
La victoire d’Emmanuel Macron sanctionne-t-elle la victoire de l’esprit sur la médiocrité ? Ou est-elle le premier pas vers le passage de notre société vers le XXIème siècle ? Suggestions de réponses.
Voilà donc Emmanuel Macron président. Celui qui, comme l’ont déjà souvent répété plusieurs commentateurs, inconnu il y a encore trois ans, est désormais à la tête d’un pays soucieux (et c’est tout à son honneur) d’éviter coûte que coûte le péril brun que promettait le Front National (lire sur lemonde.fr : Présidentielle : de Lille à Bobigny, « on n’avait pas le choix pour éviter le pire »). Coûte que coûte en effet car en élisant Emmanuel Macron parce qu’il incarne l’antithèse du parti d’extrême droite, parce qu’il donne corps aux valeurs républicaines auxquelles nombre d’entre nous sommes attachés, les Français ont fait le choix de la raison contre le chaos. Reste désormais à savoir pourquoi et pour quoi a été élu Emmanuel Macron. Dernier rempart contre l’extrême droite, il a aussi été choisi pour son programme jugé, par certains et par ses adhérents, trans-partisan, au-delà des lignes de fractures classiques entre droite et gauche. Voilà pour les explications premières et dont beaucoup se contenteront. Mais n’en existe-t-il pas d’autres ? Il n’est pas ici question d’en dresser la liste aboutie, au risque (et ce serait bien normal) d’être taxé de prétention mais il n’est pas interdit de s’interroger sur ces raisons. Ainsi, n’est-il pas inutile de se demander si Emmanuel Macron n’a pas profité d’un extraordinaire concours de circonstances où se marient inertie coupable des partis politiques classiques, désillusion collective, perte de foi en la capacité des hommes et femmes politiques d’appréhender les mutations globales et montée exponentielle d’une médiocrité érigée en principe de fonctionnement devenue insupportable. Une explication s’impose.
Médiocrité contre sagacité
D’abord, il convient de reconnaître deux qualités à Emmanuel Macron, indépendantes des autres qui lui permettront (espérons-le) de diriger le pays. Ces qualités sont la sagacité et la perspicacité. L’une et l’autre lui ont permis de comprendre les attentes des Français et de saisir l’instant propice pour se présenter et être élu. Qualités rares qui ont manqué à ces prédécesseurs. Emmanuel Macron a su humer le temps, sentir les inflexions silencieuses et invisibles de l’opinion au point de les intégrer, les analyser et les verbaliser dans un discours qui a su séduire un électorat avide de changement. Sera-t-il à même de l’amorcer ? C’est une autre histoire. Mais outre ses qualités intrinsèques, Emmanuel Macron a aussi profité de la déliquescence globale et générale de notre société. L’érosion des repères sociaux et la perte de sens qui rongent notre société, et pas seulement la notre d’ailleurs, a profité au jeune prétendant. Outre-Atlantique, c’est un populisme borné et grossier qui a raflé la mise. En France, Emmanuel Macron, tout l’inverse de Donald Trump. Ainsi, est-il erroné d’affirmer aujourd’hui que nous vivons dans une société où tout est possible ? La question, à l’aune des événements actuels, devient de fait rhétorique et n’appelle par conséquent aucune réponse. Comment en est-on alors arrivé ce point ? Là encore plusieurs raisons s’entrechoquent : Institutions inadaptées aux évolutions mondiales, égalitarisme forcené, incapacité chronique à interroger le Monde et notre présence en son sein, volonté acharnée, par instinct ou par peur, de conserver les attributs d’un monde et d’une civilisation aujourd’hui dépassés, glorification croissante, consciente ou inconsciente, de la bêtise, de la vacuité intellectuelle, de l’ignorance crasse au détriment de la culture et du savoir salvateur et émancipateur.
Victoire et défaite
L’élection d’Emmanuel Macron est à la fois la victoire d’une génération, celle née dans les années soixante-dix promise à un destin mais qui n’a jamais profité que des miettes de celui-ci, victoire d’une forme d’énergie dont l’avenir dira si elle était porteuse de changements lourds, et victoire de l’esprit sur l’obscurantisme des extrêmes. Mais elle est aussi la défaite des modèles idéologiques (libéralisme et marxisme) qui ont longtemps structuré et guidé nos sociétés, défaites de certaines élites sociales incapables d’imprimer les contours d’un avenir collectif, défaite de la pensée collective, celle qui anticipe les évolutions du monde, et défaite d’un monde post-moderne, incapable de se renouveler, convaincu d’être l’incarnation d’une civilisation aboutie. Alors in fine, l’élection d’Emmanuel Macron est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Journalistes et commentateurs n’apporteront pas la réponse mais l’Histoire se nourrira de leurs observations actuelles pour le démontrer. (Lire sur lefigaro.fr : «Macron veut changer le système par la voie de la monarchie présidentielle») En revanche, indépendamment des aspects techniques de son programme, le nouveau président de la République, qui a su se glisser dans l’espace invisible ouvert par le délitement des lignes et des repères sociaux et politiques qui prévalaient jusqu’alors, sera attendu sur sa capacité à régénérer le tissu social d’un pays épuisé et en proie au doute (comme le montre le résultat de l’extrême droite), à dépasser les peurs et les angoisses et, surtout, à rompre avec les réflexes de l’ancien monde. Bref ! Passer au XXIème siècle.