Le procès Merah serait-il le révélateur d’une société débordée par l’émotion ? Tentative d’explication.
Il y aura donc un second procès Merah. Inutile ici de présenter à nouveau les rouages de ce qui compte aujourd’hui parmi les plus lourds attentats terroristes que le pays ait connu. (Lire l’article sur lemonde.fr : Un nouveau procès Merah est-il nécessaire ? ) Mais pourquoi alors ne pas s’attacher au contexte général et à l’atmosphère qui ont prévalu, et qui prévaudra encore, lorsque se tiendra le second procès. Et plus précisément à ce que nous attendons de notre justice ? La question revêt à l’occasion de ce procès une valeur centrale. Première des réponses, première tentative en tous les cas : la justice n’est pas une vengeance. Et en dépit de l’horreur et du dégoût que peuvent inspirer les propos et l’idéologie meurtrière d’Abdelkader Merah, cet homme ne peut-être l’objet d’une quelconque vendetta. Il en va de l’honneur de la République et des valeurs qui la fondent, de la grandeur d’un peuple qui s’est le premier insurgé en Europe contre l’arbitraire et l’absolutisme. Qui pourrait se réclamer défenseur de la démocratie si cet homme, répétons-le, honni par une écrasante majorité de la population, devait être laissé aux mains de la violence, celle que lui-même appelle et défend ? L’émotion, profonde et légitime, suscitée par les actes commis par Mohammed Merah à Toulouse et Montauban, émotion qui anime encore aujourd’hui nombre d’entre nous, ne peut devenir un moteur de violence.
Sentence et droit
Certes la sentence est facile et l’est d’autant plus pour ceux qui n’ont pas été frappés par l’indicible. Pourtant, effort de prime abord impossible et impensable pour nombre d’entre nous, il faudra au cours du second procès, comme ce fut le cas au cours du premier, séparer l’émotion du droit, la colère de la règle pour préserver la grandeur de la justice des hommes, souvent critiquée et critiquable à bien des égards, mais pourtant seul et unique repère dont nous disposons pour séparer le grain de l’ivraie. Or, le premier procès, hautement médiatisé, et cela se comprend, a aussi été quelque peu l’otage de passions, voire de déclarations tout aussi passionnelles qu’instinctives, qui tendaient à occulter le droit au profit d’une émotion fruit de la colère, de la haine et de la vengeance. Ces sentiments sont naturellement et évidemment compréhensibles. Mais ont-ils leur place dans un prétoire ? Là encore se pose la question. Car est-il audible, en démocratie et en République, que l’émotion, fut-elle des plus vives, influence la justice au point de contrarier le droit ? Une des forces du terrorisme, si tant est que celui-ci puisse en avoir une ou en revendiquer une, est de renvoyer notre démocratie et nos valeurs, ainsi que ses outils que sont la justice et le droit, dans ses ultimes retranchements. Comment une société telle que la nôtre a-t-elle finalement pu laisser grandir en son sein de tels individus ? Comment et par quelle faute commise a-t-elle pu nourrir un radicalisme de cet ordre ?
Réalité et dérive
Le procès Merah figure au rang de ces étapes judiciaires qui marqueront notre société moderne et contemporaine par sa capacité à l’interroger dans son ensemble. Inutile d’évoquer un quelconque bouc-émissaire qui servirait de prétexte facile à une explication qui le serait tout autant pour éviter d’affronter la réalité de nos responsabilités. Car une chose est en revanche quasiment sûre. Le procès Merah nous oblige dès à présent à faire face à une société à la dérive qui s’est trop longtemps cachée derrière le confort d’une modernité grasse et généreuse. Est-ce à dire que nos démocraties sont devenues ou sont trop faibles ? La question est trop manichéenne et appelle un réponse par trop déterministe. Mais avancer l’idée que nos démocraties n’ont pas su s’adapter à la mouvance terroriste n’est pas nécessairement erroné. Rien naturellement n’effacera la douleur des familles des victimes présentes ou à venir, mais repenser les arcanes du droit sans altérer les valeurs fondamentales et les libertés individuelles permettraient peut-être d’appréhender avec plus d’assurance la question terroriste.