L’annonce du retrait de l’âge pivot offre au Gouvernement une bouffée d’oxygène dont il tirera profit quelque soit le résultat de la conférence à venir entre partenaires sociaux. Explications.
Entre cynisme et tactique politique, il n’y a souvent qu’un pas que le Premier Ministre Edouard Philippe, n’a pas hésité à franchir quand certains l’en croyait incapable. Et pourtant, en annonçant le retrait de l’âge pivot du projet de loi portant sur la réforme des régimes de retraites en proposant aux partenaires sociaux d’avancer une solution concrète et aboutie, le Premier Ministre a déplacé toute la responsabilité de ce point de contentieux sur les négociations à venir. Machiavel aurait certainement applaudi. Clairement, si d’ici fin avril, ces derniers n’ont pas trouvé de solutions de financement pour parvenir à l’équilibre du système, alors l’âge pivot sera réintroduit dans la loi via ordonnance comme le prévoit la Constitution. Celui que beaucoup jugeaient faible et affidé au Président de la République a ainsi fait valoir une forme d’indépendance qui ne peut que satisfaire l’exécutif en cette période de tensions sociales et syndicales.
Réalités syndicales et désunion
Pour autant, reporter la responsabilité sur les négociations à venir, sans relever du génie politique, révèle aussi une connaissance assez fine de la réalité syndicale du pays, traversée de tendances conservatrices et réformistes qui auront beaucoup de mal à s’entendre quand les partenaires issus de la sphère patronnale argueront eux d’un retour de l’âge pivot. La guerre de tranchées qui se prépare et qui va certainement déchirer l’unité syndicale affichée jusqu’alors, même si celle-ci n’était que factice, va d’évidence profiter au seul Gouvernement qui n’aura plus alors qu’à marcher sur les cendres de la désunion et l’incapacité des partenaires sociaux à présenter une alternative crédible au financement du système pour imposer sans difficulté l’âge pivot. Et le Gouvernement de déjà se pavaner en avançant que la discussion a été ouverte mais n’a pas trouvé d’issue, désormais….Et ce sans compter sur le possible retournement de l’opinion qui, jusque là favorable aux mouvements de grève, en dépit de quelques signes de lassitude, pourrait se révéler cruel pour les syndicats en présence accusés alors de ne pas avoir su proposer de solutions à un Gouvernement aux allures de rouleau-compresseur.
Représentativité et cristallisation
In fine, le retrait annoncé de l’âge pivot peut s’apparenter à un gain de temps à peu de frais, voire gratuit et sans conséquence pour l’exécutif qui, par ce report qui ne dit pas son nom, s’offre les moyens de voir l’opinion se retourner contre des syndicats en mal de représentativité à l’échelle nationale (seuls 11 % des Français sont syndiqués). Et si d’aventure, une solution pertinente et crédible était avancée par les partenaires sociaux, alors le Gouvernement pourra se targuer d’avoir ouvert la voie des négociations, en revêtant l’habit du dialogue constructif. La question des retraites, qui a écumé quatre réformes en moins de trente ans, et sans comptabiliser celle en cours, est loin d’avoir fini de cristalliser les passions tant, schizophrènes, les Français restent passionnément attachés au système par répartition mais acceptent l’idée d’une réforme. Bref ! Une situation sociale comme seule la France sait en produire !