pour le contrôle tacite d’un continent aux richesses convoitées. Cette influence, que la France cherchait alors à maintenir, au lendemain de la disparition de l’affrontement Est-Ouest qui avait paralysée le Monde pendant près de 45 ans, allait démontrer toute sa faiblesse et son inanité en laissant le drame s’accomplir. Alors que s’achevait dans la douleur de la maladie incurable le deuxième septennat de François Mitterrand, que la cohabitation battait son plein et que le pays tentait de se frayer un chemin dans le nouvel ordre mondial placé sous le sceau du libéralisme le plus débridé, le génocide des Tutsis passa en France presque à la trappe de l’Histoire.

Inefficacité et médiocrité diplomatique

Incapable de tenir un rang diplomatique qu’elle avait perdu depuis la défaite de mai-juin 1940 et l’illusion de la victoire en 1945 la faisant passer, par un tour de passe-passe du Général De Gaulle, comme une grande puissance, la France s’est donc laissée embarquer dans une opération militaire qui devait établir les bases préliminaires d’une paix à venir mais qui s’est surtout révélée être d’une inefficacité aberrante. Au rôle mal défini par l’ONU, la force Turquoise, ainsi baptisée, n’a donc pas su, ou pas voulu selon la version rwandaise des évènements d’alors, enrayer le drame génocidaire. Devenue une puissance moyenne, à la sphère d’influence et à l’autorité limitées, la France a révélé, via le génocide Tutsi, toute sa médiocrité diplomatique d’alors. Concurrencé à l’échelle européenne et mondiale, à la peine dans la bataille économique de la mondialisation qui s’affirmait, l’Hexagone, soucieux de faire valoir une position internationale de second, voire de troisième rang, a abîmé son image par un rôle encore contesté. Mais 25 ans après, dans un contexte international transformé, alors que les relations entre la France et le Rwanda sont toujours tendues, que les révélations régulières sur son rôle pendant le conflit discréditent la thèse officielle du non-soutien au gouvernement rwandais d’alors, persistent des réalités qui renvoient la nation de Voltaire et de Rousseau à la liste des tâches que son Histoire lui a laissée.

Le Capitole et le poison

L’invasion du Capitole, temple de la démocratie américaine, révèle la fracture qui divise la société américaine mais aussi la présence de franges de la population affolées par des menaces fantasmées que le président Trump a instrumentalisé par conviction avec cynisme et par ambition personnelle.

L’image est écornée, la réputation ternie. Certainement pour longtemps. Les Etats-Unis, souvent cités en modèle pour la vitalité de leur démocratie, ont peut-être perdu en quatre ans, durant le mandat de Donald Trump, une part de leur influence mondiale tout comme sali les institutions chères aux Pères fondateurs. L’assaut et l’invasion du Capitole par des partisans du président sortant, dont les images ont choqué le monde entier, ont révélé une nation américaine fracturée et divisée. D’aucuns argueront que Donald Trump a certainement contribué à creuser le fossé qui s’est dessiné à coups de tweets ravageurs à la pertinence discutable, de déclarations tapageuses et d’une conduite des affaires de l’État qui a laissé perplexe (liberation.fr : https://www.liberation.fr/planete). Mais si l’homme d’affaires devenu président a joué un rôle en surfant sur la vague populiste, il n’a finalement fait qu’exploiter avec cynisme et ambition personnelle les failles d’une nation décrite en crise depuis sa création. S’appuyant sur l’omnipotence des réseaux sociaux, toujours prompts à relayer, sans grande rigueur éthique, les affres de la société contemporaine, Donald Trump a nourri une forme de dégoût de la démocratie telle qu’elle se pratiquait avant son arrivée à la Maison Blanche au profit d’une autre, considérée à ses yeux comme à ceux de ses partisans plus juste.

Posture et obscurantisme

Ainsi, en se présentant comme le premier des défenseurs de la démocratie américaine, l’homme s’est enfermé dans la posture du recours et du sauveur d’institution menacées pour finir par humilier la nation à la bannière étoilée (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/chroniques-de-la-presidence-trump). Mais menacées par quoi ? La foule ivre de haine qui s’est déchaînée sur le Capitole avançait pelle-mêle et sans réelle logique dialectique ou scientifique toute une série d’arguments tous plus loufoques les uns que les autres racisme, xénophobie, complotisme, élection volée et truquée, se mêlaient dans une forme de creuset idéologique vide de sens où prédominait la violence pour seul argument d’échanges. Pétrie d’ignorance crasse et de rancoeurs cuites et recuites, de bêtise abyssale et d’obscurantisme effrayant, cette foule, préalablement et savamment excitée par les propos va-t-en-guerre de Donald Trump s’est donc ruée sur le Capitole sûre de son fait. Naturellement, les plus optimistes argueront qu’il ne s’agit que d’une minorité. Mais en est-on si sûr ? Que ce soit aux Etats-Unis, pays ultra-médiatisé ou en Hongrie, modeste membre de l’Union européenne, voire au Royaume-Uni ou ailleurs dans le monde, combien sont-ils à contester les fondements démocratiques de nos sociétés en revendiquant l’idée de posséder la seule et unique formule de la démocratie.

