
La revendication indépendantiste catalane pose aussi la réalité d’une démocratie espagnole dépassée par le modèle d’autonomie régionale. A Madrid de choisir : le statu quo ou l’évolution vers un autre système institutionnel.
Alors que la Catalogne espagnole occupe aujourd’hui le devant de la scène, il n’est pas interdit de s’interroger désormais, non pas sur les revendications des séparatistes catalans mais plutôt sur les limites posées par le modèle espagnol d’autonomie des régions. Car c’est peut-être bien là que réside aussi le malentendu qui n’a cessé de croître depuis des années entre Madrid et une partie de la population catalane (comme il s’était posé, plus violemment encore, avec le Pays basque). Si la Constitution, approuvée par les urnes en 1978, prévaut encore aujourd’hui, force est de constater que le régime validé il y a près de quarante ans ne semble plus satisfaire une partie de la dite population. Pourtant, le système dont voudrait se détacher une partie des Catalans offrent à ces derniers une liberté d’action somme toute assez large, identique à celle dont jouissent les autres régions d’Espagne. Ainsi, comme le précise la Constitution de 1978, seule l’indépendance judiciaire (art. 149 de la Constitution alinéa 5 et art. 150) échappe au contrôle des régions.
Croissance et options
Parallèlement, de nouvelles modifications d’ordre fiscal ont aussi été introduites en 2009 précisant que si les communautés autonomes ne disposaient pas de ressources propres, l’État central reversait le produit des impôts nationaux proportionnellement à la population de chaque communauté. Ainsi, même si la somme totale payée par les Catalans au titre de l’impôt est la deuxième somme la plus élevée d’Espagne, et celle payée par les Andalous l’avant-dernière, les deux communautés autonomes reçoivent environ autant de subventions de la part de l’État central (la population de la Catalogne et de l’Andalousie étant comparables en nombre). Au-delà de la présentation des articles de lois, il semble bien aujourd’hui que la démocratie espagnole traverse une crise de croissance qui la pousse, bon gré mal gré à clarifier ses textes institutionnels. Dès lors plusieurs options se posent à l’Espagne. Le maintien de la Constitution actuelle avec le risque de voir s’enliser la crise sans en connaître l’issue et de pousser d’autres régions à revendiquer leur complète autonomie (éventualité peu probable) ; Décider une refonte totale ou partielle de sa Constitution ce qui pourrait alors entraîner aussi la chute de la monarchie constitutionnelle au profit d’une République. La question qui se pose alors est : Les Espagnols le souhaitent-ils ? L’Histoire a montré que l’expérience avait tourné court pour s’achever dans le sang de la guerre civile. Mais l’Histoire n’est pas nécessairement faite pour se reproduire. Opter pour la solution républicaine serait un bouleversement considérable pour l’Espagne et reste à savoir si les indépendantistes catalans, voire d’autres (au risque de réveiller des passions endormies) accepteraient de passer sous le joug d’une République, fut-elle fédérale à l’image de la République allemande ?
Réalité et dilemme
Autre question posée par les velléités catalanes, le poids de l’Union européenne. Même si le mot n’est que rarement prononcé par les indépendantistes, la Commission et le Parlement européens suivent avec attention l’évolution de la crise appelant au dialogue. Mais lequel ? Car autour de quel compromis est-il possible aujourd’hui de négocier ? Madrid entend, au nom de l’unité espagnole, conserver la Catalogne dans son giron pour de multiples raisons ; Une partie de la Catalogne souhaite s’en défaire. Le champ de la négociation est donc étroit. Et quand bien même la crise se tasserait-elle d’elle même, notamment au lendemain du coup de force des partisans de l’unité avec Madrid (Lire l’article sur lemonde.fr : Catalogne : démonstration de force des opposants au référendum, à Barcelone) , la question de l’indépendance ne s’éteindra pas définitivement. Elle resterait discrète mais prégnante dans un pays qui compte autant de particularismes culturels (langues, traditions, identité…) que de régions. Aussi, mettre fin à la crise catalane aujourd’hui ou demain résoudrait temporairement le problème posé sans nécessairement mettre Madrid face à la réalité institutionnelle actuelle, d’évidence défaillante. Car en y regardant de plus près, la démocratie espagnole est encore très jeune, sujette, preuve en est à de violents soubresauts, celle-ci n’étant sortie du franquisme qu’en 1975 après la disparition du dictateur. Et évoquer, comme précédemment une crise la démocratie espagnole n’est en rien un effet de manche car rien n’empêche l’Espagne de changer ou de modifier son régime institutionnel. Dilemme ô combien cornélien car si l’autonomie actuelle est plébiscitée par une majorité d’espagnols, il conviendra de proposer un système différent mais qui ne rognera en rien les libertés régionales actuelles, qui accordera sa place aux identités locales mais sans leur laisser un espace de contestation trop large susceptible de se retourner contre le pouvoir central.