Alors que se pose la question du retrait des forces françaises de l’opération Barkhane au Sahel, les ambiguïtés de la France au regard de ces anciennes colonies émergent aussi. Explications.
Ancienne puissance coloniale, la France a souvent eu, depuis l’indépendance de celles qui furent ces possessions africaines, une attitude des plus ambiguës. Entre volonté d’émancipation et coopération dissimulée sous une forme d’ingérence qui ne voulait pas dire son nom, Paris a vu, et voit encore, dans les pays d’Afrique de l’Ouest en particulier, tout à la fois un ensemble de partenaires économiques et un espace-tampon sensé protéger la France contre la mouvance islamiste ayant pris place dans le Sahel. (lemonde.fr : https://www.lemonde.fr/afrique/article) L’opération militaire Barkhane, initiée par l’ancien président de la République François Hollande en 2013 en vue de sécuriser la zone au regard de la présence de milices islamistes radicales à même de menacer le territoire national, est ainsi aujourd’hui source d’interrogations de la part de l’Etat-Major français mais aussi des pays concernés, à savoir le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad).
Partir ou rester
En redessinant les lignes de forces géostratégiques du Sahel, l’action de la force française qui s’est progressivement étendue au-delà des frontières fixées par la mission initiale qu’était le Nord Mali, a mis en exergue toute la complexité du règlement de la question du terrorisme islamiste. Et les questions sur l’utilité de la présence française de se poser avec acuité. Financièrement et humainement coûteuse, dépassée géographiquement, l’opération Barkhane porte en elle toutes les ambiguïtés de la politique africaine de la France : Laisser les puissances du G5 gérer la sécurité de la zone concernée en acceptant de fait de perdre la maîtrise des opérations et de ses objectifs ; maintenir la présence des forces françaises au risque de voir émerger une sorte de néocolonialisme. L’ambiguïté initiale se transforme alors en problème cornélien attisé par une opinion publique hexagonale de moins en moins encline à accepter une opération militaire coûtant près d’un milliard d’euros par an indépendamment des pertes humaines de l’ordre de 50 soldats tués à ce jour. (vingtminutes.fr : https://www.20minutes.fr/monde) Car la multiplication des pertes humaines dans un contexte de lutte contre le djihadisme au sein d’un espace sahélien éloigné de la France, interroge aussi une opinion publique prompte à questionner la pertinence d’une telle opération. Lancée sur le postulat d’une lutte contre les mouvances islamistes sur leur propre territoire, l’opération Barkhane s’est alors vite transformée en une guerre décentralisée menée par la France sur un continent sensible, exposant l’Hexagone a un conflit long et complexe, sans véritable porte de sortie si ce n’est confier au G5 la gestion des opérations sans garantie, aujourd’hui ou demain, que la menace terroriste s’éteigne.
Sphères culturelles et pandémie
Politiquement risquée, au regard des enjeux humains ou financiers qu’elle révèle, l’opération Barkhane a tout du cadeau empoisonné. Car derrière la volonté d’éradiquer le terrorisme islamiste dans ses bases initiales, un autre élément est venu ternir la pertinence de cette opération. Les récents attentats perpétrés sur le sol français non par des individus fanatisés issus du Sahel mais par des hommes occidentalisés ou proches des sphères culturelles occidentales ont remis en question la nécessité de mener un conflit loin de ses bases. En outre, dans un contexte de pandémie liée au covid-19, d’autres priorités semblent se dégager au sein de l’opinion et de l’exécutif. Est-ce à dire que la force Barkhane va cesser ses opérations pour un retour imminent ou programmé ? Les thèses avancées ne plaident pas en faveur de cette solution. Mais une possible redéfinition de la mission, un recentrage de son action géographique et une plus grande latitude accordée au G5 Sahel pourraient vraisemblablement être envisagés afin de limiter les effets d’une opération à la popularité décroissante et à l’efficacité sinon contestée du moins entourée d’un halo de doutes jusqu’à présent tus. Mais pour combien de temps ?