Carences et apocalypse

Oubliant la notion de liberté d’expression au profit de la seule volonté d’imposer leur vision, ces hommes et ces femmes, tendent à représenter aujourd’hui une part sous-estimée de nos sociétés. L’appauvrissement intellectuel des populations liées aux carences des systèmes éducatifs, l’abêtisation des sociétés entretenue par des réseaux sociaux complaisants avec la facilité dialectique proposée par certains contenus travaillent à ce que le sociologue français Gérald Bronner nomme dans son dernier ouvrage l’Apocalypse cognitive* ou ce qu’Umberto Eco nommait l’invasion des imbéciles. L’ensemble de ces facteurs, et probablement bien d’autres, ont contribué à cet épisode surréaliste de l’invasion du Capitole mais pourraient tout aussi bien expliquer d’autres atteintes à la démocratie dans les années à venir. La fracture que cet épisode de violence a révélé aux Etats-Unis n’est peut-être que le préambule à d’autres soubresauts, ailleurs, eux-mêmes annonciateurs de troubles plus lourds et plus dangereux. Tel un si lent poison…

*Apocalypse cognitive, Paris, PUF, 2021

Quand Jupiter coupe et tranche

Si la crise sanitaire a poussé l’exécutif à opter pour des mesures drastiques contestées par de nombreux élus locaux, le risque de se couper des territoires auquel s’expose l’Elysée est aujourd’hui bien réel. Explications.

Le durcissement du couvre-feu dans certains départements français voulu et décidé par l’exécutif n’a pas manqué de provoquer de nombreuses réactions, souvent hostiles, de la part des élus locaux. Hostiles dans un premier temps car totalement déconnecté, selon les élus en question, des réalités économiques des territoires où s’applique ce durcissement. Avancé à 18heures, nombre d’édiles redoutent un effet violent et durable, notamment sur les commerces dits de proximité. L’argument ô combien valable et entendu en cette période de pandémie qui n’épargne en rien la vie économique n’a pas semblé émouvoir l’exécutif. Hostiles en second lieu car ce durcissement, imposé sans consultation préalable, s’est, de fait, affranchi de l’avis d’élus qui, pour le moins, auraient aimé être interrogés sur la pertinence d’une telle décision quand plusieurs d’entre eux appelaient à un nouveau confinement, au moins local (Europe.fr : https://www.europe1.fr/emissions)

Coupure et jupitérien

La ire des élus pourrait s’arrêter là et finalement ne générer aucune réaction supplémentaire au regard de la situation sanitaire dont on ne sait pas comment cette dernière évoluera dans les semaines à venir même si les contours s’en dessinent (leparisien.fr : https://www.msn.com/fr-fr/). Pour autant, derrière ce durcissement du couvre-feu, se cache aussi le risque de voir l’exécutif se couper non seulement d’élus potentiellement utiles à quelques mois de l’élection présidentielle par des décisions unilatérales mais aussi, et surtout, d’assister à un lent, mais de plus en plus visible, penchant à l’autoritarisme. Non que les institutions de la République en soient menacées, loin s’en faut, mais les relais territoriaux, ici les maires, que représentent les élus de terrain occupent une place particulière dans le mille-feuille administratif français. Cet autoritarisme bon teint, parfois dissimulé sous la nécessité qui serait, selon l’adage, érigé en loi, n’est cependant pas le fait de la pandémie et des décisions que l’exécutif a dû prendre pour l’enrayer. Le quinquennat d’Emmanuel Macron est marqué par cette forme de volonté dictée et assénée n’hésitant en rien à s’affranchir de l’avis des premiers concernés. L’exemple de la réforme des lycées menée par le Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, illustre cette tendance où le débat, lorsque celui-ci est proposé, est facilement ignoré ou simplement escamoté. La crise du Covid-19, qui appelle certes des décisions lourdes, aussi servi à l’expression de cette volonté jupitérienne que l’Elysée interprète comme une prise en main sévère et efficace de la situation.

Opinion et scrupule

Certes, d’aucuns argueront que la situation sanitaire exige des mesures drastiques qui n’ont pas l’heurt de satisfaire les premiers concernés, mais pour autant, dans une République présentée comme démocratique, le dialogue se pose en préliminaire à toute décision impliquant la vie des citoyens. A nouveau, rien ne prouve qu’un dialogue liminaire aurait évité ou changé les décisions prises, mais dans une démocratie comme la France ou principes et valeurs sont érigés en valeurs cardinales, sous-jacents à la Constitution, ce même dialogue aurait certainement permis de trahir un jacobinisme dont le pays a du mal à se défaire. Se couper des élus locaux reste donc un pari osé et dangereux exposant l’exécutif bien en peine dans l’opinion, à un sentiment de rejet aux conséquences certaines mais à mesurer. Mais dans le même temps, la crise sanitaire marquée au printemps par les balbutiements de l’exécutif au regard de la soudaineté de la pandémie, se révèle peut-être fort utile à l’exécutif qui peut ainsi faire preuve de toute l’étendue de son autorité et de sa capacité à affronter la réalité en coupant et tranchant dans le vif sans le moindre scrupule. Répétons-le pari est osé et seul l’avenir dira au Président de la République si cette attitude recueillera l’assentiment des Français car, c’est une certitude, l’élection présidentielle se jouera sur la capacité d’Emmanuel Macron à donner au pays des motifs d’espoir suffisants et des résultats économiques à la hauteur des sacrifices demandés.