Les eaux noires

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Les secrets de la mort de Grégory Villemin courent encore dans les remous de la Vologne. Jusqu’à quand ? Crédit photo : Commons.wikipedia.org

A l’heure où rebondit l’Affaire Grégory, il n’est pas inutile de s’attarder sur les ressorts sociologiques d’un drame où se confondent horreur et fascination au point de bouleverser et de passionner, encore, la France d’aujourd’hui. Tentatives d’explications.

Comment expliquer, trois décennies après le drame, que l’Affaire Grégory fascine encore ? Certes, le fait de n’avoir jusqu’alors jamais identifié le meurtrier joue pour beaucoup dans cette fascination que d’aucuns qualifieraient de macabre, voire de malsaine. Pourtant, la réalité est là, malsaine ou macabre : l’Affaire Grégory, fait divers qui a ébranlé la France à l’automne 1984, et qui continue encore à la bouleverser, attise les passions les plus dévorantes. Et pour essayer de comprendre, en partie, pourquoi cette affaire fascine encore, il faut se replonger plus de trente ans en arrière. Quel était le paysage de la France d’alors ? François Mitterrand avait été élu trois ans plus tôt. Et à l’allégresse et l’espoir suscités par la victoire en mai 1981 place avait été faite à un cruel retour à l’austérité. Pour autant, la France du milieu des années quatre-vingt n’était pas malheureuse. Loin s’en faut. Et c’est dans ce contexte qu’un jour d’octobre 1984, l’Hexagone, découvre, ébahi, un monde oublié, du moins hermétique et silencieux, où deux familles aux réflexes et aux habitudes souvent qualifiées d’archaïques se déchirent sur fond de rivalités tues ou de haines cuites et recuites.

Inertie rétrograde

Inutiles ici de revenir sur les arcanes de l’affaire à proprement dite mais à la lecture de celle-ci se dessine les contours d’une partie de la France d’alors, portion de territoire vivant quasiment recluse et imperméable au progrès technique et social qui s’amorçait. Quelle ne fut pas la surprise de ces millions de Français, déjà horrifiés par la découverte du corps de l’enfant, que sur les bords de la Vologne, dans les sombres et austères Vosges, pouvaient vivre un ou plusieurs criminels capables d’ôter la vie à un enfant. Lancée sur l’autoroute de la modernité et de la modernisation, les Français, subjugués, s’apercevaient combien certains d’entre eux cultivaient une forme d’inertie rétrograde empreinte de violence et de rancoeur. Là réside en partie la fascination pour cette affaire, fascination qui se confond avec la découverte d’un autre monde, détaché de la réalité contemporaine où la fragilité des âmes était broyée par la mécanique impitoyable de la vengeance et du secret. La seule question qui venait alors à l’esprit et qui y vient probablement encore est : Mais comment est-ce possible ? Comment peut-on vivre écrasé par de tels secrets ? (lire lefigaro.fr : Affaire Grégory : De nouveaux éléments mettent à mal la déposition d’un témoin-clé) Plus que l’innommable et insupportable infanticide, la fascination pour l’affaire naissait de cette addition macabre de circonstances odieuses et improbables. Dans les eaux noires du mensonge et du non-dit familial, là où se noyaient d’inavouables secrets de familles, l’Affaire Grégory s’est posée comme l’unique brèche, l’ultime saillie, dans laquelle se sont précipitées presse et opinion. Car l’Affaire Grégory, outre un fait divers lourd et pénible, est aussi un phénomène social, un révélateur de consciences et de mœurs. Devant la souffrance légitime des deux parents, toute pudeur a été oubliée et bafouée, interrogeant d’ailleurs, et à raison, sur les moyens à déployer et les limites à ne pas franchir à des fins d’information. Mais au-delà, l’Affaire Grégory a aussi été le miroir d’une France à deux vitesses : celle embarquée dans le train du troisième millénaire qui pointait le bout de son nez et celle restée sur place, comme figée dans un siècle inconnu mais loin, très loin de celui dans lequel elle vivait officiellement. Et alors que les acteurs du drame sont aujourd’hui à nouveau sur le devant de la scène (mais l’ont-ils réellement quittée ?) de nouvelles questions surgissent et poussent encore l’opinion à de demander qui a ôté la vie du jeune Grégory.

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