
La vague d’indignation suscitée par la démission du Chef d’Etat Major des Armées illustre l’incompréhension d’une grande majorité de la classe politique à comprendre que le Président de la République défend le pragmatisme au détriment de la tradition. Explications.
Tollé, autoritarisme, manque de respect envers la fonction…Autant de qualificatifs qui aujourd’hui animent le débat politique au lendemain de la démission du Chef d’Etat Major des Armées Pierre de Villiers , le plus haut des gradés de l’Armée Française ayant motivé sa décision par un désaccord profond avec le Président de la République, rappelons-le Chef des Armées sous la Cinquième République. L’émotion qu’a suscité cette décision est pourtant révélatrice d’une multitude de changements amorcés par le nouveau président, changements que, visiblement, une partie encore non négligeable du personnel politique français a du mal à intégrer. Ainsi, s’il est inutile ici de revenir sur le conflit qui opposa Pierre de Villiers au Président de la République, il est bon de se pencher en revanche sur les raisons du tollé suscité par cette démission jugée par certains comme scandaleuse. Emmanuel Macron, au contraire de ces prédécesseurs, et pour de nombreuses raisons, sans mépriser l’Armée Française, ne nourrit pas à son endroit toute la déférence et toute l’admiration que lui ont accordée les différents chefs de l’Etat (et ce même si l’on a accusé en 2008 Nicolas Sarkozy, via la mutualisation des moyens humains et matériels engagée alors de malmener l’institution militaire). Ce respect, simple et strict de l’institution militaire, que témoigne Emmanuel Macron, respect dénué de toute dévotion excessive, rompt avec ce culte ancien qui accordait à la Grande Muette, une place hors du temps et des hommes, et une autonomie quasi-totale pour ainsi dire incontestée ; l’institution s’appuyant en outre sur l’origine militaire du fondateur de la Cinquième République le Général de Gaulle.
Au service de la patrie
En brisant cette soumission tacite aux Armées, le Président de la République redistribue sans ménagement les cartes de l’autorité en rappelant qu’en qualité de Chef des Armées, c’est lui et lui seul qui décide et non les haut-gradés du Ministère de la Défense, fussent-ils compétents, aguerris et reconnus. En renvoyant l’Armée dans ses fonctions républicaines, à savoir institution au service de la patrie, et non l’inverse, Emmanuel Macron s’est naturellement attiré les foudres d’une classe politique encore largement imprégnée des principes qui prévalaient jusqu’alors. Car le macronisme, qui peine encore à se dessiner sur le plan économique et social, a trouvé là une occasion de s’affirmer. En imposant son autorité sur les Forces Armées, le président de la République a clairement établi, voire rétabli, les frontières du pouvoir de chaque acteur. Décidé à rompre avec des coutumes et des règles silencieuses qui accordaient à l’Armée une omnipotence sourde aux réalités économiques actuelles, le président Macron cherche aussi à briser l’isolement dans lequel l’institution vivait jusqu’alors. Et que le personnel politique le plus aguerri en soit choqué n’a rien d’étonnant dans la mesure où celui-ci appartient à un univers où les priorités budgétaires, en l’état la réduction du budget global alloué aux armées, ne correspond plus aux attentes des Français et aux capacités des finances publiques.
Armée crainte et redoutée
Emmanuel Macron semble quant à lui vouloir faire preuve de pragmatisme et de lucidité : oui à une armée efficace et équipée ! Non à des dépenses aveugles au nom d’une nécessité cachant assez grossièrement un prestige discutable. Car l’Armée française, crainte et redoutée, n’est cependant pas celle des Etats-Unis, engagée sur des fronts multiples et capable de bouleverser un quelconque ordre régional ; l’exemple syrien en est l’illustration même car jamais la France seule n’aurait pu renverser Bachar El Assad d’où sa demande d’aide aux Etats-Unis qui ont préféré s’abstenir. Ainsi, tout comme la société française dans son ensemble, les Forces Armées devront elles aussi rompre avec leurs habitudes, notamment celles qui les plaçaient dans une situation privilégiée car garante de la sécurité collective. Si elles occupent toujours cette place, celle-ci se fera à l’aune d’une nouvelle donne politique dictée par la nécessité de s’adapter au monde contemporain et non plus ancrée dans une tradition historique aujourd’hui anachronique.